Rue de la Loi: analyse historique et nouvelles perspectives de son souterrain

Rue de la Loi Analyse historique et nouvelles perspectives de son souterrain

Lucas André Promoteur : Benoît Moritz Année académique 2021-2022 Faculté d’architecture La Cambre Horta - ULB

Mémoire de fin d’études

Page de couverture: photo du chantier du bâtiment Loi 85. © photo personnelle

2

Remerciements J’aimerais bien remercier mon promoteur Benoît Moritz - qui était toujours disponible quand j’avais des questions. Nous avions de nombreuses discussions très intéressantes tout au long de la recherche, ce qui m’a permis d’approfondir progressivement mon niveau de connaissance par rapport à la rue de la Loi et plus généralement au quartier Léopold.

Ensuite, j’ai eu la chance de discuter avec des spécialistes de l’histoire urbanistique de Bruxelles et du quartier européen, notamment avec des membres de la Faculté d’architecture de l’ULB mais aussi en participant à des réunions de concertation sur le Projet Urbain Loi. Finalement, j’aimerais remercier tous les centres d’archives que j’ai pu visiter, qui ont été toujours disponibles et qui m’ont fait découvrir des documents remarquables.

3

Fig. 1 La rue de la Loi. (google earth)

4

5

6

Abstract Ce mémoire s’intéresse au cas de la rue de la Loi. Le travail vise à analyser cette rue pour ensuite proposer une nouvelle piste de réflexion dans son futur développement. L’analyse historique par phases d’urbanisation permet d’identifier une série de questions urbaines transversales. Ensuite, l’hypothèse principale du mémoire est d’explorer - notamment en analysant plusieurs cas d’études - en quoi une de ces questions - le souterrain de la rue de la Loi - pourrait être un levier d’action valorisant dans le développement futur d’un projet de réaménagement de la rue de la Loi.

Mots clés Rue de la Loi; Quartier Léopold; urbanisme du souterrain; métro; Projet Urbain Loi

7

Table des matières

8

INTRODUCTION

Remerciements

3

Abstract

7

Description du sujet

14

Etat de l’art

16

Méthodologie

18

PREMIERE PARTIE Les différentes phases de mutation de la rue de la Loi

Introduction

20

1.1. 1820-1920 : La rue de la Loi dans le projet initial du plan d’extension du quartier Léopold

23

Le quartier royal Le plan de Suys L’extension du plan de Suys au-delà de la vallée du Maelbeek Le plan Besme Le quartier des squares 1.2 1920-1950 : Les premières transformations avec l’apparition des résidences (Résidence Palace, immeuble de rapport, premiers gratte-ciels bruxellois, etc.)

33

Un nouveau modèle d’habitat Le Résidence Palace Immeubles de rapport La résidence du Cinquantenaire 1.3 1950-1980 : Première phase de métropolisation (travaux du métro, gare multimodale Schuman, tunnel autoroutier, parking souterrain, immeubles de bureaux, etc.)

40

Bruxelles, capitale européenne ?

La haute bourgeoisie chassée par la voiture Construction massive de bureaux Deux symboles européens: le Berlaymont et le Charlemagne Quelles limites pour cette forte densification ?

La première ligne de prémétro belge Montréal: source d’inspiration pour la rue de la Loi ?

Le parking public sous la rue de la Loi 1.4 1980-2000 : Les tentatives postmodernes de réintroduire de l’urbanité à travers une architecture postmoderne

62

L’Eurosquare Le Juste Lipse 9

10

Les rénovations du Berlaymont et du Charlemagne Le Berlaymont La proposition de Jean Nouvel La proposition de Norman Foster Le Charlemagne Une fermeture vis-à-vis de l’espace public Conclusion 1.5 2000-2022 : L’hyperdensification et le Projet Urbain Loi

79

Les prémisses du Projet Urbain Loi La proposition du Berlage Institute Le projet de Jaspers-Eyers & Partners pour la vallée du Maelbeek Le Projet Urbain Loi Approche n°1 : Appliquer un template urbanistique et éparpiller la Commission européenne sur la rue de la Loi Approche n°2 : Assumer l’Europe à Bruxelles comme un objet symbolique et s’inscrire dans la réalité foncière complexe de la rue de la Loi Approche n°3: Concentrer l’Europe autour du rond-point Schuman sans toucher le reste de la rue de la Loi Des premiers projets du Projet Urbain Loi se construisent… et sans doute les derniers ?

Qu’en est-il du Projet Urbain Loi en 2022 ?

Conclusion

DEUXIEME PARTIE

99

6 questions urbaines clés de la rue de la Loi aujourd’hui Introduction

100

2.1 Densification

103

Première densification avec des immeubles de résidence Densification principale avec l’arrivée des institutions européennes Hyperdensification potentielle avec le Projet Urbain Loi Libérer le sol pour densifier: un phénomène transversal 2.2 La fonction dominante : entre monofonctionnalité et mixité fonctionnelle

109

Monofonctionnel logements Monofonctionnel bureaux Vers une mixité fonctionnelle ?

2.3 Symbolique du pouvoir

116

Le Parlement belge Le Cinquantenaire Berlaymont, Charlemagne, Juste Lipse, Lex 2000 et Europa L’îlot 130 dans la proposition de Portzamparc 2.4 Patrimoine

121

Le Berlaymont et le Charlemagne Le Résidence Palace 11

12

Les hôtels de maître dans la proposition de Portzamparc Le projet de Neutelings Riedijk et Jaspers-Eyers & Partners pour le bâtiment Isala (Total) 2.5 Sécurité – le rapport à l’espace public

128

Le Parlement belge et les institutions européennes Le projet pour le rond-point Schuman 2.6 Infrastructures du sous-sol

133

La voie de chemin de fer Le métro, le parking et les tunnels autoroutiers La gare multimodale Schuman Des projets contraints par le sous-sol Conclusion

TROISIEME PARTIE

145

L’avenir de la rue de la Loi à travers son sous-sol Introduction

146

3.1 Urbanisme du souterrain à Bruxelles

148

Qu’est-ce l’urbanisme du souterrain ?

Gare Centrale: premier projet d’urbanisme du souterrain à Bruxelles Carrefour de l’Europe Centre Monnaie Place Rogier Rue de la Loi 3.2 Un état des lieux: 3 sites d’intensité

158

Le «couple» Mercator-Woodrow et la station de métro Arts-Loi Le Loi 120 et la station de métro Maelbeek Le parking public en dessous de la rue de la Loi 3.3 Analyse de cas d’études

178

Montréal - Berri-UQAM Barcelone - L’Illa Diagonal Paris- La Défense Conclusion

FERMETURE

203

Conclusion

204

Bibliographie

210

13

Description du sujet

14

La rue de la Loi a subi de multiples mutations au fil de son histoire, elle concentre de nombreuses tendances architecturales et phénomènes urbanistiques depuis presque 200 ans. Ainsi, on peut considérer la rue de la Loi comme un «laboratoire de recherches urbaines», où des bouts de projets se réalisent, restent, sont transformés, disparaissent ou sont oubliés. La rue de la Loi est une réalisation imparfaite, un compromis, un urbanisme fragmenté qui témoigne d’un changement radical de Bruxelles d’une ville habitée en ville de service. Les phénomènes urbains observés sont tantôt de nature générique, tantôt d’ordre très spécifique à la rue de la Loi. Vers la moitié du 19ème siècle, l’Etat belge et la Société d’Agrandissement et d’Embellissement de la ville de Bruxelles choisissent le quartier Léopold pour proposer à la haute bourgeoisie un espace d’habitat de grande qualité en dehors du centre de Bruxelles, qui est devenu profondément insalubre. En effet, ce nouveau quartier constitue la première extension hors des murs de Bruxelles. La rue de la Loi matérialise le prolongement du premier bout de la rue de la Loi préexistant qui se trouve en face du Parlement belge actuel, lui conférant ainsi une dimension symbolique importante. Plus tard son importance symbolique est amplifiée avec les différents projets du Roi Léopold 1er situés dans l’axe de la rue de la Loi (le Cinquantenaire, l’avenue de Tervuren, le Musée Royal de l’Afrique centrale, l’Arboretum etc.) mais aussi quelques décennies plus tard avec les bâtiments principaux des institutions européennes (Berlaymont, Charlemagne, Juste Lipse, Europa etc.).

La deuxième phase spécifique majeure de la rue de la Loi constitue la densification de l’espace bâti et surtout du sous-sol à partir des années 1960. De nombreuses entreprises, partis politiques et un peu plus tard les institutions européennes, s’implantent progressivement le long de cet axe devenu d’autant plus métropolitain. En effet, les institutions européennes constituent un «aimant économique» important pour Bruxelles et nécessitent une forte connexion avec les autres villes européennes accueillant d’autres institutions européennes. Pour répondre à cette demande, l’Etat belge investit substantiellement dans l’infrastructure de la rue de la Loi. Elle est entièrement artificialisée avec la construction d’un énorme parking sur trois étages en dessous de la voirie, la mise en service du premier prémétro Bruxellois (qui devient un peu plus tard le «vrai» métro), le percement de tunnels autoroutiers et la création d’une gare multimodale en dessous du rond-point Schuman. La rue de la Loi change radicalement de visage et devient un réel bâtiment, son sol est devenu un monde entièrement saturé en béton et en acier.

