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En roues libres
LES ROUES DE LA LIBERTÉ
Devenue championne du monde de longboard dancing freestyle en 2020, MARINA CORREIA, 23 ans, originaire du Cap-Vert, veut sensibiliser ses contemporains et faire rayonner ce sport qui lui a permis de s’émanciper et de trouver son équilibre.
Glisse de Nice: Marina a obtenu son titre mondial grâce à une participation vidéo en ligne.

A
rrivée en France quand elle avait 14 ans, Marina se souvient avoir été «un peu perdue à cause du changement culturel et de la langue» car le français qu’elle apprenait dans son pays natal était simpliste, à l’instar d’un «merci et au revoir». Émotive face à ses souvenirs, elle raconte qu’elle a eu la chance que sa mère l’incite à s’exprimer en français. Mais ce qu’elle a retenu avant tout, c’était les nouveaux visages qu’elle croisait tous les jours. «Les gens ne sont pas pareils en France», tout comme l’ambiance tropicale du Cap-Vert versus celle de la ville de Nice. Marina est frappée par ce contraste, perdue, et surtout choquée par la cigarette à la bouche de tant de jeunes: «Ça m’a fait peur dans le sens où je me suis dit que les gens étaient super libres ici, même si je les trouvais très jeunes pour fumer.» C’est cette liberté qu’elle recherchait. Pas la cigarette.
Consciente de son léger accent, elle craignait même de s’exprimer à l’école par peur d’être moquée et préférait se mettre en retrait lorsque ses enseignants posaient des questions. Une expérience ancrée dans sa mémoire, comme si c’était hier. Elle se souvient d’un épisode où, attaquée par un camarade de classe, elle s’est mise à écrire à propos «de [s]es sentiments, du monde, pour prouver aux autres et à elle-même que même une étrangère pouvait réussir».
Son envie d’intégration l’a conduite à s’inscrire dans un club de football, mais le coach lui dit que ce n’est pas pour elle, car il faut comprendre les instructions. Ça sera ensuite au tour du taekwondo, avant de tomber sur celui qu’elle ne quittera plus jamais, son longboard. Elle se confe: «Je me disais, c’est super long, ce n’est pas comme un skate, ça sert à quoi exactement? On m’a répondu que c’était juste pour rouler. Ça ne me semblait pas normal, tu ne fais pas que rouler avec un truc pareil. J’étais intriguée, alors un jour j’ai essayé. J’ai demandé à ma mère et mon beau-père de m’en acheter un, mais pour eux, c’était synonyme de danger… Ce n’était pas pour les flles, même s’ils ont fni par dire oui.»
Pas très flle? Plutôt drôle lorsqu’on se remémore les rideuses blondes de Californie, en poum poum short, surfant sous le soleil de Los Angeles au milieu des années 70. Marina, c’est tout sauf ça! Son style est genderless, abrupt, rapide et élégant. Avec son ego bien placé et sa ferté affrmée, elle le défnit comme «unique» pour la simple et bonne raison que lorsqu’elle skate, elle pense à son «propre plaisir». Elle ajoute: «Je ne cherche pas à avoir l’approbation d’autrui, ni à impressionner les gens. Je skate pour moi. Mon style est sauvage, je cherche le risque. Ça m’est égal d’avoir des bleus, un doigt cassé, une cheville déboîtée… tant que je prends du plaisir. Pour moi, il se trouve dans le challenge! Je prends beaucoup de vitesse aussi, car quand je vais vite, j’ai confance en moi.» A contrario, tout devient fou. Et ses pas s’enchaînent à l’image des périodes diffciles de sa vie, pour les surpasser et continuer sa route.

Transmettre
Selon Marina, dans la culture cap-verdienne, les modèles de femmes dans le skateboard, quelle que soit la discipline, n’étaient pas très présents lorsqu’elle était adolescente: «Je n’avais jamais connu ça, encore moins avec des flles. Je n’ai jamais eu de modèle à admirer.» Depuis, grâce à elle en partie, cela a évolué.
