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La peste à Saint Geniez (1721/22)suite

C’est le 15 septembre 1721 que le consulat de Saint-Geniez délibère pour la première fois sur le sujet5. Il est rappelé que le deux septembre, suivant les ordres de l’intendant de Haute-Guyenne, une garde a été établie dans la ville. Il est délibéré de louer des maisons pour y faire du feu (l’hiver approchant) ainsi que des chandelles à l’intention de la garde. Il est octroyé cinq livres au premier consul pour faire imprimer « des passeports qu’il faut nécessairement donner à plusieurs personnes pour certifier comme dans cette ville, par la grâce de Dieu, il n’y a aucun soupçon de maladie contagieuse ». En outre, il est décidé d’aller en procession générale à la chapelle de Jouéry où sera dite une messe à l’autel de Saint Roch et d’acheter deux livres de cierge blanc et que l’on sonnerait la grande cloche. Le 28 octobre suivant, des commissaires de quartier sont nommés parmi les bourgeois de la ville afin de veiller à ce que la garde se fasse régulièrement. Ils sont aussi chargés d’approvisionner en bois de chauffage, les maisons où sont établis les gardes, les paysans possédant des bœufs ou vaches de trait devant porter le bois, en échange, ils furent dispensés de la garde. Les maisons louées, au nombre de sept, étaient réparties dans les différents quartiers de la ville.

La peste menace Saint-Geniez (2)

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Au printemps, l’épidémie touche la Canourgue avec violence. A Saint-Geniez, l’inquiétude monte. L’on constate le mauvais état des murailles. Le 18 mai, « la ville se trouvant sans murs et sans portes », l’on rétablit la surveillance et l’on crée un bureau de santé aux Augustins. Le 2 juin, constatant que, malgré les ordres de l’intendant, les barrières n’ont pas été érigées « à cause de la grande dépense et de l’éloignement de Marseille », mais « La Canourgue n’étant pas si éloignée », il est décidé d’établir des barrières sur tous les chemins menant à la ville (deux à la Tieulière et au Lac, une à la Rivière, au Ravieu et à la Poujade. Quelques jours plus tard, deux ordonnances de l’intendant sont af- fichées. Elles font « défense de doner passage ny retraites dans leurs jardins ny maisons à aucuns étrangers soit pour leurs personnes, effets ou marchandises… sous peine d’estre chassés eux et leurs familles de la ville ou bourg », ordonnent d’expulser tous les mendiants, vagabonds et gens sans aveu de la ville, d’établir des barrières et une garde bourgeoise, d’interdire la circulation hors nécessité et de fermer les portes de la ville la nuit… Le 17 août, l’on apprend que Marvejols est à son tour touchée par l’épidémie. L’on décide « de faire les provisions nécessaires en cas nous fussions attaqués de ce mal ». Mille setiers de blé dont trois cent de froment et sept cent de seigle seront prélevés auprès des cent « principaux et plus aisés » habitants qui seront vendus exclusivement aux habitants de la ville. Ce jour-là, il est aussi décidé de faire un état des étrangers vagabonds et malfaiteurs qui seront chassés.

L’économie locale et la pandémie

L’interdiction des communications entre les deux provinces avait toutefois interrompu la transhumance et le commerce sur le plateau. Le 14 mars 1722, les religieux d’Aubrac délibéraient de réduire les prix de ferme dûs par les fermiers des montagnes, les troupeaux venus du Rouergue et du Quercy n’ayant pu accéder à leurs habituels lieux d’estive à cause de la contagion6. Les fermiers de Bonnecombe et Cantecouyoul se plaignent « que les bergers du Causse… n’ont peu faire venir dépaistre à leurs troupeaux et parce que le buron placé sur le grand chemin de lad. montagne de Bonnecombe ou les autres aboutissoint, à cause du vin qu’on y vendoit, a demeuré impraticable par la contagion ». L’afferme du domaine des Cats porte que, au cas où le fermier ne pourrait « aller faire paccager et coucher les bestiaux dud. domaine du costé de la ligne haute qu’on a plantée aux app(artenan)ces des Cats pour faire la séparation du pr(ésen)t pais de Rouergue d’avec le pais de Gévaudan pour empêcher la communication à cause du mal contagieux qu’est aud. pais de Gévaudan… il sera indemnisé sauf s’il ne manquait que deux cents pas pour approcher la ligne haute7 ».