Ainsi, dans ce mémoire, il s’agit d’abord d’analyser ce « ping-pong » de phases d’urbanisation tantôt génériques, tantôt spécifiques afin de comprendre la situation actuelle de la rue de la Loi. Ensuite, différents questions urbaines transversales spécifiques à la rue de la Loi sont analysées afin de révéler les débats qui reviennent d’époque en époque lorsqu’il s’agit d’architecture dans la rue de la Loi. Finalement, dans la troisième partie, nous nous concentrerons sur un aspect très caractéristique de la rue de la Loi: son monde souterrain. Nous tenterons, à travers le cas de la rue de la Loi, de répondre à plusieurs questions: Quel est le potentiel de ce monde souterrain (le parking public de trois étages, les stations de métro etc. ) dans le cadre d’un futur projet de réaménagement de la rue de la Loi? Quel est le potentiel «d’animation» de ce monde souterrain pour l’espace public en surface ? Quels sont les sites existants sur la rue de la Loi qui ont déjà une relation forte avec le monde souterrain ? Comment est-ce qu’ils fonctionnent ? Est-ce qu’il y a d’autres cas dans le monde qui pourraient constituer des exemples à suivre ? Quel est l’avenir de l’urbanisme du souterrain ?

15

Etat de l’art

16

La travail de ce mémoire s’est basé sur quatre principales catégories de documents concernant l’histoire, le patrimoine, les débats actuels et la thématique de l’urbanisme du souterrain pour le cas de la rue de la Loi. Premièrement, on retrouve des ouvrages et des mémoires portant sur l’histoire de l’urbanisation de Bruxelles, notamment de Thierry Demey, Patrick Burniat, la Région de Bruxelles-Capitale et quelques autres. Ils nous expliquent les différentes phases de mutation à l’échelle de la ville de Bruxelles et dans quelle mesure le quartier Léopold avec la rue de la Loi sont des cas urbains marquants dans l’histoire de l’urbanisation de Bruxelles. Ils nous montrent comment la rue de la Loi est devenue au fil du temps un «laboratoire urbain» où toutes les tendances architecturales, urbanistiques et infrastructurelles spécifiques à chaque époque s’accumulent, se substituent ou se superposent. Ces références permettent de caractériser la rue de la Loi et de ressortir une série de questions urbaines spécifiques et transversales dans le temps.

Deuxièmement, il existe une série d’ouvrages et de revues scientifiques traîtant du «patrimoine» architectural du quartier Léopold et de la rue de la Loi. Quelques ouvrages de «Bruxelles, Ville d’Art et d’Histoire» expliquent le patrimoine depuis le 19ème siècle dans le quartier Léopold (hôtels de maître, gares de trains, immeubles à appartements, immeubles de bureaux etc.), alors que d’autres ouvrages et articles de revue tels que celui de Michel De Beule, Sven Sterken ou Thierry Demey expliquent plus précisément les bâtiments de bureaux construits après la Deuxième Guerre mondiale. De plus, une série de numéros de la revue d’architecture Belge A+ traitent ponctuellement de la question patrimoniale au sein du quartier Léopold et de la rue de la Loi. Ces documents permettent de comprendre la valeur patrimoniale des bâtiments qui existent encore aujourd’hui sur la rue de la Loi et pourquoi ils n’ont pas encore été démolis. Ainsi, on parvient à confronter la question patrimoniale avec le Projet Urbain Loi et questionner la manière de faire de l’urbanisme et de l’architecture sur la rue de la Loi aujourd’hui.

Troisièmement, il existe plusieurs documents qui expliquent les débats autour du Projet Urbain Loi, notamment quelques numéros de la revue A+ mais aussi une série d’articles scientifiques et d’ouvrages critiques comme celui de Ludovic Lamant. Ils révèlent des récits et des points de vues de nombreux acteurs différents sur le projet de réaménagement de la rue de la Loi. En confrontant ces documents avec les informations retirées des ouvrages historiques cités précédemment, on comprend mieux la pertinence des choix effectués pour la revalorisation de la rue de la Loi. Finalement, une série d’ouvrages, de rapports et d’articles scientifiques plus spécifiques sur le sujet du monde souterrain en ville décrivent comment un urbanisme du souterrain peut être un outil de conception pour créer des quartiers de qualité. Il s’agit de récolter quelques références de qualité qui pourraient alimenter les réflexions pour le Projet Urbain Loi. Par exemple l’ouvrage de David Mangin et Marion Girodo nous montre comment fonctionnent des réseaux souterrains majeurs dans trois villes et comment le monde du dessus profite directement de la ville du dessous. Les futurs projets de réaménagement de la rue de la Loi, étant jusqu’ici majoritairement pensés par le dessus, pourraient ainsi s’enrichir en s’inspirant d’autres cas comparables.

Nous verrons que par la mise en confrontation des différentes sources énoncées ci-dessus, le mémoire présentera des enjeux oubliés ou peu valorisés dans le cadre de projets de réaménagement de la rue de la Loi (notamment le Projet Urbain Loi), dont son monde souterrain.

17

Méthodologie

18

La méthodologie de ce mémoire utilise une variété de sources afin de diversifier les informations collectées et opinions mobilisées concernant le sujet. En effet, la recherche est divisée en trois champs distincts: la recherche de documents graphiques, le relevé photographique du site et la recherche de documents écrits.

En premier lieu, une analyse de documents graphiques historiques (plans, cartes, documents administratifs et images) est faite provenant de sites internet, d’ouvrages remarquables, de mémoires et d’archives spécifiques. Comme le monde souterrain de la rue de la Loi est assez peu documenté dans les ouvrages historiques, une récolte de documents encore peu connus voire inconnus au grand public a été nécessaire. Le travail est donc alimenté par une recherche conséquente aux archives de la Ville de Bruxelles, du CIVA, de la STIB et de personnes privées. Ensuite, les ouvrages et mémoires traîtant de l’urbanisation du quartier européen, permettent de compléter les documents graphiques avec une vision plus théorique et globale à l’échelle de Bruxelles.

Ils aident également à mieux comprendre pourquoi on est arrivé au Projet Urbain Loi, les défis et les contraintes du passé et comment le projet est situé à Bruxelles.

En parallèle de cette analyse historique dans le domaine de la littérature écrite et des archives historiques, un relevé photographique de la situation actuelle de la rue de la Loi a été fait à travers de nombreuses visites sur le site. En effet, ces visites régulières sont étalées sur une durée d’environ deux ans, afin de comparer l’histoire écrite, les discussions que nous avons pu avoir avec des personnalités du cadre académique et lors de réunions de concertation pour le Projet Urbain Loi, avec la réalité actuelle.

D’ailleurs, cette iconographie personnelle permet de produire un aperçu synthétique et visuel sur l’évolution (ou la non-évolution) de la rue de la Loi sur une durée d’environ deux ans. De plus, à travers la mise en résonnance avec l’histoire, ces documents permettent l’émergence d’une série de thèmes transversaux spécifiques à la rue de la Loi. Finalement, étant donné que l’étude historique forme une partie essentielle de la recherche, une attention particulière est donnée à la mise en valeur graphique des documents illustrés.

Les informations récoltées lors de l’analyse historique et thématique (dont surtout celles par rapport aux infrastructures souterraines) sont croisées et comparées avec la proposition initiale du Projet Urbain Loi. La possibilité d’adapter le projet initial à cette mise en valeur du monde souterrain est examinée sans pour autant proposer une adaptation du Projet Urbain Loi par une production de documents graphiques personnelle.

Finalement, en vue d’analyser la rue de la Loi à la lumière de sa nature en tant qu’infrastructure, le mémoire s’intéresse d’abord aux «trouvailles» des archives et ensuite à une série d’ouvrages portant sur des cas d’études remarquables en lien avec les enjeux spécifiques au souterrain de la rue de la Loi. Grâce à l’analyse de ces cas, certaines hypothèses quant à la transformation de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi sont établies, puis discutées et vérifiées avec des acteurs du cadre académique (notamment Benoît Moritz), mais aussi par comparaison avec divers cas d’études provenant d’ouvrages traitant de l’urbanisme souterrain.

De manière générale, la recherche est ponctuée régulièrement par des discussions avec le promoteur pour garder une vue d’ensemble claire et pour vérifier la pertinence des étapes entamées. De plus, une série d’entretiens avec des spécialistes du terrain (Géry Leloutre, Pierre Lemaire...) et des discussions lors de réunions de concertation pour le Projet Urbain Loi qui ont eu lieu en automne 2021, permettent d’actualiser la recherche au fil de la production.

19

PREMIERE PARTIE Les différentes phases de mutation de la rue de la Loi

Introduction La première partie de ce mémoire décrira les phases de mutation de la rue de la Loi, permettant notamment de situer cet axe important dans l’histoire d’urbanisation de Bruxelles.

Certaines phases de mutation entières sont de nature assez générique (on retrouve des phénomènes similaires ou identiques ailleurs à Bruxelles), tandis qu’à d’autres moments, des phénomènes très spécifiques à la rue de la Loi émergent, dont notamment son caractère infrastructurel.

Les phases de mutation de la rue de la Loi commencent à partir du début du 19ème siècle avec la création de la Belgique et se prolongent en 5 phases jusqu’à aujourd’hui. Grace à cette analyse historique, sont identifiées 6 questions urbaines transversales (deuxième partie) qui reviennent à chaque époque et qui sont toujours d’actualité aujourd’hui.

