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LOGEMENT – QUI FREINE ?

Les réponses des partis pour sortir de la crise

Une vue aérienne du nouvel ensemble Elmen, construit sous l’impulsion de la SNHBM.

La crise du logement latente renvoie aussi à la responsabilité des pouvoirs publics. Les partis représentés à la Chambre livrent leurs réponses à 25 propositions concrètes émanant de la table ronde organisée le 13 octobre dernier par le Paperjam + Delano Club. Avec un constat partagé par tous : face à cette situation, la politique du logement doit agir à différents niveaux.

« Depuis des années, la crise du logement ne cesse de s’aggraver, les prix connaissant une forte croissance. Ceci représente un défi majeur, d’un côté, pour la cohésion et l’équité sociale du pays, et, d’un autre côté, pour les entreprises, l’économie et l’attractivité du pays en général. Seule la mise en œuvre concertée de toute une série de mesures portant sur différents volets saura remédier à la situation actuelle, tout en considérant qu’il n’existe pas de solution miracle et que le problème du logement ne pourra être résolu à court terme. »

Ce constat, établi par le DP, pourrait porter la signature des autres partis politiques représentés à la Chambre, et que Paperjam a sollicités pour obtenir leur positionnement quant à 25 idées concrètes pour dénouer la crise du logement. Cette série de propositions a émané de la table ronde organisée le 13 octobre dernier par le Paperjam + Delano Club. Déi Gréng ajoute pour sa part que, sous l’effet de l’augmentation des prix, « la part du revenu que les ménages doivent mobiliser pour couvrir le coût du logement a sensiblement augmenté depuis 2010. La situation est particulièrement alarmante pour les locataires et les ménages moins aisés. »

Vecteur d’inégalités sociales, secteur économique incontournable, levier pour le développement durable du pays, le logement s’aborde par plusieurs facettes qui tantôt se complètent, tantôt s’entremêlent. Un imbroglio qui complexifie la résolution souhaitée par tous les acteurs rencontrés dans le cadre de ce dossier, tant du côté public que du côté privé. Par quel versant aborder cette montagne que peu ont réussi à gravir ? Du côté des partis politiques, l’appel aux chercheurs du Liser par le ministère du Logement pour produire plusieurs notes sur l’état des lieux de la disponibilité et du potentiel foncier semble faire l’unanimité. À commencer par la note 29 (présentée en novembre 2021) sur le potentiel foncier disponible au Luxembourg, estimé à 3.750 ha, soit l’équivalent de 142.000

Guy Wolff Photo

DR Photo unités pour 300.000 habitants. « Les terrains dits ‘Baulücken’ doivent évidemment être mobilisés prioritairement. Nous pensons qu’il faut protéger la denrée ultra-rare que constitue la surface disponible dans notre petit pays et préserver la biodiversité », pointe déi Lénk, représenté par son porte-parole Gary Diderich.

Des PAG suffisants La concorde politique est globalement de mise, également autour des périmètres constructibles (autrement dit, des PAG) qui suffisent actuellement pour répondre au besoin théorique (quelque 7.526 nouveaux logements par an, selon l’estimation la plus élevée du Statec) pour les 26 prochaines années. Les terrains situés dans ces périmètres sont à mobiliser en priorité. Si une extension est envisagée, le DP et le LSAP la conditionnent respectivement à la réalisation d’un projet (dans l’esprit du projet de loi Baulandvertrag en cours) et à des conditions de stricte nécessité. « Nous proposons de

