Mémoire de fin d'étude - Chapitre II - Vittorio Mazzucconi

Chapitre II Vittorio Mazzucconi

Le «Village du Haut Lioran», croquis réalisé par Vittorio Mazzucconi autour de 1977. Source: http://www.vittoriomazzucconi.it

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A Le Village du Lioran, le projet dans un corpus.

1 _ Les maîtres architectes

Vittorio Mazzucconi est un architecte milanais, il est aussi écrivain et peintre, ses productions architecturales sont répertoriées de 1947 à 2008.

Le site de la fondation Mazzucconi est la seule référence quand aux années d’étude et les premiers projets de l’italien de 1947 à 1962, ce qui empêche d’émettre de réelles hypothèses sur les enseignements qui l’auraient marqué.

Néanmoins il revendique un certain nombre de choses à travers la rubrique du site consacrée à ce sujet1.

Tour d’abord Mazzucconi est fier de ne pas avoir suivi le parcours habituel des étudiants en architecture, le contexte est flou mais il affirme s’être excercé seul au dessin et à la géométrie. La référence à l’antiquité est déjà forte; il pratique le dessin de nu, apprend la perspective ou encore s’exerce à la philosophie. Il déplore d’ailleurs que de nombreux architectes conçoivent avec les normes universelles de dessin enseignées à la faculté, car elles sont pour lui autant de barrières à la diversité de l’expression architecturale : «On the contrary, Mazzucconi has devoted himself without reserve to the love for classic antiquity and for the Renaissance, through draftsmanship – architectural relief, perspective, drawings from the nude etc.

- Arts and philosophy»2.

Par la suite, il travaille pour les architectes Boraschi puis Zavanella, afin de gagner en expérience et de s’initier à l’architecture moderne italienne.

Il cite Benito Negri comme son véritable maître qui lui aura transmis la volonté de concevoir l’architecture avec «l’amour poétique pour la beauté».

1 - Lien vers le site internet: www.vittoriomazzucconi.it, consulté le 13.12.2017.

2 - ibid.

Ce Negri était lui-même le meilleur disciple du milanais Giovanni Muzio, un des initiateur du mouvement «novecento», et le principal acteur du «novecento milaneso»1.

Ce mouvement artistique est décrit comme l’ennemi des modernes en progression au début du siècle dernier, et notamment du futurisme très important en Italie. Il prône un retour aux valeurs antiques, latines. Cette vision de l’art national comme supérieur aux autres cultures peut rappeler l’art fasciste, d’autant plus que le groupe se fait connaître en 1924 lors de la biennale de Venise, et que c’est en 1922 que Mussolini accède au pouvoir en Italie par le titre de président du Conseil du Royaume d’Italie2.

On trouve comme autre information sur le mouvement que sa coordinatrice est une journaliste et critique d’art nommée Margherita Sarfatti, qui semble avoir été la maîtresse et la conseilllère politique de Benito Mussolini. Un personnage paradoxal, issue d’une famille socialiste, épouse d’un mécène du mouvement futuriste, elle défend Sant’Elia mais soutiendra plus tard le «novecento»3 fasciste, d’une famille de confession juive mais acoquinée au régime antisémite de Mussolini...

On ne peut évidemment pas affirmer que Vittorio Mazzucconi est un «architecte fasciste», il ne laisse en tout cas jamais transparaître aucune idée qui s’en rapprocherait directement même si son imaginaire antique, sa volonté de recréer une architecture à la hauteur de la grandeur de l’Italie et de son glorieux passé peut être considérée comme faisant partie de l’idéologie nationaliste du régime de Mussolini. Dans le projet de la Palatine’s Pyramid

1 - BELLI Gabriella Italia Nova. Une aventure de l’art italien : 1900-1950, Réunion des Musées Nationaux, Paris 2006 2 - Voir site internet wikipédia, sujet: Mussolini - www.wikipedia.org/wiki/Benito_Mussolini, consulté le 18.11.2017.

3 - LIFFRAN Françoise, «Margherita Sarfatti. L’égérie du Duce» article du journal le Monde, décembre 2009.

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Les maîtres architectes par exemple il nous expose son image de la Rome antique, toujours en quête d’idéaux de grandeur, il justifie ainsi la monumentalité de la forme et des dimensions de son projet par son rôle de célébration du renouveau de la cité de Romulus: «Romulus’s city, will intent of celebrating its rebirth in a contemporary expression»1. On peut voir ci-contre (figure 71) un plan d’un de ses projets d’étudiant qui présente déjà l’une des caractéristiques particulières de son architecture: l’Arche. Cette forme symbolise l’Arche de Noé, qui doit nous sauver des temps obscurs de l’ère moderne qu’il nous décrit. Souvent dans ses projets elle contient une agora, un espace de débat, un forum, lieu de savoir et d’échange, de planification de grandes choses.

Le nationalisme de son architecture paraît parfois évident, il ne cherche pas à réinventer les typologies architecturales locales ou régionales mais plutôt de nouveaux symboles de la grandeur de l’Italie, un renouveau d’un passé glorieux qui n’est pas sans rappeler les idéaux nationalistes actuels. La comparaison est sans doute trop facile mais son architecture semble idéologique plus qu’utopique et nationaliste plus que régionaliste.

Elle est l’incarnation d’idées de grandeurs nationales à venir qu’il ne précise pas cependant. Malgré une certaine ambiguité, on peut écarter l’influence fasciste puisque qu’il est épris de valeurs morales, qu’il recherche ce qu’il appelle la pureté de l’âme, l’authenticité artistique ou encore le divin qui habite chaque homme, ne mettant à part aucun homme, c’est lui qui est au centre de ses projets et non la grandeur nationale.

Figure 71: Plan du projet d’Eglise à

Copenhague, projet d’étudiant, autour de 1950.

Figure 72: Projet Palatin’s Pyramid, Coupe par Vittorio Mazzucconi, autour de l’an 2000.

Ce dernier constat pose la question une fois encore du choix de cet architecte pour le projet du Lioran. En effet il est présenté, et se présente luimême, comme un architecte d’envergure internationale, ce qui comme nous le verrons plus loin est bien vrai. C’est un premier critère qui pourrait justifier sa séléction et le caractère remarquable des projets du Village et de l’Arche des Neiges au Lioran.

1 - MAZZUCCONI Vittorio, The Palatine Pyramid, éd. de la fondation Mazzucconi, Milan 2003.

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Figure 73: Projet Palatin’s Pyramid, photomontage par Vittorio Mazzucconi, autour de l’an 2000.

L’architecture de l’Italie à l’international

2 _ Architecture de Italie à l’international

Vittorio Mazzucconi travaille d’abord à Milan, qu’il nomme par son nom antique «Mediolanum», et définit comme la deuxième des six périodes de production architecturale: «études et voyages», «Mediolanum», «Lutetia», «Florentina», «Athena» et «Projets Récents».

On ne trouve pas beaucoup de traces des réalisations milanaises, cette première partie présente des projets d’échelle plus modeste que ceux du Lioran (école, villa, architecture d’intérieur), réalisés entre 1962 et 1970.

Puis viennent les projets parisiens de 1972 à 1989 et parmis eux celui du 22 avenue Matignon (1972-76, figure74 ci-contre), Mazzucconi a voulu y créer un rapport entre présent et passé, l’harmonie entre architecture contemporaine et le Paris antique. C’est la première architecture «dématérialisée» qu’il réalise, qui peut évoquer la Fondation Cartier de Jean Nouvel dans son rapport à la minéralité des immeubles haussemaniens. La façade accueille comme une fausse anastylose, un rappel d’architecture passeé et surtout elle semble dessiner la transformation du façadisme classique en «style international». L’italien commence donc à recycler des éléments d’architecture classique, tout comme le fait à cette époque le postmodernisme, «l’inévitable éclectisme»1, mais semble aller au delà, c’est une réinterprétation personelle, qui peut rappeler le plus tardif «régionalisme créatif»2 car ce n’est pas une copie d’une typologie, language architecturale mais une mise en confrontation de l’architecture néoclassique parisienne et de l’architecture moderne qui influence Mazzucconi.

1 - BENEVOLO Leonardo, L’histoire de l’Architecture Moderne, l’Inévitable Ecléctisme, éd.

Bordas, collection Dunod, 1988.

2 - RICOEUR Paul, Civilisation Universelle, Cultures Nationales, dans: Regionalisme / Internationalisme, Poïesis n°5, 1997, pages 141-146.

Figure 74: Projet d’immeuble de bureaux, 22 rue Matignon, Paris, 1972-1976.

