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Partie 3- Un regard sur la complexité du modèle cynégétique

Organisation de l’activité cynégétique
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La pratique de la chasse en France est très organisée et réglementée. Pour devenir chasseur, il faut valider un permis de chasser. Celui-ci allie connaissances théoriques (les espèces chassables, les nuisibles et les espèces protégées, la sécurité...) et des connaissances pratiques (manipulation de l’arme, montage et démontage, sécurité...). Une fois celui-ci obtenu, il devient valable à vie. Cependant, tous les ans les chasseurs doivent cotiser pour le rendre valide.
La chasse est souvent pratiquée en groupe, les chasseurs forment des sociétés, soit communales (ACCA), lesquels chassent sur les terrains appartenant à la commune ou aux terres agricoles avec l’autorisation des exploitants, soit en sociétés de chasse privées.
Tout chasseur dépend d’une fédération départementale. Ces associations ont une mission de service public en matière de gestion de la faune sauvage et de ses habitats. Avec un regard et un savoir-faire axés sur la connaissance de terrain, c’est un interlocuteur important pour les questions rurales.
Ces Fédérations Départementales des Chasseurs (FDC) gèrent les plans de chasse et les ACCA. Possédant de nombreux techniciens et ingénieurs, elle permet la collecte de données scientifiques, d’évolution des populations animales, de leur état sanitaire.

Ce réseau de fédérations possède un lien très prégnant avec le monde politique. Dépendante des préfectures, la chasse pèse un lourd poids sur deux importants ministères, que sont le Ministère de l’Agriculture et le Ministère de la Transition Écologique.
Schéma d’organisation de la chasse en France
Pour la Chasse à Tir

Schéma du nombre d’animaux prélevé selon le mode de chasse, d’après les chiffres de la FDC41
Pratiques et chiffres
La chasse en Loir-et-Cher est principalement dominée par la pratique de la chasse au tir. Chaque gibier prélevé est répertorié via des bracelets ou des carnets de prélévements et déclarations de tirs (uniquement pour les grands cervidés) permettant ainsi de comprendre et de mieux chiffrer l’évolution des populations. Pour d’autres espèces, notamment le faisan et le lièvre, des comptages sont organisés afin de préciser leur évolution. Ainsi selon les chiffres de l’année, les fédérations peuvent déterminer les attributions de plans de chasse pour permettre la préservation des espèces en déclin. Le plan de chasse est une mesure de gestion durable établie par le préfet pour préserver une ressource naturelle. Il lui est proposé pour validation par une commission (CDCFS) incluant agriculteurs, scientifiques, forestiers, piègeurs, chasseurs, association de défense de la nature...
Un paysage économique fort
Après le déclin de l’agriculture et des industries en Sologne, la chasse s’est rapidement imposée comme économie principale sur le territoire. La région Centre concentre un dixième des chasseurs français, nombreux d’entres eux viennent chasser en Sologne rejoints par des chasseurs nationaux et internationaux. L’économie de la chasse peut se diviser en deux formes distinctes: les revenus directs et les revenus indirects.
On retrouve dans la première catégorie, les dépenses liées à l’équipement (armes, munitions, vêtements...), aux frais liés aux animaux (nourriture, vétérinaire, équipement...) mais aussi les dépenses pour la validation du permis de chasser et les différentes cotisations ou actions. Elle est représentée par les métiers d’armuriers, de gardes de chasse, de techniciens de fédération, mais aussi la rémunération de personnes pour le bon déroulement de la chasse (rabatteurs et ses chiens, chargeurs d’armes...). Pour l’achat d’une propriété, les prix de l’hectare dépasse parfois la valeur des terres de Beauce pourtant plus fertiles et plus rentables. Ainsi pour un hectare d’étang, il faut compter autour de 20 000 euros/hectare d’eau et pour une parcelle de bois ou de landes les prix s’élèvent à environ 10 000 euros/hectare.
La seconde concerne les dépenses annexes à la pratique de la chasse tels que l’entretien du domaine forestier, des bâtiments, l’organisation des repas de chasse qui permettent l’emploi de nombreux artisans, artistes, restaurateurs de façon saisonnière.
L’impact de cette pratique sur l’activité économique est difficilement quantifiable, car ne représentant pas la totalité des revenus pour les travailleurs solognots. On estime qu’environ 70% des habitants de la Sologne travaillent de façon régulière pour cette économie. Elle représente d’ailleurs 2% du Produit Intérieur Brut de la Région Centre.
Chasseur
L’inscription à l’examen: environ 45 € puis la validation annuelle: 132 € pour le permis départemental 200 € pour le permis national
Permis de Chasser Propriétaire
Equipement: - Bottes/ Chaussures de marche - Cuissard - Vestes et manteaux - Gilet fluorescent - Casquette fluorescent - Trompe (pibole)
- Fusil(s) - Balles/ Cartouches - Epieu - Couteaux - Housse de fusil
Donné Bracelet
Gibier tué
Trophée ou naturalisation
Adhésion ACCA et/ou Action de chasse
Equipements (colliers, Gps, gilet en kevlar...) Nourriture Vétérinaire Entretien: - Bâtiments - Propriété - Miradors - Véhicules Vente du Bois
Jour de Chasse
Revendu Frais vétérinaire pour les chiens blessés Repas
Un chasseur dépense en moyenne 2 000 € par saison
L’engrillagement, l’objet d’un conflit
Nous parlions précédemment dans ce mémoire de représentation sociale et mentale de la chasse, conflit entre deux visions de la nature, celle des “urbains” et celle des chasseurs. Mais la discorde est aussi présente sur les sujets d’éthique de la chasse. Depuis plusieurs années, on voit émerger en Sologne de nombreuses protestations, venant du monde de la chasse et des anti-chasse concernant un phénomène en pleine expansion: l’engrillagement. Clôturer sa propriété est un droit pour le propriétaire. Mais cette pratique a pris une ampleur très importante, si bien que l’on dénombre plus de 3 000 kilomètres de grillages en Sologne. Ce chiffre est à prendre avec beaucoup de précaution car il demande un travail d’actualisation régulier, de nouvelles clôtures étant posées régulièrement. Dans le droit français, deux formes d’engrillagement sont légales: celui relevant du droit à la propriété et celui du droit forestier afin de protéger les régénérations forestières. La clôture a pour but de matérialiser l’apparence physique d’une propriété protégeant les biens contenus dans celle-ci ainsi que des intrusions humaines. Délimiter une propriété peut prendre plusieurs formes, allant du fossé à la haie, en passant par des murs, le domaine de Chambord en étant le meilleur exemple, ou des grillages. Si actuellement le morcellement des propriétés rend plus difficile la mobilité des animaux, il n’y a pas d’impact sur leur génétique, seule l’autoroute A71 coupant la Sologne en deux pèse un poids sur la diversité des populations de cervidés.
Pourquoi engrillage t’on? Je n’ai pas pu rencontrer beaucoup de propriétaires ou personnes travaillant dans des propriétés encloses. Les seules personnes qui m’ont répondu, ne possédaient pas un territoire de chasse hermétique. Chez eux, les grillages venaient border la route, afin de protéger les chiens des voitures lors des jours de chasse.
Carte non exhaustive de l’engrillagement au bord du Néant Enclos ou clôture de plus de 1.80 m Clotûre d’1.20 m