Jeune femme blagueuse au caractère singulier, à qui nombre de personnes peuvent s’identifer, Marina Correia veut être un exemple. Elle aimerait déconstruire l’image des femmes dans le longboard et apporter son soutien autour d’elle. D’ailleurs, elle pense déjà y parvenir: «Et si je peux pousser ça encore plus loin pour les générations à venir, pour les personnes qui ont besoin d’une inspiration ou simplement d’une épaule, je le serai, c’est du bonheur»!
Pour Marina, les flles sont sousreprésentées dans le longboard, et elles se cachent: «Elles sont timides, elles n’osent pas skater.» C’est la raison pour laquelle elle a lancé une initiative de type girl skate out, dans le but de leur redonner confance afn qu’elles se sentent moins regardées et sexualisées par les hommes. «Beaucoup d’entre elles ont du mal à se lancer et à s’affrmer, et aussi, elles redoutent d’être jugées. C’est très personnel.» Comment sortir de ce schéma? On se souvient de la web-série documentaire Urbaines, sortie en 2018. L’épisode 4 détaille le sexisme et les
«Noire, championne, lesbienne, forte et fragile.»


«Tu touches à ma planche, t’es dead!»
discriminations dont sont victimes les femmes skateuses. Réponse: probablement en étant compréhensive, patiente et pédagogue auprès des plus jeunes, car derrière son caractère intrépide se cache une grande sensibilité.
Depuis quelques années, Marina donne des cours de longboard dancing. Elle évoque notamment Louise, une petite flle de 8 ans pleine d’ambition, qui a de grandes chances de devenir meilleure qu’elle d’ici quelques années. Si on ne change pas les mentalités du jour au lendemain, pour la Niçoise, on peut faire en sorte que les choses évoluent peu à peu. Un principe qu’elle applique avec bienveillance: «J’ai un groupe d’élèves qui va de 8 à 38 ans, en passant par 20 ans. Les rapports sont différents mais s’il y a la confance, tout roule, c’est fascinant. J’essaie au maximum d’aller vers eux pour leur donner de l’assurance, leur montrer qu’ils ne sont pas tout seuls et qu’avec un peu d’aide, ils en sont capables. Après, si la personne est très timide ou qu’elle n’a pas envie, je ne vais pas la forcer. Mais souvent, ça se fait naturellement et c’est comme ça que la communauté prend forme. Je trouve qu’on n’est pas dans le jugement, on ne peut pas se moquer de quelqu’un qui démarre, car on a tous été à sa place. Un skateur qui se moque d’un débutant, ça n’existe pas. Et puis, on apprend tous les jours, même les meilleurs. On apprend ensemble.»
Défendre son bonheur
Nombreuses sont les associations qui l’ont contactée via les réseaux sociaux en espérant collaborer avec elle. Sauf que défendre une cause, il faut pouvoir s’y adonner. C’est une conviction qui vient avant tout du cœur, il s’agit d’une démarche personnelle et engageante. Alors même si Marina avait pour idée, au printemps 2021, de mettre en place
Arrivée en France timidement, Marina a libéré toute sa personnalité grâce au longboard.
une initiative pour aider les migrants, à Menton, là où elle a fait son DUT, avec la pression des collectifs et des médias, le moment ne semblait plus opportun. Comme elle aime le rappeler, elle n’est pas une militante, juste une femme qui fait du longboard. En aucun cas elle ne veut se sentir obligée de s’engager dans des actions sociales pour embellir son image ou devenir une mascotte.
Si son envie de développer des partenariats avec des collectifs qui travaillent avec des réfugiés et des enfants hospitalisés reste belle et bien présente, tout est une question de timing, ainsi qu’elle l’a démontré lors de sa collaboration avec la MJC Agora, de Nice. Une expérience qui, à ses yeux, reposait sur le conseil, le partage d’expérience et l’apport d’un soutien émotionnel à ceux qui en ont le plus besoin. En ses termes, «partage, amour et solidarité». À cela s’ajoute la notion de priorité, car la première chose qu’elle souhaite faire, c’est «aller au CapVert et leur dire: découvrez ce sport». En effet, dans ce pays qui compte dix îles, «seulement deux peut-être connaissent les sports comme le kite surf, le skate et le longboard». Son premier objectif est donc de «sensibiliser les Cap-Verdiens au longboard» et de leur apporter «quelque chose de différent, de stimulant et de novateur.» Un sport qui apporte réconfort et équilibre, sur la planche comme dans la vie.