Photo anonyme, site internet de la Fondation Mazzucconi.

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L’architecture de l’Italie à l’international

Les projets parisiens se soldent par des études et des candidatures à quelques concours dont celui des Halles en 1980. Le plus incroyable est sûrement celui d’Aix Etoile de 1976. Mazzucconi y propose une fiction de Paris, comme une petite citée antique au milieu du monde présent, alliant architecture contemporaine à des principes et éléments anachroniques tels que l’orientation sacrée des voies principales ou la présence de lieux du type agora ou encore les «églises des villes contemporaines»1: centres commerciaux et gares. Cette fiction paraît être, tout comme le projet des Halles, une recherche de repères dans l’architecture et les valeurs d’usages antiques. Cette passion, voir obsession pour la ville antique est de plus en plus présente dans l’architecture de l’italien.

Ce projet survient un an seulement avant celui du Village du Lioran qui semble de plus en plus être un moyen pour l’architecte de concrétiser les principes d’architecture antique qu’il réinterprète dans ses «architectures de papier». En effet les deux bâtiments publics principaux qu’il propose dans Aix Etoile prennent la forme d’arches, tout comme l’Arche des Neiges du Super-Lioran. Les habitations s’organisent atour d’espaces communs, voir publics qui ne sont pas sans rappeler a place formée par le Village du HautLioran en fin du parcours piéton urbain de la station cantalienne. Le language architectural lié à l’utilisation du bois dans les projets de la moyenne montagne auvergnate ne sont cependant pas développés.

Figure 75: Mazzucconi Vittorio, perspective du projet Les Halles, Paris, 1980. Source: Fondation Mazzucconi.

Ces projets sont une réponse partielle aux questions des influences fascistes dans l’architecture de Mazzucconi. En effet il recherche dans l’antiquité un moyen de redonner du sens et des valeurs aux éléments d’architecture, mais aussi une valeur spirituelle aux lieux, n’oublions pas que le modernisme aussi a, dès ses fondements, usé de références antiques.

1- Idée tirée de l’ouvrage: VENTURI Robert, l’Enseignement de Las Vegas, 1972, éd.

Mardaga.

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Figure 76: Mazzucconi Vittorio, maquette du projet Les Halles, Paris, 1980. Source:

En réalité il va dessiner des architectures propres à la culture à laquelle elles s’adressent, sans pour autant oublier la force spirituelle qu’il donne aux formes de l’arche ou de la pyramide dans la quasi totalité de ses travaux.

On voit aussi l’importance des places publiques dans ses projets, dessinées comme des lieux de débats, de contemplation de bâtiments publics aux allures monumentales, véritables «arches citoyennes».

Ces projets font partie de la même période de conception que les édifices du Super-Lioran, et les principes d’architectures qu’il mettent en exergue donneront à la production de Vittorio Mazzucconi une continuité dans sa recherche d’une nouvelle architecture, à la hauteur du futur de la civilisation qu’il a identifié par un passé antique gréco-romain fantasmé, grandiose.

Figure 77: Projet Palatin’s Pyramid, photomontage par Vittorio Mazzucconi, autour de l’an

2000.

Figure 78: Mazzucconi Vittorio, Plan masse du projet Aix-Etoile, Paris, 1978. Source: Fondation Mazzucconi. Sans échelle.

Figure 79: Mazzucconi Vittorio, Perspective du projet Aix-Etoile, Paris, 1978. Vue du quartier des bureaux et des zones d’habitation. Source: Fondation Mazzucconi.

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L’architecture grecque, florentine et romaine

3 _ Architecture grecque, florentine et romaine

La période «Athena» s’étend de 1983 à 1996, postérieure donc aux réalisations du Super-Lioran. Quasiment dans le même temps il repense le centre de Florence, jusqu’en 1998, il se penchera sur le sujet et écrira même La Città «Nascente»1, la ville naissante. Sa proposition est de considérer la Florence de «l’ottocento» comme ayant détruit la ville étrusque antique, et pouvant donc elle aussi être détruite, il considère entre autres la problématique du tourisme massif et propose un nouveau centre, une place publique accueillant par exemple un musée étrusque et surtout la «Fiore», la fleur, un centre culturel. Cet édifice public est une arche (inversée) qui apparaît encore une fois dans son architecture, plus symbolique que jamais il la compare à la Sainte Croix ou aux «campanile», forme urbaine reconnaissable et qui lui est propre, au même titre que l’Arche des Neiges du Super Lioran.

Figure 80: Vittorio MAZZUCCONI, Vue du projet réalisé «Nouvelle Agora», Athènes, 1983-97.

La pyramide est une autre forme symbolique souvent utilisée par Mazzucconi, tout comme dans le bâtiment public au centre du Village du Lioran2 et dans le dessin des résidences3. On ne la retrouve pas en Grèce où il réemploit les formes et proportions classiques des temples grecs. On remarque d’ailleurs que les bureaux et les centres commerciaux utilisent ici les proportions et le language des monuments antiques, ce sont les monuments de ce XX° siècle. La pyramide est souvent une référence difficilement justifiée, pour la Palatine’s Pyramid (2000 à 2003), elle l’est par le peu d’emprise au sol que permet son retournement ainsi que la connexion entre le sol, le monde des mortels, et les cieux, c’est un moyen d’exprimer l’accession à un statut divin par les hommes au fur et à mesure de leur montée dans l’objet architectural. L’Arche de Milan (2000), projet résté à l’état d’étude, utilise aussi la forme de la pyramide inversée, justifiée cette fois-ci 1 - MAZZUCCONI Vittorio, La Città Nascente, éd. Dedalo, 1985.

2 - Voir figure 88, vue du ciel du Super Lioran, perspective, pages 60 de ce mémoire.

3 - Voir figure 125, coupe-axonométrie de bâtiment Nord du projet, pages 81 de ce mémoire.

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Figure 81: Vittorio MAZZUCCONI, Vue du projet réalisé «Nouvelle Agora», Athènes, 1983-97.

par son dialogue avec la façade pyramidale de la cathédrale de Milan qui lui fait face. Dans ce projet Vittorio Mazzucconi utilise aussi la spirale, forme de l’escalier dans le projet de l’Arche de Milan ou encore présente dans «la Fiore» du projet pour Milan. La spirale est un mode de circulation pour l’usager, il est induit, pas nécessairement formel: «secret movement that inspire all this projects».

On peut réunir tous ces projets dispersés en europe autour du thème de l’héritage laissé par l’histoire de chaque lieu. La relation entre l’ancien et le nouveau qui cherche à révéler l’essence du lieu, le nouveau réincarnant les valeurs passées comme un héritage. Cette relation Mazzucconi la définit ainsi: «a constant element of the architect’s works, and finds an explanation in a sense of mysterious identification, almost a reincarnation».1 En effet le Palatine’s pyramid né de l’idée de créer un nouveau monument, public, sur le mont palatin, qui a accueillit les plus grands palais de l’empire romain, le projet de la nouvelle agora repense l’espace public moderne en le mêlant aux typologies de l’architecture de la Grèce antique. La donnée crutiale de conception de Mazzucconi est donc l’histoire de l’architecture d’un lieu et ce qu’elle suggère en étant réinterprétée. L’Arche du Dôme à Milan (2007) permet de faire face à une architecture gothique par définition monumentale et écrasante, l’architecture proposée par Mazzucconi est quant à elle légère et fait appelle à la technique du XXième siècle. La typologie de la pyramide inversée est nouvelle, naissant de la façade de la basilique du Dôme de Milan et permet un vaste espace culturel en toiture, tout comme un lien entre la place renaissance du Duomo et les espaces publics souterrains du métro du siècel dernier.

1 - Rubrique «The Cathedral Ark» du site internet de la Fondation Mazzucconi: www.vittoriomazzucconi.it, consulté le 13.12.2017.

Figure 82: Vittorio MAZZUCCONI, Coupe du projet «l’Arche du Dôme», Milan, 2007.

Figure 83: Vittorio MAZZUCCONI, Vue du projet «l’Arche du Dôme», Milan, 2007.

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«Fondazione»

4 _ «Fondazione»

En 2005, Vittorio Mazzucconi fait «don» des biens de son agence d’architecture afin de créer la «Fondazione Mazzucconi». Elle se donne deux objectifs principaux qui permetteront de perpétuer le savoir particulier aquis par l’architecte italien, qu’il souhaite léguer aux nouvelles générations: «The Foundation, therefore, sets itself the goal of preserving, analysing and divulging such an opus, so that its founding value result evident and that it be at the service of Art, of society and, in particular, of the formation of future generations»1.