SEMIRAY AHMEDOVA Députée et présidente de la commission du logement, déi Gréng

« Investir dans le logement public locatif abordable permet de renforcer durablement la résilience de la société. »

conditionner chaque élargissement à ce qu’au moins 30 % de la surface construite brute soit dédiée au logement abordable. Le Pacte logement 2.0 préconise 20 % », propose le CSV par la voix de son député Marc Lies. Et d’ajouter qu’une extension devra « s’opérer avec une bonne connectivité aux transports en commun, avec une proximité à toutes sortes de commerces, avec de bonnes possibilités de pratiquer du sport et des loisirs ». Quant aux Pirates, représentés par Sven Clement, leur réflexion porte aussi sur la production de logements, qui reste inférieure à 4.000 logements par année et, plus largement, le modèle luxembourgeois : « Notre pays devra repenser la croissance économique qu’il veut avoir. Si notre PIB est censé croître de 4 % en moyenne jusqu’à 2050, il faut envisager de découpler cette croissance des activités économiques de la croissance démographique, car le pays arrivera à un moment donné à une saturation. » L’ADR n’est pas opposé, quant à lui, à l’extension ponctuelle des périmètres, et pose aussi la question de la croissance. « La véritable raison de la situation immobilière réside dans la ‘croissance’ démesurée, pointe le député Roy Reding. Nous sommes dans un cercle vicieux qui nous force à avoir toujours plus de croissance pour financer notre système social. Un jour, ce système ‘boule de neige’ va échouer. C’est sûr. Fondamentalement, nous construisons assez, voire trop. »

L’État invité à montrer l’exemple En cas d’extension du périmètre, l’idée que l’État soit prioritaire sur l’achat des terrains situés en dehors du périmètre constructible est retenue par le LSAP, à condition qu’« à l’acteur public et aux assimilés incombe une obligation de construire dans les meilleurs délais sur ces nouveaux terrains qui entrent dans le périmètre. En outre, il faut assurer un suivi des infrastructures. » Une idée que l’ADR réfute, car « cela voudrait dire encore plus de terrains enlevés du marché et soumis à des procédures bureaucratiques longues, coûteuses, inefficaces ».

L’accélération de la construction sur les terrains publics figure parmi les points communs entre les partis. « Avec moins de 2 %, le Luxembourg est particulièrement à la traîne en ce qui concerne la taille de son parc locatif public. Ceci est aussi le résultat d’une politique du logement qui visait prioritairement à soutenir l’accès à la propriété, note Semiray Ahmedova pour déi Gréng. Investir de manière ciblée dans le logement public locatif abordable permet par contre de renforcer durablement la résilience de la société. Les ménages les plus vulnérables peuvent ainsi trouver un logement avec un taux d’effort raisonnable et à l’abri des fluctuations sur le marché du logement. »

L’État détient 13,5 % du foncier constructible pour l’habitat en 2020/2021, d’après le Liser, dont d’importantes friches industrielles. « Il faut évidemment accélérer la construction sur les terrains publics, ajoute déi Lénk, qui déplore une certaine lenteur dans la concrétisation de logements sur ces sites. Souvent, d’ailleurs, les terrains détenus par les autorités publiques ne se prêtent pas à une mobilisation rapide (il faut, par exemple, d’abord les dépolluer). Le directeur du Fonds du logement l’a dit clairement lors d’un entretien radiophonique : ‘  Le Fonds du logement n’obtient pas les terrains mobilisables à court terme.’ Ces terrains sont en règle générale acquis par des promoteurs privés. »

Un dialogue public-privé à structurer Entre les terrains disponibles dans la main privée, le potentiel de logements sur le foncier public, d’une part, et l’expertise du secteur privé, d’autre part, un meilleur dialogue entre 25 IDÉES POUR SORTIR DE LA CRISE

Le 14 décembre dernier, les partis politiques représentés à la Chambre, ainsi que le ministre du Logement, recevaient 25 propositions pour tenter de sortir de la crise du logement. L’ensemble émanait de la table ronde « Crise du logement, qui freine? » organisée par le Paperjam + Delano Club le 13 octobre 2021. Les partis politiques étaient invités à commenter, voire nourrir, ces solutions par leurs réflexions. Celles-ci ont aussi été évoquées durant un entretien avec le ministre Henri Kox (voir page 28), qui n’a toutefois pas souhaité s’exprimer sur plusieurs idées (3, 13, 17, 20, 21, 22, 24, 25) qui ne concernaient pas ses compétences ministérielles.

