
4 minute read
Mauvais timing
EMANUEL FREUDIGER Pont de Monbijou Cet axe de la ville fédérale pourrait bientôt être soumis à péage.
La pandémie, un frein à la mobilité tarifée?
Le Conseil fédéral veut permettre le lancement de projets pilotes de tarification de la mobilité. Mais en y regardant de plus près, ce sont surtout les automobilistes qui passeraient à la caisse. La pandémie a montré que d’autres approches sont plus pertinentes pour écrêter les pics de circulation.
TEXTE DINO NODARI
La Suisse se peuple et la mobilité progresse. L’Office fédéral des routes (Ofrou) estime que le trafic routier et ferroviaire augmentera d’environ un quart d’ici à 2030. Il faut donc trouver des solutions pour le réduire, notamment aux heures de pointe. Une fois de plus, c’est la tarification de la mobilité qui devrait y remédier. On entend par là des prix de transport variables dans le temps et l’espace. On connaît ce principe depuis longtemps pour les billets d’avion, et de plus en plus de stations de ski veulent s’en inspirer aussi. D’où l’idée de l’appliquer à la mobilité.
Projets pilotes dès 2024
Le Conseil fédéral a lancé une procédure de consultation le printemps dernier. Il est prévu de légaliser et de soutenir financièrement des projets de tarification de la mobilité dès 2024. Les cantons ou les communes seraient alors en charge de leur organisation. «La loi fédérale, limitée à dix ans, doit permettre d’expérimenter de nouveaux systèmes de tarification pour influer sur la demande de transport et les habitudes de mobilité, tant en ce qui concerne le trafic individuel motorisé que les transports publics», indiquait le communiqué de presse relatif à la consultation.
Tarification routière
mobilité devrait en fait – notamment selon la définition de la Confédération – prendre en compte le transport individuel au même titre que les transports publics, les villes et communes intéressées peuvent désormais lancer des projets pilotes visant à contrôler et orienter uniquement le trafic individuel motorisé. Car selon le projet de loi, des essais limités à un seul moyen de transport seront également possibles. Berne, la ville fédérale, →
Londres La tarification de la mobilité n’a atténué le trafic que les premières années.

montre à quoi cela pourrait ressembler. Depuis longtemps, certains rêvent de rendre payant le franchissement du pont très fréquenté de Monbijou. D’un coup de baguette magique, la tarification de la mobilité se transformerait ainsi en tarification routière.
Les automobilistes seuls priés à la caisse
Une fois de plus, seul le trafic individuel motorisé passerait à la caisse. «Et s’il venait aux pendulaires bernois l’idée de contourner la difficulté, la ville réagirait pour empêcher ce trafic indésirable aux abords du pont», expliquait à la Berner Zeitung Marieke Kruit (PS), directrice des Transports. Dans d’autres villes, ce ne seront probablement pas des ponts, mais des tronçons de rues très fréquentés ou des centres-villes entiers qui seront soumis à un péage. On risque de se retrouver avec un patchwork de différentes taxes routières en Suisse.
Mauvais timing
Les idées de tarification de la mobilité ne manquent pas, mais personne ne semble vouloir se brûler les mains en appliquant ce principe aux transports publics. Il faut dire que ceux-ci souffrent de la crise sanitaire.
Dans le dernier numéro de Touring, les CFF confiaient qu’au premier semestre, le trafic voyageurs a enregistré une baisse de 41% par rapport à avant la pandémie, ce qui a causé une perte de 389 millions de francs. La compagnie ferroviaire travaille actuellement à la mise en place d’un financement solide à long terme. Le Coronavirus a incité les pendulaires à reprendre plus souvent le volant. Ce projet de loi n’est donc pas seulement mauvais en termes de timing, il semble également appartenir à une époque révolue. Plutôt que de s’occuper d’une tarification flexible, les transports publics ont actuellement d’autres soucis plus urgents: le financement, la ponctualité et les gros investissements.
Faible acceptation
A cela s’ajoute le fait que le soutien à la tarification de la mobilité n’est pas vraiment massif. Après la consultation du printemps, le projet sera soumis au Parlement. C’est au plus tard à ce moment-là qu’il pourrait se heurter à une résistance acharnée.
Opposition du TCS
Les projets pilotes limités au trafic individuel motorisé se verront probablement opposer un refus englobant la droite et une grande partie du centre. Pour le TCS aussi, il est clair que ce n’est pas la bonne approche. «Nous rejetons les modèles visant à casser les pics de trafic en augmentant les prix aux heures de pointe», déclare Peter Goetschi, président central. «C’est antisocial et cela toucherait surtout ceux qui ont le moins de souplesse dans leurs horaires de travail.»
Des projets pilotes supplémentaires ne sont pas nécessaires non plus car les effets de péages routiers unilatéraux tels qu’ils existent depuis longtemps dans des villes comme Londres, Stockholm ou Oslo n’ont pas donné de résultats probants. L’exemple de Londres montre que l’effet de réduction du trafic n’a duré que quelques années. Il a été rapidement annulé par la démographie et la croissance économique. «Après les expériences faites pendant la pandémie, nous demandons au Conseil fédéral de prendre d’autres mesures pour réduire les pics de trafic», déclare Peter Goetschi. Selon lui, la crise a montré que l’assouplissement des horaires d’écoles et de bureau ainsi que l’extension du télétravail permettraient de réduire considérablement les pics de pollution dus aux transports publics et privés.
KEYSTONE
Financement à revoir
Les projets pilotes ne sont pas nécessaires sous la forme prévue. Ce qu’il faut, c’est une réflexion sur le financement de l’infrastructure routière, qui est assuré aujourd’hui principalement par l’impôt sur les huiles minérales et sa surtaxe. Car en raison de la baisse de consommation des véhicules thermiques et de l’électrification du parc automobile, ce financement n’est plus assuré à long terme. Il faut donc trouver une solution de remplacement. Une tarification au kilomètre pourrait être une solution, mais pour financer et non pour orienter. •