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TAAF

« RÉCIFS ISOLÉS 2 » : EXPLORATIONS MARINES DANS LES ÎLES ÉPARSES

Dans la continuité du projet « Récifs isolés » mené au large de Mayotte et des Glorieuses, « Récifs isolés 2 », également porté par l’administration des TAAF, vise l’acquisition de données et la mise en œuvre d’une veille environnementale à l’échelle, cette fois, de toutes les îles Éparses. Quel bilan peut-on établir à son issue en cette fin d’année ? 

Les Éparses, îles-confettis dont la surface cumulée s’étend à 43 km ² , sont dotées d’écosystèmes marins exceptionnels. Si les noms de Glorieuses, Juan de Nova, Europa, Bassas da India, Tromelin ne sont pas familiers pour le grand public, ces zones présentent des habitats essentiels à la vie marine et à la biodiversité : récifs coralliens, mangroves et herbiers.

Avec 103 jours de mer, 509 plongées et 10 protocoles différents, les objectifs du programme « Récifs isolés 2 » ont été globalement atteints, et certains ont même été dépassés avec davantage de données collectées que prévu, notamment sur le blanchissement des coraux, et plus de protocoles innovants déployés. Ce sont 95 % des données qui ont été bancarisées puis analysées, et l’étape de valorisation se poursuit actuellement, jusqu’à la fin de l’année.

Juan de Nova. Le projet « Récifs isolés 2 » est cofinancé par l’OFB, la Fondation de la Mer et l’IFRECOR. 
© Hendrik Sauvignet

PRINCIPAUX RÉSULTATS À RETENIR

88 espèces supplémentaires ont été recensées, ce qui amène à 3 847 le nombre d’espèces observées dans les îles Éparses. On sait maintenant que les herbiers marins y couvrent 38 km². Au large des Glorieuses et d’Europa, les herbiers plurispécifiques [dominés par plusieurs espèces] se portent plutôt bien en termes de biodiversité, comme Thalassodendron ciliatum observé à Geyser et aux Glorieuses. La mangrove, qui s’étend sur 800 hectares, reste toujours aussi belle.

Le programme « Récifs isolés 2 » s’est déroulé à bord de la goélette Antsiva, ici photographiée devant l’atoll de Bassas da India dans le canal du Mozambique.
© Hendrik Sauvignet

En revanche, les résultats sont un peu moins enthousiasmants concernant les 800 km² de récifs coralliens des îles Éparses, qui représentent 80 % de la surface totale des récifs coralliens français de l’océan Indien. Alors que la couverture corallienne est en décroissance aux Glorieuses et à Juan de Nova depuis 2015, Europa, la plus grande et aussi la mieux préservée des îles Éparses, maintient un haut niveau. Tromelin, Geyser et Bassas da India montrent quant à elles des dynamiques « mixtes » en fonction des habitats, et la biodiversité y demeure heureusement élevée.

Aperçu de la biodiversité marine de Bassas da India.
© Hendrik Sauvignet 

Heureux hasard du calendrier, le phénomène de blanchissement des coraux a pu être étudié grâce à un retour des scientifiques sur les mêmes stations de plongée, explorées six mois auparavant. Un gradient de blanchissement a été observé : au sud, Europa et Bassas da India n’ont pas été touchées, contrairement à Tromelin, aux Glorieuses et à Juan de Nova, île affichant jusqu’à 50 % de mortalité corallienne. Toutefois, la situation n’est pas désespérante : le banc du Geyser et Tromelin montrent une bonne résilience, la biodiversité reste très riche à Juan de Nova, et surtout, ces îles ne subissent pas de pression humaine, ce qui devrait inciter à une recolonisation.

 Suivi des herbiers aux Glorieuses.
© Grégoire Moutardier 

Par ailleurs, les peuplements de poissons changent assez peu, avec une biodiversité toujours exceptionnelle, graduellement croissante du nord au sud. On trouve ainsi une biomasse importante à Bassas de India, Europa et Juan de Nova, mais en déclin marqué pour Geyser et Glorieuses, paradoxalement les deux sites possédant la plus forte richesse spécifique. Enfin, la découverte d’engins de pêche illégale appelle au renforcement du contrôle des pêches.

Mérou patate observé à Europa.
© Grégoire Moutardier

TÉMOIGNAGE

CLÉMENT LELABOUSSE, CHARGÉ DU PLAN LOCAL IFRECOR ET DU SUIVI DES ÉCOSYSTÈMES RÉCIFAUX DES ÎLES ÉPARSES (TAAF)

Clément Delabousse
La mesure de gestion la plus importante à mettre en place est sans conteste la mise en réserve naturelle nationale de l’ensemble des îles Éparses. Cela prend du temps, car elle dépend également de négociations diplomatiques avec les pays de la zone. En attendant l’avancée des discussions, on étaie le dossier, via ”Récifs isolés 2” et d’autres projets en parallèle, en consolidant les connaissances. Nous voulons montrer en quoi les Éparses sont si importantes pour la connectivité des zones, la dispersion des larves de poissons et de coraux qui vont ensuite être disséminées sur les côtes de l’Afrique, Madagascar, Mayotte.
Sans oublier la surveillance, qui est déjà en place avec des patrouilleurs dans les eaux et des militaires. À plus petite échelle, je pense aussi à la création de mouillages sur les îles. Par le passé, il y en a eu, mais les corps-morts sont abîmés, certains ont glissé. Aujourd’hui, quand un navire met l’ancre, il y a un risque de casse du corail en dessous.
La présence des holothuries, ou « concombres de mer », est très variable d’une île à l’autre (ici, Bassas da India). Subissent-elles les conséquences d’un braconnage historique ou encore actuel ? Ces espèces, peu attrayantes visuellement, sont essentielles à la bonne santé des habitats : détritivores, elles ont un rôle de nettoyage du milieu. Sans elles, les coraux développent des pathologies bactériennes souvent létales.
© Julien Wickel
 Plongée sur le banc du Geyser, un récif qui fait partie également des îles Éparses.
© Hendrik Sauvignet

TÉMOIGNAGE

GRÉGOIRE MOUTARDIER, CHARGÉ DE LA CONNAISSANCE ET DU SUIVI DES MILIEUX MARINS (TAAF)

Grégoire Moutardier

« Si je devais décrire les Éparses en quelques mots, ce serait ”îles sauvages”, loin de tout, loin des humains. Arrivés là-bas, on a déjà traversé tellement de défis logistiques en amont, rien que pour y mettre le pied et faire une plongée… Elles sont parfaitement cachées, isolées.Quand on arrive à Europa par exemple et qu’on se retrouve près d’un mérou patate ou de lutjans, on reste scotché ! Ce sont des poissons qui n’ont encore jamais vu un plongeur. Les coraux y sont magiques.

Mais quand on retourne sur des sites après un épisode de blanchissement et que tout est mort, ça fait un pincement au cœur. Certes, il existe des techniques de restauration des récifs, comme des structures artificielles, le recours à la reproduction sexuée, le bouturage local… Mais faire de la restauration corallienne avec de petits fragments, c’est impossible sur de très grandes distances comme aux Éparses. L’investissement en temps et financier n’est pas rentable. Notre meilleur plan de bataille, c’est la protection de l’existant. »

Rédaction : Delphine Ciolek
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