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Hanfu : la renaissance du costume traditionnel chinois

Société

HANFU : LA RENAISSANCE DU COSTUME TRADITIONNEL CHINOIS

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Passant d’une sous-culture marginale à une industrie de plusieurs milliards de yuans, le hanfu, costume traditionnel de l’ethnie Han, revit grâce aux jeunes générations chinoises.

Les étudiants de l’école pour enseignants de maternelle de Fuyang, province de l’Anhui, portant des hanfus, jouant du guzheng (cithare) et récitant des poèmes anciens, avril 2019

Voici l’un des vers de l’ancien poème Sans habits : “Pourquoi te dis-tu sans habit ? Je partagerai avec toi mes longues robes.”

Tiré du Classique des vers, le plus ancien recueil de poésie chinoise, ce poème est régulièrement cité par une communauté grandissante qui se pas sionne pour une chose tout aussi ancienne, le hanfu.

Le hanfu, costume traditionnel chinois de l’ethnie Han, se caractérise par une tunique à manches larges nouée d’une ceinture tombant jusqu’aux ge noux et par une jupe étroite arrivant aux chevilles. Cet habit est apparu pour la première fois il y a plus de 3 000 ans, pour seulement disparaître sous la der nière dynastie impériale de Chine.

Ce n’est qu’au XXIème siècle que l’on a redécouvert le hanfu, et ses amateurs considèrent le 22 novembre 2003 comme un jour à marquer d’une pierre blanche. C’est en effet ce jour-là que Wang Letian, ouvrier de 34 ans du réseau de distribu tion électrique de Zhengzhou (province du Henan, centre de la Chine), a porté un hanfu confectionné par ses soins dans la rue la plus fréquentée de la ville.

En passant devant un grand magasin, Wang Letian a vu quelqu’un le pointer du doigt et l’a entendu s’écrier : “Regardez, c’est un Japonais en kimono !”, raconte-til au journal de Singapour Lianhe Zao bao. Les enfants se sont moqués de lui et l’ont qualifié de baga ou “fou” en japo nais.

Wang Letian se rappelle que son cos tume a surtout attiré des regards curieux et désapprobateurs. Il trouve toujours étonnant que les gens aient pu le prendre pour un costume japonais et que per sonne n’en ait connu la véritable origine.

L’article de Lianhe Zaobao a fait naître l’intérêt pour les vêtements tradi tionnels hans sur internet. Dix-sept ans plus tard, le mouvement hanfu n’est plus une sous-culture cosplay, mais une com munauté de deux millions de passionnés d’histoire, d’amoureux de mangas, d’étu diants et de jeunes professionnels.

TOUS “TONGPAOS”

“Mon amour pour le hanfu remonte à mon enfance, quand ma mère me faisait réciter le Classique des vers. J’étais fasci née par la beauté de la langue et de la culture ancienne.” raconte à Vision Chine Lian Yuxin, vloggueuse mode de 25 ans et fan de hanfu,

Lian Yuxin a rejoint un club de hanfu en 2012, pendant ses études à Chongqing, et a appris à coudre ses propres cos tumes. Elle portait même son hanfu en classe. En 2016, lorsque la série histo rique The Imperial Doctress a fait fureur, Lian Yuxin a posté sur Sina Weibo un tu toriel vidéo pour expliquer comment recréer la coiffure de l’un de ses personnages.

Depuis, Lian Yuxin a posté de nom breuses vidéos en lien avec le hanfu sur son compte Sina Weibo “Petite Carda mome”, dans lesquelles elle apparaît vêtue de costumes magnifiques et parle de la culture traditionnelle chinoise à ses 2,95 millions d’abonnés.

Lian Yuxin gère également une bou tique de hanfu très populaire sur la plateforme de vente en ligne Taobao. Le 11 novembre, à l’occasion de la journée de soldes dédiée à la Fête des célibataires, elle a été classée parmi les 100 meilleures boutiques de mode féminine en ligne sur Taobao.

“Je ne dirais pas que je suis une in fluenceuse. Je veux seulement mettre la culture traditionnelle chinoise à l’hon neur, grâce au hanfu,” explique Lian Yuxin.

Le hanfu a disparu au début de la dy nastie Qing (1644-1911), au cours de laquelle les Hans ont été contraints de s’habiller à la mode mandchoue, comme leurs dirigeants. Beaucoup ont été tués en protestant contre cette répression culturelle commanditée par l’État. Après la chute des Qing en 1911, bon nombre de Chinois ont rapidement abandonné leurs robes mandchoues au profit d’habits oc cidentaux.