Elle a donc pour objectif premier de partager sa vision de l’art comme une expression de l’âme et non des théories des styles, des ambitions de ventes et de la tendance du plus grand nombre: «Art intended as an expression of the soul and not of theories»2.

L’art auquel il veut s’opposer ressemble à ce que nous avons pu constaté précédemment de l’architecture des stations de sports d’hiver de quatrième génération, celles qui utilisent et rendent l’image collective du village d’altitude, qui pastiche et n’utilise pas des éléments architecturaux mais des produits de catalogue3. Le thème de l’opposition entre l’architecte, artiste et créateur de lieu, et du promoteur, principal créateur de l’immaginaire de la société à partir des années soixante, qui a pour objectif final la consommation, semble encore une fois primordiale lorsqu’on parle d’architecture de montagne dans les décennies 1970 et 1980.

1 - Rubrique «Fondazione» du site internet de la Fondation Mazzucconi, auteur inconnu: http://www.vittoriomazzucconi.it/eng/fondazione/fondazione.asp 2 - ibid.

3 - BRUSSON Jean Paul, Le Néo-Régionalisme se Moque-t- il du Lieu? In: Revue de Géographie Alpine, numéro 84, 1996, pages 85-95.

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L’auteur de la rubrique «Fondazione»1, qu’on peut supposer être Mazzucconi, souhaite que celle-ci permette à l’art de mettre en avant les nouveaux besoins spirituels de l’homme, face à l’urgence de la perte des valeurs historiques de l’art, des valeurs traditionelles qui formaient autrefois l’âme des êtres. Comme nous l’avons vu précédemment ce n’est pas seulement une volonté de retour à une architecture classique, ou bien régionale mais plutôt à l’exploitation du progrès technique et des enseignements modernes dans le but de redonner de la valeur aux idéaux italiens et aux typologies de bâtis du passé antique.

Enfin la création de cette fondation nous rensigne sur la vision de l’architecte italien sur un présent qualifié de dramatique: «Art as it has always been and as it only seldom manages to be today - in spite of the worthiness of many men and of many ideas - due to the dramatic evolution of the world»2.

Mazzucconi se donne donc une tâche immense, son art, son architecture et l’action de créer la fondation est déterminé par la recherche de valeurs spirituelles qu’il estime en perdition. Il nous recherche les valeurs de vérité et le «caractère sacré de la vi»e, le «Divin» présent dans chacun de nous; il semble parfois se référer à des valeurs spirituelles bibliques.

Le second objectif de la fondation est de se mettre au service de la société et de l’Art afin de former les futures générations.

Selon l’auteur le travail de Mazzucconi, que ce soit en architecture ou en peinture, est dictée par l’authenticité, la vérité. En effet nous verrons plus tard que finallement il utilise ses propres références, son appréhension des grands boulversements que la société a connu dans la seconde moitié du XX° siècle afin de créer des principes architecturaux, spirituels et artistiques qui rendent l’ensemble son oeuvre cohérent, lui donne une manière de concevoir qui lui est propre.

1 - Op. Cit. site internet de la Fondation Mazzucconi, page 56.

2 - Op. Cit. site internet de la Fondation Mazzucconi, page 56.

«Fondazione»

Figure 84: Vittorio MAZZUCCONI, Photo du projet réalisé «Polis», Athènes, 1987-92. Source: Fondation Mazzucconi

Figure 85: Vittorio MAZZUCCONI, Façade du projet «Polis», Athènes, 1987-92. Source: Fondation Mazzucconi

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«Fondazione»

Le lien avec ce que l’on nomme régionalisme critique est flagrant: l’architecte italien s’inspire énormément du lieu dans ses projets, le «genius loci», c’est ainsi qu’il est surnommé. Mais surtout le «régionalisme créatif»1 est basé sur certains principes dont celui de «se livrer à autrui selon son autre civilisation» que décrit par Paul Ricoeur en 19972. Comme nous verrons plus tard à travers quelques exemples de projets de l’architecte italien, le lieu premièrement, puis les principes de conception propres à Mazzucconi d’autre part, sont les deux éléments créateurs de ses projet. Il serait intéressant de comprendre cette démarche d’authenticité personelle, de vérité dans la conception, est-ce la recherch de l’établissement d’une architecture dont Mazzucconi serait le maître?

Le rapprochement avec Shuiten et Peeters paraît elle aussi cohérente notamment avec Revoir Paris1. En effet le rapport entre la société moderne et ses monuments historiques figés, sous cloches, qui est au coeur de la réflexion de cet ouvrage, est aussi le thème qui détermine la posture de Vittorio Mazzucconi: retrouver la grandeur d’âme que l’on attribue à l’antiquité et qui est incarnée par son architecture.

5 _ L’obsession de l’histoire et de l’hummanité grandiose

Les écrits et les projets de Vittorio Mazzucconi nous montrent que les principes d’arche, de spirale, de pyramide et de rapport à l’histoire d’un lieu sont une constante dans l’ensemble de ses oeuvres, comme le montre bien le projet de l’Arche du Dôme, un véritable manifeste des principes élaborés depuis les années soixante par l’italien3.

L’histoire, le passé glorieux que nous avons beaucoup explicité précédemement est le réel terreau de cette architecture bien particulière et surtout figée car l’évolution de ces principes est peu visible depuis les années 1970. Cependant le language architecturale peut se rapprocher du néo-modernisme voir des architectures métalliques manifestes d’Archigram, démontables, nouveaux centres de l’urbanité et de la civilisation pop art.

1 -TEYSSOU Simon, COUTAREL Jean-Louis, Le «Régionalisme Critique», une Voie entre Civilisation et Identité Culturelle Locale? TPFE, Ecole d’Architecture de Clermont-Ferrand, 2000.

2 - RICOEUR Paul, Civilisation Universelle, Cultures Nationales, dans: Regionalisme / Internationalisme, Poïesis n°5, 1997, pages 141-146.

3 - Voir rubrique The «Cathedral Ark» du site internet de la fondation Mazzucconi.

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Figure 86: SHUITEN et PEETERS, dans Revoir Paris, éd. Casterman, 2014, page 61.

1 - PEETERS Benoît, SCHUITEN François, Revoir Paris, éd. Casterman, 2014.

Situation urbaine

B

Le Village du Haut Lioran

1 _ Situation urbaine

Comme nous l’avons vu précédemment le Super-Lioran a fait l’objet de longs débats quant à son implantation et surtout le point de départ du téléphérique du Plomb du Cantal, dont le tracé a été défini par l’exploitation optimale du domaine pour la pratique du ski.

La gare inférieure du téléphérique est la base de l’urbanisation de la prairie des Sagnes, à partir de 1966 déjà l’architecte Legrand dessine le front de neige, la façade Sud du Super-Lioran qui entoure la grenouillère1. La tour Sumène et la Sapotra seront réalisées, laissant un vide sur la partie Ouest qui 1 - Voir la perspective figure 60 page 43, les plans figure 91 page 63 et annexe 3.

L’Arche des Neiges

1981

induit la création d’un parcellaire de 5000m² afin de «terminer» l’ensemble urbain1.

La tour Sumène est l’édifice le plus fort du site, par ses dimensions et sa monumentalité, c’est le bâtiment le plus haut du Cantal (environ 45 mètres), qui permet la transition entre l’ensemble Sapotra et gare avec l’Ouest du front de neige. En effet elle intègre un bâtiment de bureaux et surtout un sous-bassement public au rez de chaussée tout comme la tour de la Biche à Super Besse ou encore n’importe quel programme de tour en milieu urbain de l’époque. Plus important encore cet espace public est un véritable passage couvert, sobre, ce sont les locaux commerciaux et la vue sur le domaine skiable de ceux-ci qui sont privilégiés2.

Ce passage couvert est quasiment clos, en effet le climat de moyenne 1 - Voir Plan Parcellaire permis de construire annexe 4.

2 - Voir croquis, figure 93 page 64 et figure 120 page 77.

Village du Haut-Lioran II

1986-1988

Tour Sumène Village du Haut-Lioran 1977-1981

1971

La Sapotra 1968

Gare du téléphérique 1967

Figure 87: Croquis personnel du Super-Lioran depuis le Sud. 61

Situation urbaine montagne n’impose pas une coursive fermée comme on peut trouver dans le bâtiment du forum du Super-Devoluy par exemple. Cette galerie marchande en devient un réel passage couvert, l’accès à la tour se faisant par un escalier extérieur qui mène directement à un étage privé, exclusif aux habitants. Cette typologie est très proche des galeries présentes en ville et la similarité avec l’architecture de la dérive moderniste des mêmes années pose question.