A l’automne, « la contagion du Gévaudan ayant entièrement suspendu, le négoce et fabrique des cadis de cette ville composée presque en entier de tisserands », l’on décide d’envoyer le premier consul, Guillaume Raynal, auprès de l’intendant (à Montauban) pour lui demander « une modération considérable de la capitation et une diminution des tailles sur le don du roi à cause de la mauvaise récolte de ce mandement et de dépenses extraordinaires auxquelles cette ville se trouve sujette depuis plus de six mois ».

La reddition des comptes pour l’année 1721 nous permet de mesurer l’impact financier de l’épidémie. Louage des maisons, construction des barrières, fourniture de chandelles, mais aussi de plomb et de poudre, envoi d’express pour le marquis de Bonas et location de l’écurie du sieur de La Ferrière pour les besoins du marquis. Il a fallu aussi louer la grange de Solanet pour servir de grenier à blé, réparer les casernes et aménager une maison pour les cavaliers, aménagée sommairement de table, bancs, lits de camp et ratelier pour les armes. L’on apprend grâce aux comptes que certains ont été positionnés près des limites du Gévaudan, à Bonance, La Fage et Les Gandalgues. Il faut les loger et les nourrir, ainsi que les officiers, maréchal des Logis installé dans la boutique de Pierre Jalfre.

Recueillie par l’abbé Bousquet, premier historien de la ville, une tradition locale rapporte que chapelle Saint-Antoine, au quartier de La Poujade, fut érigée par Antoine Serre, fabricant de la ville, à la suite d’un vœu qu’il fit, alors qu’emporté par les eaux du Lot lors d’une crue, il voyait sa dernière heure arrivée. Sauvé par un soldat à cheval qui se jeta dans le courant et réussit à lui faire atteindre la rive, il fit ériger la chapelle, au-dessus de l’endroit où il faillit perdre la vie. Bousquet situe cette histoire à la fin du mois de juin 1721. Cependant, la fondation de cette chapelle est attestée par un acte du 2 décembre 1688, Pierre Serre recevant de l’évêque de Rodez permission « de bastir un oratoire ou chapelle à la Croix de fer8, au faubourg de la Poujade9 ». Il n’est cependant pas invraisemblable que le sauvetage d’Antoine Serre s’appuie sur un fait authentique, la chapelle ayant été, après sa fondation, dotée d’une chapelle annexe.

Dernière trace de l’inquiétude répandue sur la ville, le 3 février 1722, Jean Parate, architecte, présente un devis de réparation des murailles « construites avec de méchants moelons de rivière à chaux et à sable, lesd. murailles n’ayant pas été crépies ni réparées, même plusieurs endroits ont croulé jusqu’au fondement et qu’il serait d’une nécessité indispensable de les réparer… à cause du mal contagieux du Gévaudan, étant obligé d’y mettre un grand nombre de gardes jour et nuit pour empêcher qu’on n’entre… ce qui fatigue extraordinairement les ha(bitan)ts ».

Grace à ces mesures énergiques, la peste ne se répandit pas en Rouergue. Début janvier 1723, une ordonnance licenciait les gardes. Le 3 mars 1723, sur ordre du roi, l’intendant de Montauban, ordonne aux consuls de faire chanter le Te Deum dans toutes les églises, de faire des feux de joie et des illuminations et de tirer au canon en cessation de la maladie contagieuse.

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