20

21

Fig. 2 Plan de Bruxelles et ses faubourgs publié en 1823 par Jean Baptiste de Bouge. (Extrait de: Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Atelier n°1 Forme urbaine et patrimoine octobre 2021, p. 31)

Fig. 3 Îlot modèle de Tilman-François Suys en 1838. (Extrait de: Demey, Thierry.

Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 41)

Fig. 4 Plan en damier de Tilman-François Suys en 1838. On perçoit notamment la continuité des axes existants du parc Léopold et les différents équipements collectifs au sein du nouveau quartier Léopold.

(Disponible sur: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b530652497/f1.item#)

22

1.1. 1820-1920 : La rue de la Loi dans le projet initial du plan d’extension du quartier Léopold Le quartier royal Depuis le début du 19ème siècle, des grands changements urbanistiques ont lieu à Bruxelles. L’industrialisation a marqué le centre-ville de Bruxelles. La ville comprise à l’intérieur de la petite ceinture est devenue insalubre, ce qui a mobilisé les urbanistes de l’époque de mettre en place une stratégie hygiéniste d’embellissement de la ville.

La classe ouvrière est repoussée dans les quartiers industriels ou alors plus loin en périphérie alors que la haute bourgeoisie investit les nouveaux quartiers juste en dehors de la petite ceinture. Celle-ci est notamment relocalisée dans la première extension de Bruxelles hors les murs à partir de 1838: le quartier Léopold.1 Ce quartier est situé en prolongement de la trame en damier du Parc Royal où se trouvent rassemblées les institutions majeures du pouvoir politique belge: le Parlement belge, des ambassades, le Palais Royal et le siège de la Société Générale. Le but est d’abriter la haute bourgeoisie à proximité des principaux bâtiments de l’Etat. La lumière, l’espace et la largeur des voiries sont bien plus importants que dans le centre de Bruxelles, faisant de ce nouveau quartier un des plus chers à Bruxelles2.

Le plan de Suys Quelques années après la création de la Belgique, la Société Civile pour l’Agrandissement et l’Embellissement de la capitale de la Belgique décide d’investir dans le projet d’extension du quartier Léopold. En 1838, le Compte Ferdinand de Meeûs, un actionnaire important de cette société privée (comme notamment le roi Léopold 1er) engage l’architecte Belge Tilman-François Suys pour concevoir l’extension du quartier Léopold. La trame du nouveau quartier est basée sur les premiers îlots construits en 1821 entre le Parc Léopold et les boulevards extérieurs3. On voit également que les rues Zinner, Lambermont et de la Loi sont pris comme axes de référence pour la composition du nouveau quartier Léopold (voir Fig. 4). Ensuite, le plan est articulé autour de places (place de l’industrie ou square de Meeûs aujourd’hui et la place de la Société Civile ou square Frère Orban aujourd’hui) et d’équipements remarquables (une église, un hippodrome, une caserne de cavalerie, un cirque, un palais de l’industrie), dont uniquement l’église Saint-Joseph est construite.

Suys imagine un plan en damier composé d’îlots types qui sont constitués de trois typologies urbaines arrangées de manière symétrique sur un plan carré (voir Fig. 3). D’abord, on retrouve des maisons bourgeoises avec trois pièces en enfilade et avec jardin privé; ensuite on perçoit des hôtels de maître à entrée cochère sur cour; et finalement, les parcelles d’angle sont occupées par des hôtels de maître avec cour et écuries donnant sur les rues latérales. La répétition de cette organisation sur chaque îlot permet ainsi de ne pas mélanger les classes sociales tout en conservant une certaine «cohérence» urbanistique et stylistique dans le quartier4.

1 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 33 2 Ibid., p.43 3 Ibid., p.38 4 Ibid., p.40-41

23

Fig. 5 Hôtel de maître de style éclectique au 78 rue de la Loi, dessiné par Tilman-François Suys en 1838 et construit en 1860. Des extensions ont été rajoutées par Léon Govaerts en 1900. La façade et l’intérieur sont classés depuis le 9 mai 1995. La banque Brunner occupait ce bâtiment jusqu’en 2000. © photo personnelle

24

25

En effet, la manifestation de l’ordre social dans l’espace urbain mais aussi le style néoclassique sont des éléments structurants de la vie sociale de l’époque du 19ème siècle La forme urbaine proposée par Suys est très efficace et rentable, vu qu’elle maximise l’espace disponible. En effet, ce plan facilitera le développement de fonctions tertiaires par des promoteurs immobiliers plus tard dans les années 1950. Vu que chaque parcelle voire des îlots entiers deviennent la propriété de promoteurs privés et qu’il n’y a pas de règles urbanistiques contraignantes en vigueur, chacun est assez «libre» menant à un certain désordre urbanistique. Cette mutation des parcelles n’a plus rien à voir avec le concept de Suys, qui était de créer un quartier résidentiel où tout est planifié jusqu’aux gabarits et typologies architecturales.

L’extension du plan de Suys au-delà de la vallée du Maelbeek Le plan de Suys s’arrête au niveau de la chaussée d’Etterbeek. Elle reprend le tracé de la vallée du Maelbeek, qui constitue un obstacle naturel pour l’extension du quartier vers les faubourgs (voir Fig. 8). En 1845, les deux ingénieurs Félix Dubois et Adolphe le Hardy de Beaulieu proposent un grand viaduc en fonte d’une longueur de 350m. Celui-ci permettrait la continuité de la rue de la Loi jusqu’à la place Léopold (l’actuelle place Schuman), à partir de laquelle deux nouveaux axes (avenue d’Auderghem et Cortenberg) rejoindraient la chaussée de Wavre et de Louvain (voir Fig. 6).5 Mais à cause de la crise financière de 1847 cette proposition ne voit jamais le jour, en tout cas pas sous cette forme-là. Finalement, d’après le projet de l’ingénieur Georges Napoléon Groetaers, en 1852, on construit une version plus simple et moins onéreuse: un pont en maçonnerie composé d’une seule arche de 10m de portée. Les économies sont moins importantes qu’espérés étant donné le grand nombre de remblais nécessaires.

L’entrée vers le centre de Bruxelles et la fin de la rue de la Loi sont marqués par le nouveau champ des manœuvres quelques années plus tard. Bien que d’autres sites sont envisagés (quartier Louise et Molenbeek), le plateau de Linthout semble la meilleure option. Le champ des manœuvres constitue déjà depuis un décret impérial de 1810 un des projets majeurs du jeune Etat belge. En 1852, on décide de l’implanter au bout de la rue de la Loi entre les deux axes définis par le plan de Dubois et Le Hardy de Beaulieu. Pour compenser l’intervention des travaux de la Ville pour le champ des manœuvres, on lui autorise d’annexer le quartier Léopold et la zone Nord-Est, c’est-à-dire le futur quartier des squares. L’intérêt de l’annexion du prestigieux quartier Léopold est évident: la Ville de Bruxelles aimerait bien que la haute bourgeoisie reste sur son territoire, notamment pour des raisons financières6. En effet, ce nouveau quartier fait office d’une forte spéculation foncière, une thématique qui s’intensifiera avec le temps.

Avec l’intervention de Bordiau environ 20 ans plus tard, la zone Nord-Est est fortement modifiée et réaménagée. Par exemple, Saint-Josse-ten-Noode perd 58% de sa superficie et le champ des manœuvres d’Etterbeek est supprimé.7 Cependant, avant l’intervention de Bordiau, et à partir des années 1860, c’est Victor Besme qui dessine l’expansion de la ville de Bruxelles et notamment celle du quartier Léopold. Parmi les projets on retrouve notamment le nouveau champ des manœuvres au bout de la rue de la Loi. 5 De Beule, Michel, et al. Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles. Mardaga, Bruxelles, 2017, p. 39 6 Ibid, p.39 7 Berckmans, Caroline, Genon, Marie-Hélène.Le quartier Nord-Est, les squares et leurs abords: histoire du développement urbanistique. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, s. d, p.10

26

Fig. 7 L’ingénieur Groetaers conçoit un pont en maçonnerie moins coûteux et crée d’importants remblais de part et d’autre de la chaussée d’Etterdbeek. La photo date d’avant 1914. (Extrait de: De Beule, Michel, et al. Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles.

Mardaga, Bruxelles, 2017, p.41) © KBR, CP VDM IV 160

Fig. 6 Plan d’extension du quartier Léopold et le projet de viaduc en fonte qui permettrait de prolonger la rue de la Loi au-delà de la vallée du Maelbeek - conçu par Félix Dubois et Adolphe le Hardy de Beaulieu en 1845. (Extrait de: De Beule, Michel, et al.

Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles.

Mardaga, Bruxelles, 2017, p.40-41) © KBR, CP VDM IV 157

Fig. 8 Projet de prolongement de la rue de la Loi vers un champ de manœuvres et de deux axes vers la chaussé de Wavre et de Louvain conçu par Félix Dubois et Adolphe le Hardy de Beaulieu en 1850.

Trait tillé bleu: territoire annexé.