L’appel à Vittorio Mazzucconi vient peut être du rejet de cette forme d’habitat de villégiature, trop proche des typologies urbaines, et qui devra par la suite créer au moins l’illusion de la relation entre architecture et lieu, par un mode d’habiter particulier.

Cette illusion c’est ce que souhaitent les promoteurs, ainsi que les vacanciers, mais qu’en est-il de Vittorio Mazzucconi?

Figure 88: Croquis personnel, vue du ciel du Village du Haut Lioran.

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Restaurants

La galerie marchande, le passage couvert, devient un enfilement d’arcades dans le projet du Village du Haut Lioran, ouvert d’une part sur le paysage de la montagne cantalienne au Sud1, et d’autre part sur l’interstice entre le projet de Mazzucconi et la tour Sumène2 ainsi que sur la place3 du projet. L’architecte italien, comme à son habitude, y a conçu des monuments publics de la vie du quartier, de la cité: la pyramide (restaurants) au centre de la place et l’arche (patinoire), à la lisière de la forêt du puy de Masseboeuf.

La typologie nouvelle de ces arcades obliques4 est rendue possible par le 1 - Voir croquis figure 120 page 77.

2 - Voir croquis figure 115 et 116 page 74 et figure 118 page 75.

3 - Voir croquis figure 117 page 75, figure 120 page 77, figure 131 page 84 4 - Rappelle la «Fonction Oblique» de Claude Parent ou encore la façade Sud du projet de La Cascade réalisé par Charlotte Perriand à l’Arc 1600 (figures 14 et 15 page19).

Locaux commerciaux (rdc)

Galerie marchande

Bureaux

Situation urbaine

Puy du Rocher - 1813 m

Plomb du Cantal - 1855

Tour Sumène - 1971

Gare du téléphérique - 1966 Entrée Nord-Est vers la Sapotra

Entrée Nord-Est

Village du Haut-Lioran - 1977-1981 Entrée Nord-Est

Entrée Nord-Ouest

Figure 89: Vue du Super-Lioran depuis le parking Nord, verticalités et vides suggérant le paysage - photo personnelle - Août 2017

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Situation urbaine

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Future galerie couverte

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Partie non-réalisées de la proposition de Vittorio Mazzucconi

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Tour Sumène et logements de fonction: 19691971 Hotel «la Sapotra» et commerces: 1968 - 1970

Gare du téléphérique «le Plomb du Cantal»: 19651967

Dernière étape de construction: 1979-81

Seconde étape de construction: 1978-80

N

Figure 90: Plan d’implantation des projets de V. Mazzucconi Fond de plan: permis de construire de Vittorio Mazzucconi, 1976, AR 1242 w art. 56 dossiers verts

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Seconde étape de construction: 1977-80

Situation urbaine

Figure 91: projet d’aménagement de la prairie des Sagnes, plan masse, Jean-Marc Legrand, 1966.

Tour Sumène et logements de fonction: 1969-1971

Hotel «la Sapotra» et commerces: 1968 - 1970

Gare du téléphérique «le Plomb du Cantal»: 1965-1967

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Situation urbaine Tour Sumène

Figure 92: Croquis personnel Figure 93: Croquis personnel

Mazzucconi semble finalement avoir exposé son modèle urbain, développé dans ses projets de Rome, Florence et Paris. C’est un réel accomplissement de ses principes d’architecture. Il a certes puisé dans son imaginaire afin de concevoir ce projet mais on ne peut pas ignorer la similitude avec la station des Arcs 1600, notamment par l’utilisation de l’oblique pour la façade tournée vers la montagne, principe en partie hérité des sanatoriums comme nous l’avons souligné dans le chapitre précédent4 La forme si particulière et propre à Mazzucconi de l’arche est elle aussi

Vue de la galerie marchande Nord du Village.

Dans les stations en altitude très élevée ou bien de troisième génération, ces lieux sont plutôt des galeries totalement fermées, qui pourraient s’apparenter à la machinisation de la ville dénoncée d’ailleurs dans la charte d’Athènes: «Rien de ce qui est nécessaire à la santé physique et morale n’a été sauvegardé ou aménagé. Une crise d’humanité sévit dans les grandes villes et se répercute sur toute l’étendue des territoires. La ville ne répond plus à sa fonction qui est d’abriter les hommes et de les abriter bien»1.

Cette ville qui n’assume plus sa fonction d’habitat est celle contre laquelle lutte Mazzucconi, certes en usant d’un réemploi des formes du passé sans pour autant «ériger le faux en principe»2, même si on peut considérer qu’il peut faire preuve de «l’application de la technique moderne à un idéal périmé»3.

Vue de l’entrée Nord-Ouest du Village.

Depuis le Nord.

réemploi de la forme pyramidale chère à Mazzucconi dans le bâtiment Est du village, le plus public, occupé principalement par des commerces. On a donc une gradation du privé vers le public de l’Ouest vers l’Est du projet, qui est une véritable suture urbaine, prolongement de la galerie marchande, ouverture entre le paking Nord et le front de neige via la nouvelle place, mais aussi conservation des vues vers le Plomb du Cantal depuis le parking.

1 - Collectif ciam, La Chartes d’Athènes, éd. de Minuit, collection Points, 1957, rééd. 2016, page 72.

2 - ibid. Collectif CIAM. 3 - Opt.Cit, page 56 BRUSSON Jean Paul 4 - Voir figure 31, page 27 de ce mémoire.

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Place publique

Galerie d’arcades

Situation urbaine Tour Sumène Entrée Nord-Est

Figure 94: Croquis personnel Figure 95: Croquis personnel

La comparaison entre l’architecture de la montagne élevée alpine ième du XX siècle et celle de la moyenne montage auvergnate ne se réduit pas seulement aux stations de ski du Cantal, en effet on peut trouver au Mont-Dore, dans le massif du Sancy, des chalets2 conçus par l’agence Faye et Tournaire vers 1990, qui sont très proches de ceux dessinés par Laurent Chappis dans les années soixante3 tout comme une résidence4 qui reprend des principes

Vue de la tour Sumène.

Depuis le Rocher du Cerf, à l’Est de la station.

Ces parallèles entre l’architecture de Vittorio Mazzucconi et celle de la montagne française nous montrent que les imaginaires ont évolué l’un à côté de l’autre sans pour autant se rencontrer jusqu’à la conception du Super-Lioran. Néanmoins certains principes sont très proches lorsque Chappis s’appuie sur les textes visant à protéger la montagne de la Charte d’Athènes et que Mazzucconi est totalement inspiré par la volonté de retrouver l’habitat des villes, abris de l’humanité perdue. Ce sont des architectures indiscutablement modernes mais surtout les imaginaires convoqués et les principes architecturaux sont propres aux architectes qui conçoivent ainsi des projets innovants.

Vue des façades Nord du Village et de la tour Sumène.

Depuis le parking Nord

commune avec l’architecture de montagne du XXième siècle, la grenouillère comporte dans son plan idéal, toujours un ou plusieurs bâtiments publics.

C’est en général le forum, comme à Courchevel 1850, ou encore la Coupole à l’Arc 1600, conçu par Pierre Faucheu et bâti en 19691. La Coupole abrite par exemple un espace culturel et cultuel, de type auditorium, la similitude du principe constructif, de typologie ou de matériaux avec les arches de l’architecte italien est flagrante, d’autant plus qu’y est célébrée une messe chaque dimanche, un lieu de spiritualité donc, un usage que Mazzucconi met en avant dans chacun de ses projets.

1 - Voir figures 100, 101 et 102 page 67 de ce mémoire.

2 - voir figure 99 page 66 de ce mémoire.

3 - Voir figure 65, page 46 de ce mémoire.

4 - Voir figure 97, page 66 de ce mémoire.

Tour Sumène

Village du Haut Lioran

67 65

Situation urbaine de l’architecture de Charlotte Perriand aux Arcs. A l’inverse cette agence clermontoise a conçu un village de vacances en Savoie en 1972 (voir figures 97 et 99). Ce projet peut être comparé aux constructions des années quatrevingt-dix de la station abandonnée du Chambon des Neiges, à l’Est du massif du Sancy1.

1 - Voir glossaire, rubrique: «Les massifs de stations de ski alpin auvergnats», page 96 de ce mémoire.

Figure 96: Croquis d’étude, village de vacances, Saint-Jean Sixt (Savoie), agence Faye et Tournaire, fin des travaux: 1972.

Figure 98: Village de vacances, Saint-Jean Sixt (Savoie), agence Faye et Tournaire, fin des travaux: 1972.

