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MARC AURÈLE Comment gérer le stress au travail?

Sous la plume du philosophe Christoph Quarch, les plus grands penseurs de tous les temps répondent à nos questions actuelles. et vous laisse libre de remplacer «homme» par «être Aujourd’hui, l’empereur romain Marc Aurèle nous délivre ses conseils pour apprendre humain», mais pour le reste, ces paroles sont plus que jamais valides et appropriées: amour et dignité, pensez-y! à bien gérer son temps. Ma recommandation pour s’appliquer à cette posture avec discipline et concentration me semble tout aussi valide et appropriée: «Tu [je m’adresse à moimême] y arriveras si tu accomplis chaque acte de ta vie comme si c’était le dernier, loin de toute légèreté, de tout refus de l’empire de la raison, de toute hypoLe temps est une valeur rare et onéreuse. En tant crisie, de tout égoïsme et de tout ressentiment à qu’ancien empereur romain, je sais de quoi je parle: l’égard de la destinée.» responsable d’un immense empire aux moyens de Oui, c’est aussi simple que cela: libérez votre communication réduits, j’avais de nombreux adver- esprit et tout ira bien! saires et j’étais toujours par monts et par vaux, ou Et surtout, efforcez-vous de vous dédouaner faisais la guerre aux peuplades barbares du nord du de ce curieux concept que vous nommez Work-LifeDanube. Du travail, encore et toujours du travail. Or, Balance, soit la question de savoir comment trouver une journée ne comptait, comme aujourd’hui, que un équilibre entre travail et vie privée. Cette ques24 heures. Accablé de besognes, seule la discipline tion n’aurait plus lieu d’être si vous ne faisiez que m’empêchait de sombrer dans la folie. votre travail, votre propre travail, Oh, je sais bien que dans le monde actuel, la discipline n’est pas un «C’est peut-être celui choisi par vos soins. C’est-à-dire en agissant, sans vous enliser ni céder concept très tendance. Mais c’est peut-être là le problème: vous vous laissez distraire et perdez un temps là le problème: vous perdez un aux lamentations parce que ceci ou cela n’a pas encore été réglé, ou parce que votre aide de camp, ce tire-auprécieux en choses inutiles. Quelles sont ces «chose inutiles», me direz-vous? Les choses inutiles, temps précieux en choses fanc, a bâclé son travail… en voilà assez, place à l’action! Emparez-vous de ce glaive spirituel et brisez ces c’est tout ce qui vous empêche de faire ce qu’il faut ici et maintenant, inutiles.» chaînes qui vous emprisonnent. Tchac, tchac, de nouveau libre, ici et sans laisser votre attention se disper- maintenant, concentrez-vous sur ser. Grands Dieux, nombreux sont ceux qui, parmi vous-même et non pas sur les choses sur lesquelles vous, se laissent distraire de leur travail quotidien, en vous n’avez aucune infuence. jouant sur leur téléphone portable ou en se répandant Bien, comme le temps presse, je conclus par une en tweets. Si j’avais fait ça, je ne serais pas resté plus autre citation tirée de mes écrits: «Si tu remplis de deux jours au pouvoir. la tâche présente en obéissant à la droite raison

Si on gaspille son temps précieux à trier des en actes et en paroles, tu vivras heureux. Et il n’y poubelles virtuelles, il ne faut pas s’étonner de ne a personne qui puisse t’en empêcher.» pouvoir mener de front travail et vie privée. Croyezmoi: la discipline est le secret d’une vie épanouie, MARCUS AURELIUS ANTONINUS AUGUSTUS et la concentration le secret d’une bonne gestion de (121–180) son temps. Empereur romain de 161 à 180. Son règne marque la fin de

Dans mes papiers, je suis tombé sur cette note: l’apogée de l’empire. Il réussit à maintenir la paix au sein de «À chaque instant, applique-toi à faire ce que tu as l’immense empire tout en préservant la cohésion même si les sous la main, en Romain et en homme, avec fermeté frontières étaient constamment menacées. Ainsi passa-t-il et rigueur, simplicité et dignité, dans l’amour de ton prochain, dans un souci de liberté et de justice, et la plus grande partie de son règne sur les camps militaires où il coucha par écrit ses Pensées pour soi-même, inspirées de la philosophie stoïcienne. Marc Aurèle mourut loin de Rome dans consacres-y tout ton temps sans plus te préoccuper la ville frontalière de Vindobona, aujourd’hui connue sous le du reste.» D’accord, je vous épargne le mot «romain» nom de Vienne (Autriche).

Tempête du désert

C’était l’un des derniers rendez-vous majeurs dans les sports mécaniques avant le confinement mondial l’an dernier. En mars, THE MINT 400 donne un nouveau coup d’accélérateur. Le plus ancien rallye du désert américain a subi de nombreux bouleversements, mais il se montre toujours aussi sauvage…

2020: le double vainqueur (2013 et 2018) Bryce Menzies s’élance sur The Mint 400 à bord de son pick-up capable de sauter sur plus de 45 m. «Vous devez boucler quatre tours de 100 miles [160 km], explique l’Américain. Cette course est mythique.»

«Même le dernier des derniers reçoit une petite médaille.»

Le photographe Gavin Bond sur l’esprit de la course

LA RELÈVE

Le pilote Red Bull américain Seth Quintero près de son UTV Pro NA. En 2019, juste âgé de 16 ans, il est entré dans l’Histoire en devenant le plus jeune vainqueur de la catégorie UTV Pro Turbo de The Mint 400.

IL Y A FOULE

Les véhicules sur la grille de départ. «Les participants séjournent au Buffalo Bill’s Resort & Casino, raconte Bond. Ça coûte 18 $ la nuit, un hôtel où s’arrêtent les gens qui ne vont même pas jusqu’à Vegas.»

«Vous ne pouvez rien vivre de plus américain que The Mint 400.»

LA LUTTE FAIT RAGE

«C’est le début de la course, explique Gavin Bond. Derrière le véhicule orange, on voit la scène où s’est produit le groupe Eagles of Death Metal la veille. Les véhicules descendent la colline pour s’engouffrer dans le désert.»

TEAM À L’AFFÛT

«J’ai su par la radio que Bryce Menzies, ici tout à droite, allait se ravitailler, alors je me suis dépêché de regagner le stand et j’ai pris une belle photo de son team prêt à intervenir», raconte Bond.

Les motos au départ la veille de la grande course. «À l’origine, elles partaient en même temps que les voitures, explique Matt Martelli, co-organisateur. Mais cela a pris fin en 1976 pour des raisons d’assurance.»

«C’est avant tout une histoire de famille. Un gars conduit un pick-up, son fls est au volant d’un autre pick-up, et sa flle pilote une moto.»

Le photographe Gavin Bond, photographe

Les camions du Mint 400 (ci-dessus) traversent le désert à plus de 100 km/h.

«Il n’y a pas de dispositifs de délimitation en plein désert, juste quelques drapeaux. Une voiture peut soudain perdre le contrôle et vous foncer dessus. Dans ce cas-là, barrez-vous!»

Le photographe Gavin Bond à propos de la sécurité des photographes sur The Mint 400

DANGEREUSE PROXIMITÉ

Joseph Jepson de la Diamond J Racing Team dans son buggy. «Je prenais des photos avec un téléobjectif, se souvient Bond. J’étais donc plus proche que je n’aurais dû l’être, d’où le flou.»

CLAP DE FIN

«Les couleurs sur la tôle proviennent des lumières de la scène où a lieu la remise des prix», explique Bond.

Deux catégories classiques (1980-1990 et pré 1980) se mêlent aux concurrents pros et amateurs, à une catégorie réservée aux femmes, et aux équipes père/fils.

«Lorsqu’ils arrivent, les véhicules sont en sale état. Les mécanos ne chôment pas.»

Le photographe Gavin Bond sur l’engagement des participants TÊTES DE VAINQUEUR

L’ancien champion Travis Chase (à droite) et son copilote Jacob Lauxen arborent leur médaille pour avoir terminé la course. L’événement attire un certain type de personnages du genre sensationnel.

Des moteurs qui rugissent sur 688 km à travers le désert de Mojave… The Mint 400 naît en 1968 d’un coup publicitaire visant à attirer les foules pour la chasse au cerf annuelle de The Mint, un hôtel--casino situé à Las Vegas. Mais la course, qui démarre et se termine juste devant les lumières du Las Vegas Strip, devient très vite la «plus grande course tout-terrain des États-Unis».

«J’y suis allé pour la première fois en 2018, raconte le photographe britannique Gavin Bond. C’était le cinquantième anniversaire de la course et je n’y connaissais rien. Mon producteur à Los Angeles, un fan de mécanique, s’était inscrit avec son propre pick-up de course et je l’ai accompagné. J’ai adoré… Je devais absolument revenir pour prendre des photos.» Et c’est ce qu’il a fait en mars 2020. Mais Gavin Bond ignorait à l’époque que ses clichés figureraient parmi les derniers avant un véritable cataclysme: douze jours plus tard, le monde entier entrait en confinement.

Une année s’est écoulée. Beaucoup de choses ont changé mais, contre toute attente, The Mint 400 est de retour. Ce n’est pas la première fois que l’événement se trouve menacé: il a même disparu pendant vingt ans. En effet, lorsque Jack Binion a acheté l’hôtel-casino The Mint en 1988, il a supprimé la course, craignant que cela nuise à ses affaires. Il a fallu attendre 2008 pour que Matt et Joshua Martelli, réalisateurs de la célèbre série sur les sports mécaniques Ken Block’s Gymkhana, en achètent les droits.

Aujourd’hui, The Mint et beaucoup d’autres casinos des environs ont fermé leurs portes depuis longtemps, remplacés par des complexes de loisirs. Mais la course est toujours là, comme à l’époque de Steve McQueen et consorts – et de la naissance du journalisme gonzo.

C’est d’ailleurs en couvrant The Mint 400 pour Sports Illustrated que Hunter S. Thompson a trouvé l’inspiration et écrit son Las Vegas Parano. «Vous ne pourriez pas faire plus américain», ajoute Gavin Bond à propos de cette course.

«Mes chansons sont vert foncé et rouge framboise»

Quand Lea Lu chante, son monde devient multicolore. Pour elle, chaque son correspond à une couleur. Une singularité qui confère une touche unique à sa musique.

Entretien SABRINA LUTTENBERGER Photo CLAUDIO STRÜBY

Quand Léa Lu a le vague à l’âme, et que la morosité la gagne, elle perçoit un son vert foncé là où d’autres verraient tout en noir. L’artiste de 36 ans associe toujours le vert foncé à un fa majeur. Lea Lu est synesthète. Chaque note, chaque accord fait apparaître dans son esprit une couleur spécifique. Le phénomène est connu de longue date et toucherait une personne sur vingt mille, selon le neuropsychologue Lutz Jäncke de l’université de Zurich. Le peintre russe Vassily Kandinsky, la star américaine Lady Gaga et Chris Martin, leader du groupe pop britannique Coldplay, en font partie.

De récentes études suggèrent que près d’une personne sur vingt visualise des sons, souvent de manière inconsciente. Lea Lu a d’ailleurs longtemps ignoré qu’elle était concernée par cette particularité. Elle en prend conscience en regardant un documentaire sur la synesthésie.

À six ans, elle prend des leçons de violon et mémorise les notes en les remplaçant par les séquences de couleurs qui lui apparaissent à l’écoute des morceaux étudiés, le tout à l’insu de sa professeure. Nous nous sommes demandé si les couleurs que voit son œil mental attribuaient un son particulier à sa propre musique. L’écoute de son premier single I Call You nous laisse croire que oui. Son nouvel album, prévu pour cette année, promet un monde multicolore. Une issue heureuse, après des débuts new-yorkais en vert foncé.

the red bulletin: Est-il arrivé, en travaillant avec d’autres musiciens, que certains apprécient quelque chose qui ne se traduit pas en vous par une combinaison de couleurs en adéquation?

lea lu: Oui, cela arrive. Si la composition est géniale, mais que les couleurs sont ternes, cela infuence ma perception du morceau. Un fa majeur par exemple, m’évoque toujours le vert foncé, donc plutôt sombre. De ce fait, les thèmes que j’y aborde ont de grandes chances d’être mélancoliques aussi. En revanche, je n’écrirai jamais une chanson triste en la majeur. Un la majeur est rouge framboise, une couleur joyeuse!

À quoi ressemble une musique qui s’entend et se voit en même temps?