(Extrait de: Heymans, Vincent. Le quartier des squares. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 1995, p.12)

27

Le plan Besme Dans le prolongement de la logique hygiéniste de Suys, quelques années plus tard en 1866, Victor Besme imagine l’extension de l’entièreté de la ville de Bruxelles au-delà de la première phase d’extension de la petite ceinture du début du 19ème siècle (voir Fig. 10). Le but est de répondre à une population croissante dont les besoins ont changé avec l’hygiénisme. Besme développe un projet de boulevards monumentaux et de quartiers spécialisés par fonctions (industrie, commerces, habitations etc.) et ordres sociaux8. De nombreux quartiers plus accessibles financièrement voient le jour en périphérie de Bruxelles et d’autres quartiers, comme le quartier Léopold, perçoivent une intensification de leur vocation initiale, c’est-à-dire une augmentation d’exclusivité.

En ce qui concerne le quartier Léopold et la rue de la Loi, Besme planifie l’extension de ce quartier à partir des deux axes partant de la place Léopold (dessinés par Dubois et Le Hardy de Beaulieu auparavant). Ensuite, il dessine le nouveau champ des manœuvres un peu plus loin à l’est de la place Léopold (rond-point Schuman aujourd’hui) sur le plateau de Linthout. Ce dernier, avec les axes qui le distribuent, constitue un élément très structurant dans l’aménagement des quartiers entre le projet de Suys de 1838 et le plan d’extension de Besme en 1866. Ainsi, on perçoit que Besme planifie déja plus loin que ce qui s’est urbanisé en 1866. Le futur quartier des squares et les quartiers au sud-est de la rue de la Loi sont donc conditionnés par la planification de Besme et celle de Suys pour le quartier Léopold. Outre ces deux plans d’urbanisme, une série de contraintes infrastructurelles (la ligne de chemin de fer Bruxelles-Luxembourg) et naturelles (étangs, parc zoologique etc.) s’imposent aux planifications de ces nouveaux quartiers.

Les monuments dessinés par Besme «tirent» l’urbanisation vers la périphérie. Ainsi, on voit déjà dans le dessin que la rue de la Loi gagne en importance. Elle se démarque des autres entrées de ville par son aspect rectiligne sur une longue distance.

De plus, elle rejoint directement un projet de grande ceinture à l’est (pas réalisée comme sur le plan) lui conférant ainsi un caractère d’autant plus central dans la structure urbaine bruxelloise. En effet, la construction du Cinquantenaire pour fêter les 50ans de l’indépendance de la Belgique mais aussi l’exposition universelle de 1897 qui s’est tenue sur le plateau de Linthout au Cinquantenaire, amplifient la force symbolique et fonctionnelle de la rue de la Loi.9 Finalement, le quartier Léopold conserve jusque dans les années 1920 son caractère quasi purement résidentiel et l’échelle des bâtiments reste peu importante. On verra par la suite que le quartier des squares constitue la dernière extension résidentielle du quartier Léopold, avant que ce dernier change radicalement de visage après la Première Guerre mondiale.

Le quartier des squares Le quartier des squares constitue aujourd’hui un ensemble patrimonial remarquable à proximité de la rue de la Loi. Comme évoqué précédemment, surtout à partir des années 1950 (dans une moindre mesure un peu avant avec les immeubles de 8 De Beule, Michel, et al. Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles. Mardaga, Bruxelles, 2017, p.50 9 Centre d’Etude, de Recherche et d’Action en Architecture (CERAA). Bruxelles, lecture d’une ville. CERAA-asbl, ISA St Luc, Bruxelles, s. d.

28

Fig. 10 Plan d’embellissement de Victor Besme en 1866. (Extrait de: De Beule, Michel, et al. Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles. Mardaga, Bruxelles, 2017, p.47) © AVB, Section carthographique, Plan de Bruxelles n°96/8

Fig. 9 Plans illustrant l’extension de Bruxelles lors de la première (gauche) et deuxième (droite) moitié du 19ème siècle.

(Extrait de : Centre d’Etude, de Recherche et d’Action en Architecture (CERAA). Bruxelles, lecture d’une ville. CERAA-asbl, ISA St Luc, Bruxelles, s. d.)

29

Fig. 11 Plan de transformation de la partie nord-est du quartier Léopold par Gédéon Bordiau en 1879. (Extrait de: Berckmans, Caroline, Genon, Marie-Hélène.Le quartier Nord-Est, les squares et leurs abords: histoire du développement urbanistique. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, s. d. Disponible sur : https://monument.heritage.brussels/files/cities/1002/documents/developpement_urbanistique_quartier_nord_est.pdf) © AVB/PP 956

Fig. 12 Représentation romantique du square Marie-Louise peu après la finalisation des travaux infrastructurels par E. Puttaert. (Extrait de: Heymans, Vincent. Le quartier des squares. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 1995, p. 23)

30

Fig. 13 Le tracé de la ligne de chemin de fer 161 en 1894 passant en dessous du square Ambiorix. (Extrait de: Atelier de Recherche et d’action Urbaines asbl (ARAU).

Réaménagement du Boulevard Clovis : il est temps de prendre en compte la valeur patrimoniale de nos espaces publics historiques !. ARAU, Bruxelles, 21 décembre 2020) © KBR, CP, ICM, Bruxelles & ses environs, 1894

résidence), l’espace bâti de la rue de la Loi connaît une forte transformation morphologique. En effet, on perçoit un important saut d’échelle. Aujourd’hui, on peut questionner le Projet Urbain Loi dans son impact sur ce quartier historique, notamment à cause de la construction de tours. C’est notamment pour cette raison, qu’il est intéressant de mieux comprendre la genèse et les idées urbanistiques du quartier des squares, afin de confronter celui-ci au cas de la rue de la Loi. Plusieurs projets ont été pensés pour l’aménagement du quartier des squares à partir des années 1870 et c’est finalement Gédéon Bordiau, architecte formé à l’Académie des Beaux-Arts de Bruxelles, qui est en charge de sa planification.

Comme évoqué précédemment, le plan de Suys, les nouvelles extensions de Besme mais aussi une série d’éléments naturels et infrastructurels contraignent la composition de ce nouveau quartier. Pour son projet affiné et approuvé en 1875 par un arrêté royal, il conçoit d’abord une nivelassion du terrain pour créer une pente régulière. Ensuite, Bordiau compose le nouveau quartier à partir de deux grands axes: le premier constitue une enfilade rectiligne de quatre squares (Marguerite, Ambiorix, Palmerston et Marie-Louise) d’ouest en est; le deuxième axe nord-sud est implanté de manière perpendiculaire au premier formant une scission centrale à travers le square Ambiorix, le nœud de la composition (voir Fig. 11).10 Ensuite, outre ce raccordement aux axes prédéfinis par les plans de Besme et de Suys, le projet de Bordiau prend du retard à cause de deux éléments contraignants: d’une part le grand étang du Hoeijvijver, pour lequel il décide de le réduire et de le «maîtriser» afin de créer un lieu de plaisance assaini et pittoresque11; d’autre part, la Grande compagnie du Luxembourg entreprend d’importants travaux infrastructurels pour la ligne de chemin de fer Bruxelles-Luxembourg, que Bordiau décide d’enterrer en partie entre la rue Stevin et la rue de la Loi pour assurer la continuité urbaine entre le quartier Léopold et le nouveau quartier des squares.12 On perçoit ainsi deux artères courbes de part et d’autre du square Ambiorix, dont l’une est héréditaire de la forme de la ligne de chemin de fer située juste en dessous.

Parallèlement aux travaux dans le quartier des squares, en 1880 et d’après les plans de Bordiau, la première version du Cinquantenaire est édifiée sur le champ de manœuvres. Ce dernier a été transformé en exposition internationale en 1897 et l’armée a entre-temps acheté d’autres espaces à Etterbeek. De plus, Bordiau construit deux grands halles métalliques pour promouvoir l’industrie et le commerce. La réaffectation du champ de manœuvres en espace de commémoration mais aussi la réaffectation du jardin zoologique plus au sud-ouest en parc de loisirs et de fêtes, ont un impact important sur l’urbanisation du côté nord et sud de la rue de la Loi. En effet, ces transformations constituent un élément attractif pour les quartiers environnants. Contrairement au quartier Léopold et plus particulièrement les îlots bordant la rue de la Loi, les quartiers autour conserveront jusqu’à aujourd’hui leur fonction majoritairement résidentielle.

10 Berckmans, Caroline, Genon, Marie-Hélène.Le quartier Nord-Est, les squares et leurs abords: histoire du développement urbanistique. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, s. d, p.16 11 Atelier de Recherche et d’Action Urbaines asbl (ARAU). Réaménagement du Boulevard Clovis : il est temps de prendre en compte la valeur patrimoniale de nos espaces publics historiques !. ARAU, Bruxelles, 21 décembre 2020 12 Space Syntax. Etude: La morphologie spatiale des quartiers européens. Partie A. Diagnostic de la structure spatiale existante. Space Syntax, Bruxelles, 2007, p.8

31

Fig. 14 L’idéal selon la Société Immobilière Belge en 1925. Une ville qui ressemble à Paris avec des grands immeubles de plus de sept étages tous identiques. (Extrait de: Culot, Maurice. Bruxelles 100 ans d’architecture: 19102010. AAM Editions, Bruxelles, 2013, p. 110) © SBI

Fig. 15 et 16 Publicité de la Société Belge Immobilière dans divers journaux entre 1922 et 1925 et brochure de promotion s’intitulant « Messages à la Nation » pour des appartements haute gamme. (Extrait de: Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006, p.18-19) © SBI

32

1.2 1920-1950 : les premières transformations avec l’apparition des résidences (Résidence Palace, immeubles de rapport, premiers gratte-ciels bruxellois...)