Figure 97: Le Mont-Dore, résidence, architecte inconnu. Photo personnelle, décembre 2017

Figure 99: Le Mont Dore, lotissement de chalets, Faye et Tournaire, vers 1990. Photo personnelle, décembre 2017

68

Situation urbaine

Figure 100: FAUCHEU Pierre, la Coupole, 1969. Crédit photo: www.lesarcs.com, 2015.

Figure 101: FAUCHEU Pierre, la Coupole, 1969. Crédit photo: www.lesarcs.com, 2015.

Figure 102: FAUCHEU Pierre, la Coupole, 1969. Crédit photo: www.lesarcs.com, 2015.

Figure 103: MAZZUCCONI Vittorio, l’Arche des Neiges, 1980. Crédit photo: ARCAUE.

69

Situation urbaine

Le Plan Neige est lancé en 1964 et acte certains principes d’urbanisme pour les stations de ski françaises. Comme nous l’avons vu avec l’exemple des Arcs (schéma urbain figure 9 page 17) les stations s’organisent autour d’une grenouillère, qui est l’espace entre le front de neige et les bâtis de la station.

Ainsi les stations sont inévitablement orientées vers le domaine skiable, qui est l’objet de la contemplation. Certains architectes comme ceux de l’AAM recherchent aussi le respect et l’intégration au site, induisant la conception de bâtiments à l’implantation plus complexe, comme les résidences de la Cascade (figures 14 et 15 page 19) ou de la Nova (figure 18 page 18) aux Arcs, qui sont inscrits dans les pentes, ou encore les résidences du quartier de la Falaise sur le plateau d’Avoriaz (figures 25 page 25,127 et 128 page 83).

Au Super-Lioran le Plan Neige est clairement pris comme charte dès le début de la conception en 1966, l’Etat étant le seul investisseur et le plan

Tour Sumène

Bâtiment Nord du village

Figure 104: Croquis personnel, le Village du Haut-Lioran, vue depuis le parking Nord, octobre 2017.

70

neige étant abandonné par Valérie Giscard d’Etaing bien plus tard, en 1977.

Vittorio Mazzucconi doit donc réaliser un projet qui serait capable de ne pas réitérer les erreurs de ce plan, charte qui à la fin de la décennie 1970 est devenu obsolète. C’est pourquoi il cherche à prolonger la galerie couverte de la tour Sumène, en l’articulant sur le périmètre d’un vide qui devient alors une place. Le lieu est à l’écart du centre des activités de la station qui demeure la Sapotra, abritant la majeur partie des commerces et surtout les espaces de vente de forfait et la remontée principale du Lioran, le téléphérique.

La croissance d’intimité du téléphérique vers le puy de Masseboeuf est indiscutable, la place du projet de Mazzucconi est inhabituelle, encerclée d’une architecture qui pousse à la contemplation du Plomb du Cantal, une architecture qui offre le décor parfait pour toute personne qui souhaiterait être dépaysée: un touriste?

Nous reviendrons plus tard sur cette question du décor car si on parle de la place, qui est fabriquée au Sud du projet et détourne le plan d’urbanisme d’origine, il est nécessaire de souligner le contraste avec le lieu au Nord du

Entrée Nord-Est

Bâtiment Ouest du village

Situation urbaine Village. En effet la station est dès sa conception vouée à être tournée vers son domaine skiable, rejetant le parking et le Font d’Alagnon au domaine de la vallée, et donnant au Rocher du Cerf une allure pittoresque, investie de chalets ou résidences collectives d’investissements privés, inspirée de l’urbanisation du Revard et son système de boucles conçu par Laurent Chappis. La prairie des Sagnes a donc un devant et un derrière et Mazzucconi l’avait

L’Arche des Neiges

Projet de l’agence Ferinel

appréhendée ainsi car il a conçu une nouvelle entrée vers la station.Tout d’abord la volumétrie du projet, qui se décolle de la tour Sumène, permet des vues vers les monts du Cantal, elle offre un aperçu, à la manière des «perspectives de découverte», typologie classique de rues qui est ici réemployée. Puis les entrées vers le projet sont extrêment soignées, remarquables, par des formes obliques ou encore des assemblages de bois complexes (figure 92, page 64).

Place du village Galerie marchande de la Tour Sumène

Figure 105: Croquis personnel, le Village du Haut-Lioran, vue depuis la grenouillère, octobre 2017.

Accès aux résidents de la tour 71

Situation urbaine - Sociétés immobilières

La façade Nord du projet joue donc de la verticalité afin de ne pas être effacée par la monumentalité de la tour Sumène, tandis que la façade Sud joue de l’oblique afin de créer un parcours piéton qui met en avant le paysage et la découverte de vues sur les interstices entre les volumes qui composent l’ensemble public du Super-Lioran.

2 _ Sociétés immobilières

La Société Parisienne de Diffusion Immobilière (S.P.D.I.) est à l’époque une société anonyme disposant d’un «captial de 2.000.000 de Francs»1. Avec la Société Empereur Frères au capital identique, ils s’associent dans une structure juridique dont «l’objet social consistera en la réalisation des divers ouvrages et immeubles prévus pour le parchèvement de l’urbanisation de la Prairies des Sagnes au Super-Lioran»2. Le document d’archives est crucial car on va pouvoir distinguer l’ampleur de l’influence du maître d’ouvrage dans le projet de Mazzucconi. La société immobilière avait déjà effectué une étude et proposé un dessin d’une volumétrie et d’une implantation possibles en 1974 (figures 105, 106 et 107).

Figure 106: SPDI - Vue perspective du projet du Super-Lioran, 1974. AD1242 W , article 56.

Déjà dans cette esquisse on remarque la présence de l’oblique pour la façade Sud et de la verticalité au Nord, la dualité du front bâti Nord et du front bâti Sud semble donc être aux fondements du projet. Cependant l’équipement qui est à l’époque une piscine et une patinoire (la piscine sera peu à peu abandonnée dans les esquisses de Mazzucconi) est disposé au centre de l’ensemble urbain. On pourrait imaginer que c’est Mazzucconi qui a décidé de placer «l’Arche» à distance dans le prolongement de la place du Village, dans une position excentrée qui est discutable mais nous verrons que, encore une fois, la SPDI est à l’origine de ce parti architectural.

1 - D’après l’AD du Cantal 1242 w, article 56. Voir Annexes 17 et 18.

2 - Ibid.

72

Figure 107: SPDI - Vue perspective du projet du Super-Lioran, 1976. AD1242 W , article 56.

Sociétés immobilières

Figure 108: SPDI - Vue perspective du projet du Super-Lioran depuis le Puy de Masseboeuf, 1974. AD1242 W , article 56.

73

Sociétés immobilières

Le projet de 1976 est présenté par la SPDI comme une amélioration du parti architectural, la salle polyvalente et la piscine se trouvent au centre du projet en 1974, afin de mutualiser les accès aux parkings avec la tour Sumène. Finalement les parkings ne seront jamais réalisés, la solution la plus économique et la mieux adaptée au relief du site étant d’agrandir celui déjà présent dans la partie Nord de la station. On retrouve alors la typologie bien connue des stationnements en bas d’immeubles, tours, barres, que l’on peut attribuer à la fameuse Citée Radieuse de Le Corbusier, dont les principes de logement se retrouvent également à l’intérieur des résidences.

En 1976 la piscine se trouve excentrée, environ à l’emplacement actuel de la patinoire. Elle est décrite de type «Caneton», un des modèles vainqueurs d’un concours d’idées lancé en 1969 par le secrétariat d’État chargé de la Jeunesse, des Sports et des Loisirs, afin d’améliorer le niveau des nageurs français en compétition. On peut retrouver ce genre de constructions partout en France, 170 ont été bâties. Elles sont bon marché, convoquer ce genre de modèles démontre que l’économie du projet de la prairie des Sagnes est en train de totalement modifier les limites du programme défini par la SPDI. De plus ils permettent un usage polyvalent suivant les saisons, et sont conçus pour un contexte urbain, le milieu de la moyenne montagne permet donc dans un premier temps de projeter comme en ville. Il faut noter que la toiture de l’Arche des Neiges a été pensée pour être «skatable» en été.

