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SNSM – Les héros de la mer

Les héros de la mer

Depuis plus d’un demi-siècle, la Société nationale des sauveteurs en mer sauve des vies, gratuitement. Reportage dans le Morbihan, aux côtés des bénévoles de la station de sauvetage et du centre de formation et d’intervention installés à Locmiquélic et Lorient, dans le Morbihan.

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Par Sandrine Chesnel

C’était un vendredi. Le 7 juin 2019. Telle une furie, portée par les courants d’altitude de l’Atlantique, la tempête Miguel déferle sur les côtes vendéennes. Pluie, rafales, mer difficile, une météo plutôt inhabituelle pour un mois de juin. Sur le remblais des Sables d’Olonne, à la sortie du port, les embruns filent à l’horizontale. Il fait un temps à rester chez soi en attendant le retour du soleil. Un seul marin a décidé de sortir en mer. Pas un amateur, un patron pêcheur professionnel, qui quitte Les Sables à 5 heures du matin, sur son chalutier d’une dizaine de mètres. En fin de matinée, c’est l’alerte : son bateau, le Carrera, est en panne de moteur, la mer est de plus en plus déchaînée, la situation peut rapidement mal tourner. Sept sauveteurs de la Société nationale des sauveteurs en mer sont mobilisés et foncent à son secours. Ils arrivent sur zone vers 11 h 30. Mais, ce jour-là, la mer est la plus forte : une première lame fait exploser les vitres de la cabine du canot, une deuxième le retourne. Quatre des sauveteurs réussissent à gagner la terre ferme à la nage. Trois ne reviendront pas. Le patron du Carrera non plus. Un drame pour la communauté des gens de mer et bien au-delà, beaucoup de Français découvrant alors que ces hommes et femmes en orange qui patrouillent sur le littoral et sauvent des vies, parfois au prix de la leur, sont… des bénévoles. Créée en 1967, la Société nationale des sauveteurs en mer est une association qui assure gratuitement une mission de service public de secours en mer et sur les côtes. La SNSM compte 9 000 bénévoles*, des patrons de canot et de vedette, des canotiers, des mécaniciens, des nageurs embarqués, hommes, femmes, jeunes, vieux, actifs, retraités, répartis dans 214 stations de sauvetage et 33 centres de formation et d’intervention, partout en France, métropole comme outre-mer. Parmi ces 9 000 bénévoles, 2 000 nageurs sauveteurs, souvent âgés d’une vingtaine d’années, qui en saison « arment » un tiers des postes de surveillance des plages françaises. Autant de membres d’une grande organisation qui, en 2020, ont contribué à secourir plus de 10 000 personnes, en ont soigné 16 000, et ont retrouvé 1 200 enfants égarés sur une plage. La station SNSM du Pays de Lorient est l’un des rouages impeccablement huilés qui les regroupent, prêt à envoyer ses sauveteurs en mer de jour comme de nuit, sur requête du centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (Cross) d’Étel, à 20 kilomètres à vol de mouette.

S’entraîner sans relâche Pour que la mécanique fonctionne, il faut qu’elle tourne, souvent : une fois par mois au minimum est programmé un exercice en mer pour maintenir les automatismes au top. Ce samedi matin, dans les locaux posés au bord d’un quai de Locmiquélic, en face de Lorient, c’est donc entraînement pour Mikaël Le Gall, le patron principal de L’Hermine, la vedette de la SNSM du Pays de Lorient, et son équipe. Il fait grand bleu, mais le vent bien frais souffle force 3. Mikaël présente la situation : deux hommes en détresse sur un petit semi-rigide à la dérive, l’un des deux est inconscient, l’autre ne sait pas naviguer, mais il a su lancer l’alerte à la radio. Deux membres du centre de formation et d’intervention (CFI) de Lorient, Benjamin et Alexandre, venus de l’autre côté de la rade, vont jouer les naufragés –ils sont d’ailleurs déjà partis

