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4. Une alternative progressiste ?

Homo oeconomicus versus Homo cooperans ?

Les pratiques actuelles de financement participatif – notamment celle du don avec ou sans contrepartie – laissent penser à l’émergence d’un modèle économique alternatif, mettant en avant les motivations d’altruisme et de réciprocité chez les investisseurs plutôt que la recherche de la rentabilité à tout prix.

A cet égard, la diversité des pratiques de financement participatif confirme certaines critiques émises depuis le 19e siècle concernant la pensée économique dominante. A l’instar de l’économie sociale35, certaines pratiques de financement participatif mettent en lumière l’envie de solidarité chez leurs participants.36

Les pratiques de dons avec ou sans contrepartie en financement participatif confirment également les travaux de Karl Polanyi37 et de Marcel Mauss38 qui insistent sur l’importance de la réciprocité pour le premier, du don dans les échanges intersubjectifs pour le second. L’importance de l’altruisme et de la réciprocité dans les relations économiques a d’ailleurs été confirmée dans de nombreux articles scientifiques en économie expérimentale39.

Enfin, les pratiques de financement participatif mettent en évidence l’épaisseur de l’être humain, et donne à voir un Homo cooperans 2.0 plutôt que la seule recherche de l’intérêt personnel.

Quel cadre progressiste pour le financement participatif ?

L’analyse des différentes pratiques de financement participatif invite à la mise en place d’une stratégie progressiste pour améliorer le cadre juridique belge et répondre aux besoins de financement des porteurs de projets. Celleci pourrait être centrée autour de quatre objectifs :

35 Il en va de même pour le socialisme associatif.

36 Ph. CHANIAL et J.-L. LAVILLE, “Associationnisme”, p. 46 in J.-L. LAVILLE, A. D. CATTANI (dir.), Dictionnaire de l’autre économie, Paris, Desclée de Brouwer, 2006.

37 K. POLANYI, La Grande transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, trad. C. MALAMOUD et M. ANGENO, Paris, Gallimard, Paris, 1983.

38 M. MAUSS, Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques, Paris, Presses Universitaires de France, réédition 1950.

39 Par exemple, Hennig-Schmidt, H., Sadrieh, A., Rockenbach B., 2010. In search of workers’ real effort reciprocity –a field and a laboratory experiment. Journal of the European Economic Association 8 (4), 817-837

1. Garantir la souplesse du financement participatif tout en renforçant la protection des internautes

Les contraintes de prospectus pourraient être assouplies pour autant que les garanties visant à protéger les internautes des risques qu’ils encourent soient augmentées. Pour améliorer la protection des petits investisseurs en matière d’informations, le statut français d’intermédiaire en financement participatif, qui implique notamment l’adhésion à un code de conduite et un rôle d’information très précis, pourrait être transposé en Belgique. Il en va de même pour le statut de conseiller en investissement participatif et des obligations d’information et de transparence qui y sont liées.

Afin d’assouplir les contraintes de prospectus de manière proportionnée, le principe développé par les Etats-Unis d’une limite aux investissements proportionnée aux revenus annuels d’un internaute est intéressant.

Enfin, la demande du Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles de labelliser les opérateurs actifs en matière de financement participatif en vue de fixer des objectifs clairs en matière de formation, d’information, d’accompagnement, de gouvernance et d’expertise juridique mériterait d’être rapidement suivie. La mise en place de ce label pourrait être complétée par celui d’investissements socialement responsables dans des entreprises qui :

- respectent des critères positifs (impacts éthique, social et environnemental) ;

- respectent le droit humanitaire, les droits sociaux, civils, etc., contenus dans les traités internationaux ratifiés par la Belgique ;

- respectent les règles de gouvernance d’entreprise (structure de gouvernance claire, conseil d’administration effectif et efficace, transparence…).

2. Encourager fiscalement la pratique du don et rendre la fiscalité liée au financement participatif plus progressive

Il faut permettre aux internautes qui veulent soutenir la création d’entreprises à travers des dons avec ou sans contrepartie sur des plateformes de financement participatif de bénéficier également de la réduction d’impôt de 30% prévue par le mécanisme de Tax shelter pour entreprises débutantes.