Un nouveau modèle d’habitat Comme nous avons pu voir précédemment, depuis le milieu du 19ème siècle, Bruxelles est essentiellement composé d’hôtels de maître et de maisons bourgeoises. Mais après la Première Guerre mondiale, la construction de nouvelles maisons mitoyennes et hôtels de maître ne suffit plus pour combler le manque dramatique de logements à cette époque, engendré par une démographie croissante et l’arrivée de nombreux réfugiés de guerre. Ainsi, on perçoit l’apparition des immeubles de résidence, modifiant considérablement la morphologie bâtie de Bruxelles, bien qu’au sein de la rue de la Loi ils restent assez rares. A noter que cette phase d’urbanisation est assez peu spécifique au cas de la rue de la Loi, vu que ce genre de bâtiments ne s’y impose pas de manière conséquente. Même si quelques projets se construisent par opportunisme, la fonction tertiaire dominera rapidement le quartier quelques dizaines d’années plus tard, «chassant» le logement dans les quartiers environnants. Ceci dit, les quelques exemples construits révèlent à travers leur implantation et le public spécifique auquel ils s’adressent, d’une part, l’amplification de l’exclusivité de cet axe hypercentral et, d’autre part, les limites de l’urbanisme du 19ème siècle.

Au début, ces premiers immeubles à appartements se vendent assez mal, car les Bruxellois ont encore l’habitude de vivre dans une société fortement hiérarchisée où le mode de vie est basé sur une culture de la maison individuelle13. A cette époque, la majorité des habitants de la rue de la Loi résident encore dans des grands hôtels de maître. Beaucoup de gens hésitent d’emménager dans ces nouveaux ensembles d’habitation où l’on partage certains espaces et où la nature des espaces est assez différente. Vivre en collectivité et partager des espaces est considéré comme un échec sociétal par la haute bourgeoisie. Finalement, surtout grâce au progrès technique (l’ascenseur, le béton armé, l’ossature en acier, le chauffage centralisé, la cuisine standardisée etc.) et aussi par la promotion de grandes entreprises telles que la Société Belge Immobilière (SBI) (voir Fig. 15 et 16), l’appartement devient doucement une typologie d’habitat de plus en plus appréciée et attractive économiquement14 . S’ajoute qu’à cette époque le prix de la construction triple et le personnel domestique se rarifie.

De manière générale, ces immeubles se présentent comme des ensembles compacts de nature assez hétérogène, tant au niveau de leur gabarit qu’en termes de public auquel ils s’adressent. Dans le cas de la rue de la Loi, ces quelques immeubles sont avant tout destinés à la haute bourgeoisie, afin de lui proposer une nouvelle forme d’habitat de grand luxe dans un quartier en plein développement. Un cas particulier se démarque des autres immeubles à appartements sur la rue de la Loi: le Résidence Palace.

13 Culot, Maurice. Bruxelles 100 ans d’architecture: 1910-2010. AAM Editions, Bruxelles, 2013, p.109 14 Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006, p.2

33

Le Résidence Palace Comme évoqué précédemment, quelques années après la Première Guerre mondiale, dans une période qu’on appelle « les années folles », l’économie belge reprend ses droits et l’élite bruxelloise vit une période de grande prospérité et d’opulence.

Le Résidence Palace est un exemple architectural particulièrement représentatif de cette époque et assez unique à Bruxelles, constituant ainsi un élément d’autant plus spécifique à la caractérisation de la rue de la Loi. Contrairement à la transformation radicale vers un quartier avant tout tertiaire que va subir le quartier Léopold et surtout la rue de la Loi 30 ans plus tard, ce projet témoigne en effet du «rêve» inachevé que le quartier Léopold pouvait conserver son caractère résidentiel initial.

Après la Première Guerre mondiale, le banquier wallon Lucien Kaisin décide, en prenant le rôle de promoteur immobilier, de se lancer dans plusieurs projets d’immeubles à appartements en Europe, dont notamment le Résidence Palace en 1922 avec l’aide de l’architecte suisse Michel Polak. Contrairement aux autres immeubles de résidence construits à la même époque, le Résidence Palace a une dimension très collective, qui ressemble plus à un hôtel qu’à un immeuble à appartements15. En effet, en plus d’offrir des logements novateurs à cette époque (l’appartement de luxe en ville), on propose de les accompagner de multiples services de plaisance, à savoir un théâtre, une piscine, un coiffeur, un casino, une salle de sport, une école de golf, des terrains de tennis sur les toits des parkings, un garage pour voitures avec chauffeurs individuels, une station-service avec service de réparation, des restaurants avec livraison à domicile par monte-charge individuel, un système de gaines postales directement reliées à la poste, une banque, un service de nettoyage etc..16 (voir Fig. 18). La richesse des équipements s’explique sans doute par le fait que Michel Polak entreprend un voyage d’études aux Etats-Unis (notamment pour aller voir les palaces de New York) juste avant de construire le Résidence Palace17. On perçoit cette «obsession américaine» d’un confort absolu sans devoir renoncer à quoi que ce soit.

Nous verrons par la suite, qu’on retrouve cette influence indirecte de la culture et manière de faire l’architecture et l’urbanisme américaine dans les projets de bureaux à partir des années 1950-1960.

Ensuite, comme évoqué précédemment, ce palace est destiné à l’élite internationale de la société, notamment des généraux de l’armée, des politiciens, des écrivains renommés, des princes, des nobles, diplomates étrangers, banquiers etc. La liste des prix du Résidence Palace est rédigée en quatre langues différentes pour s’adresser à cette clientèle internationale et cosmopolite. Cela annonce déja le caractère international de la rue de la Loi, qui sera d’auant plus intensifié avec l’arrivée des institutions européennes à la fin des années 1950. Outre le caractère international, on perçoit une autre caractéristique qui s’est intensifiée avec l’arrivée des institutions européennes, à savoir l’architecture décontextualisée. En effet, on peut considérer le Résidence Palace comme une «ville dans la ville», où 180 appartements cohabitent dans un « microcosme luxurieux » (voir Fig. 17). Le palace marque le début d’un «urbanisme de campus», où le bâtiment semble d’autant plus autonome et détaché de la réalité urbaine de son contexte. On retrouvera cette caractéristique plus tard dans les années 1960 avec la construction de bâtiments de bureaux comme le Berlaymont ou le Charlemagne.

15 Eggericx, Laure. Si le Résidence Palace m’était conté. Les nouvelles du patrimoine: Brussels Art Nouveau Art Déco Festival. Association des Amis de l’Unesco, n°158 (mars, avril, mai, juin 2018), p. 21-24.

16 Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006, p.22-25 17 Carez, Christian, et.al. Bruxelles Art Déco : 1920-1930. Norma Editions, Paris, 1996

34

Fig. 18 Salon de coiffeur et restaurant sur le toit du Résidence Palace. (Extrait de: Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006, p.24)

Fig. 17 Plan d’organisation des appartements par quartier du Résidence Palace en 1925. (Extrait de: Culot, Maurice. Bruxelles 100 ans d’architecture: 1910-2010. AAM Editions, Bruxelles, 2013, p.98) © Michel Polak

Fig. 19 Vue d’ensemble du Résidence Palace avant sa transformation dans les années 1970 et 2010. (Extrait de: Culot, Maurice. Bruxelles 100 ans d’architecture: 1910-2010. AAM Editions, Bruxelles, 2013, p. 110)

35

Fig. 20 Vue perspective du Résidence Palace en 1925, dessin de Michel Polak. On perçoit la voie de chemin de fer qui pénètre le sous-sol du bâtiment sur la gauche et on voit également la rue de la Loi en diagonale en haut à gauche de l’image. © Collection d’archives du CIVA

36

37

Fig. 21 Immeuble de rapport en 1930 donnant sur le rond-point Schuman. (Disponible sur: bruciel.brussels) © Cartes postales Belfius

Fig. 22 Immeuble à appartements de style BeauxArts sur le coin entre la rue de la Loi et la rue de Trèves. © photo personnelle

Fig. 23 Le projet initial de la résidence du Cinquantenaire en 1936 - 14 étages au lieu de 10 (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 141) Fig. 24 Le projet réalisé de la résidence du Cinquantenaire au bout de la rue de la Loi (est) construit en 1936. © photo personnelle

38

Finalement, cet « oasis urbaine » ne survivra pas longtemps. La crise économique initiée par le Krach boursier en 1929 met progressivement fin au projet. Ensuite, le Résidence Palace sera temporairement occupé par les Allemands en 1941, pour ensuite être brièvement occupé par les Anglais et finalement être repris en main par l’Etat belge en 1947. L’Etat belge rachète le complexe et y implante plusieurs ministères, ce qui n’a plus rien à voir avec la conception initiale de l’immeuble. Un peu moins de 70 ans plus tard, en 2016, cela sera amplifié par l’annexe construite par Samyn & Partners pour le Conseil européen.