Mais le hanfu fait aujourd’hui son grand retour, en particulier auprès de la jeunesse chinoise. Beaucoup d’écoles ont leur club de hanfu, où les amateurs s’ap pellent entre eux “Tongpaos”, un terme d’affection qui signifie “personne parta geant la même robe” et qui n’est pas sans rappeler le poème Sans habits.

De nombreux fans décrivent le fait de s’habiller en hanfu comme une expé rience immersive. “Dès que je le porte, je m’imagine vivre une vie pastorale et poé tique, comme si le temps avait ralenti. Ces beaux poèmes anciens me re viennent instantanément à l’esprit et je deviens davantage consciente des jolies choses qui m’entourent, comme les sai sons, le soleil, les arbres et les fleurs. Chaque fois que je revêts ces habits, je me sens forte, profondément connectée à notre culture traditionnelle,” confie Yang Xin, une vétérinaire de 25 ans de la province du Hunan fan de hanfu.

55 DES DÉBUTS DIFFICILES

Lü Xiaowei a entendu parler pour la première fois du cosplay hanfu en 2005. C’était à l’époque une communauté mar ginale en grande partie développée sur internet. Ayant toujours admiré les vête

PHOTO de CNS

Le 26 mai 2019 à Taiwan, un couple se marie en portant le hanfu

ments traditionnels caractéristiques des autres ethnies chinoises, elle a très vite démarré ses recherches sur le hanfu.

“J’ai réalisé que les Hans avaient été obligés de renoncer à leurs propres cos tumes” explique Lü Xiaowei.

Aux prémices de la communauté hanfu, les fans se retrouvaient principa lement en ligne et portaient rarement leurs costumes en public. L’une des rai sons était leur coût prohibitif, car la plupart de ces habits sont faits à la main, par un petit nombre de créateurs. Lü Xiaowei a par exemple acheté une robe quju (robe à ourlet courbe) pour plus de 700 yuans (87,5 euros), soit près d’un dixième de son revenu mensuel de 8 000 yuans (1 000 euros) qu’elle gagne en tant que journa liste télé.

Lü Xiaowei raconte que les gens avaient au départ du mal à accepter sa passion. Quand il lui arrivait de porter un hanfu au travail, ses collègues se mo quaient d’elle. Ses supérieurs lui ont même demandé si elle avait rejoint une secte. Elle a également subi des regards insistants dans la rue, certains passants confondant son costume avec un kimono japonais.

Deux grandes guerres ont opposé les deux pays dans l’histoire récente et les Chinois nourrissent généralement des sentiments complexes à l’égard de leur voisin nippon. Qu’on ait pu penser qu’elle portait un kimono japonais a mis Lü

Xiaowei très mal à l’aise.

“Une fois, dans le bus, j’ai entendu un jeune couple parler dans mon dos. Ils cherchaient à deviner si j’étais coréenne ou japonaise, ou si je faisais simplement du cosplay. L’homme a fini par dire que j’étais japonaise et la femme m’a lancé un mauvais regard. Je me suis sentie offen sée, alors j’ai mis les choses au clair : ‘Je suis chinoise, ce hanfu, ce n’est pas un habit japonais.’”, raconte Lü Xiaowei à Vi sion Chine.

Ces expériences ont poussé Lü Xiaowei à regretter que le hanfu, habit millénaire, soit tombé dans l’oubli depuis longtemps en Chine. En 2006, elle et son fiancé ont porté un hanfu pour l’enregis trement de leur mariage au Bureau local des affaires civiles et ont organisé un ma riage sur le thème du hanfu.

La même année, Lü Xiaowei a quitté son emploi de journaliste et a ouvert son propre magasin de hanfu sur Wenshu fang, une rue de Chengdu au style architectural ancien (province du Sichuan).

Pour dynamiser ses ventes, elle s’ha billait en hanfu et jouait de la musique traditionnelle sur un guzheng, une ci thare traditionnelle, devant son magasin. Non seulement ses ventes étaient mau vaises, mais en plus elle était harcelée.

“Les personnes âgées me criti quaient, me disant que je vendais des vêtements ‘féodaux’ et que j’allais à l’encontre de la tendance actuelle,” se souvient Lü Xiaowei.

Lü Xiaowei n’a pas été la seule à connaître ces mésaventures. En octobre 2004, un site internet a posté un article qui critiquait un groupe de fans de hanfu car ils portaient des “linceuls” sur la rue commerçante Wangfujing, à Pékin. L’ar ticle les accusait de “superstition féodale rétrograde”, ajoutant “qu’ils devaient sans doute vouloir également rétablir les rites funéraires traditionnels”, coutumes sou vent jugées superstitieuses et arriérées par les médias.