Voici les 25 propositions formulées au sortir de la table ronde : 1. Agrandir les périmètres  2. Accélérer les délais des procédures 3. Rendre les PAG plus lisibles 4. Réduire le nombre de communes et augmenter le personnel en charge des autorisations à bâtir 5. Créer un guichet unique 6. Voter une loi anti-crise du logement 7. Accélérer la construction sur les terrains publics 8. Priorité aux partenariats public-privé 9. Augmenter la densité et la hauteur selon un plan national d’occupation du sol 10. Un monitoring des logements en cours 11. Réformer les « frais de notaire », appelés droits d’enregistrement 12. Taxer les terrains non construits 13. Revoir l’amortissement accéléré 14. Dissocier le besoin de logement et la volonté de devenir propriétaire ; augmenter le nombre de locations abordables 15. Créer des fonds d’investissement spécialisés pour le logement abordable 16. Donner la priorité aux acquéreurshabitants 17. Ajuster les prêts buy to let 18. Limiter le poids des acteurs étrangers 19. Renverser la charge de la preuve 20. Ne pas oublier… les « Deponi» 21. Imaginer des logements provisoires, adapter la législation au logement temporaire 22. Recherche d’un Bouwmeester 23. Un plan Marshall des infrastructures 24. Une porte d’entrée domestique à chaque immeuble de bureaux 25. Dessiner autrement nos villes, réserver un pourcentage à l’expérimentation, remettre l’architecture dans la culture ou le discours

les parties prenantes concernées par le vaste sujet du logement est l’une des clés évoquées par tous les partis pour désamorcer la crise. Le LSAP imagine « une plateforme d’échange entre le ministère du Logement et les promoteurs privés pour élaborer des projets concrets, qui suivent un cahier des charges clair et précis et qui doivent promouvoir le logement abordable ». Pour associer davantage le secteur privé, le CSV propose aussi des incitants regroupés dans « une nouvelle législation sur des aides pour des investisseurs privés dans le cadre de la réalisation de logements abordables, qui devra être mise en place […] en étendant le bénéfice des aides étatiques aux promoteurs privés qui investissent dans le logement locatif subventionné ».

Quant à d’éventuels « partenariats publicprivé pour la construction de logements en définissant des cahiers des charges précis et des procédures claires, avec un objectif de résultat fixé dans la durée », selon une idée suggérée au sortir de la table ronde du 13 octobre dernier, l’État doit garder la main, et les acteurs privés doivent jouer le jeu, estime en substance le parti Pirates : « Les promoteurs doivent agir de façon transparente dans l’élaboration de leurs devis et factures. Pour garantir ceci, il faut que les critères d’attribution des projets soient clairs avant la réalisation des travaux. » Quid de l’organisation d’états généraux du logement en guise de signal fort en faveur d’une ambition commune, qui serait de passer de 3.987 (moyenne actuelle de construction à l’échelle nationale, ndlr) à 7.526 nouveaux logements par an jusqu’en 2060 pour répondre à la croissance annuelle de 4,5 % du PIB, et donc de doubler la production de logements pour les 40 prochaines années ? Le LSAP demande que cette Logementsdësch, qui réunirait les acteurs privés et les responsables publics, apporte des solutions concrètes.

Accélérer les procédures et mieux doter le ministère Reste à dénouer l’imbroglio procédural qui ralentit considérablement la construction de logements et contribue ainsi à l’inflation des prix, déplorent les acteurs privés. « Ce gouvernement a tout fait pour aggraver le problème », regrette l’ADR, qui cite le manque de lisibilité des PAG résultant d’une « bureaucratisation impossible en lieu et place d’un lien direct avec les responsables communaux ». La refonte de l’architecture gouvernementale autour des questions du logement est d’actualité chez certains : « L’accélération des procédures figure parmi les éléments les plus importants », note le DP, qui ajoute que « le fait de regrouper toutes les compétences et procédures concernées au sein d’un même ministère, en l’occurrence le ministère du Logement, promet de débureaucratiser les procédures d’autorisation ». « Depuis des années, nous revendiquons que le

SNHBM 39,4 %

Asbl et fondations 8,4 %

NOMBRE DE LOGEMENTS ABORDABLES, PAR TYPE DE PROMOTEUR 3.125

C’est le nombre de logements dits abordables et conventionnés recensés par le ministère du Logement au 31 décembre 2020, dont 70% sont réalisés par la SNHBM et le Fonds du logement. 300 projets sont en cours de réalisation, dans 59 communes.