À un écran bariolé permanent, y compris au moment où je vous parle. Ces impressions intérieures se manifestent quand j’entends des sons, mais aussi quand je lis et vois des lettres. Les lettres mêmes ne sont pas colorées, mais je vois les couleurs. Il en va de même pour la musique: un brouillard de couleurs apparaît devant mon œil mental, lequel associe à chaque accord, à chaque note, une couleur spécifique. Et cette association est toujours la même.

Cette faculté se manifeste-t-elle aussi dans d’autres domaines?

Oui, c’est un aide-mémoire efficace. Petite, je suivais des cours de violon. Ma professeure ignorait que je ne savais pas lire les notes. Alors, lorsqu’elle me donnait des partitions, je lui demandais de me jouer le morceau. Je pouvais ainsi remplacer les notes par les couleurs et faire semblant de lire la partition pendant le cours. Mon stratagème a tenu six ans avant d’être découvert! (rires)

Cette interview aurait dû porter sur votre séjour à New York. Mais rien ne s’est déroulé comme prévu en 2020.

Oui, je devais séjourner à New York de mars à septembre grâce à une bourse de la ville de Zurich. Le rêve de tout artiste! Je suis arrivée le 9 mars et j’ai été contrainte de rentrer en Suisse le 17 mars. L’ampleur et la soudaineté de la pandémie ont été un véritable choc.

Comment avez-vous vécu la période qui a suivi?

Bien sûr, au début, j’ai craint pour ma famille, mes amis, ma santé. J’étais tétanisée, mais il fallait que cet état cesse. J’y suis parvenue en analysant la situation avec lucidité,

«Chaque note a une couleur.»

Pour jouer de la guitare, Lea Lu, 36 ans, explique que ses leçons de violon l’ont aidée.

en obtenant autant d’informations scientifiques que possible sur le coronavirus. J’ai beaucoup lu et échangé des idées avec des amis de Taïwan qui ont eu un aperçu précoce du virus. Une fois la peur passée, m’organiser est devenu la priorité. Je devais trouver une solution pour payer mon loyer. Avec le confinement, les concerts étaient annulés et je ne pouvais plus donner de cours de chant non plus…

À l’état d’urgence mondial s’est ajoutée une urgence personnelle. Oui, le secteur culturel a été durement touché par la situation. Heureusement, après quelques mois, il y a eu des contributions de soutien de la part de diverses institutions. Pour faire le pont la première fois, j’ai emprunté de l’argent à des amis. Dès que les questions financières ont été réglées, la création a immédiatement repris. La vie a recommencé à bouger. Je voulais travailler sur mon nouvel album depuis longtemps, c’est pourquoi je voulais aller à New York.

Au lieu de cela, vous l’avez enregistré chez vous à Zurich. Comment avez-vous procédé?

Après avoir écrit les chansons, j’ai commencé à enregistrer la musique

«J’adore tes chansons et ta voix!»

Le musicien canadien Mocky n’a pas hésité à mettre sa basse au service de Lea Lu.

avec mon batteur, avec qui je partage la salle de répétition – avec les possibilités qui s’offraient à nous. Et j’ai appris moi-même à jouer de la basse car je n’avais pas de bassiste sous la main. (rires) Tout se passait bien, puis j’ai pensé à Mocky, un musicien canadien qui a travaillé avec Jamie Lidell (chanteur britannique, ndlr) et Leslie Feist (chanteuse canadienne, ndlr). Je voulais le rencontrer à New York. Je lui ai envoyé un mail pour l’inviter à collaborer sans vraiment y croire. Il m’a répondu, ravi: «J’adore tes chansons! J’adore ta voix! J’adorerais jouer sur ton album!» Il a ensuite enregistré les lignes de basse à Los Angeles et nous les a envoyées. C’était génial: on a tout de suite eu l’impression que nous étions un groupe depuis longtemps! Sans s’être rencontrés une seule fois.

Retrouve-t-on un peu l’ambiance particulière de 2020 en écoutant l’album?

Je pense qu’on y ressent un grand besoin d’échanger. C’est ce qui me manquait le plus durant cette période. De pouvoir rejouer avec d’autres musiciens. L’album est aussi une prolongation de mon EP Rabbit. C’était une production en solo, un morceau empreint de solitude. Après quoi, je devais reprendre la route. Mais le corona en a décidé autrement en mettant le monde en suspens. L’envie reste cependant bien vivace.

Comment avez-vous géré la situation?

Avec les moyens du bord, par exemple via internet avec Mocky. Quand le confinement a pris fin au début du mois de mai en Suisse, nous nous sommes retrouvés pour faire de la musique ensemble. Nous avons chargé le studio de répétition dans la voiture et l’avons réinstallé dans un chalet dans les Alpes. J’ai invité mes musiciens de jazz préférés de Suisse. Je leur ai téléphoné et ils ont tous accepté, c’était une belle expérience. C’est pourquoi l’album s’intitule I Call You.

Enfant, vous ne vouliez pas devenir musicienne. Vous auriez déclaré que c’était là un métier bien trop épuisant.

C’est vrai. J’écris des chansons depuis mon plus jeune âge. Pour moi, c’était la chose la plus naturelle. Je dis toujours que c’est ma première langue, ma langue maternelle. Le monde dans lequel je pouvais m’exprimer. Mais devenir musicienne n’a jamais été une aspiration ni un rêve de carrière. Non pas parce que c’est épuisant, j’ai toujours été consciente qu’il est diffcile d’en vivre. Du coup, j’ai suivi des études de psychologie. En cours, je trimbalais toujours des partitions de jazz. Un jour, une camarade de fac m’a lancé: «Hey! À mon avis, tu t’es gourée de flière.» (rires) Par la suite, j’ai étudié le jazz.

Et depuis, savez-vous lire les notes de musique?

Oui, j’ai fni pas y arriver. (rires)

«J’ai cette envie de marcher»

À 7 ans, il monte pour la première fois sur une moto. Une mauvaise chute met un terme à sa carrière, à 25 ans. Aujourd’hui ans, à 39 ans, Marc Ristori n’est empêché de rien.

Entretien CHRISTINE VITEL

the red bulletin: Je ne pouvais pas en croire mes yeux en regardant la vidéo où l’on vous voit piloter une moto. N’aviez vous pas peur de tomber?

marc ristori: Pas trop, non car je roule assez relaxe, et puis la chute fait partie du jeu.

Un dispositif spécial sur la moto vous permet de bien caler les jambes. Vous changez les vitesses à la main?

Exact. Tout se contrôle au guidon: gaz, freins et changement de vitesses. Il y a deux boutons, un pour monter et l’autre pour descendre les vitesses. Et la moto ne cale jamais.

Vous êtes paraplégique depuis cet accident en 2007, des pieds jusqu’à la poitrine. Vous souvenez-vous de cet instant où tout a basculé?

Complètement. L’accident était assez brutal dans le sens où j’ai fait une erreur sur le parcours. J’ai perdu le contrôle, et à cause de la force d’inertie, je ne pouvais pas m’extraire de la moto. Ma tête a heurté une bosse, ça a fait une onde de choc, et ça a cassé au niveau de la cinquième dorsale, juste en dessous de la poitrine. J’étais couché sur le dos, je voyais le plafond du stade, et je ne sentais pas mes jambes. J’ai tout de suite compris que j’étais paraplégique.

Combien de temps vous a-t-il fallu pour accepter votre destin?

Dès le départ, mon objectif était d’essayer de récupérer un maximum, je n’en avais rien à faire qu’on me dise que je n’allais pas rebouger. Quand la paraplégie arrive, on ne peut pas juste passer à autre chose. Ça a été plus facile d’accepter la situation de position assise, étant donné que j’avais tout donné pour récupérer le plus possible, mais même treize ans après, ça reste délicat.

Comment cela?

Au quotidien, on est sans cesse renvoyé à notre situation de handicap. Mais quand je me réveille le matin, je suis en chaise comme si j’étais debout. J’ai cette envie de marcher, de me lever, de courir. Le handicap ne m’a pas empêché de le faire! J’ai des activités, je pratique du sport, j’ai repris le travail, je voyage énormément… Ce n’est pas parce que je ne l’ai pas accepté que finalement je ne suis pas heureux et que je ne fais pas plein de choses. C’est juste que des fois, je me dis: «Fait chier, j’aimerais bien avoir les jambes pour faire ça.»

À quel moment avez-vous décidé de faire de la moto à nouveau?

C’est après avoir vu ce pilote américain le faire, Ricky James. Quand tu es pilote de moto, tu es pilote de moto… à vie. Cette notion de «ex», ex-pilote, ex-athlète, ça m’embête car c’est comme si on n’était plus capable, comme si ça appartenait au passé. J’ai décidé que pour moi, ça n’appartiendrait pas seulement au passé. Aujourd’hui, je n’ai pas besoin de faire régulièrement de la moto, mais si j’ai envie d’aller rider avec mes potes, je peux, c’est cool! Ça m’a permis d’aller de l’avant.

Vous avez fondé rforce8.com. Dans quel but?

RFORCE8, c’était le nom de mon team de moto en 2007, l’année de l’accident. J’ai voulu le garder et en faire quelque chose de plus communautaire. Aujourd’hui, c’est un team d’athlètes de la moto, du BMX et du sport extrême. Le but, c’est d’inspirer un maximum de gens. On fait des fringues et on soutient des projets pour des jeunes.

Allez-vous participer au Wings for Life World Run?

J’étais Ambassadeur pendant trois ou quatre ans, j’avais participé avec Matt Rebeaud. J’aimerais bien le refaire, pour l’ambiance, les gars nous aident, c’est un super projet. Ce serait cool de monter une équipe… et d’aller quelque part où il fait beau, parce que quand j’ai participé, ça caillait, on était sous la pluie. (rires)

Personne n’est à l’abri

Les faits montrent que tout le monde peut être victime d’une lésion de la moelle épinière. La moitié des personnes touchées le suite à un accident de la circulation, 24% suite à une chute. Seuls 3% d’entre eux concernent des athlètes de sport extrême comme Marc Ristori. Afin de collecter des fonds et soutenir la recherche sur la moelle épinière, des milliers de personnes participeront au Wings for Life World Run le 9 mai 2021. La totalité des bénéfices sera reversée à la recherche.

Inscription: wingsforlifeworldrun.com

«Si j’ai envie d’aller rider avec mes potes, je peux, c’est cool!»

Piloter sa moto à nouveau, c’était le défi que Marc Ristori s’était juré de relever.

Nettoyer la planète

L’équipe autour de David Hablützel et du projet Teal, qui propose des chaussettes à base de plastique recyclé, compte aussi des designers sportwear primés, basés à Zurich. Tous sont des passionnés de surf et de nature, motivés par un objectif ultime: «nettoyer la planète».

teal-project.com

Un snowboardeur de 24 ans bien dans ses chaussettes.

«J’ai été effrayé par tant de plastique»

De la mer aux pieds: les chaussettes de David Hablützel, snowboardeur, sont à base de plastique recyclé des océans.

Entretien WOLFGANG WIESER

the red bulletin: Vous avez fondé une marque de chaussettes de sport à base de plastique recyclé des océans: pourquoi un snowboardeur s’intéresse-t-il à l’océan?

david hablützel: Ce sont des amis qui ont eu l’idée, au départ. Je les ai aidés pour le marketing pendant le lancement sur Kickstarter. Au final, j’étais tellement emballé par le projet que j’ai voulu en faire partie. Parce que j’aime surfer et que je me sens vraiment connecté à l’océan – et aussi parce que je sais à quel point le plastique est devenu un fléau.

Avez-vous eu un moment de déclic?

En Indonésie: les plages y sont magnifiques, mais tu vois aussi beaucoup de plastique dès que la marée remonte. C’est ce qui m’a réveillé, pour ne pas dire effrayé.

D’où provient le plastique que vous utilisez?

De la Méditerranée et de l’Atlantique, près de l’Espagne. Il est ramassé en mer par les pêcheurs, nettoyé et transformé en fil.

Quel a été le concept autour de la création de la marque?

Nous voulions un produit qui ne soit pas excessivement compliqué et qui puisse intéresser le plus grand nombre.

Aviez-vous dès l’origine l’idée d’utiliser le plastique des océans?

Pas forcément. Au départ, nous avons envisagé d’autres matériaux durables, pour nous concentrer finalement sur le fil fabriqué à base de plastiqué recyclé provenant des océans, en raison de son incidence directe sur la protection de l’environnement.

