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Polynésie française
LE BOIS DES ÎLES MARQUISES SE CRÉE UNE PLACE SUR LE MARCHÉ LOCAL
Malgré l’étroitesse du marché local des matériaux de construction et l’éloignement de l’archipel, un opérateur privé de Tahiti a lancé l’exploitation des pins des Caraïbes plantés il y a une quarantaine d’années aux îles Marquises.
À la fin des années 70, la Polynésie française a réalisé un programme de plantation de milliers de pins des Caraïbes dans tous les archipels sauf celui des Tuamotu-Gambier. Le Service du développement rural (SDR) avait testé plusieurs essences (Douglas, radiata…) ainsi que plusieurs sous-familles de résineux, avant de porter son choix sur le pin des Caraïbes. Avec un triple objectif : stabiliser et enrichir les sols des îles hautes, agir sur leur trop grande acidité –notamment aux Marquises – et anticiper une exploitation économique de cette ressource une fois les pins arrivés à maturité, vers 30-35 ans.
C’est donc avec un peu de retard que la valorisation industrielle du pin des Caraïbes à Nuku Hiva a débuté, en 2022, à l’initiative d’un opérateur privé. Les appels à projets du Pays pour le grand gisement de 655 hectares du plateau de Toovii étaient jusqu’alors restés infructueux. « Créer de toutes pièces une nouvelle filière à 1500 kilomètres de Tahiti, c’est un pari très risqué », admet Gérard Siu, le patron de la Société d’exploitation de bois marquisienne (SEBM), qui connaît parfaitement le marché des matériaux de construction.
Et pour cause : il dirige, à la suite de son père, le groupe Sin Tung Hing (STH), actionnaire majoritaire de la SEBM qui possède plusieurs grandes surfaces de bricolage et d’entrepôts de matériaux à Papeete et Taravao. Selon lui, sans l’accompagnement du Pays, cette aventure ne pourrait se concrétiser.

TRONÇONNER EST DE MISE AUX MARQUISES
La plus grande exploitation est située à 22 kilomètres du village de Taiohae et à 900 mètres d’altitude, au centre du cratère de l’ancien volcan. La zone est pluvieuse et plus fraîche de 5 °C qu’au niveau de la mer.
À Hiva Oa, la SEBM a repris une ancienne scierie expérimentale fondée en 2014 tandis qu’à Nuku Hiva, elle a créé une nouvelle unité industrielle complète pour un investissement d’environ 800 millions de Fcfp, soit 6,7 millions d’euros. Les résidus de l’exploitation, quasiment 50 % du volume traité, prennent beaucoup de place. Une chaudière va bientôt brûler ces résidus
pour sécher le bois et ainsi augmenter sa qualité. Les copeaux de bois issus du sciage et du rabotage partent dans des élevages de poules ou sont utilisés en biomasse pour produire de la chaleur ou de l’énergie électrique. Sur place, le bois est traité par autoclave et catégorisé classe 4, il peut donc être stocké au contact du sol. La nouvelle scierie de Nuku Hiva produit sa propre électricité, avec une centrale hybride.
LA SCIERIE EST LE PREMIER EMPLOYEUR PRIVÉ AUX MARQUISES

Plus tard, lorsque l’offre existera, la SEBM envisage le recours à des véhicules électriques, car les camions chargés de grumes sont en descente durant 22 kilomètres vers le quai de Taiohae puis remontent à vide, configuration idéale ! Le relief des Marquises est très accidenté, le transport terrestre y est souvent délicat et dangereux, a fortiori pour ces camions. L’entretien des pistes, à la charge du Pays, y semble insuffisant.
Le Régiment du service militaire adapté (RSMA) a créé à Hiva Oa une filière bois qui a permis la formation des jeunes Marquisiens. Gérard Siu projette la mise en place d’un cluster pour rassembler tous les acteurs publics et privés de cette filière qu’il entend consolider.

TÉMOIGNAGE
GÉRARD SIU, PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ D’EXPLOITATION DE BOIS MARQUISIENNE (SEBM)

Plus de 90% des 37 salariés sont des Marquisiens âgés de moins de 25 ans. La Société d’exploitation de bois marquisienne est déjà le premier employeur privé de l’archipel.
Le pin des Caraïbes offre un bois dur, presque autant que le chêne, et très résistant. Nous avons signé deux conventions avec le Pays qui prévoient 15 000 m3 de bois exploités chaque année au maximum, soit 7 500 m3 de produits finis. Cela représente un peu moins de 20% des besoins locaux. C’est un pari économique car le secteur est très concurrentiel. Le Pays taxe très peu à l’entrée le bois importé et finance son transport vers les îles. C’est donc difficile pour le bois local, même de qualité mécanique supérieure pour la construction, d’être compétitif.
La filière a besoin d’être structurée et accompagnée par le Pays. Créer une activité à 1 500 kilomètres de Tahiti, sans détaxe carburant, sans compétences au départ, c’est probablement le défi le plus musclé de ma carrière.
Le bois local offre davantage de souplesse par rapport à l’import. La réponse à la demande est très rapide et les prix peuvent être maintenus sur une année entière. Nous avons fait naître de nouvelles activités, y compris le reboisement pour assurer la pérennité de la filière pour les générations futures.
