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Moi Jaja Animal crossing

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Nouvelle vie

Nouvelle vie

Pas simple pour le pingouin rose que je suis de porter ma petite conationalité ukrainienne, en ce moment. Je n’en ai pas parlé avec Mama, toujours aux abonnés absents. Je crois qu’elle m’a définitivement oublié. Je lui ai envoyé des photos de ma pièce de théâtre – je crois – mais sans réponse. Ou peut-être n’y ai-je en fait même plus songé, avec les événements. Parce que depuis le 24 février, avec Tato, le temps s’est comme qui dirait arrêté. Infos en boucle, fils Telegram, appels Whatsapp. Mes tontons, les amis de Tato, ma promise – celle dont je vous parlais il y a trois mois – sont toujours en vie. J’espère qu’à la fin de ces lignes, ils le seront encore.

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Des nouvelles, on en a tous les jours. On s’inquiète, ils ne « veulent » pas. On les implore de fuir, ils ne « peuvent » pas. Pas encore, du moins, pas tant qu’un missile n’aura pas frappé leur maison et qu’ils n’auront plus d’autre choix que de... Ma promise fait tout pour me rassurer : on parle fleurs, promenades au parc, je lui envoie des photos de moi. Je la fais rire, je crois qu’elle aime ça. Un jour, elle m’a dit que j’étais le pingouin le plus exceptionnel au monde, ou quelque chose dans le genre. Sous mes plumes roses, j’ai rougi.

VOYOU ET L’AUTRE EN «A»

Tonton Sasha, c’est son diminutif, lui, parcourt le pays. Partout où ça craint, en fait. Il s’est même retrouvé planté avec sa voiture au milieu de nulle part, entre Zaporijjia et Kyiv, à une heure ou deux de la tombée de la nuit et du couvre-feu. Autant vous dire que tant lui que Tato ou moi, on a bien flippé ce jour-là. C’était au début de la guerre : les bombes arrosaient tout le pays, à commencer par la région de Kyiv dont il n’était plus très loin. Au moins à vol de missile... Des policiers se sont arrêtés, sont repartis chercher une corde pour tirer sa voiture pendant qu’une milice passait, qui le rassurait moins. Finalement, les policiers sont revenus, l’ont remorqué jusqu’au garage le plus proche. Les miliciens – copains avec les policiers – lui ont trouvé un hôtel – ou ce qu’il en restait – le temps des réparations, finalement impossibles à réaliser, faute de pièces disponibles. Tonton a trouvé un chauffeur qui l’a conduit deux jours plus tard à Kyiv. Aux dernières nouvelles, Sasha était du côté de Severodonetsk, dans le Donbass, l’un des spots les plus chauds du moment. Mon autre Tonton, Olivier, lui, s’est finalement barré avec ses chats sous le bras, Voyou et l’autre en « a », dont je ne me souviens jamais du nom. Tetiana, la mère d’une amie de Tato, a réussi à échapper avec son plus jeune fils à l’enfer de Kharkiv, après cinq jours passés dans le métro pour se protéger d’une pluie quotidienne de bombes. Aujourd’hui, elle vit à Strasbourg. Depuis le 24 février, le rose reste ma couleur, mais mon cœur est jaune et bleu.

LICORNES, TEDDY BEARS ET BATRACIENS

Parfois, je me dis que, plutôt que de leur envoyer des armes, on devrait faire comme dans cette vidéo postée au début de la guerre, où l’on remplacerait les missiles russes par des formes de licornes, des canards gonflables, des Teddy Bears.

Je devrais en parler à notre nouveau président qui n’est autre que l’ancien. Moi, Jaja... à l’Élysée. Ça aurait de la gueule. Ou, alors, leur envoyer nos hommes-araignées strasbourgeois. J’ai lu ça dans le journal : « Dans la nuit du 2 au 3 mai, quatre individus déguisés en Spiderman ont été surpris

alors qu’ils escaladaient la Cathédrale à mains nues ». En bon acteur qu’il fut, mon nouveau président ukrainien de cœur, mon « Serviteur du peuple », ne serait sans doute pas insensible à la démarche. Et, si besoin, on a aussi des sauveteurs à leur fournir, à commencer par Ludovic. Parce que, vous l’avez peut-être raté, mais, le 24 avril au soir, à l’heure où tout le monde, à part Tato, avait les yeux rivés sur la nouvelle couleur Delahousse nationale, Ludovic, lui, sauvait un nombre hallucinant de vies. 40 minutes durant, Ludo a bloqué la circulation, à quatre pattes, sous la pluie, à proximité de la route de l’Oberjaegerhof, au sud de Strasbourg. Toute une colonie de grenouilles ! « Il y en avait une centaine ou deux cents, peut-être, énormément en tout cas. Ce n’était pas facile, elles n’étaient pas très obéissantes » et « il a fallu en pousser certaines à la main, voire en attraper une ou deux ». Parfois, je me dis qu’on aurait dû envoyer Ludo à Marioupol, pour gérer les convois humanitaires et sauver davantage de vies encore. Après tout, ne sommes-nous pas « tous des animaux », comme le soulignait Delphine Wespiser le 8 avril dernier sur une affiche de 51 m2, placardée dans le hall principal de la gare de Strasbourg ? Tato, lui, n’a retenu que son visage mêlé à celui d’une dinde et son engagement politique en faveur d’une candidate proche d’un autre animal russe. « Tous des animaux ! », surtout un, me lança-t-il. Les humains ont parfois cette désagréable tendance à nous sous-estimer, nous, les animaux. À se croire à notre hauteur. Pourtant, que leur avonsnous fait aux humains ? Eux, par contre...