C’est dans ce contexte que Mazzucconi va devoir élaborer le projet du Village du Haut Lioran, à partir d’un parti d’implantation du bâti déjà très précis, avec l’existence d’une place et d’un programme cuturel en marge, afin d’agrandir au maximum la grenouillère au Sud, dans le but d’intégrer le domaine de Masseboeuf au Super-Lioran. L’architecte italien va respecter un gand nombre des contraintes imposées par les sociétés immobilières mais nous avons vu dans quelles mesures il a aussi réussi à imposer son modèle théorisé à Paris, Milan et Florence à l’échelle urbaine. Nous verrons donc quelle est sa posture face au site naturel mais surtout comment tous ces facteurs ont permis un mode d’habiter particulier à ce projet et à cette époque.

74

Figure 109 : Piscine de type Caneton en cours de construction. cliché anonyme.

Figure 110 : L’Arche des Neiges en cours de construction, autour de 1980, cliché anonyme.

Source: http://www.laveissiere.fr

Paysage

Figure 113 : Le Lioran autour de 1977, cliché anonyme. Source: http://www.laveissiere.fr Figure 111 : Le Lioran autour de 1967, cliché anonyme. Source: http://www.laveissiere.fr

Figure 112 : Le Lioran autour de 1973, cliché anonyme. Source: http://www.laveissiere.fr

Figure 114 : Le Lioran autour de 1983, cliché anonyme. Source: http://www.laveissiere.fr

75

Paysage Tour Sumène

76

Figure 116: croquis personnel

1 - ROGER Alain, Court Traité du Paysage, éd. Gallimard, 1997.

2 - Voir affiches publicitaires de la Société de Chemin de Fer d’Orléans pour le nouvel hôtel de la montagne du Lioran, figures 43 et 44, page 34 de ce mémoire.

3 - Ibid. ROGER Alain.

Vue de l’entrée Nord-Est de la galerie du Village depuis le parking

Comme nous l’avons évoqué en première partie, le paysage de la montagne en France a été relayé par de nombreux écrits ou peintures, gravures ou autres médias artistiques au XVIIIième siècle2. Avec l’importation du tourisme en Suisse par les anglo-saxons c’est une toute autre image qui est véhiculée. La montagne hostile, lieu témoignant de la colère de la nature sauvage s’efface peu à peu de l’imaginaire collectif pour être remplacé par le lieu aux bienfaits sanitaires, d’une nature encore vierge et par les paysages verdoyants des vallées alpines ou encore des alpages de la montagne élevée. Il est curieux de voir que c’est l’Ère industrielle qui semble avoir créé ce besoin d’éloignement des villes et surtout les moyens financiers et technlogiques d’affronter puis d’exploiter les conditions climatiques de la montagne alpine pour le plus grand nombre. Ainsi le lieu n’est plus «artialisé»3, car le processus naît d’une volonté de vendre le lieu et non pas d’en divulguer un regard artistique ou encore la relation qu’à l’homme avec celui-ci. Cependant on ne peut pas sous estimer l’importance artistique des médias publicitaires, en effet il s’agit de l’époque de l’émergence du Pop Art; l’art et la publicité entretiennent des liens complexes.

Figure 115: croquis personnel

Cette courte sous-partie concernant le rapport entre le paysage et le projet de Vittorio Mazzucconi se base sur la notion de paysage selon Alain Roger1. En effet au delà des vues dégagées par les interstices entre les volumes, typologies des circulations et orientations des bâtis, j’essaierai de comprendre quel regard portait Vittorio Mazzucconi sur la moyenne montagne du massif volcanique cantalien au moment de la conception du projet.

Vue de l’interstice entre la tour Sumène et le Village, 2017.

Depuis le parking Nord.

3 _ Paysage

Tour Sumène

Entrée Nord-Est

Paysage Tour Sumène

Figure 117: croquis personnel Figure 118: croquis personnel

1 - BERQUE Augustin, SAUZET Maurice, Le Sens de l’Espace au Japon, éd. Arguments 2004 2 - Ibid. BERQUE Augustin, SAUZET Maurice.

3 - Voir affiches publicitaires de la Société de Chemin de Fer d’Orléans pour le nouvel hôtel de la montagne du Lioran, figures 43 et 44, page 34 de ce mémoire.

4 - Architectes clermontois, fondateurs de l’agence Faye et Tournaire située à Chamalières, active de 1955 à 1995.

5 - FAYE Paul, FAYE Bernard, TOURNAIRE Michel, GODARD Alain, Sites et Sitologie, comment construire sans casser le paysage, éd. Pauvert, 1974.

6 - Rapoport Amos, Pour une Anthropologie de la Maison, éd. Dunod, 1972.

Vue de l’interstice entre la tour Sumène et le Village, 2017.

Depuis la galerie de la tour Sumène, au Sud du front bâti.

Les architectes Paul Faye et Michel Tournaire4 différencient trois types de rapports au milieu naturel dans leur ouvrage Site et Sitologie5, selon Amos Rapoport6: religieuse et cosmologique, symbiotique et enfin utilitaire.

La première considère que l’environnement est dominant, la seconde que «l’homme se considère comme responsable de la nature devant Dieu» et la dernière que l’homme «complète et modifie la nature puis créer et finallement détruit la nature». Cet ouvrage est contemporain du projet de Vittorio Mazzucconi (1974) et présente le constat d’une opposition fondamentale

Vue de la place du Village depuis la galerie.

Depuis la partie Ouest.

Il serait intéressant de considérer la relation qui existe entre la société de consommation touristique de masse et le milieu naturel car c’est à partir de celui-ci que les sociétés se forment, développent des cultures diverses et particulières, et produisent ainsi le paysage. Ce processus complexe est eclairci par Augustin Berque et Maurice Sauzet avec le cas du Japon1. Berque écrit que la modernité «a réduit les choses à des objets radicalements distincts de l’être du sujet humain, et considéré cette somme d’individuels dans un espace absolu, lui même sans rapport ontologique ni avec les objets ni avec le sujet»2. Cette phrase résume le point de vue complexe de l’auteur et c’est l’effet de l’individualisme sur la relation de l’être moderne à son milieu qui nous intéresse. Car en effet le milieu naturel de la montagne du Lioran est aujourd’hui largement conquis par les activités humaines et les représentations multiples qui ont fondé l’imaginaire de la moyenne montagne volcanique auvergnate, cantalienne3.

Tour Sumène

77 75

Paysage entre la nature et l’homme. Il est intéressant de confronter ces idées avec la réalité d’un projet dans un site (la prairie des Sagnes) qui subit encore à l’époque une anthropisation brutale et massive (1967-1981).

On peut donc rapidement se poser la question du rapport initial de l’homme à la montagne du Lioran. En effet la construction la plus ancienne connue du lieu est sans aucun doute le buron du Font d’Alagnon (XVIIIième siècle), elle relève de l’architecture vernaculaire, hors ce n’est pas elle qui a inspiré les projets de Vittorio Mazzucconi, ou encore ceux de Legrand, mais bien le chalet suisse et même les villages et fermes agro-pastorales alpines du 19° siècle1. Cependant on peut lui trouver une similitude avec les constructions du XXième siècle au Lioran: un usage saisonnier et une adaptation de la typologie au climat de la moyenne montagne du Lioran, surtout pour le projet de l’architecte italien qui est fabriqué par des espaces extérieurs couverts.

L’analyse du paysage du Lioran montrerait donc sûrement que Mazzucconi a un rapport identique au paysage que le concepteur de la tour Sumène par exemple: la contemplation, la sublimation du paysage; l’adéquation avec l’imaginaire de la montagne, qui n’est plus divulgué par l’art mais par la société touristique, par la recherche de la consommation.

Le biologiste Jean Piaget écrit: «Ou bien le milieu s’impose à l’organisme et le façonne jusqu’en ses structures héréditaires dociles à cette action, ou bien l’organisme impose au milieu des structures héréditaires indépendantes de lui et le milieu se borne à éliminer celles qui ne lui conviennent pas, ou à alimenter celles qui s’accordent avec lui, ou bien il y a entre l’organisme et le milieu des interactions telles que les deux sortes de facteurs présentent une importance égale et demeurent indissociables»2.

Ce rapport entre milieu et organisme pourrait être transposé à la ville, aux 1 - Voir pages 13,14 et 15 de ce mémoire.

2- PIAGET Jean, Le Structuralisme, P.U.F., coll.Que-sais-je, 1968.

78

agressions qu’elle fait subir à ses habitants, qui réagissent par un «stress»1 et les poussent ainsi à fuir ses mécanismes et son architecture pour des lieux touristiques, qui finissent par être rattrapés par l’objectif de rentabilité, devenant plutôt des décors. Peut-on différencier décor et paysage?

Ainsi le projet de Vittorio Mazzucconi qui s’écarte des principes du Plan Neige dans sa typologie, son implantation et sa composition volumétrique est finalement bien caractéristique de son époque. En effet il relaie l’imaginaire commercial de la montagne, et assure aux citadins un dépaysement total.