Pourquoi ces chaussettes sontelles meilleures que les autres?

Bien que les fils soient en matériaux recyclés, leur qualité n’est aucunement inférieure à celles de concurrents conventionnels. De plus, nous n’avons fait aucun compromis en termes de performance et de robustesse, alors même que les matériaux sont à 77% recyclés.

Côté design, ça ressemble à quoi?

Nos chaussettes sont sobres et fonctionnelles, avec des couleurs vives et des rayures dans les mêmes tons pour un look classique et intemporel. Nous souhaitions aussi conserver une certaine universalité, en évitant de proposer pour chaque type de sport un modèle différent, puisqu’à notre avis, une bonne chaussette de sport reste toujours très polyvalente.

En 2012, le Népalais NIRMAL « NIMS » PURJA escalade une montagne pour la première fois de sa vie. Huit ans plus tard, il révolutionne l’alpinisme. Et ce n’est qu’un début…

Texte TOM GUISE et MATT RAY Photos SANDRO BAEBLER

Haute fidélité

Nims Purja sur le mont Blanc. L’alpiniste de 37 ans détient le record de l’ascension la plus rapide des 14 sommets les plus hauts du monde.

En 2017, les Gurkhas entreprennent une expédition au sommet de l’Everest. Pour la brigade militaire d’élite indo-népalaise, ce pèlerinage célèbre deux cents ans d’allégeance à la couronne britannique. Il s’agit de leur seconde tentative de gravir le plus haut sommet du monde. Le séisme de Gorkha, en 2015, avait déclenché une avalanche, balayé le camp de base et immobilisé les alpinistes au Camp 1. En 2017, l’expédition est à nouveau menacée. Des conditions météorologiques imprévisibles empêchent l’équipe officiellement chargée d’aménager les voies de reprendre l’ascension. Personne ne pensait pouvoir atteindre le sommet...

«C’était impressionnant, raconte Nirmal “Nims” Purja qui, à 35 ans, faisait alors partie de l’unité de montagne des Gurkhas. Les Gurkhas sont connus pour être les plus braves de tous, sans compter que sur l’Everest, on jouait à domicile. Notre réputation était en jeu. J’ai donc décidé de mener l’équipe chargée d’aménager la voie.»

Lorsque la nouvelle se répand dans le camp, les réactions sont unanimes: a-t-il bien conscience de ce qu’il est en train de faire? «Alors que personne ne me connaissait, se souvient Nims Purja, j’ai conduit les treize membres de l’expédition jusqu’au sommet. De retour à Katmandou, nous avons fait la fête pendant une semaine pour célébrer ça.»

«Puis j’ai escaladé l’Everest à nouveau, ainsi que le Lhotse et le Makalu (quatrième et cinquième dans la liste des plus hautes montagnes du monde, ndlr), en cinq jours, sans oublier de faire la fête pendant deux jours entre deux ascensions.» Aujourd’hui, tout le monde connaît Nims Purja. En 2019, il est le plus rapide à escalader les quatorze sommets de plus de 8000 m. Le précédent record était de sept ans, dix mois et six jours. Nims Purja prévoyait d’accomplir cet exploit en sept mois; il l’a réalisé en six mois et six jours. Un record qui a braqué les projecteurs sur ce soldat des forces spéciales. Mais qui a aussi attiré des détracteurs parmi les alpinistes les plus puristes, notamment en raison de l’utilisation de réserves d’oxygène.

«Je n’ai recours à l’oxygène que pour le sommet final. Je grimpe et j’installe ma corde sans oxygène jusqu’au Camp 4, se défend-il. Les gens disaient que c’était facile pour moi de faire le Népal parce

Nims Purja, le Gurkha

Photo de la remise de diplômes de l’unité militaire d’élite ITC Catterick, en 2002. «Mon père et mes frères étaient Gurkhas… C’est une vie dont on peut être fier. Cela est très respecté dans la communauté népalaise.»

que j’allais au camp de base en hélico. Alors j’ai escaladé toutes les montagnes pakistanaises sans assistance par hélicoptère, en courant d’un camp de base à l’autre… Ça a duré 23 jours, pour les cinq sommets à 8000 m. Je n’ai aucun problème avec la critique. Si quelqu’un bat mon record, je serai le premier à venir lui serrer la main.»

«Vous écrirez que quand Nims a dit ça, il avait le sourire, d’accord?»

À première vue, le discours de Nims Purja peut sembler provocateur, mais en réalité, l’énergie du Népalais est tout autre: son audace mâtinée d’impatience le rend fascinant, et pas antipathique. Dans sa chambre d’hôtel située au pied du mont Blanc où il a passé ses vacances d’été, il est tout sourire. Musclé, assez petit, avec son mètre septante, le gentleman explorateur du Project Possible de 2019 a rasé sa moustache sombre et dévoile un visage juvénile. «J’ai 38 ans… enfin, je crois. Je ne fête jamais mon anniversaire, car l’âge n’est qu’une vision de l’esprit, un moyen de vous faire croire que vous vieillissez et de vous en servir comme excuse.»

Son sens de l’introspection est surprenant. «J’ai grandi au Chitwan, qui est la région la plus plate et la plus chaude du Népal. C’est pratiquement au niveau de la mer. Nous étions très pauvres et nous vivions dans une petite maison avec des poules juste à côté. Je n’avais même pas de tongs. Tout a changé quand mes deux frères se sont engagés dans les Gurkhas.» Désireux de lui offrir une meilleure vie, les frères de Nims l’ont envoyé à l’internat où, selon ses dires, il a excellé.

«J’étais dans les cinq premiers et j’aurais même pu être le meilleur, mais j’ai

Annapurna, avril 2019

Plus de 30% des alpinistes qui s’attaquent au dixième sommet sur la liste des plus hauts du monde meurent. Face au risque d’avalanche, l’équipe de Nims emprunte cet itinéraire rarement utilisé: la Dutch Rib.

terminé un examen de deux heures en une heure pour être le premier à quitter la salle. Comme je ne voulais pas être médecin ou ingénieur, j’avais deux solutions. Je pouvais devenir le Robin des Bois népalais et voler l’argent des riches qui ne paient pas d’impôts pour le redistribuer aux pauvres.» Au final, il a choisi la seconde option: les Gurkhas.

«Ça n’a pas été facile d’y entrer. Quand j’ai postulé, 32000 jeunes Népalais avaient posé leur candidature et seuls 320 d’entre eux ont été acceptés. J’ai commencé à m’entraîner dès l’âge de 15 ans dans un foyer. Je me réveillais à 3 heures du matin et je courais avec des poids fixés sur les jambes. Je n’avais aucune idée de ce que je fabriquais, mais je retournais me coucher à 5 heures comme si je n’avais jamais quitté mon lit. J’ai été sélectionné à ma seconde tentative.»

Nims Purja est particulièrement fier de sa carrière dans les forces armées: il a rejoint les Gurkhas en 2002, puis l’Infantry Training Centre britannique à Catterick (il vit désormais dans le Hampshire), et le SBS (Special Boat Service) en 2009. S’il rechigne à en divulguer les moindres détails («Tout ce que je peux dire, c’est qu’on m’a tiré dessus et que j’ai participé aux opérations les plus sensibles à l’échelle de la planète»), il évoque un point précis avec franchise: «J’avais un petit quelque chose en plus: je pouvais escalader un sommet de 8000 m en deux semaines. Quand j’avais des congés, je vidais mon compte en banque et je partais escalader des montagnes.» En effet, après la fête qui a suivi son ascension de l’Everest, du Lhotse et du Makalu sur cinq jours en 2017, il est directement retourné travailler.

« La frontière entre courage et stupidité – entre vivre le moment présent et se faire tuer – est mince. Je veux vivre le moment présent pendant encore très longtemps. »

« Je voulais montrer au monde ce qu’il est humainement possible de faire quand on se dévoue corps et âme à une cause. »

Purja s’exerce au speed flying sur le mont Blanc. La veille, il partait violemment en vrille. «Si une force est trop puissante, vous ne pouvez que suivre le mouvement.»

« Je suis un passionné, un vrai, et mon enthousiasme fait disparaître la fatigue. À 8 000 m, c’est là que tout prend son sens. »

Gasherbrum II, 18. Juli 2019

«JE PORTE MA FAMILLE AVEC MOI »

Avant d’embarquer pour Project Possible, Nims a réalisé la dernière des quatre phases de son tatouage dans le dos. Il montre les 14 sommets, du plus petit (Shishapangma, 8027 m) à la base de la colonne vertébrale jusqu’au plus haut (Everest, 8848 m) sous le cou. Pas un tatouage ordinaire: il contient le code génétique de ses proches. Exécuté par la tatoueuse londonienne Valerie Vargas, le procédé – breveté en 2016 par l’exNavy SEAL Boyd Renner et son associé Patrick Duffy, et connu sous le nom d’Everence – intègre l’ADN (chez Purja, cet ADN provenait d’un cheveu de ses parents, de ses frères, de sa sœur et de sa femme) dans un polymère médical utilisé pour fabriquer des microcapsules pouvant être mélangées à de l’encre de tatouage. Cette encre a servi à illustrer les drapeaux de prières marquant l’itinéraire sur son dos. «Je voulais emmener ma famille avec moi dans ce voyage spirituel. Mais c’était aussi un moyen de me rappeler que, si j’étais sur le point de franchir la frontière entre courage et stupidité, je devais revenir en vie pour m’occuper de mes proches.»

«J’étais supposé rejoindre une mission des forces spéciales en hélicoptère mais l’appareil n’a pas pu se poser à cause du mauvais temps. Du coup, j’ai couru du camp de base jusqu’au lieu d’arrivée, soit un trek de 18 heures, nuit comprise, pour un parcours estimé à six jours. Et j’ai réalisé que j’avais un truc en plus.»

Ce petit quelque chose, et même les critiques les plus acerbes en conviendront, c’est son incroyable capacité de récupération. Il faut généralement passer plusieurs semaines au camp de base à haute altitude pour s’habituer à la faible pression atmosphérique: le corps doit en effet produire plus d’hémoglobine (protéine qui absorbe l’oxygène) dans les globules rouges pour compenser. Ce n’est qu’après cette longue période d’acclimatation que vous pourriez tenter de gravir un sommet à plus de 8000 m, et il vous faudra ensuite des semaines pour récupérer. Lorsque Nims Purja est retourné sur l’Everest, le Lhotse et le Makalu pour Project Possible en 2019, il a vaincu ces trois sommets en 48 heures et 30 minutes cumulées. «Je récupère vraiment vite, admet-il. C’est un état d’esprit. Je suis un passionné et mon enthousiasme fait disparaître la fatigue. Un sommet à 8000 m? C’est là que tout prend son sens. Mes forces ne m’abandonnent pas: je suis sur mon terrain de jeu.»

Nims Purja n’avait jamais enfilé de crampons avant l’âge de 29 ans. Et ce n’est qu’en 2012 qu’il atteint son premier sommet, le pic oriental du Lobuche à 6119 m, sans aucune expérience préalable de la montagne. Deux ans plus tard, il gravit son premier sommet de plus de 8000 m, le Dhaulagiri (8167 m), et découvre son aptitude naturelle à évoluer

Everest, 2017

Un cliché réalisé alors que Nims Purja équipait les voies vers le sommet lors de l’expédition Gurkha 200. «Un temps exécrable, dit-il. C’est si douloureux qu’on voudrait mourir, mais la mort n’est jamais la solution.»

en altitude. «J’ai escaladé ce sommet en quatorze jours sans aucune phase d’acclimatation et j’ai mené le groupe pendant 70% du parcours», raconte-t-il. Mais Nims Purja n’est pas immunisé contre les effets de la «zone de la mort», située à plus de 8 000 m d’altitude. Il s’en est d’ailleurs rendu compte lors de sa première ascension de l’Everest en 2016.

«J’étais au camp pour y porter tout mon équipement et mon oxygène. Les gens mettent habituellement six semaines pour accomplir cette phase, mais je l’ai terminée en cinq jours, se remémore-t-il. Comme je faisais partie des troupes de montagne du SBS, je savais que je ne pouvais pas aller aussi vite, mais mon corps ne m’envoyait aucun signal d’alarme. Jusqu’à ce que je fasse un œdème pulmonaire. C’était comme si je me noyais. J’avais surtout honte, car j’avais toutes les connaissances requises pour l’éviter. Mais on ne connaît pas vraiment ses limites avant de les avoir franchies.»