LA « MAISON DE LA POUTINE »

L’emploi des doubles sens dans le vocabulaire de nos humains a parfois quelque chose d’insultant pour le représentant Or Norme de la cause animale que je suis. Biden, au moins, a fait le choix de remplacer le mot « animal » par celui de « boucher ». Cela me semble bien plus à propos, même si, de ce que j’en ai récemment vu, certains représentants de cette profession, dont une en particulier, sise à Holtzheim, se destinaient initialement à une vocation vétérinaire. Bien content de ne pas l’avoir choisie comme médecin traitant.

Les mots, leurs multiples sens, me fascinent vraiment chez ces bipèdes. Ajoutez à cela une forme d’inculture de plus en plus prégnante dans leur société et vous vous retrouvez avec des témoignages comme celui de Guillaume Natas : « “Arrêtez de bombarder l’Ukraine !”, “On va venir vous bombarder”… On a jusqu’à cinq ou six appels par heure, des mauvaises notes et des commentaires déplaisants sur les plateformes en ligne », confie-t-il. Son crime : être l’un des fondateurs des restaurants la « Maison de la Poutine ». La « Poutine », un plat que l’enseigne a dû rappeler qu’il n’était « pas lié au régime russe et à son dirigeant ». Un plat éponyme de notre boucher en chef, « né au Québec dans les années 50 », composé de frites, de fromage en grains et de sauce... brune. Décidément, jusqu’à ses adjectifs explicatifs, ce plat ne s’en sort pas. #FaitIech...

«Depuis le 24 février, le rose reste ma couleur, mais mon cœur est jaune et bleu.»

TROIS PRINCESSES, DEUX HARRY POTTER, UN NINJA ET UN HIPPIE

Heureusement, Pouxit, lui, va bien, « se sent gai ». Il ne s’en est d’ailleurs pas caché pour Mardi gras : « Ce matin, sur le chemin de l’école, j’ai croisé trois princesses, deux Harry Potter, un pirate, un Ninja et une hippie. J’étais accompagné d’un prisonnier menotté et d’un footballeur avec une perruque verte fluo. Pour ne pas dépareiller, j’ai fait au plus simple avec l’accessoire de l’époque » : un masque anti-covid Super Bretzel Airlines. Hashtag ourson clown.

En parlant d’avion, parfois, je l’enverrai bien sur le front en Ukraine, Pouxit, histoire de faire peur aux Russes avec son masque. Sans compter qu’il aurait de bonnes raisons de s’y rendre et de prendre les armes, ne serait-ce que pour retrouver l’employé du Consulat général de Russie qui lui avait volé son vélo avant d’essayer de lui revendre, quelques mois en arrière. Je lui ai même trouvé une compagnie aérienne qui peut organiser une dépose en tout point : l’ECAM Air Company, de Schiltigheim – une école d’ingénieurs qui participait le 26 avril aux phases qualificatives du tournoi Red Bull Paper Wings. Le principe : plier une feuille A4 de 100 grammes, sans autre découpe ou ajout – le règlement est très strict de ce point de vue – et en faire l’avion qui volera le plus loin ; avec, au besoin, l’apport de quelques formules mathématiques. ECAM Airlines: idée à creuser.

MIKY, PATRON, STEPAN ET LES AUTRES

Miky, lui, par contre, « on le garde ! », j’ai dit à Tato. Miky, c’est ce chat ukrainien de vingt ans, arrivé le 31 mars à la SPA de Strasbourg, après avoir été sauvé par deux Ukrainiennes des bombardements, dont ne sont pas ressortis ses humains. Orphelin sur le tard, Miky, je crois, a depuis retrouvé un foyer. Si je retrouve sa trace, je le présenterai à Voyou et à l’autre en « a ».

Je crois que c’est ce qui me touche le plus, pour le meilleur et pour le pire, dans ma conationalité : dans les moments difficiles, les Ukrainien.ne.s ne laissent personne derrière. Pas même Miky ou ce petit chiot de Donetsk que son humain a retrouvé, avec l’aide de sauveteurs, enfoui sous les débris de sa maison, après qu’elle a été pilonnée par l’armée russe. Ou encore le chat Stepan, à Kharkiv, devenu une star d’Instagram et qui vit désormais en France auprès de Monégasques qui prennent soin de lui.

Des exemples comme ça, on pourrait vous en citer des centaines avec Tato, jusqu’à celui de Patron, ce Jack Russel Terrier reconverti en chien démineur et qui a permis de repérer plus de 200 engins explosifs depuis le 24 février. Patron, Volodymyr Zelensky l’a lui-même décoré d’une médaille d’honneur pour services rendus à la patrie. Quel autre président de quel autre pays prendrait le temps de remercier un chien en temps de guerre ? Dans ma part maternelle de nationalité, dans ma part de pays, ben nous, on le fait et, rien que ça, me donne envie de croire en de jolis futurs. #SlavaUkraïni ! S

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