Entre problématiques féministes et discriminations, la championne du monde de longboard a du pain sur la planche: «Je n’avais pas confance en moi à mon arrivée ici, je sentais un regard différent posé sur ma personne à l’égard de mes cheveux avant d’avoir mes locks, car ils étaient bouclés (une afro, ndlr). Je me prenais aussi des remarques du style “dans le noir on ne te voit plus; mets-toi derrière avec tes cheveux on ne me voit plus”…» Que de compliments! Mais grâce au longboard et à internet, la jeune femme s’est réapproprié ces commentaires désobligeants et s’est construit son identité. Aujourd’hui, elle refuse tous types d’insultes à l’égard de quiconque. Première sur la ligne de front, Marina n’a plus peur, ou du moins, elle ne le montre pas. Elle affrme son «Moi»: «Noire, championne, lesbienne, forte et fragile», avec une touche rastafari.
Sa planche est «une échappatoire», qu’elle aille mal ou bien. Elle me dit d’un air passionné: «C’est la première chose qui me donne le sourire, qui me fait plaisir. Je me sens libre, j’ai juste envie d’apprendre à en faire encore et encore, de rouler avec mes potes et d’avoir des moments de partage. Je sais que je suis bonne dans ce que je fais car je ne cesse d’apprendre et c’est ça qui est cool»! Être douée, on le lui a même reproché une fois, lors d’une Dock Session (rassemblement de longboarders créé par le Parisien Lotf Lamaali, fgure de proue de la discipline). Une fois encore, cela lui passe au-dessus car «le problème de beaucoup de gens, c’est qu’ils ne se concentrent pas sur leur énergie propre, mais vont sans cesse regarder à droite et gauche s’il y a un élément à abattre. Sauf qu’ils s’oublient dans le processus, et à partir de là, ils ne peuvent plus rien faire.»
Elle et sa planche
Le longboard est donc, pour Marina, une manière d’explorer son corps au maximum, des moments d’introspection qui procurent une sensation de liberté, et de l’adrénaline. Extension sensorielle du corps et de l’esprit. Elle m’explique: «J’ai toujours vu ma planche comme un être humain, ça peut paraître dingue dit comme ça, mais j’y tiens énormément.» La championne visualise son longboard comme une partie intime de son corps, pour laquelle elle a dû se défendre à plusieurs reprises.
Non loin d’avoir un tempérament agressif, elle identife ces actions comme une violation et un non-respect de sa personne: «J’ai failli me battre avec des gens parce qu’ils venaient et poussaient ma planche, se mettaient dessus. Pour beaucoup de gens, c’est juste un objet, un accessoire sur lequel ils peuvent aller. Mais c’est ma planche, elle est à moi, je ne veux pas qu’ils montent dessus sans ma permission. Ce n’est pas qu’un objet, car elle fait partie de moi. C’est comme si tu touchais une partie de mon corps, comme si tu rentrais dans mon intimité. Tu touches à ma planche, t’es dead!»
Elle raconte qu’un soir, à Garibaldi (une grande place du centre de Nice), alors qu’elle buvait un jus de fruit, un jeune homme est venu mettre son pied sur sa planche, puis a tenté de la toucher. Naturellement, je lui demande si elle a déjà fait face à ce type de comportement dans le milieu du skate. Elle me répond: «Je n’ai jamais vécu ça, mais je me suis déjà sentie observée et sexualisée. C’est pour cela que je ne mets pas mon corps en valeur, que je me cache, parce que dès que je suis en short, les mecs s’arrêtent pour mater.» Elle poursuit: «Ce qui est étrange aussi, c’est la manière dont les mecs me parlent lorsqu’ils savent que j’aime les flles. Ils vont s’adresser à moi comme si j’étais leur pote, ils ne vont pas me traiter comme si j’étais une flle avec laquelle il pourrait y avoir un truc.» Le sexisme n’est pas propre au milieu du skate, cependant, on le retrouve également dans cette culture, c’est pourquoi Marina s’efforce de son mieux à éduquer «les gars» de son entourage, et ceux qui croiseraient son chemin. Sur une planche ou non. Instagram : @marinacorreiarr
Regardez les prouesses acrobatiques de Marina Correia dans notre vidéo exclusive.