Source Ministère du Logement

Fonds du logement 28,8 %

Communes 23,2 %

volet de l’aménagement du territoire actuellement réparti sur plusieurs ministères – à savoir le ministère de l’Aménagement du territoire, le ministère de l’Intérieur, le ministère du Logement et le ministère de l’Environnement – soit réuni sous la compétence d’un seul ministère », appuie le CSV. Déi Lénk, en revanche, ne partage pas l’avis que la lourdeur des procédures administratives constitue l’obstacle déterminant à une

MAX HAHN Député, DP

« Regrouper toutes les compétences et procédures au sein du ministère du Logement promet de débureaucratiser les procédures d’autorisation. »

dynamisation de la construction de logements : « Ces procédures répondent à des objectifs précis, comme la protection de l’environnement et de la santé des futurs acquéreurs et locataires. Mais ceci ne veut pas dire qu’il ne faut pas faire des efforts en matière de simplification. »

« La coordination entre les différents ministères et administrations a déjà été renforcée, tempère déi Gréng. Davantage d’efforts sont nécessaires afin de fluidifier les processus. La digitalisation doit être un moyen technique pour accélérer les délais des procédures. Mais nous devrons également réfléchir sur les procédures elles-mêmes. Pourtant, ces formalités ont aussi leur raison d’être, par exemple pour protéger les habitations contre les inondations. » Quid d’un guichet unique qui supporterait les procédures de façon digitale ? « Un guichet unique digital et transparent pourrait être utilisé pour monitorer le progrès des dossiers et récolter des informations statistiques sur les délais entre les différentes étapes dans la procédure qui permettent d’évaluer l’efficience de la procédure en général », ajoutent les Pirates. « La numérisation intégrale des démarches associées devrait être mise en œuvre au plus vite afin de permettre la centralisation du traitement des dossiers et de garantir un meilleur suivi », estime le DP. « Laissez les communes décider, elles savent de quoi elles parlent. Écartez les bureaucrates ! », tance l’ADR. Une sortie de terre des logements qui dépend des délais de réponse qui devraient être clarifiés, comme le recommande le CSV : « Chaque ministère, et plus spécifiquement le ministère de l’Environnement, devra être contraint

DP Photo

à une réponse endéans un certain laps de temps. Sinon, le silence ministériel vaut accord. » Le principal parti d’opposition suggère aussi la « création d’une structure nationale MyLogement, un établissement de droit privé similaire à la SNHBM ».

La fiscalité pour mobilier foncier et logements Affichant la volonté de mettre la pression sur les propriétaires qui laisseraient volontairement leurs terrains constructibles vacants, la plupart des partis s’accordent sur le principe d’appliquer une taxe sur ce foncier. Le gouvernement travaille sur le sujet, comme l’indique le ministre du Logement, Henri Kox (déi Gréng), en page 28. Xavier Bettel (DP) avait en effet annoncé, lors de son discours sur l’état de la Nation (le 12 octobre 2021, ndlr), qu’une proposition serait sur la table dans les 12 mois. Si l’objectif de mobiliser les terrains est salué par tous, le gouvernement devra définir la spéculation au travers de la formule de l’impôt. Tout en évitant un écueil majeur : échauder une partie des électeurs, qui sont nombreux à disposer de foncier pour leur propre usage ou pour celui de leurs enfants, par exemple. « Pour le DP, il ne s’agit pas du tout de pénaliser les petits propriétaires, qui retiennent l’une ou l’autre parcelle pour leur descendance », temporise le parti du Premier ministre. « Il est évident qu’un tel impôt doit décourager les propriétaires de terrains à en accumuler beaucoup pour les garder et ne pas les mobiliser. Notre parti a prévu une exception pour les petits propriétaires de terrains, portant justement sur la taille du terrain, car il ne faut pas enterrer le droit de propriété, mais encadrer les abus », estiment les Pirates, qui veulent, à l’inverse, récompenser les propriétaires coopérants en instaurant

