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Une France qui s’assèche, des scientifiques qui alertent, un gouvernement qui se dépêche

By Salomé Greffier, Staff Writer

« Sens-tu l’air du désert/ Te dessécher la peau/ Comme si l’on avait/ Laissé le four ouvert/ Et ce souffle brûlant/ Nous ôter le repos/ Pour venir nous donner/ Un avant-goût d’enfer ? » Laurence Hérault s’exprime en ces mots afin de décrire un phénomène observé à grande échelle par les sociétés depuis une cinquantaine d’années déjà : la sécheresse. Tandis que les populations subissent des épisodes sans qu’aucune goutte de pluie ne tombe du ciel, les scientifiques parlent d’avancée du désert et les pouvoirs publics tentent de proposer des alternatives économiques et sociales moins énergivores en eau. La sécheresse, fait désormais l’objet d’observations rigoureuses et constitue un enjeu majeur pour les États. En outre, le dernier rapport du GIEC publié en 2022 tire la sonnette d’alarme quant à la fréquence des périodes de sécheresse à travers le monde dans les années à venir. Ces dernières devraient devenir plus régulières, voire permanentes, impliquant une rem- ise en question de la gestion de l’eau à l’échelle individuelle mais aussi collective, au regard des comportements agricoles principalement. Le groupe d’experts intergouvernemental place l’activité humaine comme responsable de ces phénomènes météorologiques extrêmes. Par conséquent, seule une adaptation anthropique face à cet enjeu climatique (mais aussi socio-économique, politique et qui atteint plus généralement la santé publique) permettrait d’inverser, ou du moins de ralentir, le processus en cours.

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Pour le moment, les baromètres français affichent un record historique inquiétant. En effet, à la date du 21 février 2023, les météorologues cochent la case d’un 31ème jour sans pluie sur le sol de l’hexagone. Or, en plein milieu de l’hiver, l’eau des pluies devrait remplir les nappes phréatiques afin de répondre aux besoins des mois d’été. Février se termine donc avec un déficit de précipitations de 75 %. En d’autres termes, la situation actuelle est celle que l’on chiffre, en temps normal, autour de la mi-avril voire de mai.

Les réserves souterraines en eau se trouvent par conséquent à des niveaux particulièrement bas alors que la saison estivale de 2022 avait déjà puisé plus d’or bleu que la nature pouvait apporter. Dans le même temps, il ne faut pas omettre les inégalités territoriales en matière d’exposition à la sécheresse. Ainsi, les scientifiques décrivent un phénomène plus fort dans des régions comme l’Occitanie, la région PACA ou encore la Corse. De manière plus générale, une analyse du quotidien La Tribune de Genève avance qu’en temps normal, Nice enregistre plus de 800 mm de pluie par an. Entre février 2022 et la première quinzaine de février 2023, seuls 285 mm de précipitations se sont abattus sur la ville, soit 500 bons millimètres de moins que d’ordinaire !” Une situation qui devrait nous préoccuper en tant que (nouveaux) habitants de la région en perspective du retour de l’été.

Ce constat posé par la communauté scientifique et l’observation empirique obligent les pouvoirs publics français à agir en prévention des épisodes de sécheresse. Ainsi, lors du Salon de l’agriculture 2023 le président de la République, Emmanuel Macron, s’exprime en ces termes « On sait qu’on sera confronté à des problèmes de raréfaction d’eau : plutôt que de s’organiser sous la contrainte, on doit planifier tout ça ». Un appel à la sobriété soutenu par son ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu. Ce dernier a demandé aux préfets des sept grands bassins du territoire, le 27 février dernier, d’anticiper les pénuries et de contraindre dès à présent les particuliers et entreprises à travers des arrêtés. Le gouvernement lance alors un « plan sécheresse » pour se préparer aux difficultés à venir.

Ce projet public a tout d’abord pour vocation d’adapter l’agriculture. En effet, si le chef de l’État choisit un moment comme le Salon de l’agriculture pour exprimer ses inquiétudes, c’est avant tout pour toucher une frange de la population directement concernée par la sécheresse. L’agriculture représente en France 45 % de la consommation d’eau, chiffre qui s’élève jusqu’à 80 % au cœur de l’été. Celle-ci repose sur un modèle d’irrigation trop consommateur par rapport aux ressources disponibles. Par conséquent, il est demandé aux agriculteurs d’employer la méthode du goutte à goutte ou de se procurer des outils optimisant l’usage de l’eau. Néanmoins, la mise en place de ces moyens revêt un coût économique parfois trop important pour les exploitants qui doivent en priorité répondre à des demandes de rendements et générer des bénéfices pour maintenir leurs entreprises. L’État, pour pallier à ces inégalités, a débloqué des fonds à hauteur de 20 millions d’euros pour la « protection contre la sécheresse » à destination de toutes les exploitations en espérant que ce budget soit utilisé pour lutter contre les aléas climatiques et non à des fins économiques. De plus, l’idée d’installer des compteurs capables de recenser la consommation en eau des agriculteurs est envisagée par les pouvoirs publics de la métropole.

Le « plan sécheresse » se déploie également en intervenant sur les failles du réseau d’eau. Ancien, sous dimensionné et parfois mal entretenu, le système d’alimentation se doit d’être rénové pour limiter les fuites en eau potable. Chaque année, c’est en effet 20 % en moyenne d’eau potable qui s’échappent des tuyaux à cause de l’obsolescence du réseau. Ensuite, l’État a pour objectif d’accélérer le déploiement de la réutilisation des eaux usées traitées. En bout de classement européen, la France recycle seulement 1 % de ses eaux à l’heure actuelle notamment à cause d’une réglementation sanitaire stricte en vigueur. On cherche dès lors à remplacer l’eau potable nécessaire au fonctionnement et à l’entretien des stations d’épuration par de l’eau recyclée et étendre progressivement cette pratique à des usages industriels et agricoles. Enfin, la conscience écologique mariée à des intérêts socio-économiques mobilise de plus en plus les citoyens. Les Français semblent prêter davantage attention à leur consommation d’eau et soutiennent des projets tels que l’utilisation de l’eau recyclée ou de compteurs « intelligents ». La tendance à la sobriété individuelle apparaît nécessaire pour les spécialistes mais insuffisante. L’appel des experts insiste davantage sur un changement collectif des usages de l’eau et des mentalités à l’échelle globale. Il n’en demeure pas moins que le levier de l’action individuelle est une goutte d’eau essentielle à, espérons-le, un recul du désert dans les prochaines années.

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