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Ambroise de Rancourt, pianiste et énarque

PIANISTE ET ÉNARQUE

Portrait double vie par Mathilde Blayo

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Ambroise de Rancourt nous arrive du domicile familial versaillais, tête blonde aux joues rosées, l’allure qui colle à la particule de son nom et qui pourrait faire sourire tant l’étiquette “énarque et pianiste” lui va bien. Et pourtant, Ambroise n’entre pas parfaitement dans les cases. Il découvre le piano petit, mais fait une longue pause à l’adolescence – « Je jouais aux jeux vidéo, comme un ado normal ». Il reprend la musique vers ses 17 ans au conservatoire de Versailles, avant de rejoindre celui de Boulogne-Billancourt, et quitte sa deuxième année de licence à Sciences Po pour se consacrer à la musique. « Je faisais onze heures de piano par jour et prenais des cours privés en plus tous les mois avec une professeure qui encourageait mon côté obsessionnel », confie-t-il rieur. Mais « un peu chien fou », comme il se définit, il rate par deux fois son prix à Boulogne et connaît une difficile période de découragement. Il tente alors la Haute École de Genève, où il est reçu sur le campus de Neuchâtel auprès de l’enseignant qui lui « redonne le goût de jouer ». Marc Pantillon se souvient « avoir ri de son nom, en me disant :“Ça, c’est vraiment la noblesse française”. Mais j’ai été surpris du personnage, qui est en contradiction avec ces préjugés : c’est un homme sanguin, engagé, sociable et curieux. »

« J’ai toujours été intéressé par la politique, la chose publique. » – Ambroise de Rancourt

Le maître a dû cadrer le « chien fou », alors désorganisé : « Il est boulimique de nouveaux répertoires, c’est incroyable ce qu’il était capable d’absorber, mais il n’approfondissait pas assez. » Remis en confiance par son expérience suisse, il saisit sa dernière chance d’intégrer le Conservatoire de Paris à 25 ans, où il est reçu à l’unanimité moins la voix du président du jury, « qui a dû me trouver trop punk », dit-il aujourd’hui en riant. Il retourne ensuite en Suisse, où il poursuit ses études, donne des cours et s’amuse à la tête d’une fanfare. « Ce n’est pas toujours bien vu dans le milieu du classique, mais j’ai adoré cette expérience. J’ai découvert un milieu ouvrier qu’on ne soupçonne pas, il y a des prolétaires en Suisse ! » Pointe alors l’attachement du pianiste à la vie sociale et politique. La trentaine approchant, Ambroise de Rancourt s’est mis au défi de passer le concours de l’ENA – « en fichant un gros bouquin par matière » –, tout en restant professeur et concertiste, et en accompagnant son amie chanteuse, Marion Grange. La deuxième tentative est la bonne, il devient énarque et désarçonne par le détachement modeste qu’il porte sur cet exploit. « J’ai toujours été intéressé par la politique, la chose publique, rapporte-t-il. Il y a beaucoup de militaires dans ma famille, et mes parents, tout libéraux qu’ils soient, m’ont transmis le sens du service, de l’État, les valeurs de solidarité et de dignité au travail. » Contre toute attente, Ambroise se positionne plutôt à gauche, tout en assurant que ce clivage « ne veut plus rien dire. À beaucoup d’égards, sur les questions d’islamisme et de communautarisme, je suis de droite. D’un autre côté, je suis consterné par le libéralisme bébête et cette idée qu’on paierait trop d’impôts en France. » Le pianiste ne tourne pas pour autant le dos à la musique et a prévu des concerts avec Marion Grange ainsi que l’enregistrement d’un disque cette année. « Il faudra minuter le temps pour être efficace. Je sais que ça va me manquer… mais c’est moi qui l’ai choisi. » Passionné et acharné, nourri par un appétit de nouveauté et de rencontre, il devrait pouvoir rester pianiste et énarque.

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