« se cacher » en mer. Charge à l’équipage du jour, cinq hommes, de les localiser, puis d’aller les récupérer. Le patron principal est là pour superviser, mais c’est l’un de ses adjoints, Cédric Huet, 36ans, ingénieur chez Naval Group la semaine, qui pilote l’exercice de ce samedi. À 14 h 30, L’Hermine largue les amarres et quitte son ponton sous le regard curieux de quelques badauds. Pendant que Loïc pilote, Cédric questionne le marin en détresse, par radio, lui demande s’il sait où il est : « Bah, je ne sais pas, on est sorti de la rade et puis on a pris à droite ! » La vedette orange et bleue passe devant la citadelle de Port-Louis, qui veille sur l’entrée de la rade, et gagne la mer. Le naufragé dit voir un mât noir non loin de lui, avec des triangles au-dessus : « Vers le haut ou vers le bas, les triangles ? » En croisant les infos et en scrutant la carte, Cédric pense avoir trouvé où est le bateau : « OK, je vois où vous êtes, on arrive ! » et à son pilote, concentré : « Près de la bouée cardinale de Kerpape. » Le moteur vrombit. Mathieu, ancien militaire en reconversion comme infirmier, prend le relais sur la radio pour évaluer la gravité de l’état de santé du malade : « Votre copain a fait un malaise, il s’est bien hydraté ? » « Oh ça, oui, on est parti avec deux packs de bières et il reste trois canettes », rassure le naufragé, très convaincant dans son rôle de plaisancier pas très responsable. « Je les vois ! » lance Loïc. Et, effectivement, ballottant entre deux vagues, on devine par intermittence une toute petite embarcation. Sur zone la récupération du semi-rigide n’est pas évidente, mais il finira par être amarré à la vedette, en sécurité. Exercice réussi, toute l’équipe peut rentrer à Locmiquélic pour le débrief…

Une vigilance de tous les instants Quand, tout à coup : « Un homme à la mer ! » crie Mikaël. Branle-bas, demi-tour, Mathieu sort de la cabine pour repérer la personne et ne plus la lâcher des yeux. Quelques minutes plus tard, à l’aide d’une perche, le malheureux est repêché non sans difficulté. Il est rond et tout vert, c’est une bouée que Mikaël avait lancée pour tester l’équipage : « Dans ce genre de situation, il faut faire vite : 30 minutes dans cette eau à 10 degrés, c’est l’hypothermie assurée et, avec une mer comme aujourd’hui, un gros risque de noyade, surtout sans gilet. » Sur le retour, la vedette croise de nombreux bateaux, tous les plaisanciers font de grands saluts à l’équipage de la SNSM, mais très peu d’entre eux portent des gilets de sauvetage. « Ah, ça… » lâche Cédric, un peu dépité. Le matériel a pourtant beaucoup progressé, les gilets modernes sont autogonflables au contact de l’eau et bien moins encombrants que les vieux gilets d’autrefois. Mais le réflexe est loin d’être acquis car, chez les plus expérimentés

« 30minutes dans une eau à 10 degrés, c’est l’hypothermie assurée. »

Mikaël Le Gall, patron principal de L’Hermine

86- LES CAHIERS DU TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN - PRINTEMPS 2022 © Loïc Joncqueur

comme chez les novices, les gilets restent souvent au fond du bateau, ce qui conduit parfois à des drames. Évidemment, ce samedi, tous les bénévoles, comme la journaliste, portent le leur. Ce gilet de sauvetage à 300 euros pièce fait d’ailleurs partie de l’équipement que reçoit chaque bénévole une fois formé, un « paquetage » comportant veste, pantalon, casque, gants, bottes, pour un montant total de 1 215 euros financé par les dons privés**, qui représentent 80 % du budget annuel de la SNSM. Actuellement de 35,4 millions d’euros, celui-ci est amené à grossir dans les dix prochaines années car la SNSM va devoir renouveler cent quarante de ses bateaux, pour un coût total estimé à 100millions d’euros. Retour à la station. Toujours des badauds pour assister à la manœuvre. On éteint les moteurs et on entend à nouveau les goélands. Cédric remplit le livre de bord de L’Hermine pour documenter l’exercice du jour. En huit ans de SNSM, ce Francilien d’origine, arrivé à Lorient pour le travail, n’a fait « que » vingt-cinq missions de sauvetage : « Le plus souvent des choses classiques, un passager blessé, un bateau dans les cailloux, ou en panne… Mais c’est toujours une très grande satisfaction d’aider les gens. » Il y a aussi les missions dures, qui marquent, quand il faut récupérer une personne morte par noyade. Pour autant, Cédric ne se voit pas mettre un jour un terme à son engagement à la SNSM et résume : « J’aime aider les autres, je me suis fait plein d’amis, ça me permet d’être sur l’eau. » De fait, s’il le souhaite, le trentenaire a au moins trenteans d’interventions devant lui, puisque l’âge limite pour partir en intervention est fixé à 70ans, sur dérogation. « À condition que le bénévole résiste à l’appel du camping-car en arrivant à la retraite », commente Thierry Diméet, 62ans, ancien bosco dans la Marine, fier président de la station SNSM du Pays de Lorient. Autre condition pour intégrer la SNSM : habiter à moins de 10 minutes de la station, pour être sur l’eau au plus vite, de jour comme de nuit.