1km
Il existe d’ailleurs plusieurs formes d’engrillagement, les voici du plus lâche au plus hermétique.
- 1 m entravent assez peu le passage des animaux, sautant par dessus ou bien se glissant entre les mailles. Elles sont destinées à matérialiser la propriété et dissuader les intrusions humaines.

A partir d’un mètre 1.50m, la circulation des «grands animaux» se trouve limitée, un cerf saute ces clôtures difficilement. Ces clôtures souvent comprises entre 1.20 m et 1.50 m sont les plus fréquentes en Sologne. 1.50 m
+ 1.80 m Une grande partie des clôtures solognotes sont relativement perméables. D’environ 1 m de hauteur, elles

Les clôtures faisant le plus débat actuellement sont celles des enclos cynégétiques. Dépassant les 1.80m, souvent enterrées de 30 centimètres et parfois doublées d’un grillage plus fin et de barbelés, elles ne laissent aucune possibilité à l’animal de sortir. Cette herméticité vient alourdir le paysage, le rendant froid. De nombreuses personnes comparent ainsi la Sologne à une prison à ciel ouvert.

«Ça sent la poudre pour les enclos»
Le Canard Enchainé, 22 septembre 2021

«Engrillagement cynégétique : le pouvoir de l'argent empoisonne la Sologne» Médiapart, 2 octobre 2018