Ce comportement peut paraître imprudent. Pourtant Purja ne voit pas les choses de cette manière. «Beaucoup de gens percevront de l’imprudence. Même dans les forces spéciales, j’étais connu pour prendre de sacrés risques. Cependant, la notion de risque est propre à chacun. Ce n’est pas parce que l’on vit dans le moment présent que l’on n’évalue pas les risques. La frontière entre le courage et la stupidité – entre vivre le moment présent et se faire tuer – est mince. Je veux vivre le moment présent pendant encore très longtemps.»

En 2018, Nims Purja a été désigné pour prendre la tête d’une opération en conditions de froid extrême au sein du SBS. «Je devais apprendre de nouvelles techniques d’alpinisme et les enseigner à mes camarades, explique-t-il. Puisque cela faisait partie de mon travail et qu’il me restait beaucoup de congés, j’ai prévenu mon commandement que je souhaitais prendre 18 jours de vacances pour escalader les cinq plus hauts sommets du monde. Cette expérience aurait profité à toute l’unité.» Ravis, ses supérieurs se sont renseignés sur son projet. «Ils m’ont dit que je ne pouvais pas prendre de tels risques. Alors j’ai décidé de démissionner.»

Ce n’était pas une décision prise à la légère. «J’avais ma famille à nourrir. Tous les mois, j’envoyais une partie de mon salaire à mes parents. Mon père était à moitié paralysé et ma mère devait loger dans une chambre à Katmandou pour se rapprocher des hôpitaux. Je devais être fou pour tout abandonner à ce moment-là. Mon frère m’a appelé. Il m’a dit: “Aucun Gurkha n’a jamais servi dans le SBS: tu es le premier. Tu vas bientôt toucher ta pension. Pourquoi veux-tu tout perdre?” Il était furieux. Il ne m’a pas parlé pendant deux mois.»

Pendant ce temps, le plan de Nims Purja, devenu Project Possible, rencontrait de sérieux déboires. «Un ami qui gérait l’aspect financier m’a annoncé que malheureusement, en sept mois, il n’avait pas réussi à réunir les fonds. Il me restait seulement deux mois pour trouver 845000 €. Ce n’était pas simple d’aller mendier auprès de chaque sponsor. J’obtenais 1000 € par-ci, 5500 € par-là, mais ça ne suffisait pas. Personne ne croyait en ma vision. Certains se posaient des questions: si j’étais si bon alpiniste, pourquoi n’avaient-ils jamais entendu parler de moi? Et je leur répondais: parce que j’étais dans les forces spéciales. Un gars m’a même dit que je ne trouvais peutêtre pas de sponsors à cause de ma couleur de peau. Je me le suis pris en pleine

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VERS LE SOMMET

Tout ce dont Nims Purja a besoin pour réussir.

1. Une gourde Thermos d’un litre:

«Je n’emporte pas d’autre bouteille d’eau. Je fais fondre de la neige en versant de l’eau chaude dessus. Avec un litre, je peux obtenir deux litres d’eau, et alléger mon sac.»

2. Piolets en fibre de carbone

Cobra de Black Diamond: «Très légers et techniques. Vitaux au premier de cordée, notamment sur les passages techniques, ils permettent de stopper les chutes.» 3. Casquette: «Contre le soleil.»

4. Lunettes de soleil

(absentes sur la photo)

5. Combinaison de haute montagne ThruDark Summit Suit:

«Conçue par mes amis des forces spéciales: la troisième génération de combinaisons que j’utilise. Elle me permet de supporter des températures allant jusqu’à −40°C.»

6. Bonnet 7. 40 mètres de corde d’alpinisme, légère et waterproof 8. Paire de crampons

9. Sac Duffel: «Pour tout mon équipement d’expédition.» 10. Baudrier léger: «Et tout mon matos d’escalade: deux vis à glace et un système de secours qui comprend un Ropeman [petit dispositif qui permet de grimper à la corde], un système d’assurage [pour contrôler la tension de la corde attachée à un compagnon de cordée situé en dessous], une sangle et un prussik [nœud amovible fixé à la corde principale et qui peut freiner la descente en rappel].»

11. Chaussettes épaisses 12. Trois paires de gants de diffé-

rentes épaisseurs: «Des gants de travail et des gants de montagne.»

13. Première couche 14. Chaussures d’alpinisme

15. Sac à dos: «J’ai conçu le Nims 120 avec Osprey. Il est très léger, petit et compact, mais il peut contenir beaucoup de matériel: tente, oxygène et tout le reste.»

« Si quelqu’un bat mon record, je serai le premier à venir lui serrer la main.»

Nims Purja: «Quelqu’un m’a dit d’attendre un an avant de le faire. Imaginez si j’avais reporté à cette année! Lorsque vous choisissez le plan B dans la vie, vous vous dirigez tout droit vers l’échec.»

face. Et je lui ai répondu qu’il avait peutêtre raison. Mais à la fin, ça n’a plus d’importance. J’ai réhypothéqué ma maison. J’ai récupéré la plus grosse somme possible, soit un peu plus de 65000 €, et j’ai mis de côté 10000 € pour être en mesure de payer l’hypothèque en cas de problème. J’ai commencé le projet avec 5% de la somme nécessaire. Un jour, sur l’autoroute, j’ai fondu en larmes. Je ne pleure jamais d’habitude, mais cette fois-là, je ne pouvais pas m’arrêter. Une seule question me venait à l’esprit: pourquoi m’embarquer dans ce projet?»

«C’était si douloureux que je voulais juste qu’une avalanche m’ensevelisse. Mais il ne s’agissait pas que de moi à ce moment-là. Il y avait une raison plus importante derrière tout ça.»

Lorsque vous vous engagez dans un projet de cette ampleur, explique Purja, vous avez besoin de vous fixer un but. «Si j’avais voulu battre un record de huit ans, je me serais donné un objectif de sept ans. Mais je ne voulais pas être le meilleur. Je voulais montrer au monde entier ce qu’il est humainement possible de faire quand on se dévoue corps et âme à une cause. Et je voulais aussi mettre les alpinistes népalais à l’honneur. Pendant un siècle, nous avons fait partie du décor, mais la haute montagne et les sommets de plus de 8000 mètres, c’est notre territoire. Je devais faire quelque chose. Voilà comment je me booste.»

Nims Purja n’est pas de l’ethnie sherpa, mais il s’identifie au terme utilisé pour décrire les Népalais travaillant dans le milieu de l’alpinisme. Son équipe est intégralement composée d’alpinistes népalais. Ces derniers ne sont pas des guides ou auxiliaires chargés d’aménager les voies. Ils sont ses égaux. «Lorsque les gens planifient une ascension, ils veulent faire appel à un sherpa parce qu’il connaîtra le chemin et pourra le leur montrer. Mais j’ai expliqué à mes équipiers que cette ascension était aussi une opportunité pour eux. Tout le monde aurait son heure de gloire. Eux aussi escaladeraient un nouveau sommet. Pour leurs prochaines missions en tant que guides, ils pourraient ainsi doubler leurs prix.»

Les membres de l’équipe de Nims Purja sont désormais des étoiles montantes de l’alpinisme, à l’instar de Mingma David Sherpa qui, à l’âge de 32 ans, a été le plus jeune alpiniste à vaincre les quatorze sommets de plus de 8000 m. «C’est mon bras droit et l’un des meilleurs sherpas que je connaisse», affirme Nims Purja, surnommé par son équipe «Nimsdai». Dai signifie «grand frère» en népalais. Et c’est ce surnom qui apparaît sur la couverture de son nouveau livre, Beyond Possible: One Soldier, Fourteen Peaks – Life In The Death Zone.

Le 23 avril 2019, l’équipe Project Possible a atteint le premier sommet de plus de 8000 m, l’Annapurna au Népal, souvent considéré comme la montagne la plus dangereuse au monde. Tandis que l’équipe effectuait sa descente, Nims Purja apprend qu’un autre alpiniste, Chin Wui Kin, un médecin malaisien, a été séparé de son équipe à 7500 m. Nims Purja, Mingma David Sherpa et un troisième membre de l’équipe, Gesman Tamang, abandonnent leur mission pour revenir en arrière et lui porter secours. Deux jours plus tard, sur le Kangchenjunga (troisième dans la liste des plus hautes montagnes du monde), Nims Purja et ses comparses ont une nouvelle fois dévié de leur itinéraire pour venir en aide à deux autres personnes. Ces histoires ont fait la Une des journaux, ainsi que le désormais célèbre cliché de Nims Purja montrant des alpinistes en train de faire la queue pour gravir l’Everest. «À mesure que je rayais les montagnes sur ma liste, les gens ont commencé à faire des dons sur GoFundMe.» Mais surtout, les sponsors ont commencé à s’intéresser à Nims Purja. Ils ont fini par croire en lui.

Si le doute a un jour assailli Nims Purja, c’est lors de l’ascension du K2 et ses 8611 mètres. «J’ai regardé une vidéo de l’endroit où les alpinistes avaient abandonné. Et quand le meilleur alpiniste népalais, qui a tout mon respect, m’a dit que c’était impossible, j’en suis venu à me demander si j’en était réellement capable.» Nims a décidé de faire l’ascension du K2 avec deux membres de son équipe. «Je leur ai dit: “Si nous n’y arrivons pas, nous redescendrons. Vous vous reposerez tous les deux et j’y retournerai avec deux autres membres de l’équipe. Et si nous n’y arrivons toujours pas, j’y retournerai avec deux autres encore. Nous ferons six rotations avant d’envisager l’abandon.”»

Mais il a suffi d’une seule tentative. Le 24 juillet 2019, l’équipe de Nims Purja a atteint le K2, une montagne qui, encore aujourd’hui, reste invaincue pendant la saison hivernale.

Lorsque Nims, qui a été fait membre de l’Ordre de l’Empire britannique pour ses exploits en tant qu’alpiniste, passe ses vacances au mont Blanc, ses 4809 m, le point culminant des Alpes, lui apparaissent comme une promenade de santé. Voire un vol de plaisance. En effet, il a passé tout l’été à apprendre le speed flying, une version pimpée du parapente, avec sa voile plus rapide et plus légère qui peut rentrer dans un petit sac à dos, très appréciée par les alpinistes de l’extrême. Et quand Purja s’amuse, c’est à fond. Il aime le hard rock, surtout AC/ DC («J’écoutais toujours Thunderstruck dans l’hélico des forces spéciales»).

Nims reprend tout son sérieux lorsqu’il est question de son objectif. Car une autre raison vient s’ajouter à la liste: la sensibilisation au changement climatique. «Avant, je n’y croyais pas, avouet-il. Mais les faits sont là: quand j’ai escaladé l’Ama Dablam en 2014, il y avait de la neige que l’on pouvait faire fondre et utiliser pour cuisiner au Camp 1. Quand je suis revenu en 2018, nous avons dû apporter des bidons d’eau.»

«Nous faisons tous partie de l’équation. J’ai le moyen de me faire entendre, et mon influence ne fera qu’augmenter. Nous avons vingt ans pour opérer des changements.»

«L’âge n’est qu’une vision de l’esprit, qui vous fait croire que vous vieillissez, et vous vous en servez comme excuse.»

EXTRÊME - MAIS PAS IRRÉFLÉCHI

Ueli Kestenholz suit sa propre voie, tant comme athlète que dans sa vie privée. À l’occasion d’une cascade en Speedride, il nous explique pourquoi, en tant qu’esprit libre, il doit rester ouvert à la nouveauté.

« J’écoute toujours mon instinct, je m’en suis bien sorti jusqu’à présent. »

Comment le définir? Ueli Kestenholz réfléchit un instant. Le terme «sportif de l’extrême» ne lui convient pas. Il préfère l’appellation «athlète de plein air». Bien sûr, le monde entier le connaît comme un pionnier du snowboard suisse qui a remporté des médailles aux Championnats du monde et aux Jeux olympiques. Il est, depuis lors, passé à autre chose. Il dirige aujourd’hui des projets spectaculaires. Il tourne des films et réalise des photos d’action. Outre son snowboard, il aime aussi empaqueter ses skis de freeride, ses speedrides et ses parapentes pour emmener d’autres sportifs à la découverte de son univers. Car Ueli Kestenholz n’est pas du genre à se reposer sur ses lauriers. Au contraire, le Bernois est un homme de défis et veut éviter le plus souvent possible les sentiers battus.