Enfin, les dispositifs d’incitants fiscaux en la matière doivent être rendus progressifs et éviter d’encourager l’ingénierie fiscale.

3. Favoriser l’essor du financement participatif au sein de l’économie sociale et coopérative

Comme l’a proposé l’organisation Financité, qui milite pour un système financier plus responsable et solidaire, il serait utile de renforcer les formations relatives à l’appel public à l’épargne et au financement participatif à l’attention des acteurs de l’économie sociale, en particulier les ASBL, les coopératives et les sociétés à finalité sociale (SFS) dont les projets pourraient profiter pleinement de la mobilisation citoyenne.

Des actions ciblées à l’attention des plateformes de financement participatif pourraient être initiées par les pouvoirs publics pour mieux faire connaître les dispositifs d’aide existants et accroître les effets de levier au bénéfice des porteurs de projets. Il s’agit par exemple de prendre appui sur le dispositif wallon « Brasero » qui soutient financièrement les coopératives selon le principe d’un euro d’intervention publique pour chaque euro de capital apporté par coopérateur.

4. Assurer la transparence des pouvoirs publics en matière de financement participatif

A l’instar de certaines initiatives prises en France en matière de mécénat et de parrainage par des entreprises40, il serait positif que les pouvoirs publics qui souhaitent organiser une opération de financement participatif adoptent une charte éthique qui précise le cadre des projets visés, assure la transparence des contreparties octroyées et fixe des restrictions quant aux entreprises partenaires et aux donateurs. Une telle charte permet par exemple d’éviter la participation à une opération de financement participatif par une entreprise qui aurait récemment soumis une offre à un marché public.

5. Conclusion

Les pratiques variées du crowdfunding et l’analyse de cadres légaux hétérogènes peuvent nourrir une alternative progressiste en matière de financement de projets par la foule.

Dans une perspective progressiste, les évolutions technologiques doivent être soutenues et accompagnées afin qu’elles se développent dans le sens de l’intérêt général.

40 En ce sens, voy. la charte éthique du Musée du Louvre à Paris, http://www.louvre.fr/sites/default/files/medias/ medias_fichiers/fichiers/pdf/louvre-charte-ethique-du-musee-du-louvre-en-matiere-de-mecenat-parrainageet-autres-relations-avec-les-entr.pdf (juin 2016).

Ce cadre progressiste donne toute sa place à l’homo cooperans dans notre société numérique, pour progressivement rompre avec la dynamique capitaliste actuelle dominée par la compétition entre individus.

Dans un contexte de raréfaction du crédit bancaire, le cadre proposé vise aussi à développer les sources de financement alternatif pour tous les porteurs de projets (PME, ASBL, coopératives et sociétés à finalité sociale) tout en renforçant la protection des petits investisseurs.

Ce nouveau cadre légal pourrait s’inspirer des solutions portées à l’étranger, en particulier par la France et les Etats-Unis, et poursuivre quatre objectifs :

1. Garantir la souplesse du financement participatif tout en renforçant la protection des internautes ;

2. Encourager fiscalement la pratique du don et rendre la fiscalité liée au financement participatif plus progressive ;

3. Favoriser l’essor du financement participatif au sein de l’économie sociale et coopérative ;

4. Assurer la transparence des pouvoirs publics en matière de financement participatif.

En ce sens, le financement participatif est un levier potentiellement utile pour soutenir l’économie réelle et la création d’emplois en Belgique en mobilisant l’épargne des citoyens. « Les nouvelles technologies ne seront porteuses de progrès pour tous que si les mandataires politiques font le choix d’inscrire ces avancées technologiques dans un modèle social fort »41. A l’inverse des projets visant à précariser les travailleurs belges pour répondre aux « besoins » des détenteurs de capitaux de la nouvelle économie, un financement participatif bien encadré permettrait précisément de favoriser une économie numérique et collaborative au service du bien-être du plus grand nombre de citoyens.

41 E. DI RUPO, «Deux modèles de l’économie de plateforme. Dumping social vs. Protection sociale », Le Vif l’express, 13 mai 2016, http://www.levif.be/actualite/belgique/deux-modeles-de-l-economie-de-plateforme-dumping-social-vs-protection-sociale/article-opinion-500477.html, (juin 2016)

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