YVES CRUCHTEN Député et président de fraction, LSAP

« La création de logements intégrés constitue une idée intéressante pour créer des unités supplémentaires. »

MARC LIES Député, CSV

« Chaque ministère devra être contraint à une réponse endéans un certain laps de temps. »

« des exemptions lorsque les propriétaires de ces terrains les mettent à disposition pour des formes de logements temporaires ». Le CSV indique aussi ne pas « pénaliser les propriétaires qui sont bloqués dans des procédures », ni viser les terrains qui font l’objet d’un développement par phasage. « Au lieu de ‘pénaliser’, il faut comprendre pourquoi les logements sont inoccupés. Changer la loi du bail à loyer, permettre les contrats à durée déterminée, abolir la prorogation légale, permettre des contrats d’occupation précaire », demande l’ADR, qui ajoute être « contre toute augmentation d’impôts, y inclus l’impôt foncier ».

Autre outil envisagé et cité également par le ministre du Logement : le remembrement ministériel. « Un autre instrument efficace permettant de développer des projets de construction, au cas où un propriétaire bloque le projet en question », ajoute le parti d’Henri Kox, déi Gréng, rejoint sur le Baulandvertrag par le LSAP. Outre la mise en place d’une taxe sur la spéculation (le CSV propose par exemple une taxe après cinq ans, en cas de terrain vacant, après le début des travaux d’infrastructures), la réforme de l’impôt foncier figure également parmi les propositions retenues par déi Lénk. Le taux de cet impôt progressif sur les immeubles hors habitation principale augmenterait « avec la valeur du patrimoine immobilier (résidence principale exclue), pondéré d’un supplément fiscal également progressif en cas de rétention de terrains constructibles ou de vacance prolongée d’immeubles pour des raisons spéculatives », précise déi Lénk.

La même logique vaut pour les logements vacants, le gouvernement ayant également promis de mettre en place un registre national des logements inoccupés. « La création de logements intégrés constitue une idée intéressante pour créer des unités supplémentaires de manière relativement simple et rapide », estime par ailleurs le DP, subventions à l’appui. Le LSAP propose un « système d’incitation bonus-malus » pour récompenser ceux qui mobilisent les biens vacants, et de pénaliser ceux qui ne veulent pas coopérer. Avec la possibilité de fixer des pénalités si le logement reste inoccupé pendant un certain temps. « Une approche alternative consisterait à suspendre la déductibilité des intérêts relatifs à des prêts immobiliers, tout comme l’amortissement accéléré pendant la période où le logement reste inoccupé », suggère aussi le CSV. Autre idée des socialistes : « Un monitoring digital des logements en cours ou à venir à l’échelle nationale, sur base des données publiques et privées. » Une approche partagée en substance par déi Lénk et les Pirates. Ces derniers proposent d’aller « plus loin en visant non seulement les immeubles, mais aussi les grands propriétaires de terrains constructibles, comme dans notre proposition de loi visant l’exploitation des terrains à bâtir à des fins d’habitation ». Un large consensus se profile également sur le principe d’une refonte de l’amortissement accéléré. « Vu l’évolution du marché du logement, cet incitatif fiscal au

GARY DIDERICH Porte-parole, déi Lénk

« Il faut protéger la denrée ultra-rare que constitue la surface disponible et préserver la biodiversité. »

profit des investisseurs est devenu difficile à justifier », souligne déi Gréng. Le CSV propose de « fixer un plafond maximum qui peut être déduit par an » et de « revoir à la hausse le poids du terrain, qui est estimé, dans la plupart des cas, forfaitairement à 20 % du prix total de l’immeuble ». L’ADR s’y oppose, en revanche : « Il faut des gens qui investissent dans la construction d’habitations. Si ces gens disparaissent du marché, on n’aura pas un seul logement de plus, mais on risque d’avoir moins d’habitations. »