«Suivre sa propre voie»

Cette philosophie est le fil rouge de la vie d’Ueli. Au sommet de sa carrière en snowboard alpin, il a pris sa retraite sportive, parce que

OFFROAD - DANS LA NATURE AU QUOTIDIEN

Ueli Kestenholz avec son Mazda CX-5.

POWDER-LOVE

Ueli Kestenholz, fou de nature, suit sa propre voie.

la direction dans laquelle partait le snowboard ne lui convenait plus. Et pour que les athlètes aient davantage leur mot à dire, il n’a pas hésité à affronter la Fédération. «J’écoute toujours mon intuition, je m’en suis bien sorti jusqu’à présent», explique l’homme de 45 ans. Il est convaincu qu’il faut voir les défis comme des opportunités et oser essayer quelque chose de nouveau. C’est ainsi qu’il a découvert le speedriding, une variante du parapente à skis qui permet d’atteindre des vitesses extrêmement élevées.

Casse-cou mais méticuleux

Ueli nous a invités pour une séance de speedride. Nous l’avons accompagné dans la région du col de la Bernina, près de la frontière italosuisse. Loin des grandes foules, il trouve la paix et les conditions propices à ses cascades. Juste au cas où, le passionné de nature emmène aussi depuis chez lui

des skis de randonnée, un snowboard et un parapente dans son Mazda CX-5. «Après tout, la voiture dispose d’assez d’espace et je veux avoir le matériel nécessaire pour toutes les éventualités», dit-il en riant. Grâce à la transmission intégrale de son Mazda CX-5, il maîtrise aisément les routes enneigées, et le SUV compact peut également montrer ses qualités sur les nombreux cols de montagne sinueux. «Le Mazda CX-5 a fait ses preuves en tant que fidèle compagnon», déclare Ueli. D’autant plus que ce tout-terrain dynamique garantit un plaisir de conduite sportive même pour un aventurier comme lui. Par ailleurs, il marque aussi des points grâce à son design d’une élégance intemporelle. Pour le Thounois, pas de demi-mesure! Même avec sa cascade. Le père de famille prend peut-être des risques en matière de sport, mais ses actions sont préparées jusque dans les moindres détails. Avant tout, les conditions de vent sont cruciales. Il veut voler le plus près possible au-dessus de son Mazda CX-5 et ne doit toucher aucun arbre avec sa voile. «Il y a toujours un certain danger, mais vous pouvez aussi le contrôler», dit-il en souriant. Il planifie méticuleusement ses actions à l’avance, en s’assurant que toutes les pièces du puzzle s’emboîtent. «Il y a toujours un point de nonretour. Mais si je décide de dépasser ce point, c’est que je sais que cela fonctionnera.»

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C’est ce qui rend heureux Noé Roth, 20 ans.

Des racines

En digne rejeton d’un couple de sportifs de classe mondiale, NOÉ ROTH sait une chose : quand on se fait confiance, tout est possible. Le jeune prodige de l’aerials, qui a toujours eu « envie de voler », se prépare pour le grand décollage

aux JO de 2022. Texte HANNES KROPIK Photos GIAN PAUL LOZZA

et des ailes

«Noé possède une incroyable conscience de sa position dans l’air.»

U

n régal pour les amateurs de sauts acrobatiques, une énigme pour les autres: diffcile, en regardant s’élancer les skieurs d’aerials à 15 mètres du sol, de nommer les différentes fgures effectuées pendant les quelques secondes que dure le vol. Car là où la plupart verront simplement un saut, les connaisseurs reconnaîtront par exemple un «full-doublefull-full», c’est-à-dire trois saltos arrière et quatre vrilles, dont une double lors du deuxième salto. Autrement dit: trois rotations du corps en diagonale et quatre rotations à la verticale. Ce qui nous fait sept rotations du corps à 360°, le tout réalisé en trois petites secondes. À une dizaine de mètres du sol. Ça vous donne le tournis? Mieux vaut garder la tête froide, car le plus diffcile reste encore à faire: atterrir!

Noé Roth, lui, ne se lasse pas de ce jeu: «Pour moi, c’est quelque chose de merveilleux. Je vole.»

Ce Zougois d’origine est la nouvelle étoile suisse de l’aerials, également appelé le saut acrobatique: l’hiver dernier, à seulement 19 ans, il a été le premier sauteur suisse à terminer premier chez les hommes en Coupe du monde, depuis Sandro Wirth en 1983. L’année précédente, il avait rafé l’or en équipe et le bronze en individuel, lors des Championnats du monde à Park City (États-Unis).

Un palmarès d’autant plus étonnant que la discipline requiert une certaine dose de routine – mais celui qui fut sacré champion du monde junior en 2018 semble compenser son manque d’expérience par l’excellence de son pedigree: sa mère, Colette Brand, a remporté le classement général en Coupe du monde en 1996, treize premières places en Coupe du monde et une victoire aux JO de 1992, alors que le saut n’était encore qu’une épreuve de démonstration. Son père, Michel «Misch» Roth, fut aussi un sauteur confrmé, deux fois victorieux en Coupe du monde et, depuis 1991, l’entraîneur offciel de l’équipe nationale d’aerials. Inutile de dire qu’il connaît parfaitement le principal atout de son fston: «Noé a l’impression de voler quand il saute. Il arrive parfaitement à s’orienter dans l’espace et sait toujours très exactement à quel angle il se situe. C’est une qualité que possèdent très peu d’athlètes, et c’est pour ça que même les sauts les plus compliqués n’ont jamais l’air diffcile à réaliser, pour lui.»

Ce grand jeune homme de 1,80 m et 66 kilos ne se lasse pas de savourer ce jeu depuis sa plus tendre enfance. «Comme ma mère travaillait le matin, mon père m’emmenait avec lui aux séances d’entraînement.» C’est donc directement à Mettmenstetten, au centre Jumpin, que le jeune Noé découvre le saut et les joies du trampoline. «J’ai su faire des saltos très vite, ce qui m’a permis de développer mes sensations de vol.»

DE L’ÉLAN, MAIS PAS QUE Les bras jouent

un rôle déterminant dans le contrôle aérien.

Un intérêt qui va se poursuivre dans le cadre d’un club, dès l’âge de six ans: «J’ai toujours aimé ça, et c’est encore le cas aujourd’hui. Les compétitions ne me font pas peur, au contraire: j’adore avoir l’occasion de me mesurer aux autres.»

Le succès ne se fait pas attendre, puisque Noé reçoit son premier trophée avant même d’avoir participé à une compétition: «Je devais avoir six ou sept ans, et comme tous les jours en été, j’accompagnais mon père au tremplin d’entraînement. Le premier souvenir que j’ai de ce sport, c’est lorsque j’ai pris le petit tremplin pour la première fois: à côté, il y avait des gens qui faisaient un concours de saut. Ils m’ont vu, et m’ont donné un énorme trophée. J’ai oublié la sensation que j’ai eue ce jour-là lorsque j’ai sauté, mais je me rappelle très bien la joie que j’ai ressentie en recevant ce trophée: encore aujourd’hui, il occupe une place d’honneur dans ma collection.»

Michel Roth, lui, se souvient parfaitement des débuts de son fls: «Nous l’avons certes soutenu dans ce sport, mais jamais forcé. C’est lui qui voulait essayer le saut et imiter ce qu’il voyait chez les adultes. Quand il était enfant, il a appris tout seul à faire de multiples sauts, en décortiquant les mouvements puis en essayant de les copier. Très tôt, il savait faire des trucs anormaux pour les gamins de son âge, comme le double salto au trampoline ou différentes variations de vrilles.»

Évidemment, les risques de blessure étaient omniprésents, mais cela ne semblait pas inquiéter l’ancien athlète qu’il est: «Au contraire, j’étais très fer de lui! Je trouvais ça génial et ça m’a rendu très heureux de le voir aimer ce sport, vu que c’était ma discipline, ma vie. C’est mon univers depuis que j’ai 16 ans et je n’ai jamais rien fait d’autre. Mais il faut dire que je n’ai jamais atteint le niveau qu’il a aujourd’hui.»

S’il admet que cette discipline est particulièrement impressionnante vue de l’extérieur, l’entraîneur national sait aussi évaluer les vrais risques. «Évidemment, tout ça a l’air plutôt extrême, mais nous ne sommes pas des casse-cous: ceux-là ne durent pas très longtemps.

Vers les étoiles

Noé Roth nous explique les principes d’un sport qui va le mener loin.

Aux Championnats du monde de 2019, Noé décroche l’or en équipe et le bronze en individuel.

L’aerials (ou saut acrobatique) est une discipline olympique depuis 1994. Cette même année, c’est le Zougois Andreas Schönbächler qui remportait l’or, suivi en 2006 d’Evelyne Leu pour les Dames. La mère de Noé, elle, a remporté le bronze lors des jeux de 1998.

Le ski freestyle (ou acrobatique) compte cinq disciplines olympiques – bosses, saut, cross, half-pipe et slopestyle. Les sauts autorisés sont clairement définis: ils consistent en des combinaisons de saltos, de tacles et de vrilles, et sont notés selon un barème précis qui évalue l’amplitude, la forme du saut et la réception.

«Dans les compétitions, on a plusieurs tremplins à disposition selon le nombre de saltos prévus, nous explique Noé. Pour le triple salto, tu as besoin d’une vitesse de 65 à 70 km/h, avec un angle au décollage de 71°.»

Contrairement au saut à ski, les athlètes freestyle n’ont pas besoin d’un élan maximal: «L’angle du tremplin suffit à nous faire décoller, comme une catapulte. Avec ça, on peut faire des sauts de 12 à 15 mètres.»

On saute sans bâtons, avec des skis en carbone, à double spatule, de 150 cm de long et d’un poids de 900 grammes.

Quant à l’usage de fart, contrairement au ski alpin, il n’est pas essentiel, «et puisqu’on ne descend qu’en ligne droite, les skis sont beaucoup plus arrondis, ce qui réduit le risque de les croiser par inadvertance».

Les rotations sont exécutées en plein vol, en se dirigeant grâce aux bras. Le regard reste fixé, dans la mesure du possible, sur la zone d’atterrissage. Pour Noé Roth, il y a des sauts «dont on peut réellement profiter», comme le full-full-full (le triple salto avec trois vrilles), «parce qu’on voit pratiquement toujours le sol, à partir du premier salto. Mais dès que tu ajoutes une vrille, voire une troisième, à ton salto, là ça se corse. Parce que tu ne vois pas où tu es, tu dois faire confiance à ton sens de l’orientation».

«C’est une question de timing.»

EN CHUTE LIBRE

Ça a l’air tellement génial. Noé maîtrise tout ce qu’il fait, à tout moment.

Noé n’a rien d’un fonceur imprudent, il a investi énormément de temps et d’énergie pour développer ses capacités. Un triple salto avec trois vrilles, ça ne se réussit pas d’un coup, mais plutôt comme un puzzle, en y ajoutant à chaque fois une petite pièce supplémentaire.»

Pour le moment, Noé vit encore chez ses parents. Son temps libre, il le passe sur le terrain, avec un appareil qui lui permet de s’entraîner au saut à l’élastique durant son temps libre. Lorsqu’il a envie d’une distraction sportive, il surfe dans la piscine à vagues de Lucerne ou saute sur son skateboard dans la miniramp. Ou (mais est-ce besoin de le préciser?) il fait du ski, puisqu’il est aussi très bon skieur. Quand on lui demande s’il a d’autres centres d’intérêt, des sujets qui le passionnent, la réponse se fait un peu attendre, puis fuse, catégorique: «Le sport. Oui, le sport est toute ma vie.»

On comprend alors mieux pourquoi cette passion pour le sport l’a poussé à interrompre, à 17 ans, sa formation commerciale: «Je ne voulais déjà pas la faire, mais en tant que sportif, c’est diffcile de trouver une formation que tu peux faire en plus de l’entraînement. Au bout d’un an, je savais que j’étais incapable de rester toute la journée enfermé devant un ordinateur à bosser sur des statistiques.»

Une courte expérience qui s’est faite chez Similasan AG dans un cadre pourtant très bienveillant: le PDG, Urs Lehmann, fut non seulement champion du monde de descente en 1993, mais est aussi, en tant que président de Swiss Ski, le chef de son père. Lehmann est également marié à Conny Kissling, qui fut une collègue de sa mère entre 1983 et 1992, et a remporté dix fois de suite le classement général de la Coupe du monde de freestyle.