Cependant la typologie des espaces extérieurs couverts, comme les balcons ou encore l’application de ses principes tels que l’arche, la pyramide, la place publique antique, voir de l’atrium tourné vers la montagne2 nous suggèrent que ce n’est pas une architecture ordinaire. En effet au delà du témoin de son époque, ce projet est un témoin des idéaux de Mazzucconi, c’est pourquoi il est remarquable dans l’ensemble des constructions en montagne du XXième siècle.

Figure 119: Croquis de coupe du Viallage du Haut Lioran, la confrontation et la contemplation entre architecture et le massif du cantal, croquis personnel, octobre 2017.

1 - Voir ouvrage de HALL Edward, la Dimension Cachée, éd. Points, 2014.

2 - voir croquis ci contre figure XX page 77

Paysage

Plomb du Cantal

Figure 120: MAZZUCCONI Vittorio, Village du Haut-Lioran, vue depuis la galerie sous arcades Nord, vers le Plomb du Cantal, croquis personnel, dĂŠcembre 2017.

79

Habitat

Tour Sumène

Commerces

Galerie commerciale

Bâtiment Est

Galerie sous arcades

Circulations intérieures logements

Limite d’usage des skis

Accès Est extérieur

Accès Est principal

Limite Nord d’usage de la voiture

Accès aux logements depuis le parking Nord

Figure 121: Schéma en axonométrie, le parcours public en arcades du Village du Haut Lioran: lieux publics et accès communs aux logements, croquis personnel.

80

Habitat

4 _ Habitat

Le lien entre l’espace public et les lieux communs aux habitants est fondamental dans tout projet de logement, c’est pourquoi le bâtiment Nord du Village semble le plus complexe, notamment par le travail de la façade et des balcons. En effet il accueille des commerces en rez-de-chaussée avec un niveau semi-enterré comme réserve. Dans les étages on trouve différentes typologies d’appartements, en duplex ou simplex1.

Le bâtiment Est est plus modeste dans son gabarit mais primordial dans le lien avec le Super-Lioran; il permet l’accroche à la galerie marchande et deux entrées du parking vers la grenouillère et le paysage du domaine du Plomb du Cantal. Au premier étage y est évidé un volume qui sépare le commerce appelé «droguerie»2 et les logements de type «studio» qui sont ,selon les informations des commerçants de la Sapotra, loués à des employés saisonniers de la station.

Le bâtiment Ouest est quand à lui adossé aux tracés de courbes de niveaux du Puy de Masseboeuf. Il ne possède pas de locaux commerciaux en rez de chaussée et se retrouve donc mis à l’écart notamment en terme de typologies de logements, qui sont elles aussi minimums et sommaires3 mais surtout les étages sont tous identiques et donnent donc de la verticalité à la façade. Il permet donc de refermer la place et de donner un axe de contemplation aux usagers; vers le Sud et le domaine skiable, et non vers le Puy de Masseboeuf.

Ces trois «corps» bâtis ont en commun que l’accès aux logements se fait depuis le «côté Nord» de la station, directement depuis les stationnements 1 - voir annexes 21 et 22 2 - voir annexe 6 3 - voir annexes 19, 20, 21 et 22

situés aux pieds des constructions, imposantes par leur verticalité (figures 89 page 61, 94 page 65, 104 page 68). Il y a donc une séparation des usages, le Sud étant réservé au parcours piéton public, le Nord à la voiture et aux accès aux logements, ainsi qu’aux livraisons vers les commerces1. Ce devantderrière d’une architecture est évocatrice d’un autre type de construction: le décor. En effet tout semble fait pour exclure les éléments d’architecture propres à la ville, au quotidien des citadins, maintenant résiduels, du côté de la vallée. C’est en direction des monts du Cantal, au Sud, que se dirige «l’arche retournée» du bâtiment Est2, et c’est du côté décor que se trouve l’Arche des Neiges, forme si symbolique aux yeux de Mazzucconi, placée ici à la rencontre des flux de skieurs et piétons, en lisière de la forêt de Masseboeuf.

Nous avions déjà évoqué le rapport entre les questionnements de ce mémoire et le travail de Shuiten et Peeters, notamment à propos du rapport que la société moderne entretient avec son patrimoine bâti dans l’ouvrage Revoir Paris. Il semble primordial de convoquer ici l’ouvrage Les Murailles de Samaris, paru en 1983, dans une période où l’architecture redevient «décor» afin de s’éloigner des apparences modernes rejetées par la majorité des citadins. C’est un processus qui touche évidemment le projet de Vittorio Mazzucconi. Cette bande dessinée fait partie de la série Les Cités Obscures dont le slogan est «Nous ignorons le monde des Cités Obscures mais ce Monde ne nous ignore pas !». Les auteurs souhaitent révéler, par le média de la bande dessinée, la nouvelle nature de l’architecture de la société de consommation de masse à travers la ville de Samaris, architecture qui s’adresse aux voyageurs, architecture d’images. En effet dans Les Murailles de Samaris, le protagoniste se retrouve piégé par une architecture factice, un décor de ville prison dorée de Samaris, qui lui offre l’accomplissement de ses désirs sociaux: pouvoir, richesses etc.. Je partage cette position critique sans pour autant dénigrer une architecture qui reste capable d’assurer sa fonction primaire

1 - voir croquis XX 2 - voir croquis XX 81

Habitat Village du Haut Lioran

«d’abris» , et nous verrons par la suite comment l’architecte et le promoteur, en l’occurence la S.P.D.I. et Société Empereur Frères, ont été capables d’accorder leurs objectifs afin de créer un projet adapté aux besoins de l’habitat d’une époque, certes aujourd’hui probablement dépassés, notamment en terme de nécessités écologiques. N’oublions pas que l’émergence de la société de consommation est l’un des principaux postulats de la naissance d’architectures telles que celle issue d’Archigram, comme le Centre Georges Pompidou et même the Walking City2. Il y a donc une ambigüité entre notre réflexe d’architectes à condamner le système économique actuel et la fascination pour les arts qu’il a engendrés, bien qu’ils lui soient souvent hostiles. Néanmoins il semble important dans la posture de l’architecte de dénoncer les catastrophes multiples qu’il cause et surtout de requestionner les principes de l’architecture moderne ou vernaculaires dont nous avons hérités et qui sont parfois dénaturés.

1

Téton de Vénus

Tour Sumène

Rocher du Bec de l’Aigle

La Sapotra

Figure 122: Schéma d’une coupe longitudinale urbaine des bâtiment de la grenouillère du Super-Lioran, mise en évidence de la galerie commerciale, croquis personnel - décembre 2017.

Ce point de vue dénonçant l’architecture factice, qui use de formes architecturales qui ne sont représentées que dans l’imaginaire collectif est aussi dénoncée par Jean-Paul Brusson, qui pose la question du rapport entre lieu et néorégionalisme dans l’architecture touristique3. Dans cet article il semble que l’auteur confonde le néorégionalisme et une architecture usant d’éléments d’époques et régions disparates afin de les assembler dans une architecture qui doit s’accorder parfaitement avec les goûts du plus grand nombre.

C’est peut-être la dérive d’une telle doctrine lorsqu’il s’agit d’architecture

1 - Op.Cit. page XX Collectif CIAM 2 - Projet de Peter Cook, membre du collectif Archigram, 1964. Voir l’ouvrage Archigram monographie, éd. Centre Georges Pompidou, 1994 3 - BRUSSON Jean-Paul. A propos de l’architecture touristique : le néorégionalisme se moque-t-il du lieu ? Dans: Revue de géographie alpine, tome 84, n°3, 1996. pp. 85-95; 82

Figure 123: Extrait de la bande dessinée de SCHUITEN et PEETERS, les Murailles de Samaris, paru en 1983.

Habitat

Duplex

Duplex Simplex

Simplex

Simplex

Simplex

Simplex

Simplex

Simplex

Figure 124: Axonométrie des balcons de la façade

Sud du bâtiment Nord du Village du Haut-Lioran échelle: 1/100° - Dessin personnel - novembre 2017.

Place du Village

Galerie

Local Commercial Parkings Caves et locaux techniques

Figure 125: Coupe et axonométrie de la façade Sud du bâtiment Nord du Village du Haut-Lioran - échelle: 1/100° - Dessin personnel - 2017.

