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5. Pour une réforme en profondeur du casier judiciaire

Coller une étiquette de délinquant à un individu n’aboutit qu’à le stigmatiser, ce qui n’est positif ni pour lui, ni pour la société, au vu du risque accru de récidive : « Quel est le sens en effet de menacer par le rappel incessant de l’intervention judiciaire, un projet social qui a parfois été patiemment élaboré au sein de la justice elle-même avec l’aide de certains de ses auxiliaires et dont la poursuite rencontre également certains de ses objectifs ? »25

Au regard de ce qui précède, le moins que l’on puisse dire est qu’il y a du travail pour rendre le casier judiciaire belge non seulement plus juste mais aussi plus efficace. A ce jour, il n’existe malheureusement aucune étude chiffrant le coût économique du casier judiciaire. Mais personne n’oserait sérieusement contester le fait qu’il favorise la récidive.

Partant, une réforme semble indispensable, d’autant plus que, comme on l’a vu, il est parfaitement possible de développer un système qui parvient à mieux réconcilier l’indispensable protection de la société avec une meilleure réinsertion des personnes condamnées.

Une série d’améliorations ponctuelles au système actuel peuvent être proposées. La plupart d’entre elles n’entraînent aucun coût et pourraient être rapidement mises en œuvre, dans l’attente d’une réflexion globale sur la transposition, en Belgique d’un système de casier judiciaire inspiré de celui des Pays-Bas.

L’effacement automatique de l’extrait de casier judiciaire après un certain délai

Aux Pays-Bas, ce délai est en principe de cinq ans. Au-delà, on estime que la valeur prédictive d’une condamnation n’est plus suffisamment pertinente. Un tel système pourrait être mis en place chez nous, au-delà de ce qui existe déjà pour seules les peines de police26, quitte à permettre au juge de modaliser le délai ou prévoir des exceptions là où c’est nécessaire, notamment lorsque le modèle 2 est exigé (voir supra, point 2).

La possibilité pour le juge de décider une dispense d’inscription dans l’extrait de casier judiciaire

Ce qui est proposé, ici, c’est de donner la possibilité au juge, au cas par cas et après avoir entendu les parties, de prévoir que la condamnation ne figure pas dans l’extrait de casier judiciaire, pour ne pas compromettre les chances de réinsertion de la personne. La condamnation figurera, en revanche, dans le casier judiciaire en tant que tel.

Améliorer la procédure de réhabilitation

Dans l’état actuel des choses, la procédure de réhabilitation prend beaucoup trop de temps et passe largement à côté des objectifs que la loi lui assigne. Pire : elle envoie souvent un signal très négatif à des personnes qui tentent de se réinsérer, alors qu’il faudrait au contraire les encourager.

A minima, il faudrait que l’examen des demandes de réhabilitation ait lieu dans des délais plus raisonnables, ce qui est avant tout une question de priorité de politique criminelle mais aussi, bien entendu, de moyens.

Une option, plus ambitieuse, serait d’inscrire la réhabilitation dans un processus de « désistance », comme le propose Fergus McNeill : l’idée serait de rendre la réhabilitation publique, si le demandeur y consent, de manière à l’aider à surmonter le stigmate social induit par la condamnation27

Enfin, il faudrait prévoir la mention obligatoire, dans le jugement de condamnation, de la possibilité de demander la réhabilitation après un certain délai. Cette procédure est en effet largement méconnue.

25 M-A DEVRESSE, o.c., p. 443.

26 Voir supra, point 2.

27 F. McNEIL, 2012, “Four forms of ‘offender’ rehabilitation: towards an interdisciplinary perspective”, Legal and Criminological Psychology, 17(1), 2012, pp. 1836: “Such engagement requires ‘psychological rehabilitation’ (which is principally concerned with promoting positive individual-level change in the offender) to articulate its relationships with at least three other forms of rehabilitation. The first of these concerns the practical expression of Beccaria’s concern with -

L’ouverture d’une réflexion sur l’inclusion des antécédents judiciaires parmi les critères énumérés dans les législations anti-discrimination

Un tiers, comme un employeur, n’a en principe pas le droit d’exiger la production de l’extrait de casier judiciaire, sauf bien entendu dans les hypothèses où la loi elle-même imposer un casier judiciaire (fonctionnaires, militaires, agents de gardiennage, ainsi que certains emplois exercés en présence de mineurs). Il n’en demeure pas moins que, comme on l’a vu, de nombreux employeurs le demandent quand même.

Pour assurer l’effectivité de cet interdit, une piste de réflexion consisterait à inclure les antécédents judiciaires parmi les critères qui figurent dans la législation anti-discrimination. Ceci n’empêchera pas de tenir compte pour certaines fonctions, comme aujourd’hui, des antécédents judiciaires mais une décision de refus basée sur ces éléments devra reposer sur une justification objective et raisonnable.

Une politique uniforme et cohérente de consultation et d’évaluation des extraits du casier judiciaire lors du recrutement

Toute norme ou toute pratique administrative interdisant, de manière générale, l’accès aux emplois publics, parapublics ou à certains emplois privés aux personnes qui n’ont pas un casier judiciaire vierge, devrait être reconnue comme discriminatoire. Seule la nature de l’infraction recensée devrait permettre des refus de candidature, en mesurant s’il existe une justification objective et raisonnable à ce refus28

Plus généralement, il faut que les pouvoirs publics montrent l’exemple en n’excluant pas systématiquement, comme c’est trop souvent le cas, de leurs propres recrutements les personnes avec un casier judiciaire.

L’ouverture d’une réflexion sur l’introduction, en Belgique, du modèle néerlandais de casier judiciaire

Au-delà de ces mesures ponctuelles, dont les effets positifs cumulés ne doivent toutefois pas être sous-estimés, il est souhaitable d’ouvrir une réflexion sur la mise en place, à l’instar des Pays-Bas, d’un système permettant à l’Etat, via une commission administrative indépendante, d’assumer en lieu et place de l’employeur la lourde responsabilité de l’évaluation du passé pénal du candidat à un emploi.

Conclusion

Si l’on veut lutter efficacement contre la récidive et mettre inscrire réellement la réinsertion au cœur de notre politique pénale, il est urgent de trouver un meilleur équilibre entre mémoire et oubli. Prenons garde sinon que le casier judiciaire ne redevienne, comme sous l’Ancien Régime, cette marque indélébile qui prolonge, sans fin, les effets de la peine29 the requalification of citizens; this is the problem of ‘legal or judicial rehabilitation’, when, how and to what extent a criminal record and the stigma that it represents can ever be set aside, sealed or surpassed. Maruna’s (2011b) has recently argued cogently that efforts to sponsor rehabilitation and reform must address the collateral consequences of conviction – mostly notably its stigmatising and exclusionary effects - or be doomed to fail. No amount of supporting offenders to change themselves can be sufficient to the tasks and challenges of rehabilitation and desistance, if legal and practical barriers to reintegration are left in place.”

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29

Le casier judiciaire : entre mémoire et oubli, quel équilibre aujourd’hui ? », in J. PIERET et V. DEGREEF, Le casier judiciaire. Approches critiques et perspectives comparées, Bruxelles, Larcier, 2011, p. 275.

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