«Nos familles se connaissent bien, ce qui nous a permis de trouver la meilleure solution», raconte Michel Roth, qui n’a pas forcément apprécié la décision de son fls. D’un autre côté, concède-t-il, il a confance en l’avenir: «Jusqu’à présent, tous les athlètes que j’ai entraînés ont eu de bonnes opportunités professionnelles à la fn de leur

DE BONS GÈNES Noé avec son père et entraîneur Michel: ils évoluent en parfaite harmonie l’un avec l’autre.

carrière sportive. Mais nous avons quand même demandé à Noé d’économiser une partie de ses revenus pour pouvoir se payer une formation plus tard.»

Pour le moment, c’est la carrière de son fls qui compte. Et elle promet: Noé n’a-t-il pas été, à 17 ans, le plus jeune athlète suisse à participer à ses premiers JO? C’était en Corée en 2018. Après des débuts un peu timides avec une seizième place, les prévisions sont autrement plus optimistes pour Pékin 2022: s’il rechigne à se voir comme «favori», il est aussi conscient de son potentiel.

Il prépare en effet depuis l’été dernier un saut spécial, au nom évocateur: Hurricane. Ou plus simplement: un fulltriple-full-full. Considéré comme le plus diffcile à réaliser, il consiste en 3 saltos et 5 vrilles, avec une triple vrille lors du deuxième salto. «Il a déjà réussi le saut sur le tremplin aquatique cet été, mais on va attendre la saison olympique pour le tenter en compétition sur la neige», nous dit Michel.

Un déf dont se réjouit son fls: «Une vrille en plus, c’est forcément plus diffcile, l’amplitude doit être parfaite et tu disposes d’encore moins de temps en l’air. Pour réussir ce saut, il faut absolument avoir le bon timing.» Et la certitude, aussi, de savoir voler.

«Noé a appris tout seul à faire de multiples sauts.»

INNOVATEUR DES IDÉES POUR UN AVENIR PRO METTEUR

Mode Chaud dedans

Les habits intelligents débarquent : la collection Heatable Capsule d’AlphaTauri protège du froid.

Fini l’allure bonhomme Michelin: ces vestes sont fines, et chaudes.

Quoi de neuf chez les vêtements dits «intelligents»? À vrai dire, la plupart promettent plus qu’ils ne livrent. Mais des exceptions existent. AlphaTauri en fait partie. Cet hiver, la marque lance sa Heatable Capsule Collection.

Développés en partenariat avec Deutsche Telekom et Schöller Textil, ces vestes et gilets régulent automatiquement la température intérieure souhaitée.

Celle-ci peut être saisie soit via une application smartphone, soit à l’aide de touches intégrées au tissu du vêtement. Ensuite, la veste s’occupe du reste. Un capteur mesure la température ambiante, et un dispositif chauffant ajuste la température dans les poches et le bas du dos.

Cette solution intelligente utilise une doublure conductrice de chaleur et une batterie externe intégrée qui peut, en cas de besoin, charger votre smartphone. De quoi profiter de longues journées de plein air sans subir les affres du temps.

alphatauri.com

La température au doigt et à l’œil: l’application de Telekom maintient la température souhaitée.

DAVID MAYER, LOU BOYD

ALPHA TAURI, FILIPE CONDE, PLAYTRONICA, FEELBELT, AHOYLY

EN BREF

LE SENS DU JEU

Ces créateurs imaginent de nouvelles expériences ludiques et musicales.

LA MUSIQUE DANS LA PEAU Jusque-là, la musique s’écoutait, désormais elle fait vibrer tout votre corps. C’est ce que permet la ceinture high-tech du créateur Benjamin Heese. Convient aux jeux vidéo. feelbelt.com

EN QUÊTE D’ÉCHANGE Vous vous sentez seul, voulez discuter de vos hobbies, de la vie? La plateforme en ligne Ahoyly permet de trouver des personnes partageant vos idées. L’inscription vous prendra 2 minutes. La fondatrice Ania Krol: «Le sujet de discussion le plus récurrent est le voyage.» ahoyly.com

INNOVATOR BY THE RED BULLETIN 02/2020 Der Sinn des Lebens

12 Tipps für einen erfüllten Alltag – von Star-Autor Jay Shetty

Der Reiz des Ungewissen

Ein Aussteiger will die Welt mit einer revolutionären Yacht allein umsegeln.

02/20

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Urs Hölzle, Technikchef

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Lea von Bidder, Gründerin

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Bientôt, un condensé d’inspiration en français pour les futurs décideurs dans le magazine INNOVATOR. redbulletininnovator.com

De touchantes mélodies L’homme qui résonne

Touch me est un appareil qui transforme le corps humain en instrument de musique. Mais l’essentiel est ailleurs.

Sa forme évoque un mini skateboard. Il transforme chaque corps humain en orchestre. Il s’agit d’un contrôleur midi capable de transformer des parties du corps en instruments: le cou en fûte, le bras en piano ou encore le ventre en guitare. Une connexion USB à un ordinateur et la présence d’une autre personne suffsent. En imaginant le Touch Me, le musicien et designer Sasha Pas, n’avait pas que la musique en tête. Le contact physique entre humains et le bien-être qu’il procure lui importaient bien plus: «Nous avons interviewé des psychologues, des thérapeutes et des éducateurs pour mieux cerner le sujet. L’une des choses que nous avons apprises est que nous, les humains, sommes très adaptables, mais nous ne pouvons pas vivre sans contact physique.»

Le potentiel du Touch Me s’apprécie bien plus lorsque deux personnes l’utilisent. Chacune d’entre elles saisit l’une des deux extrémités de l’appareil connecté au préalable à l’ordinateur. Puis, l’une des deux joue des mélodies sur le corps de l’autre (il est permis ici de donner libre cours à son imagination). Touch Me mesure la résistance entre les zones de contact et transmet le résultat à l’ordinateur sous forme de signaux midi.

La musique des corps: Touch Me transforme le corps humain en instrument.

Les sons produits varient en fonction de l’intensité des contacts et peuvent être ensuite retravaillés sur l’ordinateur (via l’appli Garage Band d’Apple, par exemple).

Touch Me ne convient pas uniquement à un usage entre intimes chez soi. Sasha Pas: «Avant l’aire de la distanciation, nous avons connecté jusqu’à cinquante personnes faisant ainsi du Touch Me un instrument social. Dans la période que nous traversons, la chaleur humaine est devenue une préoccupation majeure.»

Les livraisons du Touch Me devraient débuter à la mi-février. Prix: environ 80 CHF.

playtronica.com

L’appareil qui connecte les gens: des sons nés du contact physique.

La couleur de l’espoir

L’artiste du Missouri NICK CAVE, 62 ans, est devenu une star mondiale avec ses costumes flashy qui recouvrent tout le corps, connus sous le nom de Soundsuits. Ses œuvres incitent à la réflexion en jouant avec les préjugés. Et apportent une touche de légèreté à des sujets graves.

Texte FLORIAN OBKIRCHER

Activisme à poils, haut en couleur: danse dans les Soundsuits colorés de l’artiste Nick Cave.

Nick Cave, Noir et homosexuel. Son objectif: que l’âge, la couleur de la peau et le sexe soient sans importance.

«Je montre des images que nous voudrions éviter, mais ne pouvons pas ignorer.»

Nick Cave parvient toujours à susciter la même réaction: au contact de son art, l’adulte que nous sommes redevient l’enfant émerveillé que nous étions. Ses incroyables mondes imaginaires nous laissent yeux écarquillés et bouche bée face à des yétis hurlants ou à des créatures au corps composé de milliers de boutons et avec des bouliers à la place du visage.

«La plupart des gens sont d’abord fascinés par la taille et l’atmosphère positive qui règne», explique Nick Cave.

En plus d’être styliste et sculpteur, l’artiste a une formation en danse et s’inspire des rituels bantous africains, regorgeant de percussions, de danse et de joie de vivre, pour mettre en scène ses œuvres. «Mais soudain, ils y regardent de plus près et se disent que ce n’est pas aussi rose que ça en a l’air!»

Mais, souvent, il est déjà trop tard: pris au piège dans la toile tissée par Nick Cave, le spectateur a du mal à échapper à l’horreur qui se cache derrière la joyeuse exubérance.

L’exposition la plus récente de Nick Cave, Until, qui s’est tenue de septembre à janvier sur 2200 m² au Museum of American Art de Bentonville, dans l’État américain de l’Arkansas, ne fait pas exception.

L’artiste de 62 ans avait suspendu environ 16000 mobiles en aluminium au plafond. Où que vous regardiez, tout n’était qu’étincelles, paillettes et couleurs arc-en-ciel. Un décor d’une beauté surréaliste, presque hypnotique, s’il ne recelait pas des détails moins contemplatifs et très réalistes: des mobiles en forme de revolvers, de balles et de larmes, par exemple. C’est la façon dont Nick Cave dénonce la violence par les armes, les inégalités et la brutalité policière.

Apporter une touche de légèreté à des sujets lourds, combiner le beau et le laid, tel est le fil rouge qui lie toutes les œuvres de l’artiste. Nick Cave appelle cette stratégie conceal and reveal (trad. masquer et révéler) et déclare: «Je crée des mondes fantastiques positifs et les chamboule au moyen d’éléments auxquels nous, et surtout moi en tant qu’homme noir vivant aux États-Unis, devons faire face au quotidien. Je montre des images que nous voudrions éviter, mais que nous ne pouvons pas ignorer.»

Cette critique subtile de la société a permis à l’artiste, qui a grandi dans le Missouri avec sept frères et une mère célibataire dans des conditions financières difficiles, de devenir l’une des figures les plus respectées dans le monde de l’art contemporain.

À première vue, les œuvres de Nick Cave semblent légères, ce qui lui permet de toucher le grand public. Elles sont exposées dans les plus grands musées et galeries du monde. Ses sculptures se

Grand Central Terminal, New York: chaque cheval prend vie grâce à la coopération de deux individus. Réflexion: comment évoluons-nous en équipe dans le monde?

«N’oublions pas qu’il y a aussi un monde dehors.»

Pour accomplir sa mission, Nick Cave abandonne de plus en plus son atelier et les galeries, c’est-à-dire les espaces artistiques traditionnels.

vendent à partir de 150000 dollars. Le couple de musiciens Jay-Z et Beyoncé fait partie de ses collectionneurs avérés, et le galeriste de l’artiste, Jack Shainman, affirme: «Quand des gens demandent un autographe à mes artistes, on atteint d’autres sphères.»

Mais la carrière de Nick Cave a réellement commencé en 1992, sur le banc d’un parc de sa ville d’adoption, Chicago. Les policiers qui avaient presque battu à mort l’AfroAméricain Rodney King lors d’un contrôle routier venaient d’être acquittés. La décision a déclenché un tollé d’indignation à travers les États-Unis et Nick Cave, assis dans le parc, s’est alors demandé: «Comment puis-je exister dans un monde qui me considère comme une menace?»

Bouleversé par ce sentiment de dislocation, il a porté son attention sur les brindilles éparses qui jonchaient le sol autour de lui. Il a alors pensé qu’elles étaient, certes, séparées de l’arbre, mais faisaient pourtant partie de l’ensemble. Chacune avait sa propre forme. Nick Cave les a ramassées et ramenées chez lui, sans savoir ce qu’il allait en faire.

En fin de compte, il a créé son tout premier Soundsuit, un costume qui deviendra sa marque de fabrique. Au fil des ans, il a créé plus de 500 de ces costumes fantaisistes, dont font partie les yétis mentionnés plus haut et les êtres recouverts de boutons. Certains modèles mesurent jusqu’à trois mètres de haut. Nick Cave appelle ses œuvres Soundsuits parce qu’elles produisent également des sons, en fonction des matériaux qui les composent. Elles bruissent, grincent, claquent.

Et le plus important: «Dès le moment où vous portez un Soundsuit, vous êtes protégé de votre environnement.» La couleur de la peau, le sexe, l’âge, le statut social sont alors sans importance, précise Nick Cave pour expliquer l’idée qui se cache derrière les costumes. Il les fabrique à partir d’objets trouvés dans les marchés aux puces, à base de raphia, de fils ou même de cheveux humains.

Pour lui, les Soundsuits sont une déclaration de lutte contre la discrimination. Les spectateurs peuvent aller au contact des personnes qui portent les

«Il est essentiel de rester curieux. Pour moi, cela consiste à rêver.»

costumes sans préjugés. Tous les stéréotypes sont ainsi cassés. Et les personnes costumées peuvent également se déplacer librement et sans entrave.