Une appli pour donner l’alerte Mais il est loin le temps où le patron appelait « ses gars » un par un au téléphone pour les faire venir : aujourd’hui les bénévoles ont tous sur leur téléphone une appli sur laquelle ils enregistrent leurs disponibilités. En cas d’alerte, tous les membres de l’équipe d’astreinte sont prévenus en même temps. « Une belle machine », commente Benjamin Tiby-Saucereau, l’un des deux « naufragés » du jour. Lui n’est pas attaché à la station du Pays de Lorient mais au CFI de Lorient, juste en face, de l’autre côté de la rade. À 28 ans, dont onze de SNSM, ce militaire, second maître mécanicien dans la Marine, est le patron du semi-rigide du CFI. Après plusieurs saisons comme nageur sauveteur, il assure aujourd’hui la formation des plus jeunes : « La SNSM, c’est du bonheur pour moi. J’aime le travail sous pression, la montée d’adrénaline en mission, cette peur qu’on doit canaliser. C’est pour ça qu’on doit s’entraîner régulièrement : pour que tous nos gestes soient automatiques et pour mécaniser nos interventions. Résultat, comme nous recevons tous la même formation, un gars de Nantes peut partir en intervention avec un gars de Dunkerque sans problème. » Mais, pour réussir à « mécaniser ses interventions », il faut s’entraîner encore et toujours. « Exercice difficile, guerre facile », avait résumé plus tôt Cédric.

« Quelqu’un qui est à l’eau, c’est un homme à la mer, on se fiche de sa couleur. »

Thierry Diméet, président de la station du Pays de Lorient

La journée aurait donc pu se terminer après cette bonne bouffée d’iode, mais non. On embarque avec Benjamin et Alexandre dans un semi-rigide pour une traversée express du Blavet, depuis la station de Locmiquélic, direction la base des sous-marins de Lorient. À peine le temps d’entendre l’écho du clapot dans ces immenses halls de béton, il faut filer à la piscine du Bois du château pour quelques longueurs. La piscine utilisée par la SNSM est du célèbre modèle « Tournesol », typique des années 1970 – tout comme les méthodes d’Yvan, le maître-nageur, bénévole à la SNSM depuis trente-cinq ans, qui, ce samedi-là, entraîne les futurs nageurs sauveteurs du CFI. Il les malmène verbalement, mais le sourire n’est jamais loin et, même si les ados en bavent en nageant le crawl à un bras, tout ce petit monde, moitié filles, moitié garçons, semble ravi d’être là : « Les entraînements à la piscine, ça va, l’eau est chaude, on voit à travers, rit Aurélien, 19 ans, étudiant et futur nageur sauveteur. Mais demain dimanche, ça sera en mer, on rigolera moins ! » À Lorient, ils sont une vingtaine de jeunes qui, comme Aurélien, consacrent tout leur temps libre, pendant une année, à leur formation SNSM. Deux fois deux heures de piscine par semaine, plus les entraînements en extérieur tous les dimanches ou presque, même en hiver. « C’est dur mais ça nous fait gagner en maturité, et on se fait des amis pour la vie », commente Lucy, lycéenne. Objectif pour ces jeunes : obtenir les brevets nécessaires pour faire du sauvetage et de la surveillance de plage dès l’été 2022. Un « job d’été » pas comme les autres, payé 1 200euros par mois par les municipalités, soit le montant que ces jeunes – ou leurs parents – ont dû payer pour leur formation à la SNSM. Une fois brevetés, les jeunes nageurs sauveteurs pourront, comme tous les autres bénévoles, participer à des missions de sécurité civile, en mer comme sur terre, ou encadrer des évènements nautiques. Les plus motivés, celles et ceux qui resteront à la SNSM une fois entrés dans le monde du travail, pourront se consacrer à la formation des nouvelles recrues, comme Benjamin, mais aussi devenir nageur embarqué, ou développer de nouvelles compétences, grâce aux formations internes de l’association.