«La Sologne mutilée»
Ancien numéro du Petit Solognot
«Un césar de l'engrillagement bientôt décerné en Sologne»
La Nouvelle République, 30 juillet 2021
Il est possible de réglementer l’engrillagement grâce aux documents d’urbanisme, dans le SCOT puis les PLU. Les communes sont donc habilitées à fixer des modèles ou des formes de clôtures. Pourtant, aujourd’hui encore, on recense de nouveaux ouvrages.
Nous parlions précédemment du modèle de la chasse commerciale. Généralement pratiquée dans des enclos, elle pose de réelles questions sur l’éthique de la chasse. Il faut toutefois comprendre la différence législative entre les enclos cynégétiques, les élevages et les parcs de chasse.
Un enclos cynégétique, réglementé par le code de l’Environnement (article L. 424-3) qui le définit comme une clôture totalement hermétique (mur ou grillage de 2 mètres doublé de grillage enterré) attenant à une habitation.
L’élevage est défini par un critère de densité au sein de l’enceinte hermétique: 1 (grand) animal à l’hectare, (Article 4 des arrêtés du 20 août 2009 et du 8 janvier 2010).
Le parc de chasse possède la même réglementation que les propriétées non closes car n’étant pas hermétique dans le Droit Commun de la Chasse.
Une mission menée par le Comité Central Agricole de Sologne (CCAS) et sur la base d’entretiens, démontre l’opposition aux grands grillages hermétiques isolant les propriétaires, qui se dénote avec l’identité même de la chasse en Sologne, basée sur le partage et l’ouverture. Ces ouvrages coupent aussi l'expansion du tourisme et la circulation des animaux. Cette perte de mouvement tend à artificialiser le milieu naturel par son mitage* dégradant aussi la qualité paysagère et l’image même du territoire.
Au niveau de la sécurité humaine, la présence de ces clôtures inquiètent les professionnels du sauvetage, rendant l’accès aux lieux inaccessible, notamment lors d’incendies. De plus, de nombreuses craintes émergent sur le risque sanitaire qu’entrainerait une épidémie sur les surpopulations dans les enclos. On peut notamment penser à l’épidémie de peste porcine africaine qui a conduit en 2020 à la création d’une zone blanche entre la France et la Belgique, c’est-à-dire l’abattage des sangliers présents dans cet espace ainsi que la création de clôtures délimitant la zone.
*Mitage : est l’éparpillement, sans plan d’urbanisme réellement cohérent, d’infrastructures, de zones d’habitat, de zones d’activité, dans des espaces initialement ruraux (forestiers ou agricoles).
« J'aime pas ça, ça fait du bruit, ça pète de partout. C'est commercial, c'est pour les riches, les Giscard, etc. Les animaux sont dans un enclos c'est de l'élevage! Quelque part ils sont pas domestiqués, mais un peu quand même, ils ont pas peur de l'homme. Un sanglier qui a deux ans, là-bas, il fait tout de suite 70 kilos. En pleine nature il fait 40-50 kilos, mais, là-bas, ils sont gavés. Après, la viande part dans les grosses sociétés pour être dépouillée pour la consommation des gens. Ça, c'est des chasses commerciales. Je ne suis jamais allé là-bas, mais j'ai souvent été à côté, quand on entendait les balles tirer; les anciens, ils disaient: «Là-bas, c'est de l'abattage, c'est pas de la chasse».»

Charles Stépanoff, L’animal et la mort: Chasses, modernité et crise du sauvage. 2021
International Europe
National
Régional Départemental
Local Schéma d’acteur actuel
GIEC/ UICN*AEWA/ *OMPO
Lobby Chasse
Ministère de la Transition Écologique OFB Muséum d’Histoire Naturel de Paris Windmign/ Bebird/ Migraction Penseurs/ Chercheurs
Fédération National des Chasseurs
CCAS CRPF
Fédération des Chasseurs 41 DREAL
SEBB
Grands Propriétaires Fonciers
Chasseurs
Forestiers Petits Propriétaires Fonciers Pays Grande Sologne
3 COMCOM
6 Communes Fondation Brigitte Bardot Fondation Nicolas Hulot
Journalistes
Sologne Nature
Environnement LPO 41 Association des Amis des Chemins de Sologne
Maintiennent la dynamique de fermeture Observent l’évolution du territoire Dénoncent la dynamique de fermeture
Un jeu d’acteurs figé
Il semble actuellement exister, du moins au début de ce travail en septembre, trois grandes dynamiques d’acteurs en Sologne.
Nous avons vu la surreprésentation des propriétaires fonciers pesant un poids considérable dans l’évolution du paysage car possédant les terres.
Ces propriétaires sont appuyés par le silence ou la non-prise de position physique des acteurs politiques et du monde de la chasse.
De l’autre côté, les groupes anti-chasse et associations de défense de l’environnement, appuyés par les préconisations venant de différents groupements européens et internationaux d’étude sur le changement climatique, mais aussi de la protection des oiseaux, viennent contrebalancer les pressions émises par les lobbys. Ces mécaniques politiques complexes rendent difficile une prise de position claire sur le sujet.
Pourtant, nous l’avons vu avec les titres des différents articles de journaux, des voix se font de plus en plus entendre, prenant à bras le corps la réouverture des milieux et du paysage.
Malgré cette situation, des projets commencent à émerger depuis quelques années pour améliorer la qualité des milieux humides. On peut citer le travail conjoint entre le CRPF et la FDC 41, restaurant les étangs, afin de favoriser la nidification des anatidés, mais aussi l’étude menée par l’OFB sur le Fuligule milouin, considéré comme une espèce parapluie des étangs et dont les populations sont en forte diminution.
Je souhaite poursuivre ce travail à partir de ces interstices que sont les berges d’étangs, entrant ainsi dans le paysage solognot pour retrouver une épaisseur entre l’étang et la forêt.