Même si le travail de Nick Cave met en évidence des fissures dans la société, son but est de les réparer et de rassembler les gens. En 2013, il a fait galoper trente figures ressemblant à des chevaux grandeur nature dans la gare de Manhattan (New York), la Grand Central Station. «Le cheval est créé par deux individus, explique Nick Cave, qui ont dû coopérer pour lui donner vie. C’est aussi la réflexion derrière l’opération: la façon dont nous évoluons en équipe dans le monde.»

En 2018, Nick Cave a proposé une performance dans un ancien bâtiment militaire de New York, où les visiteurs étaient invités à danser. «Comment libérer toute son angoisse et sa frustration de manière non verbale? Telle était la question centrale, déclare l’artiste. À cette fin, j’ai transformé ce bâtiment en salle de danse.»

L’année suivante, il a organisé la première Joy Parade de Boston, une procession avec 75 artistes locaux dont l’objectif était de réunir les différentes communautés de la ville.

Pour accomplir sa mission, Nick Cave abandonne de plus en plus les espaces artistiques traditionnels. «L’atelier, c’est une chose. Mais n’oublions pas qu’il y a aussi un monde dehors.»

Nick Cave est un optimiste qui croit au bien, au changement et au pouvoir du dialogue. Mais comme pour beaucoup de gens, son optimisme a été mis à rude épreuve l’année dernière. Lorsque la pandémie a éclaté au printemps, il a créé Cultural Stimulus, une série de vidéos mettant en scène des smileys surdimensionnés. Il n’a pas été aussi facile de rendre le sourire aux gens après la mort de George Floyd, tué par la police. Rapidement, Nick Cave et son partenaire Bob Faust, également artiste, ont lancé le projet Amends (qui signifie réconciliation), où voisins, amis et responsables locaux étaient invités à décorer les vitrines de la galerie de Nick Cave à Chicago avec leurs «lettres au monde». Dans ces messages, les participants pouvaient parler ouvertement du racisme et de leur rôle dans ce contexte.

Selon Nick Cave, seuls l’honnêteté et le dialogue peuvent réunifier une nation divisée. «Je m’efforce de toujours penser de manière stratégique. Mon public et moi-même venons de milieux différents et nous avons des idées politiques différentes, explique-t-il. Mais nous collaborons car, dans le cadre de mes projets, nous sommes tous partenaires.»

Actuellement, Nick Cave travaille sur une série de statues de bronze, A·mal·gam, parfois appelées Soundsuits 2.0. L’une des sculptures représente un personnage assis: le haut de son corps, ses bras et ses jambes sont couverts de fleurs. Au lieu de sa tête, un arbre pousse, ses branches sont ornées d’oiseaux en céramique.

A·mal·gam constitue la réponse de Nick Cave au débat actuel: que faire des socles vides des monuments sur lesquels trônaient les icônes de l’esclavage avant d’être renversées par les manifestants du mouvement Black Lives Matter? Comment transformer ces anciens rappels de haine et de douleur en symboles d’espoir?

«J’ai alors eu l’idée d’un arbre de vie, raconte Nick Cave. Les arbres sont des pôles de migration où des nuées d’oiseaux se rassemblent et construisent leur nid.» Pour l’artiste, les sculptures en bronze sont une progression naturelle de son travail. «L’essentiel se passe dans la tête. Je souhaite que le spectateur des statues se questionne sur ce qu’il ressent et sur la manière dont il pourrait se mouvoir avec elles. Il est essentiel de rester curieux. Pour moi, cela consiste à rêver et à imaginer un futur radieux.»

Le pays a besoin de nouveaux monuments: cet arbre de vie est mi-plante mi-homme, avec des oiseaux en céramique sur les branches.

«Dès le moment où vous portez un Soundsuit, vous êtes protégé de votre environnement.»

Ce costume est fait de milliers de boutons en plastique, et un boulier trouvé dans un marché aux puces sert de protection pour le visage.

Fragments d’opportunité

À Moorea, des jardiniers de la mer veillent à restaurer les récifs coralliens agonisants. Et vous pouvez les aider, sans bouger de chez vous. Grâce à l’adoption.

Texte CHRISTINE VITEL Photos RYAN BORNE

Les morceaux de coraux abîmés sont récoltés puis transportés ici, sur la table de la «nurserie», où ils retrouvent une seconde chance.

L’équipe de Coral Gardeners. Au centre, bras en l’air, son fondateur, Titouan Bernicot. Le meilleur des mondes selon eux? Moins de pollution, moins d’émissions de CO2, des récifs coralliens restaurés, et plus de personnes luttant pour la préservation marine.

Prendre action pour la bonne cause, s’engager, montrer l’exemple en matière d’environnement, c’est bien. Le faire habilement, c’est mieux. Comme le souligne cette Instagrameuse en commentaire d’une photo postée par Guillaume Néry en août dernier, où on le voit sous l’eau, tenir un morceau de corail: «J’ai entendu dire qu’il ne faut pas toucher au corail. Alors je l’ai googlé. Le simple fait de toucher les coraux pour voir ce qu’ils ressentent peut causer la mort d’une colonie entière.» Le plongeur français, champion du monde d’apnée (il peut tenir 7 minutes et 42 secondes sous l’eau sans respirer) a saisi l’occasion pour introduire la raison d’être des Coral Gardeners, dont il est l’ambassadeur, une organisation créée par de jeunes Polynésiens œuvrant pour la préservation des coraux à Moorea: «Merci Google God. Nous faisons de la restauration de coraux. Donc […] nous devons toucher la base du corail pour le planter. Nous pourrions aussi ne rien faire et laisser ce corail mourir, en suivant les conseils de Google…» Les Coral Gardeners de développer: «Nous ne recommandons pas de toucher à la vie marine sans raison. Cela étant dit, la manipulation des fragments de corail est une partie importante de notre processus de restauration, c’est pourquoi notre équipe est formée pour manipuler les fragments avec précaution (en portant des gants, sans écran solaire, en les tenant par leur base, etc.)»

Voilà ce sur quoi les Coral Gardeners insistent subtilement auprès de leurs quelque 500000 followers Instagram. Leur message est limpide, facile à appliquer: «Adoptez un corail. Donnez-lui

Toute personne passionnée par la mer, surfeur, plongeur ou nageur, a une part de respect et se sent investie d’une responsabilité envers l’océan, à l’instar de l’apnéiste Guillaume Néry.

«Adoptez un corail. Donnez-lui un nom. Nous nous occupons du reste.»

Moorea, la petite sœur de Tahiti, est un lieu paradisiaque qui s’abîme progressivement. Plus de 40% du corail est mort ou blanchi, victime de la pollution marine et du réchauffement de l’eau.

Rien qu’en Polynésie française, il existe 194 espèces de coraux différentes. On répertorie plus de mille espèces distinctes dans tous les fonds marins. C’est pourquoi les Coral Gardeners projettent de déployer plusieurs antennes de restauration de corail sur la planète.

un nom. Nous nous occupons du reste.» Comme l’explique Taiano Teiho, 22 ans, membre de l’équipe de sensibilisation et de restauration corallienne aux côtés de Titouan Bernicot, fondateur de l’organisation: «Dans le lagon de Moorea, la majorité des patates de corail sont mortes principalement à cause de la chaleur, du réchauffement de l’eau, des personnes qui viennent nager ou faire du snorkeling, qui s’assoient dessus, s’agrippent, ou les abîment avec leurs palmes ou leurs paddles…»

Un constat édifiant et tragique qui a poussé Guillaume Néry à se rapprocher des Coral Gardeners et à soutenir leur action en matière de préservation des océans. «Aujourd’hui, ma compagne (Julie Gautier, apnéiste et réalisatrice, ndlr) et moi essayons d’élever notre fille dans cette harmonie avec la nature, et c’est pour cela que nous passons une moitié de l’année en Polynésie française, en plein cœur du Pacifique, immergés dans une culture proche de l’océan. Nous essayons de transmettre auprès du grand public, avec nos films et nos photos, ce que représente le monde sous-marin pour nous, un univers de magie, de liberté.»

C’est pour cela que les Coral Gardeners se démènent pour sensibiliser et restaurer les récifs coralliens: l’homme doit trouver une manière de vivre en symbiose avec la nature, de coexister avec elle, comme le font le polype et la microalgue. Ce signe d’humilité lui permettra de préserver le poumon de l’océan dont il a besoin pour vivre.

«Un corail, c’est un animal, un polype. Il vit en symbiose avec une microalgue, poursuit Taiano. Le polype lui fournit un abri, et en échange, la microalgue va apporter plus de 90% des nutriments dont le polype a besoin pour construire le squelette calcaire du corail. L’un ne peut pas vivre sans l’autre. Avec la hausse de la température de l’eau, la microalgue va créer des toxines et le polype va finir par l’éjecter. C’est ainsi que le corail blanchit, car il ne reste donc plus que le squelette calcaire. Et un corail mort.» C’est la raison pour laquelle il faut agir maintenant. Car «le pire des scénarios catastrophes, ce serait de perdre toute vie marine, des

« Le pire des scénarios catastrophes, ce serait de perdre toute vie marine. »

De nombreuses légendes tahitiennes se rapportent à la mer, à la nature. Il y aurait même une histoire qui dit que les coraux sont à l’origine de la création… Sur ces cordes, les coraux poussent en silence, en vue de repeupler le récif corallien.

plus petits poissons aux plus gros mammifères marins, car nous perdrions les apports nutritifs provenant de la mer; nous perdrions aussi plus de la moitié de l’oxygène que nous repirons, s’alarme Taiano. La coexistence, pour moi, c’est cohabiter avec l’océan et les créatures marines, en faisant preuve de respect et d’humilité». Ce respect, chaque Polynésien l’a face au mana, le pouvoir suprême, la connexion qui relie un homme à la nature. Inviter tous ceux qui se sentent concernés à adopter un corail, c’est transmettre une partie de la vision tahitienne au reste du monde, c’est déléguer aux experts et à ceux qui connaissent le mana la responsabilité de restaurer les coraux de manière appropriée et durable.

Quand les Coral Gardeners partent en mission de restauration, ils commencent par collecter les fragments de coraux éparpillés dans l’eau. Ces morceaux de vie fragiles, qu’ils s’apprêtent à replanter, ils les appellent des «fragments d’opportunité». Cassés principalement par la houle ou l’activité humaine, ils sont transportés à la «nurserie», la pépinière, constituée de tables ou de cordes, où les fragments vont recevoir une seconde chance: ils vont se régénérer, se stabiliser et grandir dans les meilleures conditions possibles, plusieurs mois, le temps qu’ils se ré-acclimatent à leur nouvel environnement, en vue d’un bouturage.

Ensuite, ces fragments sont replantés sur des récifs endommagés ou totalement morts, les fameuses «patates de corail», à quelques minutes en bateau de la côte, car ils représentent une bonne structure. Le corail est calé dans une petite crevasse. Quelques points de ciment marin sont apposés tout autour de lui afin de le renforcer. «On aime bien dire que c’est une

Pour que le corail adhère bien, il est stabilisé avec du béton marin dans la poche à douille. Les plongeurs travaillent en apnée.

seconde chance pour le corail endommagé, dit Taiano, et que cela apporte une nouvelle vie à cette patate morte.»

«On peut voir à la fois les dégâts causés par l’homme, mais aussi que la vie peut revenir. Tout cela, à quelques centaines de mètres d’écart», entend-on Guillaume Néry dire à Hugo Clément

« C’est une seconde chance pour le corail endommagé. »

dans un documentaire dédié à l’état des océans sur France TV. L’action des Coral Gardeners n’est donc pas vaine. Mais elle a besoin d’un écho à l’échelle de la planète. Marie-Céline Piednoir, Directrice du département Communication et Sensibilisation précise: «Notre projet dépend en grande partie des dons. Nous laissons la chance aux gens du monde entier de pouvoir adopter un corail pour nous soutenir financièrement. Cela coûte 25€ (3000 francs pacifiques) et en échange, les gens reçoivent un certificat d’adoption avec la photo du corail, les coordonnées GPS de la table de nurserie, et le nom qu’ils auront donné au corail.» Taiano a baptisé le sien Temae, du nom de là où il vit, sur Moorea. L’organisation comptabilise près de 15000 plantations de corail. «Au début, on ne pensait pas que ça prendrait cette ampleur, conclut-il. Aujourd’hui, on voit que le projet a le potentiel de créer un mouvement mondial de sensibilisation autour du récif corallien. Et que si on s’y met tout de suite, d’ici 2050, on n’aura peutêtre plus besoin de s’occuper ni du récif corallien, ni de la vie marine…» Puisqu’il suffira de coexister avec eux.