L’assistance aux migrants Au fil des années, les missions de la SNSM se sont adaptées aux changements dans les pratiques nautiques, mais aussi dans la société. Il est aujourd’hui courant qu’ils accompagnent les familles et les proches lors des cérémonies de dispersion des cendres en mer. À Lorient, Thierry les emmène sur le plateau rocheux des Errants, où la légende dit

qu’une ancienne cité a été engloutie. Les soubresauts géopolitiques forcent aussi les bénévoles de la SNSM de certaines régions de France à faire face à de nouveaux naufragés : les migrants. Depuis quelques années, les sauvetages de ces malheureux qui essaient de rejoindre le Royaume-Uni sur des bateaux de fortune constituent jusqu’à 90 % de l’activité des stations SNSM de Dieppe, Boulogne, Calais, Gravelines, Dunkerque… « Quelqu’un qui est à l’eau, c’est un homme à la mer, on se fiche de sa couleur, commente Thierry Diméet. Nous, on sauve des gens, qu’ils soient jaunes, noirs ou blancs, gros ou petits. » C’est toute la particularité de la SNSM qui est ici résumée ; une association, mais dotée d’une mission régalienne. Pas de place pour l’improvisation : « Avant on avait 95 % de gens issus des métiers de la mer, maintenant c’est à peine 5 %. Donc, il faut de la formation, beaucoup de formation, pour être carré. Et aussi beaucoup d’altruisme, parce que parfois on en bave et on doit être disponible tout le temps. » Le ciment ? La seconde famille que constitue la SNSM pour ses bénévoles. « Et aussi la pizza du dimanche ! rigole le président. Plus sérieusement, si on tient c’est grâce à ces moments de convivialité qui nous soudent. Une station doit vivre et ne vit que si nous avons des lieux à nous, où nous nous retrouvons. » Et justement, en ce week-end bien rempli, après un samedi après-midi consacré à un exercice en mer, et une matinée du dimanche dédiée à la mise à jour de la formation PSC1 (Prévention et secours civiques de niveau 1) d’une quinzaine de bénévoles, un parfum de pizza monte de la terrasse de la station, avec vue imprenable sur la rade de Lorient. Un peu plus tôt des représentants d’une association de plaisanciers d’Hennebont sont venus apporter leur don annuel : 500euros, qui vont servir à financer l’achat d’un matelas gonflable pour déplacer les blessés, « Les premiers des sauveteurs, ce sont les donateurs, sans eux on ne peut rien faire », commente Thierry Diméet. Et puis il y a une autre catégorie de personnes sans lesquelles les sauveteurs ne « tiendraient » pas : les conjoints et les conjointes. « Quand je recrute un nouveau bénévole, je m’assure toujours que le conjoint est d’accord pour qu’il intègre la SNSM, et qu’il a bien conscience de ce que ça signifie, explique Thierry. Il doit être d’accord parce qu’il y a beaucoup de week-ends qui seront pris, et aussi le téléphone qui peut sonner à 3 heures du matin pour un départ en mission, et qui réveille tout le monde. » Laetitia, la compagne de Cédric, qui a assuré l’exercice de la veille, en sait quelque chose. À eux deux ils ont quatre enfants de 4 à 10ans à élever, un travail à assurer, une maison à faire tourner.

Un vrai sacerdoce En décidant de faire sa vie avec Cédric, Laetitia a vite compris que le bonhomme était livré avec son engagement à la SNSM : « Il était déjà sauveteur quand je l’ai rencontré, ça fait partie de sa personnalité. Évidemment, il y a des contraintes, mais on s’adapte. Quand il est d’astreinte le week-end, on ne part pas loin. Avec les enfants, nous allons aussi souvent le rejoindre à la station, ils sont admiratifs. » Et si un jour l’un des petits décidait de suivre la trace du père de famille à la SNSM ? Zéro hésitation dans la voix de Laetitia : « Nous serons très fiers. »• * Source : SNSM, chiffres 2021. ** don.snsm.org

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