Les Pirates et le LSAP plaident pour une révision de l’amortissement accéléré pour promouvoir des projets collectifs et bénéfiques pour la société. « Selon l’Observatoire de l’habitat, les acteurs étrangers jouent un rôle secondaire sur le marché immobilier, dominé

Matic Zorman, ADR, CSV et déi Lénk Photos

par des acteurs autochtones. Les acteurs étrangers présents sont pour la plupart des acteurs européens qui ne seraient pas concernés par une Lex Koller », pointe déi Lénk au sujet d’une éventuelle limitation du poids des acteurs étrangers via une loi Lex Koller, en place en Suisse, que soutiennent le CSV et le LSAP (sous réserve d’une validité juridique). « Une loi Lex Koller au Luxembourg, cœur de l’Europe, ne semble pas appropriée », pour l’ADR.

Plus dense, plus haut Si l’utilisation rationnelle du sol en tant que denrée rare est citée comme principe de bon sens par les politiques, la question d’une densification du bâti et d’un recours à des immeubles plus hauts en milieu urbain est différemment abordée à l’échelle nationale. « Il convient d’analyser quel est le besoin réel en matière de types de logements ou de taille demandée des unités résidentielles. Surtout des unités de moindre taille, comme des studios, sont très demandées, tandis que l’offre sur le marché ne correspond pas forcément à la demande », pointe le DP. Quant au bon équilibre dans les PAG entre le coefficient d’utilisation du sol (CUS – le nombre de mètres carrés construits) et la densité de logements (DL – nombre de logements par hectare) pour éviter de n’avoir que des grands logements qui puissent être nouvellement construits, le LSAP souligne que « la crise écologique nous l’impose ! ». « Avec le nouveau Pacte logement, nous ne créons pas seulement davantage de logements abordables avec chaque nouveau PAP, mais nous augmentons également la densité du logement de 10 % », ajoute déi Gréng. Le CSV propose en outre la mise en place d’une « cellule Plan d’occupation du sol pour le développement stratégique du pays ». La question de la densité renvoie forcément à la notion de cadre de vie, estime l’ADR, qui n’est pas opposé à densifier des endroits spécifiques : « Mais il faut garder une qualité de vie qui englobe aussi une place de parking devant la maison pour éviter des déplacements pénibles. Et des parkings pour les amis… »

« Construire de manière plus dense et davantage en hauteur demande en contrepartie de réserver plus de surface à la verdure accessible au public et à l’aménagement de points de rencontre dans le quartier », résume déi Lénk. L’aménagement du territoire est questionné par les Pirates, qui plaident « dans un Luxembourg du 21e siècle » pour densifier les zones urbaines : « Les avantages de la densification parlent d’eux-mêmes : optimisation du périmètre de construction actuel, infrastructures et services déjà sur place, bonne connexion aux transports publics existants. »

Construire des unités de logement plus denses sans remettre en cause ni la qualité de vie des quartiers existants ni le caractère rural des agglomérations concernées, l’équation

ROY REDING Député, ADR

« Au lieu de ‘pénaliser’, il faut comprendre pourquoi les logements sont inoccupés. »

concentre plusieurs paramètres sensibles. Le respect de l’environnement et l’utilisation des ressources entrent de même en ligne de compte. « Il faudrait éviter au maximum les excavations. Souvent, cela comporte les parkings. En conséquence, il faut revoir le nombre de parkings à la baisse en fonction de l’accessibilité au transport commun, les pistes cyclables ou le milieu construit », estime déi Gréng. Les études environnementales et éventuellement archéologiques nécessaires sur un terrain qui est pourtant déjà classé comme constructible sont citées par les acteurs privés comme un frein à la construction. Déi Lénk s’oppose au renversement de la charge de la preuve : « On ne peut risquer que l’aval implicite donné à la destruction d’un biotope puisse résulter de la nonintervention de l’administration compétente, souvent sous-équipée en personnel. » Le CSV est en faveur d’une primauté de l’autorisation de construction et du périmètre pour éviter de devoir faire un bilan écologique et des fouilles. Il est rejoint par le LSAP sur l’idée d’inverser la charge de la preuve : « C’est au ministère de l’Environnement de prouver, dans un délai court, qu’il y a un biotope à déplacer, et non au développeur qui possède déjà une autorisation à bâtir. » Pour les Pirates, c’est au maître d’ouvrage de déclarer la présence d’un biotope. Charge ensuite au ministère d’accélérer la procédure d’évaluation. « Au cas où cette procédure prendrait trop de temps, la construction pourra être réalisée dans un délai spécifié », ajoute le parti représenté par Sven Clement. « Il ne faut pas abandonner la biodiversité face à la pression du logement. Au contraire », résume l’ADR, pour sa part.

Du temporaire et de l’expérimental Entre le besoin rapide de nouveaux logements et leur fonction dans la société, les partis examinent les possibilités de mise en place de logements temporaires, par exemple en flexibilisant le bail emphytéotique et en en réduisant la durée minimale. « De cette façon, un propriétaire qui souhaite garder son terrain pourrait tout

Autres ménages 18,6 %

Locataires les moins aisés (quintiles 1 et 2) 6,6 %

Propriétaires les moins aisés (quintiles 1 et 2) 18,5 %

RÉPARTITION DES GAINS RÉSULTANT DES POLITIQUES SOCIALES ET FISCALES LIÉES AU LOGEMENT

Ensemble des aides modélisées

Source Observatoire de l’habitat (2021)

Propriétaires les plus aisés (quintiles 4 et 5) 56,3 %

de même mettre à disposition celui-ci pendant une certaine durée, par exemple 10 ans, 15 ans, pour y installer des constructions modulaires. Le propriétaire percevrait non seulement un loyer, mais il aurait aussi la garantie de pouvoir disposer de son terrain après le temps convenu pour ses propres besoins », explique le DP, qui imagine des « incitations fiscales, similaires au modèle de l’exonération fiscale de 50 % des revenus provenant de la location de logements mis à disposition dans le cadre de la gestion locative sociale ». Le principe d’un bail pour favoriser le logement modulaire, donc, auquel le LSAP et le CSV souscrivent. Les Pirates font de même, en veillant à ce que « [les] villages ne se transforment pas en des villes à conteneurs pendant des décennies ». Par ailleurs, l’obligation d’inclure du logement dans chaque nouveau projet d’immeuble de bureaux est soutenue par le LSAP, déi Lénk et les Pirates. « Qui veut habiter dans un immeuble de bureaux ?, s’interroge l’ADR. Par contre, activer les logements au-dessus des commerces est une bonne idée. Sans ‘taxation’, mais plutôt par incitation. » Le DP et le CSV citent quant à eux l’exemple des tiny houses, et les Pirates, les « smart cities, ainsi que les logements modulaires » pour innover en matière de logement.

L’expérimentation apparaît donc comme une des pistes à suivre pour ouvrir la voie à des logements qui pourraient être mis en place plus rapidement, qui répondent aux nouveaux modes de vie et qui assurent la mixité sociale et d’usage nécessaire dans les quartiers. Sans forcément passer par des quotas, qui pourraient être contre-productifs, selon le LSAP. Mais à condition d’ajuster la législation. La qualité de vie demeure un sujet sur lequel les partis insistent, dans tous les

L’ÉTAT DÉNOUE LES CORDONS DE LA BOURSE Pour répondre aux besoins des résidents et acter ses promesses, le gouvernement augmente les budgets relatifs au logement public pour atteindre les 300 millions d’euros cette année. De 2010 à 2017, la moyenne d’investissement était de 40 millions d’euros.

Source Ministère du Logement

300 millions d’€ 300

100 71 84 96 170

SVEN CLEMENT Député, Piratepartei

« Il faut envisager de découpler la croissance des activités économiques de la croissance démographique. »

cas, comme le résume le CSV  : « Chaque nouveau projet de PAP avec une bonne connectivité aux transports en commun, avec une proximité à toutes sortes de commerces, avec de bonnes possibilités de pratiquer du sport et des loisirs devra être doté d’un certain ratio pour une meilleure mixité entre logements, surfaces de bureaux et commerces/loisirs. » Les Pirates veulent « éviter de reproduire le phénomène des villes-dortoirs », en poursuivant la décentralisation des activités économiques vers le Sud, l’Ouest, l’Est et le Nord, là où la capitale et ses alentours continuent de concentrer une large part des flux de travailleurs. « Un certain nombre de défis, dont notamment la mobilisation de terrains pour des projets opportuns, la densification, la mixité sociale et l’accélération de la construction de logements abordables pourraient également être relevés par un tel organe, ajoute déi Lénk. De manière générale, la fonction architecturale sort souvent perdante des réalisations immobilières au Luxembourg. »

Ambitions nationales vs prérogatives communales Organisée dans la perspective de la composition des programmes électoraux qui précéderont les élections de l’an prochain, l’initiative de Paperjam sur la crise du logement met notamment en lumière le lien à recréer entre achat d’un logement et occupation de ce dernier, le cas échéant. Des mesures pour éviter que l’immobilier constitue, chez certains investisseurs, un pur bien spéculatif sont ainsi évoquées par les partis. « Il faut limiter les investissements immobiliers spéculatifs. La priorité d’achat incombe aux primo-accédants », déclare par exemple le LSAP. Si les formations politiques dévoileront leurs approches sur le logement à l’échelle nationale avant les législatives d’octobre 2023, le dossier se jouera dès le mois de juin 2023 avec la tenue d’un autre scrutin : les élections communales. L’autonomie du pouvoir local et les prérogatives dont disposent les élus communaux influent en effet de manière non négligeable sur la crise du logement.

Faut-il, du coup, réduire le nombre de communes pour rationaliser la problématique ? « Plus une commune est grande, plus elle dispose, à travers ses services urbanistiques et techniques, des capacités et du personnel nécessaires pour traiter les autorisations de bâtir, mais également pour développer ses propres projets immobiliers », appuie déi Lénk, en principe en faveur de la mesure. Un sujet électoral sensible. Le LSAP et les Pirates s’en remettent aux citoyens par voie de référendums. L’ADR réfute cette idée et défend l’autonomie communale : « Une petite commune est plus efficace et connaît son territoire mieux qu’une ‘super-commune’ ou un guichet étatique. » Déi Gréng souhaite, pour sa part, « encourager la fusion des communes en soutenant davantage la coopération régionale, si nécessaire, en complétant la réforme des finances communales et en réformant la loi sur les syndicats communaux ». Si le Pacte logement 2.0 vise à accompagner davantage les communes en moyens et ressources pour construire des logements abordables, les partis s’accordent sur le besoin de mieux doter l’échelon local pour suivre la cadence de construction de logements et les indispensables infrastructures publiques ad hoc. Des communes qui pourraient avoir recours à un professionnel du logement comme peut l’être le Bouwmeester (maître architecte), existant en Belgique, idée soutenue par déi Lénk et le LSAP, en évitant les doubles emplois. La question est justement posée par les Pirates : cette fonction ne pourrait-elle pas être remplie (ou assurée) par les conseillers en logement qui sont mis à disposition de chaque commune dans le cadre du Pacte logement 2.0?

De mesures pragmatiques à la refonte de l’architecture gouvernementale, en passant par une expérimentation qui casse certains codes, la crise du logement se résoudra par un faisceau de solutions. De l’avis de tous les responsables politiques, toutes doivent converger vers un même but : permettre à chacun d’avoir le droit de disposer d’un logement décent à un prix tout aussi décent. Un droit impérieux qui figure même dans le projet de nouvelle Constitution. Si la concorde est affichée sur les principes et dans la plupart des mesures du côté des partis, deux facteurs seront déterminants pour passer des principes aux actes : le courage et la volonté politiques.

Retrouvez les réponses in extenso des partis aux 25 propositions sur paperjam.lu, ainsi que leur témoignage en vidéo.

Matic Zorman Photo

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