83

Habitat

Studio - 32 m²

Deux pièces - 42 m²

Studio - 32 m² Studio - 32 m²

Circulation commune 50 m²

3 pièces 84 m²

Studio - 37 m² Studio - 37 m² Balcon: 8,5m²

Studio - 37 m² Balcon: 8,5m²

Studio - 37 m²

2 pièces 58 m²

3 pièces 84 m²

Balcon: 8,5m² Balcon: 8,5m² Balcon: 8,5m² 0

1

3

5

Figure 126: Plan type du projet du Village du Haut Lioran, dessin personnel, basé sur le plan de la Fondation Mazzucconi. Echelle: 1/200° 84

Habitat touristique. Comme nous l’avons vu grâce au mémoire de Simon Teyssou1 le néorégionalisme est quand à lui un régionalisme créatif. Il étudie les modes d’habiter, typologies et technologies constructives de lieux afin d’en dégager des architectures aussi diverses que les lieux et les modes d’habiter qui leur sont propres. Cependant la diversité de l’architecture pastiche est faible, on retrouve le principe d’une architecture catalogue, qui n’est pas élaboré par une conception architecturale classique, car elle inclut le facteur consommation.

Ainsi on peut douter du caractère remarquable de l’architecture de Vittorio Mazzucconi. On peut la critiquer pour son lien trop évident avec des architectures alpines faisant preuve d’innovations, telles que les résidences du quartier de la falaise d’Avoriaz (Figures 127 et 128 ci-contre) ou encore la résidence de la cascade des Arcs (figures 15 page 19 ), et donc son manque de lien avec le lieu. Néanmoins cette caractéristique fait sa force, car le projet est ainsi une trace d’une manière de concevoir très particulière de la fin des années 1970 à 1990, tenant une posture hostile face au Plan Neige. De même les appartements dessinés par Mazzucconi ont une typologie suggérée par les promoteurs immobiliers2, leurs dimensions minimums et le dessin de mobiliers fonctionnels, ainsi que l’utilisation du duplex sont un mélange de principes d’architecture moderne et de nécessité de l’époque de fournir aux villégiateurs un accès au dépaysement pour un faible coût. Cette contrainte financière des usagers est d’autant plus réelle au Super-Lioran qu’elle accueille la classe moyenne et non les classes privilégiées de certaines stations alpines, ou encore des auvergnats qui louent pour seulement un week-end. Les typologies d’appartements que l’on retrouve sont donc elles aussi des témoins de cette association entre la société de la classe moyenne 1 - TEYSSOU Simon, COUTAREL Jean-Louis, «Le «Régionalisme critique», une voie entre civilisation universelle et identité culturelle locale ? Réhabilitation d’une ferme située dans la commune de Saint-Gérons, Cantal», TPFE, Ecole d’Architecture de Clermont-Ferrand , 2000.

2 - Voir annexes plan appart

Figure 127: Construction d’un immeuble du quartier de la falaise à Avoriaz, achevé vers 1965. Photo anonyme. Source: http://www.avoriaz.com, novembre 2017.

Figure 128: Façade Nord, résidence de la Saski, Avoriaz, par Labro et Orzoni, 1985.

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Figure 132: croquis personnel

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La structure bois d’un balcon du Village, octobre 2017.

Figure 130: intentions de façade de la S.P.D.I fournies à Vittorio Mazzucconi, AR 1242

Figure 131 croquis personnel

Vue du bâtiment Nord du Village du Lioran depuis la place.

Figure 129 - intentions de façade de la S.P.D.I fournies à Vittorio Mazzucconi, AR 1242

Habitat et l’architecture dans un milieu qui a engendré une invention architecturale vaste, qui a convoqué et créé de nombreux modèles et idéologies. La classe moyenne est aujourd’hui niée, c’est une notion complexe que nous n’aurons pas le temps d’approfondir. Néanmoins on peut proposer qu’elle soit réellement perceptible depuis les trente glorieuses, période durant laquelle émergent les stations de la montagne française

Pour revenir au thème du lien entre milieu et architecture dans l’habitat du Village du Haut-Lioran, la galerie marchande couverte, mais ouverte, est bien la marque de l’incidence de ce milieu naturel sur une architecture qui en devient innovante dans son adaptation aux contraintes de la moyenne montagne. De même les balcons du projet ne seraient pas envisageables dans un contexte de montagne élevée et relèvent d’un dessin hors du commun. L’été ils protègent de la chaleur et filtrent la lumière, l’hiver ils se chargent des précipitations pour former une cascade de neige, à la manière des claies paravalanches en zones de départs d’avalanches (qui peuvent s’apparenter en hiver avec les terrassements agricoles par leur incidence dans le paysage). Le projet est donc dessiné pour muter avec les saisons, première marque de rareté dans l’architecture du Super-Lioran ou même dans la montagne française en général. En effet Laurent Chappis dessine le châlet pointu1 couvert de neige, il pense donc à sa mutation, tout comme le montrent aussi les perspectives des résidences d’Avoriaz. Il semble alors que l’appréhension de ce facteur «mutation du milieu naturel» soit une condition du caractère remarquable d’une architecture du type touristique, car sa typologie ne découle pas seulement d’une demande d’image. Elle relie l’architecture avec ce qui semble être l‘un de ses objectifs fondamentaux: concevoir un abris qui protège, utilise et magnifie les conditions d’un milieu naturel, en somme la première des conditions pour qu’une construction puisse contenir l’habitat et ainsi devenir architecture.

1 - Voir figure 39 et 40, page 32 de ce mémoire.

De plus l’assemblage de bois qui semble unique à ce projet, n’est finalement qu’une peau ajoutée à un volume bétonné. Cette manière de concevoir avec un volume intérieur simple qui découle de la fonction, auquel on ajoute une peau qui permet de ventiler, étendre les usages de l’intérieur vers l’extérieur ou encore de transformer le language de la façade est commune à de nombreux types de projets. Néanmoins l’utilisation du bois est souvent une question d’image, ici c’est probablement une des condtions imposées par les société immobilières1, ou encore une contrainte du PLU du Super-Lioran.

On peut comparer ce principe constructif aux extensions réalisées dans des projets de réahabilitation afin de réinventer une architecture dont le modèle est dépassé, de couvrir une architecture de béton pour la rendre pittoresque par exemple. Il existe aussi des projets qui inventent grace au bois, tels que les observatoires du Revard2. On remarque que le bois est plutôt une affaire d’architecture alpine, qui puise dans l’imaginaire du châlet, tandis qu’en Auvergne on retrouve plutôt le réemploi de la pierre comme au buron de la croix Saint-Robert, à proximité du Chambon des Neiges (voir figure XX) ou encore des extensions en acier comme au buron du Baguet dans le domaine du Plomb du Cantal. Pour revenir au cas du Village du Haut Lioran, il semble que la distribution vers les appartements en duplex empruntée au modèle de la Cité Radieuse3 soit aussi complexifiée par la présence de simplex, la barre de la «machine à habiter4» est transformée en une succession de volumes usant de verticalité et enfin l’espace minimum et meublé de l’appartement bénéficie d’une extension aux qualités climatiques et permettant l’immersion dans un lieu, milieu atypique.

1 - Voir balcons figures 129 et 130, page 85 ce mémoire.

2 - Voir figure 134, page 86 de ce mémoire.

3 - l’Unité d’Habitation de Marseille ou le Citée Radieuse, réalisée par Le Corbusier entre 1947 et 1952 à Marseille.

4 - LE CORBUSIER, Urbanisme, Paris, éd. Flammarion, 2011, p. 219.

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Ainsi ce qui rend ce projet remarquable c’est bien l’utilisation du bois qui permet l’invention d’une architecture locale, tenant compte des conditions naturelles et des ressources présente sur le site mais aussi nationale, dans sa destination à la classe moyenne émergenante en France à l’époque de la conception du projet, ce dernier paramètre ayant une incidence sur la typologie du bâti, des appartements voir même de l’implantation urbaine.

Cependant il aurait été intéressant de savoir d’où provient le bois utilisé dans le projet et qui l’a mis en oeuvre, car le Cantal, et notamment la vallée de la Cère, est riche en exploitations forestières.

Figure 134: Belvédère du Revard, 1540m d’altitude, dans l e cadre de la valorisation paysagère du site par le CAUE 73 - Autour de 2010. Photo personnelle.

Figure 133: Buron de la Croix Saint-Robert, 1300m d’altitude, réhabilité dans les années 2000, aujourd’hui utilisé comme refuge. Source photo: www.buron-st-robert.com 88

Figure 135: Buron du Baguet, 1501m d’altitude, extension supposée dans les années quatre-vingt-dix, domaine du Plomb du Cantal. Source photo: www. lelioran.com