Immeubles de rapport Comme évoqué précédemment, il existe peu d’immeubles à appartements sur la rue de la Loi. Néanmoins, leur implantation spécifique permet de révéler les limites d’un urbanisme du 19ème siècle. Le rond-point de la rue de la Loi (appelé la «place» Schuman aujourd’hui), par l’espace dégagé qu’il propose, a sans doute permis la densification des parcelles qui le bordent. Cela est notamment le cas pour l’immeuble de rapport qui date des années 1930, situé au sud-est du rond-point (voir Fig. 21). D’autre part, avec la densification progressive des îlots du 19ème siècle, les hôtels de maître situés aux angles perdent leurs écuries (leurs seuls espaces ouverts)18. Cela explique pourquoi dans Bruxelles et également sur deux îlots bordant d’une part la rue de la Loi et d’autre part le rond-point Schuman, les immeubles à appartements remplacent ces hôtels de maître peu qualitatifs.

La résidence du Cinquantenaire Avec la tenue du troisième Congrès International d’Architecture moderne (CIAM) à Bruxelles en 1930, le mouvement Art Déco se substitue de plus en plus au modernisme dans le paysage urbain bruxellois. Le thème principal de ce Congrès est : « Méthodes rationnelles pour la construction des groupements d’habitations », ce qui tombe bien à une époque où le besoin en logements est très important19. Un exemple intéressant de cette époque est notamment la résidence du Cinquantenaire, située à l’extrémité est de la rue de la Loi, conçue en 1936 par le promoteur Buffin et les architectes Emile Goffay et Georges Misson. Ce bâtiment est un des premiers « gratte-ciel » de Bruxelles, une prouesse technique à cette époque. Initialement les deux architectes planifient une tour composée de 14 étages, le résultat final est néanmoins un peu moins haut20. En effet, le promoteur veut à tout prix construire les 14 étages, ce qui explique le retrait à partir du 9ème étage pour échapper aux lois urbanistiques de l’époque (voir Fig. 23). Au final, un compromis est conclu entre le promoteur et le bourgmestre : 10 étages sont admis.

L’impact de ces nouveaux immeubles sur le quartier environnant n’est pas bien reçu.

La commune, la Commission royale des Monuments et des Sites et les habitants du quartier s’opposent à ce genre de projets qui détruisent à la fois le patrimoine existant (hôtels de maître) et modifient le paysage urbain initial de la rue de la Loi. La perspective vers le Cinquantenaire est largement altérée et n’a plus rien à voir avec ce qui était présent avant. La lutte par ces organismes contre la densification de la rue de la Loi commence avec l’édification des immeubles à appartements, s’intensifie avec l’arrivée des bureaux dans les années 1950 et atteint son apogée avec le Projet Urbain Loi et la construction de la tour « The One » en 2020.

18 Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006, p.6 19 Ibid., p. 29 20 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 141-142.

39

1.3 1950-1980 : Première phase de métropolisation : travaux du métro, parking souterrain, apparition des immeubles de bureaux...

Après cette courte phase moins marquante dans l’histoire de la rue de la Loi (les immeubles à appartements), en parallèle de leur édification, de nombreux hôtels de maître, majoritairement inoccupés à cause de l’exode rural de la haute bourgeoisie, sont réinvestis par de nombreuses assurances et entreprises privées (voir page 40).

Bruxelles, capitale de l’Europe ?

Après la Deuxième Guerre mondiale et le développement progressif d’une alliance d’abord économique (la CEE) et ensuite politique (l’UE) entre quelques Etats européens, à partir des années 1950, l’Etat belge, d’abord hésitant, décide de faire de Bruxelles la capitale de l’Europe et d’y attirer les institutions européennes. En effet, à partir de la signature du Traité de Rome en 1957, les institutions européennes sont à la recherche de bureaux. L’année suivante, en 1958, l’Expo ’58 est l’occasion pour Bruxelles d’affirmer sa position en tant que grande ville métropolitaine à la hauteur de ce « grand projet » qu’est l’Union européenne. Ainsi, Bruxelles met toutes ses cartes sur la table. A l’échelle de la Belgique, on commence à construire des grandes infrastructures de mobilité telles que le Ring (le projet du Ministre des Travaux publics d’Omer Vanaudenhove), l’extension du réseau ferroviaire, l’aéroport de Zaventem et plus tard le métro. Le but est de profiter de la position plus ou moins centrale de la Belgique en Europe et de créer une ville hyperconnectée aux autres pays adjacents.

La haute bourgeoisie chassée par la voiture A une échelle plus locale, depuis le début du 20ème siècle, la présence de la voiture n’a pas cessé de s’intensifier à Bruxelles. La rue de la Loi est inondée par la voiture et les trams perdent leurs avantages par rapport à la voiture. Cela est une des raisons parmi d’autres de l’exode rural de la haute bourgeoisie qui jusqu’ici habitait les hôtels de maître21. En plus, la crise de la domesticité après la Première Guerre mondiale révèle que le mode de vie moderniste devient incompatible avec les grands hôtels de maître. Ainsi, soit les résidents quittent pour la périphérie s’ils ont les moyens, soit ils investissent un nouveau modèle d’habitat qui se répand à Bruxelles, à savoir les immeubles à appartements. Les habitants qui n’habiteront pas les immeubles à appartements, occuperont les quartiers plus aérés et moins denses un peu plus loin en périphérie comme par exemple autour de l’avenue de Tervuren. Ceci marque le début du phénomène des « navetteurs » à Bruxelles. La rue de la Loi devient une véritable autoroute urbaine de transit alors qu’avant elle constituait un axe plus calme destiné à la vie locale.

L’esprit du tout à l’automobile est en plein développement comme le montre Jacques Ricquier, un ingénieur travaillaint avec Henri Hondermacq (également ingénieur): « Le développement de l’automobile prenant chaque jour un essor plus considérable, l’importance des questions de la circulation croît sans cesse. L’improvisation n’est 21 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 72-74.

40

Fig. 25 Page de couverture de l’ouvrage de Omer Vanaudenhove « Bruxelles, Carrefour de l’Occident » publié en 1956.

Fig. 26 Le réseau d’autoroutes belges selon Henri Hondermacq en 1951. (Extrait de: Ryckewaert, Michael. Building the Economic Backbone of the Blgian Welfare State: Infrastructure, planning and architecture 1945-1973. 010 Publishers, Rotterdam, 2011, p.178) © Hondermacq, «De Modernisatie van het Belgisch wegennet», 1951

Fig. 28 Travaux du tunnel autoroutier en dessous du rond-point Schuman au début des années 1960. (Extrait de: Demey, Thierry.

Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, Fig. 27 Le projet de ceinture de circulation de l’agglomération bruxelloise par quartier de squares, CinquanteHenri Hondermacq en 1951 (Extrait de: Ryckewaert, Michael. Building the Eco- naire, Berlaymont, Juste Lipse, nomic Backbone of the Blgian Welfare State: Infrastructure, planning and archi- Espace Léopold. Badeaux, 2007, tecture 1945-1973. 010 Publishers, Rotterdam, 2011, p.181) © Hondermacq, p. 238) © Ministère des Travaux «Le projet de ceinture de circulation de d’agglomération bruxelloise», 1951 publics

41

Fig. 29 Carrefour entre l’avenue des Arts et la rue de la Loi en 1956. (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.73) © Ministère des Travaux publics

Fig. 30 Immeuble de bureaux de l’assurance « La Paix » sur la rue de la Loi en 1962 à droite de l’image. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics Fig. 31 Hôtel de maître d’une allure abandonnée en 1960. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

42

plus possible. Le temps de l’amateurisme est passé. La circulation répond à des lois bien précises qui ressemblent d’ailleurs à celles de l’écoulement des liquides. Les liquides, on le sait, prennent toujours la voie la plus facile et la plus rapide. Instinctivement, le “flot” des conducteurs de voitures agît de même, et il se crée un fleuve de circulation. Que pour une raison ou une autre, ce fleuve rencontre brusquement un barrage et c’est l’inondation et toutes les catastrophes qui s’ensuivent. Coûte que coûte, le fleuve de la circulation se crée son lit: ce courant doit être ordonné intelligemment par des spécialistes. Ne serait-il pas grotesque au plus haut point de penser que chaque bourgmestre d’une commune riveraine de la Meuse aurait la liberté de régler le courant du fleuve !

D’arrêter les péniches avec des signaux rouges pour le profit du cafetier du coin.

Et cependant, le trafic routier n’est-il pas aussi important que le trafic fluvial? »22.

Construction massive de bureaux A partir des années 1950, Bruxelles fait face à un changement culturel très important, en s’inspirant quasi de manière littérale de modèles d’urbanisation américains. En plus de l’invasion de la voiture dans la ville, la construction de tours et de grands immeubles est en plein «boom». A partir des années 1950, de nombreux immeubles de bureaux modernistes remplacent progressivement plusieurs bâtiments au sein des îlots du quartier Léopold. Les promoteurs immobiliers privilégient davantage les îlots bordant la rue de la Loi, la rue Belliard, les squares et l’avenue des Arts, grâce à leur taille plus importante23.Le bourgmestre Victor Bure et le Ministre des Travaux publics Omer Vanaudenhove, mettent en place un outil législatif (la Loi organique de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme du 29 mars 1962) pour la construction des bâtiments destinés aux institutions européennes. Les promoteurs immobiliers détenant plus de 50% d’un îlot sont autorisés à rassembler leurs différentes parcelles en une seule entité et d’exproprier les propriétaires restants24. De plus, la structure orthogonale du parcellaire est très favorable au développement de projets immobiliers plus importants, facilitant le regroupement des parcelles. Ces éléments permettent un bouleversement d’échelle radical au sein de la rue de la Loi, au profit d’une spéculation immobilière encore incertaine.25 Ensuite, de manière progressive depuis les années 1920 et de manière plus accélérée à partir des années 1950, le quartier Léopold passe d’une affectation essentiellement résidentielle à une concentration très importante de bureaux. Le quartier Léopold, de par sa situation stratégique entre la périphérie et le centre administratif belge, devient un des pôles majeurs pour la construction massive de bureaux à Bruxelles. De nombreux hôtels de maître délaissés sont remplacés quasi systématiquement par des bâtiments modernistes de nature générique, plus denses, de gabarit plus important (R+6-8) et sans relation particulière avec l’espace public (voir images page 45). La rue de la Loi devient une réelle «machine» économique et politique.