SOYEZ BON

La Californienne ANNE MUNITION, star du streaming, est digne de son pseudonyme : elle ne laisse aucune chance au harcèlement en ligne et s’impose avec sa gentillesse.

Texte CHRISTINE FENNESSEY Photos JOSH CAMPBELL

E

nfant, elle avait déjà besoin d’énormément d’attention. Elle rêvait d’être une rock star, et était la plus jeune, et aussi la plus bruyante, de trois enfants. À treize ans, elle avait franchi toutes les étapes pour recevoir des acclamations lors d’événements open mic.

De l’attention et des applaudissements, Anne Munition en récolte beaucoup aujourd’hui: la Californienne est l’une des streameuses les plus célèbres de la plateforme de jeux vidéo Twitch (son nom est un pseudo musclé pour protéger son identité).

En 2014, lassée de son job de graphiste, elle découvre Twitch et y voit le potentiel pour faire avancer sa carrière de gameuse. En juin de la même année, Anne Munition lance son premier stream. Depuis la mi-2015, elle streame à plein temps. Elle compte aujourd’hui plus de 600 000 followers et a signé un partenariat avec Red Bull Gaming. Mais plus encore: elle utilise sa popularité pour encourager les internautes à se comporter plus aimablement sur le net. the red bulletin: Vous avez un tatouage du soleil, de la lune et des étoiles qui sont censés représenter votre fratrie. Lequel de ces symboles incarnez-vous?

anne munition: Moi, je suis l’étoile – car j’aborde la vie comme une rock star.

Ces tatouages, c’était votre idée?

Non, une idée de ma mère. Au lieu de nos prénoms, elle a toujours dessiné un soleil, une lune et des étoiles sur les paquets cadeaux de Noël. Elle nous disait que nous étions l’univers.

Votre mère vous a aussi offert une console Nintendo à l’âge de sept ans. Qu’est-ce qui vous a fasciné dans les jeux vidéo?

J’aime bien faire des puzzles. Je crois que ce qui m’a vraiment crochée, c’est que quand on joue à un jeu vidéo, il y a toujours un problème à résoudre.

Vous aviez onze ans quand vous avez été confrontée pour la première fois au harcèlement sur internet. Cela ne vous a pas fait peur?

Quand tu joues en ligne, il faut savoir gérer des personnes pas forcément sympas. J’étais têtue, et depuis que je suis

Anne Munition, 30 ans, a plus de 600 000 fans qui la suivent quand elle streame. Pourquoi? «Je peux être très divertissante.»

gamine, j’ai un côté je-sais-tout. Quand les gens écrivaient des trucs pour m’empêcher de jouer, je voyais ça comme un déf. Un peu comme: «Tu ne veux pas que je fasse ça? Alors je le ferai d’autant plus.»

Quand vous avez commencé sur Twitch, qu’y avait-il de si palpitant à regarder les autres jouer?

Il faut s’imaginer ceci: il y a là quelqu’un en ligne qui es super doué(e) dans un truc que tu adores faire. Tu peux pratiquer ton hobby avec il ou elle, lui poser des questions, et il ou elle répond en temps réel. Avant, je travaillais à plein temps, alors je n’avais pas le temps de jouer moi-même. Et pourtant, j’adore ces jeux. J’ai donc regardé les autres jouer et j’ai tout ressenti comme si j’étais aux commandes.

Qu’est-ce qui vous a motivé à démarrer votre propre stream?

On ne commence pas là-dedans en se disant: «Je vais avoir plein de succès en stream.» Moi je me suis dit: «Tiens, ça a l’air intéressant, j’ai envie d’essayer.» Il s’est avéré que ceux qui me regardaient me trouvaient rigolote. J’en suis fère. Je crois que je peux être très divertissante.

Et c’est ainsi que vous vous êtes créé un cercle au sein duquel vous êtes réputée pour votre gentillesse?

Cela fait six ans que je streame. J’ai toujours été dévouée à mon ambition de créer une communauté dans laquelle les gens se sentent bien. Imagine, tu vas au travail tous les jours, mais tu détestes tes collègues, ou ils sont méchants avec toi. Perso, ça ne m’intéresse pas. On dit de ma communauté Twitch qu’elle est sympa, et c’est de cela dont je suis fère.

Vous relevez le fait que les femmes doivent encore et toujours se battre pour ne pas être marginalisées en ligne, et que ce problème est sous-estimé.

Les gens cherchent ce qui te différencie des autres pour ensuite bien te piétiner. Je suis sûre que les sportives et sportifs

« Je ne tolère personne d’irrespectueux envers moi ou n’importe qui d’autre. »

pros et autres célébrités connaissent le même genre de situation, sauf qu’eux ne sont pas tous les jours en contact avec leurs fans. Nous, les streameurs, on essaie de construire une relation avec le public via nos chaînes et dans les chats, c’est sûrement pour cela que nous sommes plus vulnérables. Cela a eu un impact très négatif sur ma psyché. C’est diffcile de continuer à voir le côté positif du boulot quand tu es constamment confrontée à ses aspects négatifs. Plein de gens me disent: «C’est facile de faire

S’ENRICHIR À L’EXCÈS ?

«Ceux qui pensent que streamer, c’est faire de l’argent facile, ne voient pas toute la haine à laquelle on est exposé», dit Anne Munition.

de l’argent en jouant aux jeux vidéo.» Ils ne voient pas toute la haine à laquelle il faut faire face.

Par quoi cela s’est-il traduit pour vous psychiquement?

Je suis devenue complètement parano quant à ma vie privée. Et puis, on fnit par croire que notre propre valeur dépend des chiffres. Au fnal, c’est le nombre de tes abonnés qui va défnir ton salaire, car le nombre de visiteurs positionne uniquement le site sur le ranking. Ces chiffres ne font que monter et descendre, ça peut finguer le moral. On a toujours peur que ça ne cesse pas de chuter et qu’il faille se trouver un nouveau boulot. Et en plus de ça, on devient parano par rapport aux autres streameurs. Il y en a qui viennent te chercher des poux, parce qu’ils savent que tu as du public. Certains ont réussi à s’infltrer dans mon cercle par le biais de très bons amis à moi. Ça me fait douter, je ne sais plus à qui me fer. Je n’arrive plus à différencier qui veut réellement devenir mon ami(e), et qui ne fait que lorgner sur ma chaîne.

Que faites-vous pour garantir que votre stream est un endroit où règne la bienveillance?

Je crois que beaucoup de streameurs ont peur d’être sévères avec leurs fans, ils craignent de les faire fuir ou même de les bannir de leur chaîne. En ce qui me concerne, je n’ai pas de scrupules à virer quelqu’un qui dépasse les limites, car je ne veux tolérer personne qui soit irrespectueux envers moi ou n’importe qui d’autre. Même si cette personne me suit depuis longtemps, si elle commence à dire des choses désobligeantes, elle sort, c’est tout.

Pouvez-vous nous raconter à quoi ressemble votre stress en tant que streameuse?

Au début, je streamais pendant huit à dix heures non stop. Je ne peux plus faire ça. Maintenant, je fais deux sessions de quatre heures chacune, avec une pause de deux heures entre les deux. Ce n’est pas bon de rester assis trop longtemps d’afflée. Pendant ma pause, je sors promener mon chien par exemple. Ce n’est pas une décision facile à prendre, car interrompre son stream, ça veut dire perdre des spectateurs. Même quand tu fais une pause technique, tu perds des gens. C’est comme donner un concert, tu ne vas pas t’arrêter en plein milieu: «Désolée, faut que j’aille aux WC…» Si tu veux rester sous les feux de la rampe, il faut pouvoir le supporter.

Que faites-vous en matière de diététique et de ftness pour pouvoir être une meilleure streameuse?

Avant, j’avais un coach personnel, j’étais sûrement plus en forme que je ne l’avais jamais été. Depuis, je me suis acheté un rameur, que je continue d’utiliser, mais plus aussi souvent que je le devrais. Une bonne alimentation est un sujet délicat pour les streameurs. Quand tu fais dix heures de stream, le plus simple, c’est de commander à manger par téléphone. Mais ce n’est pas très équilibré. Je fais en sorte de mieux manger. J’aimerais essayer de me préparer des menus que je puisse réchauffer au micro-ondes. En gros, manger vite, mais bien.

À quel moment avez-vous décidé de ne pas utiliser votre vrai nom?

J’avais déjà choisi ce pseudo avant même de savoir ce qu’était le streaming. Sur ma Xbox, Anne Munition c’était mon avatar.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de ce pseudo?

Le roller derby (un sport américain presque exclusivement pratiqué par des femmes et qui se joue sur des patins à roulettes, ndlr). Dans ce sport, les nanas se trouvent des noms géniaux. J’ai cherché quelque chose de semblable à leur style, et comme je suis une grande fan de jeu de tir à la première personne, ça a collé. Et puis ça marche comme un nom et un prénom. On me demande souvent «Ton vrai nom, c’est Munition?» et je réponds: «Bien sûr!» La vérité, la voilà: mon vrai nom est très singulier. Et il est donc très facile de trouver plein d’infos sur moi. Donne trois pièces de puzzle à quelqu’un, il te fnira le puzzle tout seul.

« Il est difficile de cerner intuitivement si quelqu’un a de bonnes intentions. »

Pourquoi est-il si important pour vous de préserver votre identité civile?

Je crois que les personnes publiques en ligne, mais aussi les utilisateurs d’internet, devraient plus et mieux s’informer sur la protection des données et l’ingénierie sociale (la fraude en ligne pour obtenir des données sensibles, ndlr), bref en matière de sécurité de l’information. Les fraudeurs peuvent trouver ton adresse, ton numéro de téléphone, l’adresse de ta famille et de tes amis. Tu ne sais jamais si quelqu’un qui a l’air parfaitement normal l’est en fait vraiment. C’est en rencontrant les gens personnellement qu’on peut repérer des indices, ça vaut surtout quand on est une jeune femme. En contact virtuel, ce n’est pas possible. Il est diffcile de cerner intuitivement si quelqu’un a de bonnes intentions. Il m’arrive d’avoir mauvaise conscience parfois parce que je m’en prends à des gens qui sont peut-être seulement curieux lorsqu’ils demandent: «Tu as grandi où?» et moi: «Pourquoi? Pourquoi tu veux savoir ça?» Ça c’est mon côté parano.

CIBLE EN VUE

«Je suis une je-saistout depuis que je suis gamine.» De là lui vient sa persévérance. Pourtant vous avez partagé votre statut relationnel avec votre communauté. Comment jugez-vous ce qui peut être partagé et ce qui doit rester secret?

Cela dépend de la personne qui parle. Et si je pense qu’elle peut vouloir utiliser cette information de manière mal intentionnée. J’ai un warning qui s’enclenche dans la tête à chaque fois que j’ai l’impression que quelqu’un me pose des questions sur des détails insignifants qui ne servent pas ma chaîne.

Avez-vous parfois du mal à faire la transition entre vos deux identités?

Oui. Parfois j’en oublie comment je m’appelle vraiment. Une fois, j’ai même écrit un mail à ma mère en signant Anne Munition tellement j’ai l’habitude de le faire dans mes autres mails.

Comment allez-vous en ces temps de distanciation sociale?

Ma santé mentale en a pris un sacré coup. L’annulation, avec raison, des salons auxquels je participe normalement et le confnement m’ont profondément affectée. Ce qui rend le streaming en partie si diffcile à gérer psychiquement, c’est qu’on passe son temps à côtoyer une minorité de personnes un peu barges qui se sentent plus fortes dans l’anonymat du net. Les salons et autres événements IRL, c’est l’exact opposé de cela. C’est là que je fais la connaissance de gens super enthousiastes à l’idée de me rencontrer en chair et en os. Ces gens-là sont franchement sympas. Ça booste énormément ma confance en moi, ça change de tous les petits coups bas que je dois encaisser tous les jours. D’un autre côté, j’ai passé beaucoup de temps avec des gens qui m’ont chaleureusement remercié d’avoir streamé en continu pendant la quarantaine. C’était un peu leur bulle de décompression dans un océan de mauvaises nouvelles.

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