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Le dentellier de la pierre

Jérémy

la cathédrale de Fribourg.

Ça sent la terre fraîche et le minéral. Une grande baie vitrée déverse des flots de lumière dans l’atelier, une halle de 65 m2, campée sur un site industriel au Bry (FR). Campagne fribourgeoise, talus, cailloux entassés devant la porte. Voilà le décor où se tient l’antre de Jérémy Birbaum, tailleur de pierre. Un métier qui semble anachronique tant l’époque tend à la dématérialisation. Mais lui, il résiste, une casquette vissée sur le crâne et le regard bleu limpide.

Oui, il résiste à sa façon, avec douceur et ses outils, soigneusement rangés dans des casiers. «J’aime qu’ils correspondent à ma main et aux matières que je travaille. Je ne trouve pas de ciseaux aussi fins dans le commerce», dit celui qui aime forger lui-même ses broches, gradines et autres ciseaux de taille.

Un travail de Sisyphe Ce jour-là, c’est une tête de mouton qui prend forme au centre de l’atelier. Une commande de particulier. Rustique encore, ébauchée dans la glaise, elle est inspirée de Nanouk, un de ses moutons d’Ouessant. Car la matière s’apprivoise avec respect, nécessite tout un travail d’approche, modelage, puis moulage en plâtre. Et alors seulement viendra la sculpture dans le bloc de calcaire, à l’aide d’un pantographe pour reporter les mesures. «Attaquer en taille directe, c’est risqué, ou il faut en avoir dans le pantalon! Je préfère calibrer au fur et à mesure pour ne pas outrepasser la forme.» Jérémy Birbaum prend le couteau, ajoute des pâtés de terre sur les côtés. «Il lui manque de la joue», précise-t-il.

Question bestiaire, il n’en est pas à son coup d’essai. Oiseaux, lions, dragons, il sculpte à la demande. Comme cette vache fribourgeoise, accolée à une fontaine, qu’il devra réaliser pour une commune de l’Intyamon. Plusieurs tonnes de grès granitique pour le seul bassin, avec le défi de reconstituer la tête de cette race bovine aujourd’hui disparue. «J’aurais aimé trouver une vraie tête de vache empaillée, pour avoir l’approche physique réelle. Peut-être que je ferai le rendu en numérique, je suis ouvert à différents procédés.»

N’empêche, il y a chez lui la volonté de retrouver le geste ancestral, de comprendre la matière, de «tendre la surface» par la main et la massette plutôt que la machine. «C’est vivant de voir les choses comme ça», dit celui qui s’occupe aussi de restaurations historiques. Comme l’Abbaye de la Fille-Dieu à Romont (FR):

40 tonnes de pierres récupérées, à numéroter, inventorier pendant une semaine, avant de les réutiliser pour la réfection des baies. Un vrai travail de Sisyphe, à mi-chemin entre «un boulot de bœuf et d’archéologue!»

Abnégation et patience

Dans le même esprit, il a participé à la restauration de la cathédrale de Fribourg. En 1998, alors apprenti, il se souvient de sa toute première tâche: 80 m2 passés au petit ciseau, une finition de surface dans la nef supérieure.

«Il a fallu de l’abnégation et de la patience. Mais c’était une sacrée formation.» Plus récemment, c’est lui encore qui a été mandaté pour le remplacement des meneaux dans le chevet ainsi que des pinacles du XIVe siècle et quelques balustrades au-dessus du portail sud. Soit 90 à 100 heures par pièce! «J’ai travaillé en sous-traitance et j’ai suivi les plans préparés par le maître d’œuvre. Tout le processus de taille est fait à la main pour garder l’expression artisanale. La machine opère la matière d’une façon qui ne correspond pas à l’approche patrimoniale.» Perfectionniste jusqu’au bout de l’ognette, Jérémy Birbaum a lui-même assuré la coordination de levage des pièces avec un camion-grue – «Je fais tout de A à Z» – et les a serties au plomb, comme autrefois.

Poursuivre l’histoire d’avant

Le chantier du portail sud de la cathédrale est presque terminé, si tant est qu’il le soit un jour. Restent encore deux marches à réparer, avec un mortier qu’il créera lui-même, pour arriver au plus près de la texture, de l’apparence et de la couleur d’origine. Une fierté de mettre ainsi sa touche à un monument qui a traversé les siècles? À peine. De même que l’on ne verra pas sa signature. Son signe lapidaire est toujours discret et bien caché, sur la tranche d’une dalle ou à contre-jour. «Faire continuer l’histoire d’avant, avec amour et harmonie, voilà l’essentiel.»

Jérémy Birbaum sculpte à la demande, comme ici une pomme de pin.

Jérémy Birbaum regarde par la fenêtre. S’il fait beau

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