22 Jacques Ricquier, ‘A l’approche des élections communales. A chacun son métier’, Routes, 3 (1952, n°7), p.291-293.

23 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 75 24 Traumnovelle. Eurotopie. Editions de la Féderation Wallonie-Bruxelles, Cellule architecture, Bruxelles, 2018, p.25 25 Ce n’était pas encore très clair dans quelle mesure les institutions européennes allaient se répandre à Bruxelles.

43

L’Etat belge mais aussi de nombreux promoteurs privés voient dans cette rue un grand potentiel pour y développer la fonction tertiaire et implanter des instances administratives (sièges de partis politiques), des entreprises d’assurance (par exemple la compagnie d’assurance La Paix, voir Fig. 30 sur la page 42), des entreprises pétrolières (par exemple Petrofina) etc.

La course pour le siège des institutions européennes Comme évoqué précédemment, jusqu’à la fin des années 1950, le siège principal des institutions européennes est encore incertain. Plusieurs villes du Nord entrent en question, dont notamment Bruxelles. Vu l’opportunité économique qu’apporte un siège d’une telle importance, l’Etat belge anticipe une potentielle sélection de Bruxelles comme siège des institutions européennes. Ils décident, avec la participation importante de promoteurs privés, d’investir massivement dans le quartier Léopold. Ce genre de pronostic incertain peut paraître comme une opération risquée. Au lieu d’investir massivement dans la planification et construction longue et complexe d’un projet d’ensemble pour les institutions européennes, Bruxelles propose des bâtiments fraîchement construits et entièrement équipés prêts à être loués (voir Fig. 33). Cette proposition est très attractive pour les institutions européennes, encore assez jeunes où chaque occasion pour faire des économies est la bienvenue. En outre, si les institutions européennes ne choisissent pas Bruxelles, alors le quartier Léopold peut aisément être requalifié en tant que simple zone administrative quelconque26.

Ainsi, sous grande pression de temps, de nombreux bâtiments modernistes d’une architecture générique sortent de terre (voir Fig. 34 par exemple). On verra au fil des années, que la croissance des institutions européennes est tellement importante, que même une fine aile de bureaux est construite sur le côté nord du Résidence Palace (voir Fig. 35). L’unique planification qui semble avoir lieu avant cette densification massive est le calcul du gain financier qu’impliquerait la présence des institutions européennes à Bruxelles. En effet, urbanistiquement, rien n’est réellement planifié. Il existe quelques tentatives de créer un projet «cohérent» au niveau stylistique (voir Fig. 36 qui illustre un projet de bâtiments modernistes autour du rond-point Schuman), qui ne se réalisent néanmoins que partiellement. La pression du temps et la liberté donnée aux promoteurs privés résulte en une architecture générique sans contenu. En effet, jusqu’à l’arrivée du Berlaymont et Charlemagne en 1967, aucune architecture symbolique et représentative de l’importance économique et politique des institutions européennes n’est construite. En d’autres termes: le contenu de l’architecture n’est pas important, c’est avant tout la gestion financière de ces nouveaux projets immobiliers qui compte.

La «prise en otage» massive de la rue de la Loi par des promoteurs privés est probablement jusqu’aujourd’hui un des phénomènes les plus transformateurs dans l’histoire de la rue de la Loi et aussi un des plus déterminants/contraignants pour son futur développement. Le marché immobilier semble trop faiblement réglementé, aucune logique territoriale n’est mise en place et le processus de prise de décision politique est assez frileux et chaotique.27

26 Traumnovelle. Eurotopie. Editions de la Féderation Wallonie-Bruxelles, Cellule architecture, Bruxelles, 2018, p.95-97 27 Sterken, Sven. «Bruxelles, ville de bureaux: Le Berlaymont et la transformation du quartier Léopold.».

Bruxelles patrimoines. Dossier Ateliers, Usines et Bureaux. Région de Bruxelles-capitale, n°015-016 (Septembre 2015), p. 114

44

Fig. 32 Extrait de l’article «Rue de la Loi, le plus court chemin est courbe», apparu le 12 octobre 1966. On voit notamment les travaux du métro et du tunnel autoroutier, raison pour laquelle il fallait dévier la rue de la Loi vers la gauche. © AVB DD 532

Fig. 33 L’immeuble «Joyeuse Entrée», premier immeuble administratif de la Commission européenne à Bruxelles. Le bâtiment a été démoli et remplacé par un nouveau. (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 195) © Thierry Demey

Fig. 34 Construction d’immeubles à bureaux pour les institutions européennes en 1965 donnant sur le rond-point Schuman. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 35 Vue sur l’extension moderniste du Résidence Palace en 1969. On perçoit que le dégagement à front de rue préexistant (qui plus tard sera occupé par l’Europe), est encore conservé à ce moment là. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 36 Extrait de l’article «Comment sera complété le rond-point Schuman» de Robert Goffaux, apparu le 20 mai 1970. © AVB DD 532

45

Comme évoqué précédemment, dans l’espace d’une trentaine d’années, la rue de la Loi passe d’un quartier à dominance résidentielle à un quartier monofonctionnel bureaux. La résilience fonctionnelle d’avant (logements, ateliers d’artisans et commerces) est substituée par un monde monotone destiné au transit et à la temporalité courte. On utilise le quartier, il devient un espace dédié aux services. Ce changement de programmation et de nature profond est fortement accompagné par l’éventrement de la rue de la Loi, notamment par la construction d’une ligne de métro, de tunnels autoroutiers et d’un énorme parking souterrain dans les années 1960. Avant de se plonger dans le monde souterrain de la rue de la Loi, il semble important d’expliquer brièvement deux bâtiments remarquables des années 1960, qui de par leur forme, implantation et conception novatrice (voir Fig. 40 et Fig. 42 sur les pages 4849), constituent les premiers véritables symboles forts des institutions européennes à Bruxelles.

Deux symboles européens : le Berlaymont et le Charlemagne Après une longue phase (depuis le début des années 1950) de construction de bureaux génériques et peu signifiants dans le paysage de la rue de la Loi, l’Etat belge construit deux symboles remarquables. Le Berlaymont est construit par les architectes De Vestel, Jean Gilson et Jean et André Polak en 1967 sur l’ancien site du couvent des Dames du Berlaymont. Comme pour le Parlement européen, construit un peu plus tard, l’Etat belge ne dit pas que ce bâtiment est spécifiquement conçu pour les institutions européennes. En effet, le projet se fait sans informer la population de la vraie raison de cette construction. Contrairement au but réel, on explique notamment qu’il pourrait également servir à des ministères nationaux. Finalement, même si cette démarche semble peu démocratique et transparente, le Berlaymont marque la cristallisation des institutions européennes à Bruxelles, il devient un réel symbole de l’Europe (on y reviendra plus tard dans la deuxième partie).

Juste à côté, le Charlemagne, conçu par l’architecte Jacques Cuisiner en même temps pour abriter le siège du Conseil des ministres jusqu’en 1991, s’inscrit dans la même logique que le Berlaymont, c’est à dire qu’il constitue un objet moderniste autonome qui se détache radicalement du contexte bâti environnant. Bien que le Berlaymont reste le symbole principal des institutions européennes, par l’édification de ces deux bâtiments, une nouvelle échelle mais aussi une nouvelle forme urbaine s’annoncent sur la rue de la Loi. En effet, comme évoqué précédemment, avec la Loi organique de l’Aménagement du Territoire et de l’Urbanisme de 1962, des îlots entiers disparaissent au profit de grands immeubles de bureaux qui se situent au bord d’axes autoroutiers majeurs28. En outre, l’espace public autour de ces bâtiments est très ouvert et assez peu de barrières physiques existent entre la sphère privée et la sphère publique. Plus tard, à partir des années 1980, cette relation ouverte à l’espace public change radicalement, on y reviendra.

Finalement, bien que ces deux bâtiments conservent leur force symbolique jusqu’à aujourd’hui et qu’ils constituent, du moins en ce qui concerne le Berlaymont, des projets novateurs sur le plan constructif, plusieurs éléments qui les constituent sont peu durables dans le temps. En effet, la présence d’amiante mais aussi une conception spatiale trop exiguë mèneront à d’importantes rénovations dans les années 1990. A part la forme générale des deux bâtiments, les rénovations auront assez peu à voir avec la conception moderniste initiale des deux projets.

28 De Beule, Michel, et al. Bruxelles, ses bureaux, ses employés. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale : La Fonderie, Bruxelles, 2009.