Trois des fans de hanfu attaqués ont déposé plainte pour diffamation contre le site internet et ont gagné.

On rapporte également qu’en 2005, un groupe d’amateurs de hanfu a été contraint de quitter une cérémonie célé brant la naissance de Confucius au temple de Confucius de Fuzhou, dans la province du Fujian, car leurs habits étaient jugés “bizarres et indignes”.

UNE RENAISSANCE DE LA MODE

À sa grande surprise, Lü Xiaowei confie que l’opposition la plus forte à son commerce est venue des autres pas sionnés de hanfu. “Ils ont cru que le mouvement hanfu devait se cantonner à un niveau spirituel et à mettre en avant la culture. Ils percevaient toute com mercialisation comme une trahison de leur noble mission. Aujourd’hui, tout ce la paraît tellement innocent, voire

presque naïf”.

Depuis 2010, les séries historiques chinoises explosent. Les fictions ou séries inspirées de faits historiques réels comme Empresses in the Palace (2011), Scarlet Heart (2011), Nirvana in Fire (2015), Eternal Love (2017) et Story of Yanxi Pa lace (2018) ont suscité un large intérêt pour la culture et les modes de vie de la Chine ancienne.

Les contenus en lien avec le hanfu abondent sur les plateformes de réseaux sociaux comme Sina Weibo, sur le site de partage vidéo Bilibili, ou encore sur des applications de partage de courtes vidéos telles que TikTok ou Kwai. La plupart d’entre elles mettent en scène des jeunes vêtus de longues robes et d’habits fluides magnifiques, s’adonnant à des activités culturelles telles que le dessin, la calligra phie, la broderie, la cueillette de feuilles de thé, le jeu du guzheng ou la prome nade dans des jardins. Bon nombre des créateurs et diffuseurs de ces contenus sont de grandes célébrités du net.

Li Ziqi, vloggueuse de 29 ans, a pas sionné des millions de fans avec ses recettes de cuisine réalisées avec des méthodes traditionnelles, pour ses hanfus délicats et les vues panoramiques du Si

Deux créatrices confectionnant un hanfu dans leur atelier de Changsha, province du Hunan

chuan qu’elle propose. Elle est l’une des stars chinoises du net les plus populaires du monde, avec plus de 20 millions d’abonnés sur Sina Weibo et 5 millions sur YouTube. Ses vidéos comptabilisent plus de trois milliards de vues.

Le hanfu n’est plus un courant margi nal réservé à un petit groupe d’amateurs, qui cherchent à promouvoir la culture Han. D’après une étude sur l’industrie du hanfu réalisée par IiMedia Research, ins titut basé à Shenzhen, 47,2 % des consommateurs disent apprécier la culture du hanfu et 40 % considèrent le hanfu branché.

Il existe plus de 2 000 associations dédiées au hanfu sur internet et en de hors. 88,2 % des fans de hanfu sont des femmes âgées en moyenne de 21 ans d’après la même étude.

L’industrie du hanfu devrait dépasser les 1,9 milliards de yuans (237,5 millions d’euros). En 2017 et 2018, le chiffre d’af faire des dix boutiques qui vendent le plus de hanfus sur Taobao a augmenté de 50 % par an. Rien qu’en 2018, les ventes de ces dix meilleures boutiques ont dé passé les 316 millions de yuans (39,5 millions d’euros).

“Ces dernières années, à travers le ci 57 néma et la télévision, nous avons assisté à un déferlement de la culture tradition nelle, notamment avec des films d’animation comme Big fish and Begonia, Ne Zha et The Monkey King. Le succès de ces œuvres de la culture populaire a permis à de plus en plus de jeunes d’aimer et d’adopter la culture et l’identité tradition nelles chinoises. De même, la culture du hanfu est de plus en plus reconnue et ap préciée par la jeunesse,” témoigne Fang Wenshan, un parolier taiwanais populaire chez la génération Y chinoise, lors de la cérémonie d’ouverture de la septième se maine culturelle du hanfu de Xitang, ville de la province du Zhejiang, qui a eu lieu le 26 octobre dernier.

Fang Wenshan s’est dévoué à la pro motion de la culture du hanfu pendant sept ans. Il a inauguré la première se maine culturelle du hanfu de Xitang en 2003, évènement qui est devenu l’un des plus influents de la communauté hanfu. Chaque année, plus de 10 000 “Tongpaos” vêtus de hanfus viennent de tout le pays pour y participer.

Selon lui, le hanfu est le pont parfait pour connecter les jeunes à la culture et à l’identité Han traditionnelles, et il est ac cessible à tous.

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