6 minute read

INSPIRATION

Next Article
MONDE

MONDE

Ode à l’or bleu : Une leçon de vie sous-marine

Entrevue avec Mario Cyr

Advertisement

À LA RENCONTRE DU SUPERBE — Né aux Îles-de-la-Madeleine, Mario Cyr a toujours été attiré par l’eau. Jeune, il passait ses étés sur les plages, et à l’âge de 16 ans, il s’est peu à peu intéressé à la plongée sportive, puis commerciale, qui lui a permis d’acquérir une expertise de plongée en eaux froides.

Ayant commencé à travailler avec la caméra sous-marine en 1984, il a été approché en 1991 par National Geographic pour aller filmer les morses dans l’Arctique. C’est là que tout a vraiment commencé. Aujourd’hui directeur photo, caméraman sous-marin, professeur de plongée, propriétaire d’une école et d’un magasin de plongée, et conférencier dans son propre bistro familial, il ne s’arrête jamais, véritablement passionné par son métier. Entretien avec un homme qui n’a pas froid aux yeux.

De chacune des activités que vous faites ressort une dimension éducative. Cette transmission de connaissances fait-elle partie de la mission que vous vous êtes donnée ?

« Oui, en quelque sorte. J’ai toujours aimé ça, parler de mon métier. Par contre, ce sont mes amis qui m’ont poussé à donner des conférences, car au début, ce n’était vraiment pas dans mes plans. Mais chaque fois que je revenais d’expédition, je recevais toujours beaucoup de demandes pour aller parler aux gens, pour aller rencontrer les familles, pour raconter mes histoires. Donc, à force, je me suis lancé dans les conférences, et ça se passe bien ! J’ai la chance d’avoir un parcours différent et inusité, alors ça intéresse les gens. »

Vous êtes allé 42 fois en Arctique, vous y avez passé plus de deux ans si on met tous vos voyages bout à bout. Que pouvez-vous nous en dire ?

« Je me considère comme un témoin privilégié de son évolution. J’ai commencé à y aller en 1991, et jusqu’en 1993, ça allait bien. Ces années ont été les dernières de glace et de froid normaux. À partir de 1994, les changements climatiques ont commencé à avoir un impact sur cette partie du monde, avec la fonte des glaces, la montée des températures. J’ai eu la chance d’y être quand ça allait super bien, jusqu’à aujourd’hui, où ça va beaucoup moins bien, et de pouvoir documenter les deux réalités.

Je me souviens du 1er mai 1995, où j’étais avec des guides inuits qui étaient tous vraiment surpris qu’il pleuve. Ils n’avaient jamais vu de pluie au début de mai, c’était très inhabituel ! J’ai assisté à des choses comme ça, où je n’avais peut-être pas personnellement de référent pour comparer, mais où d’autres personnes avec qui j’étais me disaient qu’il y avait un problème. Et aujourd’hui, en 2021, on doit aller dans l’Arctique deux mois plus tôt qu’en 1990 pour filmer exactement la même chose. Je filmais des baleines boréales le 15 juillet dans le bassin de Foxe, et maintenant, je dois y aller le 15 mai pour les voir au même endroit. La différence est énorme!

Un grand changement est aussi l’arrivée d’eau douce. Les glaciers fondent à une vitesse incroyable, et les changements climatiques augmentent la température de l’eau, donc il fait de plus en plus chaud. Par conséquent, beaucoup d’espèces de l’Équateur sont en migration vers l’Arctique et l’Antarctique, donc vers les pôles, pour pouvoir vivre dans une eau où la température est encore fraîche. On se retrouve avec des espèces qu’on ne voyait pas auparavant dans l’Arctique, mais elles ne pourront pas toutes vivre là ! Il y a des conflits, des compétitions intraspécifiques, notamment au niveau de la nourriture. Il y a des espèces qui ne s’étaient jamais rencontrées, comme la morue de l’Atlantique et la morue de l’Arctique, qui se côtoient pour la première fois. Tout change, incluant les routes migratoires. Une augmentation d’un dixième de degré a le pouvoir de faire déplacer des bancs de poissons entiers, qui sont très sensibles à la température de l’eau.

Ce phénomène va mener à la disparition de certaines espèces, mais à la prolifération d’autres, comme les méduses par exemple, qui préfèrent l’eau chaude à l’eau froide. En contrepartie, si l’ours polaire ne s’adapte pas rapidement aux nouvelles conditions, il risque de disparaître.

Tous les animaux marins sont actuellement en train de s’adapter, dans la mesure du possible, aux nouvelles conditions climatiques. La seule espèce qui ne s’adapte pas en ce moment, c’est l’humain. L’intelligence, en fin de compte, qu’est-ce que c’est ? C’est de pouvoir s’adapter à son milieu, et d’y vivre de façon harmonieuse. »

Est-ce que ces changements vous inquiètent ?

« Pour ma part, j’essaie de ne pas être trop moralisant. J’ai choisi de parler des changements climatiques sous l’angle de la beauté, parce qu’il faut absolument préserver cette beauté-là pour les générations futures. Plusieurs y vont de restrictions, mais ce n’est pas mon approche. Mais si on me pose la question, oui, je suis extrêmement inquiet. Présentement, il est tard, probablement trop tard. Mais on peut toujours essayer de s’améliorer, parce que si on ne fait rien, on risque juste de multiplier le nombre de catastrophes par dix ou par vingt. »

On parle souvent des déchets qui jonchent nos océans, mais qu’en est-il de la pollution sonore ?

« Le son voyage quatre fois plus vite dans l’eau que dans l’air. Donc quand on dit que l’océan est le "monde du silence", ce n’est pas vrai ! C’est silencieux si rien ne se passe, mais s’il y a quelque chose, on l’entend quatre fois plus fort ! L’humain entend dans l’eau avec toute sa boîte crânienne, et non pas juste avec ses oreilles, et c’est le même principe pour les mammifères marins. Ils entendent même beaucoup plus que nous, donc tous les bruits des bateaux, de l’exploration minière ou pétrolière, ça les désoriente complètement, et beaucoup de mortalité est directement causée par la pollution sonore. »

Au quotidien, la peur prend-elle une place importante, ou l’habitude fait en sorte que vous n’y pensez pas trop ?

« La peur fait partie du travail, quand on plonge par exemple avec les morses ou les ours polaires. Et c’est bien, car c’est elle qui guide tous nos sens et qui nous fait prendre des risques calculés. Ce n’est pas quelque chose que j’ai déjà pensé à chasser de ma vie, j’essaie plutôt de la contrôler. »

L’eau est reconnue pour son pouvoir apaisant, par le son qu’elle produit, son mouvement, sa fraîcheur. A-t-elle ce même effet sur vous, malgré l’intensité de votre travail ?

« Oui, c’est extrêmement apaisant ! J’habite sur le bord de la mer, aux Îles-de-la-Madeleine, et c’est une chance incroyable de pouvoir vivre si près de l’eau. Même quand je plonge, à moins d’être très nerveux et d’être entouré d’animaux dangereux, ça me procure un bien-être total. J’en ressors apaisé, beaucoup mieux dans ma tête, dans mon corps, dans mon esprit. On vient de l’eau, n’est-ce pas, donc je pense qu’à moins d'en avoir peur, il n’y a pas meilleur endroit où être. »

UN PHOQUE AU GROENLAND, PHOTOGRAPHIÉ PAR MARIO CYR

This article is from: