Soigner mieux en enfermant moins

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SANTÉ

Soigner mieux en enfermant moins En psychiatrie, l’offre de soins se concentre de plus en plus sur le mieux-être du patient et, si possible, sur sa réhabilitation psychosociale. Découverte de deux initiatives qui développent une approche ouverte de l’accompagnement des personnes en situation de handicap psychique : Les Invités au Festin à Besançon et les familles d’accueil thérapeutique de l’hôpital d’Ainay-le-Château dans l’Allier.

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e lundi matin d’octobre 2020, Charles quitte la chambre de la Maison des Capucines, qu’il occupe depuis 2009. Il se rend dans la salle de classe où se tient un atelier chant. Encouragé par les battements de mains des autres participants, il entonne en play-back L’Amérique de Joe Dassin, dont Serpil, l’animatrice, a projeté les paroles sur le mur depuis son ordinateur. Ce sexagénaire au sourire charmeur consigne en permanence sur un cahier ses activités et les articles de presse qu’il consulte au cours de la journée. Il ne communique que par oui ou par non, sauf avec son père, qu’il appelle au téléphone tous les soirs à 20 heures tapantes pour lui lire ses écrits. Charles, qui en d’autres temps et circonstances serait peut-être en hôpital psychiatrique, se sent chez lui dans cet espace non médicalisé de l’association Les Invités au Festin… Faut-il y voir le signe de nouvelles pratiques d’accompagnement du handicap psychique ? DE DRÔLES DE PIAF DANS UN ANCIEN COUVENT… Des séances de loisir comme celle où Charles a chanté Joe Dassin rythment le quotidien des 13 résidents de cette maison communautaire, située au centre de Besançon (Doubs), dans le cloître d’un ancien couvent. Des « P.I.A.F. », comme les appelle Anne-Élisabeth qui partage la vie de la communauté depuis l’âge de 30 ans : des « Participants aux Invités Au Festin ». Ce drôle de terme est d’autant mieux trouvé qu’aux résidents permanents 62

des Capucines s’ajoutent, au sein de la Maison des Sources qui l’héberge, un accueil de jour qui augmente le nombre de participants aux ateliers, des personnes en situation de handicap psychique ayant leur logement dans la ville pour la plupart. Avec en plus une buvette et une friperie ouvertes à tous, ici cohabitent des personnes en difficulté et intégrées socialement. Depuis l’ouverture du lieu en 2000 par la psychiatre Marie-Noëlle Besançon et son mari, l’association s’appuie en effet sur les principes de la « psychiatrie citoyenne » pour faire reculer la stigmatisation des personnes souffrant de solitude et d’exclusion. La relation « souffrant-soignant » est au cœur de cette approche thérapeutique qui considère le vivre-ensemble comme le meilleur remède à la fragilité psychologique. « Le lien créé entre les résidents, les bénévoles, les salariés, les stagiaires et les services civiques permet à chacun d’aller mieux, déclare Édith Robert, responsable du lieu de vie des résidents. On construit la maison ensemble. » Avant d’intégrer la communauté, les personnes, toutes volontaires, font des séjours d’immersion où elles découvrent ce que l’on attend d’elles, comme participer par roulement aux tâches quotidiennes : courses, cuisine, vaisselle, ménage dans les parties communes, etc. Bénéficiant de chambres individuelles suffisamment spacieuses pour y installer un bureau, elles disposent de machines à laver et de sèche-linge pour gérer, seules, leur blanchisserie. Il n’y a pas de limite d’âge et les entrées sont fonction de l’urgence de chaque situation. V

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Crédit photo : Sylvie Legoupi/Moderne Multimédias

dans un atelier de la Maison des sources de l’association Les invités au Festin, Charles, résident permanent du lieu, construit sa figure en papier avec une animatrice.

FAMILLES D’ACCUEIL THÉRAPEUTIQUE DANS L’ALLIER À la Maison des Sources, où la vie semble plus familiale qu’institutionnelle, cette gestion autonome de leur logement par les résidents participe du soin. Cette approche moins médicale, inenvisageable pour certaines personnes, correspond à une lente mais profonde évolution des pratiques liées à la santé mentale. Pour preuve : depuis une loi de 1992, le statut de famille d’accueil thérapeutique (AFT) est devenu professionnel. Ainsi, à Ainay-leChâteau, village médiéval de 1 000 habitants au nord-ouest de l’Allier, 164 AFT répartis dans un rayon de 30 kilomètres autour du CHS (Centre hospitalier spécialisé) assurent les soins de 328 personnes en situation de handicap psychique, venues de la France entière. Sylvie, par exemple, exerce le métier d’accueillante depuis l’âge de 18 ans. Elle héberge dans sa maison annexe deux V

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patientes, Sophie et Violetta, qu’elle prend en charge de façon individualisée : nourriture, logement, blanchisserie et accompagnement lors des visites à l’extérieur. Les deux jeunes femmes, qui disposent d’une chambre individuelle, se partagent la salle de bain et la cuisine équipée. Vivre en AFT est pour Sophie une opportunité « pour rencontrer d’autres gens qui n’ont rien à voir avec le CHS » et « se sentir utile aux autres ». Auparavant professeure de piano, elle a pu installer son piano électrique dans sa chambre, et elle en joue tous les jours, comme dans sa vie « d’avant ». Entrer en accueil familial implique en amont pour le patient d’aller une quinzaine de jours dans l’unité d’accueil de l’hôpital, où il passe des entretiens. Ces évaluations déterminent la possibilité d’une intégration et le profil de la famille proposée. Car les familles sont au cœur du processus de restauration des capacités relationnelles, d’autonomie et de resocialisation des patients. 63


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sandy, l’une des « familles d’accueil thérapeutique » de l’hôpital d’ainay-le-Château, accompagne le patient, présentement à cheval, qu’elle accueille chez elle.

Salariées par l’hôpital, qui les forme et les encadre, elles ont été choisies minutieusement par une équipe pluridisciplinaire composée d’un psychiatre, d’un psychologue, d’une assistante sociale, d’un cadre de santé et d’un directeur des soins, qui rencontrent la famille candidate chacun à leur tour. VIVRE AVEC ET MIEUX ÊTRE TOUS ENSEMBLE En plus de leur aptitude à offrir à la personne un lieu de vie confortable et sécurisant, les « accueillants » doivent avoir un « profil empathique et une forte capacité d’écoute ». La mission d’accueil gagne à être assumée par tous les membres de la famille, car le patient a besoin d’un substitut rassurant, mais aussi d’un tremplin pour son projet de vie. « Mes enfants sont très attachés aux personnes accueillies, assure ainsi Sandy, accueillante et mère de trois enfants. Quand ils rencontrent des personnes portant les stigmates de leur pathologie sur leur visage, je ne vois pas de marque de rejet. Ils intègrent cette différence physique comme celles du poids, de la taille ou du port de lunettes. » En accueil 64

familial ou en maison relais, le « vivre avec » a un effet bénéfique pour tous : « Les patients nous apprennent… à être patients, plaisante Sandy, C’est l’effet miroir ! Il est impératif que l’on se sente apaisé pour qu’eux se sentent bien. » L’initiative d’Ainay-le-Château est à l’image d’une offre de soins en psychiatrie qui se concentre désormais sur le « mieux-être » de l’usager : « Dès qu’un patient franchit la porte de l’hôpital, son rétablissement commence », soutient Isabelle Lolivier, directrice de publication de la revue Santé Mentale. Le rétablissement individuel de la personne est également au cœur d’une discipline émergente dans le paysage de la psychiatrie : la réhabilitation psychosociale. Grâce à des outils pour la plupart issus des neurosciences, elle améliore la qualité de vie et l’inscription sociale de l’individu, en priorisant le développement de ses capacités via des interventions précoces. Réintégré dans ses droits de citoyen, sujet pensant, agissant et décidant, le patient reste acteur de ses soins. Des mouvements d’usagers outre-Atlantique dans les années 1970 sont à l’origine de ce courant qui prône V

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Crédits photo : Sylvie Legoupi/Moderne Multimédias

novembre 2020, sur une route de saint-Bonnet-tronçais dans l’allier, une accueillante conduit, dans son triporteur, l’une des deux patientes dont elle s’occupe.

l’empowerment. Son efficacité avérée en a fait un élément majeur des politiques publiques en matière de santé mentale et l’on compte aujourd’hui plus d’une soixantaine de centres de réhabilitation psychosociale en France. « Tout le sens de notre travail est de déstigmatiser la maladie mentale et d’accompagner la restauration d’un individu dans sa citoyenneté », explique le Dr Olivier Canceil, de Santé Mentale France. Cette fédération, dont il est le vice-président, s’inscrit dans le courant du rétablissement, de la réhabilitation psychosociale et de la réinsertion. DES EXPÉRIENCES INCLUSIVES QUI NÉCESSITENT UN SUIVI MÉDICAL L’intensité et le caractère chronique de la maladie peuvent néanmoins limiter l’efficacité de ce type d’approche. À Besançon comme à Ainay-le-Château, l’équilibre repose sur l’état des patients, souffrant pour la plupart de schizophrénie, de troubles bipolaires ou de la personnalité : « Dans ce genre de maladie, on ne parle pas de guérison, mais de stabilisation, souligne Édith Robert V

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des Invités au Festin. Il faut apprendre à vivre avec, et la partie qui va bien doit prendre de plus en plus de place. » C’est un long processus, et les échecs sont fréquents. Sophie en a fait l’expérience et a dû réintégrer le cadre de sa famille d’accueil après une première tentative de vie seule en appartement. En accueil familial thérapeutique, les patients bénéficient d’un suivi médical régulier, dont la fréquence varie selon leur degré d’autonomie. Ils peuvent être réhospitalisés temporairement à tout moment pour réajuster leur traitement. Saravong, qui souffre de diabète, reçoit ainsi chaque jour la visite de Béatrice, depuis six ans infirmière référente de 20 patients dans le secteur du village de l’hôpital. Celle-ci discute régulièrement avec chaque famille de la prise des médicaments. Les accueillants doivent en effet veiller à ce que les traitements soient strictement suivis par les patients. Leur formation aborde ce point, en leur suggérant des astuces : être présent face au patient, en parler pour être certain que les cachets sont bien avalés, etc., mais sans jamais se positionner en « sur65


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saravong souffre de diabète, c’est pourquoi il reçoit chaque jour la visite de Béatrice, depuis six ans infirmière de patients au sein de familles d’Ainay-le-Château.

veillant ». Tout souci ou même une simple suspicion justifie de contacter un soignant ou un responsable de l’hôpital, qui prend le relais si le problème est avéré. Les origines de la démarche psychiatrique d’Ainayle-Château remontent à l’année 1900. À l’époque, des psychiatres progressistes, révoltés par les conditions d’accueil dans les grands hôpitaux parisiens et inspirés par le modèle écossais du no restraint et de l’open door, envoient à titre expérimental certains patients vivre dans des familles de « nourriciers ». Un siècle plus tard, la « colonie familiale » est devenue un centre hospitalier spécialisé, et les familles de « nourriciers » se sont professionnalisées, faisant du CHS le premier employeur du territoire. Un cas unique en France. Comme à la Maison des Sources, où les personnes résidentes côtoient des habitants du quartier, son fonctionnement ouvert permet aux « exclus » et aux « inclus » de se connaître et d’appréhender une vie sociale commune. « C’est important qu’elles aient des activités extérieures, comme tout le monde, qu’elles n’aient plus en permanence cette étiquette de patientes », explique Sylvie. En 66

inscrivant cette expérience de soin au cœur du territoire, c’est toute la communauté qui profite des ressources que représentent les usagers, mais le brassage ainsi obtenu modifie aussi le regard sur les maladies psychiques qui peuvent toucher tout un chacun. AUTANT QUE DES SOIGNANTS OU DES PATIENTS : DES CITOYENS Les Invités au Festin se donnent eux aussi comme mission le mieux-être du résident en situation de vulnérabilité. « La maladie mentale, c’est la maladie du lien, résume Marie-Noëlle Besançon. Le groupe a un effet bénéfique sur l’individu et favorise la baisse des symptômes cliniques. » L’essentiel du travail s’effectue dès lors sur la relation. Comme le précise Laëtitia André, coordinatrice qui gère l’ensemble des activités : « On les aide à trouver de la régularité, à nouer du lien et à accepter le regard de l’autre, à reconstruire un projet de vie et de logement, pour qu’un jour ils puissent sortir d’ici et vivre une vie la plus normale et la plus autonome possible. » V

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Crédits photo : Sylvie Legoupi/Moderne Multimédias

Marie-noëlle Besançon, fondatrice de l’association Les invités au Festin (à gauche), dans le jardin de la Maison des sources avec trois résidents.

À Besançon, les P.I.A.F. se retrouvent autour d’activités quotidiennes de loisirs, de bien-être et d’entraînements aux habilités sociales, en dehors de tout cadre médical, mais aussi autour de discussions qui brisent l’isolement et calment la souffrance. « On n’est pas un lieu de soins, mais un lieu qui soigne la vie », souligne Édith Robert. À la suite des travaux de Jean Oury à La Borde et de la psychothérapie institutionnelle de François Tosquelles il y a plus d’un demi-siècle, la « psychiatrie citoyenne » des Invités au Festin plaide pour une refonte de la psychiatrie et de son organisation. Suivant le principe des groupes d’entraide mutuelle (GEM), associations d’usagers en santé mentale, personne n’a, à la Maison des Sources, l’étiquette de « soignant » ou de « malade »… Juste des « citoyens » développant leur « potentiel thérapeutique ». Les activités sont portées par les usagers, suivant leurs envies et possibilités : « Mon rôle est de faciliter la parole, explique Serpil, mais la matière et les connaissances, ce sont les participants qui l’apportent. Ils apprennent aussi le respect de l’autre et la place de chacun dans la dynamique du V

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groupe. » Autre spécificité des Invités au Festin : la pairaidance, le soutien entre personnes qui souffrent ou ont souffert de la même maladie. Leur intégration au sein des équipes soignantes est d’ailleurs inscrite sur la feuille de route de la psychiatrie, élaborée par le ministère des Solidarités et de la Santé en 2018. SORTIR DE L’HÔPITAL POUR MIEUX RÉINTÉGRER LA VIE Quelle que soit la « maison », la qualité de l’encadrement est déterminante. Les patients en famille d’accueil à Ainay-le-Château et dans les villages alentours ont ainsi des rendez-vous, plusieurs demi-journées par semaine, dans l’enceinte de l’hôpital pour des ateliers essentiels à la « réhabilitation sociale ». Un car, appelé Ergobus, les transporte pour participer à ces activités « non médicamenteuses », de la poterie à l’imprimerie, de la couture à la mosaïque, et de l’ergothérapie à la création. Celles-ci sont prescrites par le psychiatre et dispensées par des professionnels médico-sociaux. Les horaires sont à res67


D’AUTRES SUJETS AUTOUR DE LA SOLIDARITÉ SOCIALE DANS

LA SANTÉ… IMAGE

À AINAY-LE-CHÂTEAU, LES FAMILLES SOIGNENT ELLES AUSSI

C’est via 164 familles d’accueil thérapeutique que l’hôpital de ce village de l’Allier assure les soins de 328 personnes en situation de handicap psychique. VIDÉO

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pecter scrupuleusement. « C’est une autre occasion pour les patients de se prendre en charge, de reconstruire une autonomie », dit Dominique, ambulancière. Cette ancienne aide-soignante s’enquiert chaque matin du bien-être des usagers du bus. « Car un sourire ou des mots sur le temps qu’il fait peut adoucir la journée du patient », et ces interactions, même si elles paraissent anodines, participent à la démarche de soin. La resocialisation, néanmoins, n’est pas toujours envisageable. Chaque cas est singulier. Parmi les P.I.A.F. des Invités au Festin, si le projet des plus stabilisés est d’avoir leur propre chez-soi, certains résidents, pour profiter de l’encadrement, peuvent décider d’y rester à vie. UNE ALCHIMIE DÉLICATE Il est par ailleurs compliqué de bâtir un dispositif tourné vers l’extérieur comme celui d’Ainay-le-Château. Pour Martine Vidal, cadre de santé et responsable de l’AFT, l’équilibre instable entre les trois partenaires de la thérapie, le soignant, la famille et le patient, nécessite une organisation mûrie par l’expérience, où les groupes de parole sont aussi importants que les nombreux systèmes d’alerte. L’alchimie entre « le savoir profane des familles et les compétences des professionnels de la psychiatrie », selon ses mots, suppose de l’engagement, du savoir-faire, de l’humilité. Elle nécessite aussi un terrain favorable, au niveau des mentalités comme de données plus triviales, tel le prix du mètre carré si élevé dans les grandes métropoles au regard du besoin de logements, côté familles, remplissant des normes élevées de confort et d’autonomie des accueillis. Et quand, parfois, vient le moment du départ de la famille d’accueil, tout n’est pas si facile, la faute à trop d’attachement. Ainsi, en ce mois de novembre 2020, le difficile « au revoir » de Mickael, l’accueillant, à Valérie, après deux années de vie dans le petit studio indépendant à l’étage de sa maison. Ce type de moment suppose lui aussi, comme le dit Martine Vidal, un accompagnement de l’équipe médicale, mais là auprès de l’accueillant : « On prend du temps pour expliquer aux familles que c’est la valeur et la qualité de leur accompagnement qui ont permis le départ de leur patient. » Avec en main les clés de son futur appartement, c’est ce que confirme Valérie : « Ces deux années ont été pour moi salvatrices afin de partir à la recherche de moi-même, tant je me suis perdue à vouloir être invisible aux yeux des autres. » stéphane de Langenhagen et sylvie Legoupi

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Frédéric Delmas : « adapter l’hébergement à la personne »

Crédit photo : Frédéric Delmas

Frédéric Delmas est directeur adjoint de l’Établissement d’accueil médicalisé (EAM) de la Fondation Cognacq-Jay à Monnetier-Mornex en Haute-Savoie. Celui-ci héberge une soixantaine de résidents présentant une maladie psychique stabilisée. Inaptes à toute activité professionnelle, ils y sont soignés, accompagnés et encadrés, dans une démarche de mieux-être.

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« Toutes les possibilités d’ouverture pour les personnes atteintes de troubles psychiques sont bonnes à prendre. Elles permettent d’ajuster et d’offrir de véritables choix. La dimension citoyenne, je la situe là, dans cette appropriation de son lieu d’hébergement. À l’EAM de Monnetier-Mornex, nous essayons de tenir compte des capacités de chacun à vivre sa maladie. La directrice précédente employait une jolie formule : ici, on respecte les bricolages de chacun. » Pour Frédéric Delmas, l’accompagnement est une quête d’équilibre. Tous n’ont pas besoin d’un d’hébergement communautaire comme celui des Capucines, avec des liens affectifs très forts. « Il n’y a pas d’échec en accueil, dit-il, mais parfois une inadéquation entre l’environnement proposé et la personne. L’accueil doit juste être conforme au choix de l’individu à un instant T. On raisonne maintenant en termes de parcours, de dynamiques de vie. » Du cas par cas. Adapter l’hébergement à la personne n’est pas aisé. Obligé de composer avec le manque de diversité des accueils à proximité, l’établissement de Monnetier-Mornex fonctionne avec trois hôpitaux, dont les réseaux en Accueil familial thérapeutique restent très limités. Dans cette région proche de la frontière suisse, trouver des familles est difficile, notamment du fait du prix de l’immobilier, une chambre supplémentaire ayant un coût non négligeable. La situation géographique de l’EAM rend plus complexe le travail de réhabilitation

psychosociale mis en œuvre par l’équipe. Perché à 700 mètres d’altitude, l’établissement se trouve à 25 minutes de la ville la plus proche. Les résidents doivent apprendre à utiliser les transports en commun pour se rendre chez le praticien, faire leurs courses ou profiter des loisirs. « L’inclusion, oui, mais à leur rythme, tempère Frédéric Delmas. Il ne s’agit pas de plaquer des modèles, mais de se demander ce que la personne peut ou non tolérer. » DU PRAGMATISME… ET DE LA PAIR-AIDANCE « L’hôpital devrait apporter une alternative, un accompagnement qui permette les allers et retours en fonction de l’état du patient. C’est ce qui rend très intéressante l ’expérience d ’Ainayle-Château, avec des familles choisies et formées pour comprendre les mécanismes de la maladie. » Le directeur adjoint souligne le manque de psychiatres et de places dans les services hospitaliers du territoire. « L’instabilité est vraiment la spécificité du public porteur de handicap psychique. Dans la personnalisation de l’accompagnement, les personnes ont parfois besoin de revenir à l’hôpital, de réévaluer un traitement, ou juste de se retrouver dans un milieu plus sécurisant. » Dernières clés : la solidarité entre patients, la pair-aidance… « Il y a de belles perspectives dans ce domaine. D’ici quelques années, j’espère que ce sera notre marque de fabrique. » stéphane de Langenhagen 69


Cet article en format PDF est directement tiré de Visions solidaires pour demain, revue papier annuelle dont l’objet est de réfléchir à ce qu’est, et ce que pourrait être dans le futur, la solidarité sociale. Ce fichier PDF est accessible au sein de la base de connaissances Solidarum, plateforme en ligne, gratuite et évolutive, qui propose à la consultation et au téléchargement des médias vidéo, texte, son et image : des visions et reportages créés spécifiquement pour elle, en Creative Commons. Solidarum et Visions solidaires pour demain sont édités par la Fondation Cognacq-Jay et réalisés par une rédaction autonome dédiée, avec l’appui d’un comité éditorial composé en majorité de personnalités extérieures à la Fondation.

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