46

Fig. 37 Construction du Berlaymont en 1968. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 38 Construction du Charlemagne en 1965. (Disponilbe sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 39 Maquette du Charlemagne en 1965. Image apparue dans un article le 23 septembre 1965. © AVB DD 532

Fig. 40 Extrait de l’article «Un complexe administratif pour les intitutions des Six» de Pierre Bart (s.d). © AVB DD 532

Fig. 41 Projet pour le Charlemagne 2 (pas réalisé et aujourd’hui occupé par le Jardin de la vallée du Maelbeek). (Extrait de: De Beule, Michel, et al.

Bruxelles, ses bureaux, ses employés. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale : La Fonderie, Bruxelles, 2009, p. 157) © Collection Georges Binder: Buildings & Data sa

47

Fig. 42 Extrait de l’article «Une maison de verre pour l’Europe», de Pierre Barry apparu au début des années 1960. © AVB DD 532

48

49

Fig. 43 Projet pour le Conseil européen entre le Berlaymont et le quartier des squares en 1971-1972 (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.279) © Ministère des Travaux publics

Fig. 44 Les plaines herbacées et quelques bouts de l’urbanisation du 19ème siècle à droite du Résidence Palace dans les années 1970. Situation avant la construction du Conseil européen dans les années 1980. (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.287) © Ministère des Travaux publics

50

Quelles limites pour cette forte densification ?

Comme évoqué précédemment, avec l’expansion croissante et rapide des institutions européennes, les besoins de bureaux pour les différents organismes deviennent de plus en plus importants. Un des organismes les plus importants est le Conseil de l’UE, ce qui explique le grand débat autour de son site d’implantation au début des années 1970. En effet, le Charlemagne ne répond plus aux besoins de ce dernier.

D’abord, l’idée émerge de créer un énorme complexe de barres de bureaux sur un socle entre le Berlaymont et le Charlemagne et le quartier des squares (voir Fig. 43). De nombreux îlots entiers devraient être expropriés afin de pouvoir réaliser ce projet. Outre l’impact (notamment des vues, perspectives et relations urbaines est-ouest altérées) qu’ont déjà le Berlaymont et le Charlemagne sur le quartier des squares, ce nouveau projet potentiel renforce encore l’impact sur le patrimoine environnant. L’argumentaire patrimonial, le nombre d’expropriations nécessaires et une série de projets qui sont déjà en cours de construction sur les îlots concernés, font que le projet ne voit jamais le jour, en tout cas pas à cet endroit ni sous cette forme.

Ainsi, d’autres sites comme le parc de Tervuren, les halls de part et d’autre du Cinquantenaire, l’ancienne caserne Baudouin ou plus tard le château de Meeûs sont pris en considération. Les critères les plus importants sont les suivants: la taille du terrain, la force symbolique du terrain, la proximité aux réseaux de communication majeurs et la connexion aux lieux d’habitation des fonctionnaires.29 Finalement, le quartier autour du rond-point Schuman a acquis une telle force symbolique au fil du temps et l’Etat belge a tellement investi dans l’infrastructure de mobilité dans cette zone, qu’il décide avec le Conseil de l’UE en 1974 d’implanter un nouveau bâtiment à côté du Résidence Palace (voir Fig. 44, où on voit encore deux rues menant à la rue de la Loi, qui seront entièrement couvertes par le Juste Lipse).

L’intérêt ici n’est pas de s’étendre sur le projet du Conseil de l’UE mais plutôt d’expliquer à quel point le rond-point Schuman et la rue de la Loi sont devenus des véritables «aimants» économiques et politiques pour le développement des institutions européennes à Bruxelles, notamment en raison de l’attractivité économique qu’il représente. Il devient de plus en plus inévitable d’envisager la destruction d’îlots entiers ou même de morceaux de quartiers pour y implanter les bureaux. La spéculation foncière est très importante, intensifiant de plus en plus les débats entre les différents acteurs concernés, notamment par rapport aux habitants locaux.

On verra plus tard que la densification des îlots adjacents à la rue de la Loi continue à se faire de manière conséquente et que le sujet de la relation au patrimoine environnant reste important, tant au sein des îlots de la rue de la Loi que dans son rapport aux quartiers environnants. Outre cette densification importante du bâti en aérien, à partir du milieu des années 1960, la rue de la Loi subit des travaux considérables au niveau de son souterrain.

29 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.281-284

51

Fig. 45 Plan de crirculation du prémétro de Bruxelles en 1969. On voit les différentes stations de métro, qui constituent aujourd’hui (à part Maelbeek) les plus importants pôles de mobilité à Bruxelles. (Extrait de: STIB. «Pré-métro de Bruxelles - Brusselse Pre-metro phase 1 - materiel roulant. Brochure explicative, 20 décembre 1969) © Archives personnelles

52

53

Fig. 46 Eventrement de la rue de la Loi pour la construction du métro en 1965. (Extrait de: Novgorodsky, Léonide. Le pré-métro de Bruxelles. La technique des travaux, Liège, 1970, p.21.) © Ministère des Travaux publics

Fig. 47 Construction des trémies du tunnel Kennedy passant en dessous de la rue de la Loi. (Extrait de: Demey, Thierry. Les transports publics bruxellois: De l’omnibus à cheval au métro (1835-2030). Badeaux, Woluwe-Saint-Lambert, 2019, p. 272) © Ministère des Travaux publics

Fig. 48 La station de métro Arts-Loi et le prémétro dans les années 1960. (Extrait de: Demey, Thierry.

Les transports publics bruxellois: De l’omnibus à cheval au métro (1835-2030). Badeaux, Woluwe-Saint-Lambert, 2019, p. 289) © Collection Cl. van den Hove

54

Fig. 49 Les lignes de métro et de prémétro en 1977. (Extrait de: Masse, Jean-Paul, et al. Bruxelles: du prémétro au vrai métro. La vie du rail. «Bruxelles: du prémétro au vrai métro», n°1575 (9 janvier 1977), p.7) © Archives personnelles

La première ligne de prémétro belge Depuis le début du 20ème siècle, Bruxelles a largement développé son réseau de transports en commun (tramways) et le réseau ferroviaire. Néanmoins, avec la superposition du réseau de transports en commun et l’arrivée en masse de la voiture à partir des années 1940, il s’avère que des changements infrastructurels sont nécessaires pour fluidifier la circulation. Le but est double: regagner en efficacité pour les transports en commun tout en augmentant la fluidité des flux automobiles. A partir des années 1960, la circulation sur la rue de la Loi devient insupportable à cause du trafic engendré par les voitures. Celles-ci dominent tellement la rue que les trams, qui cohabitent cet espace public, perdent fortement en efficacité.30 Ainsi émerge l’idée de créer un réseau souterrain à travers Bruxelles qui permettrait à la STIB (Société des Transports Intercommunaux de Bruxelles) de se libérer de la voiture et d’être plus indépendante. La construction d’une ligne de prémétro passant sous la rue de la Loi est priorisée pour deux raisons: d’une part, la rue de la Loi constitue un axe routier important pour entrer dans Bruxelles, menant ainsi à des difficultés de cohabitation entre les voitures et les trams; d’autre part, cette infrastructure souterraine permet d’augmenter l’attractivité du quartier Léopold et l’accessibilité aux bureaux des institutions européennes. En effet, avec la construction du Berlaymont (futur siège de la Commission européenne) et du Charlemagne (futur siège du Conseil des ministres) en 1967, il semble d’autant plus important d’investir dans l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi en premier31.

Cette première ligne de «prémétro» à Bruxelles, construite de 1964 à 1969 et longue de 4,2 km, s’étend entre la station Schuman et l’ancien marché aux poissons à De Brouckère (voir Fig. 49). Comme évoqué précédemment, dans une première phase, ce sont encore des trams qui circulent sur les voies souterraines en attente des «vrais» métros qui n’arriveront qu’en 197632. En parallèle de ces travaux, l’Administration des Routes en profite pour développer son réseau d’autoroutes urbaines, notamment en construisant deux tunnels routiers (tunnel Kennedy) prolongeant l’avenue de Tervuren sous le Cinquantenaire pour ensuite ressurgir juste après le rond-point Schuman sur la rue de la Loi (voir Fig. 47).

Ensuite, les stations de pré-métro Arts-Loi, Maelbeek et Schuman (et une grande majorité des stations de métro bruxelloises construites plus tard), rappellent la configuration et l’esthétique des stations de métro à Montréal.

Montréal: source d’inspiration pour les stations de métro de la rue de la Loi ?

En effet, dans les années 1950-1960, la métropolisation de plusieurs villes dans le monde est en plein développement, ce qui se traduit notamment par la construction d’infrastructures souterraines importantes. Comme Bruxelles, mais à une échelle et un degré de complexité bien plus important, Montréal développe un réseau souterrain remarquable. L’artificialisation du sol par la superposition de couches d’infrastructures connectées à des fonctions diverses fait qu’un nouveau monde détaché de l’air libre émerge.33 Contrairement à Bruxelles, Montréal développe une véritable ville souterraine.

30 Demey, Thierry. Les transports publics bruxellois: De l’omnibus à cheval au métro (1835-2030). Badeaux, Woluwe-Saint-Lambert, 2019, p.270.

31 Novgorodsky, Léonide. Le prémétro de Bruxelles. La technique des travaux, Liège, 1970, p.14.

32 Masse, Jean-Paul, et al. Bruxelles: du prémétro au vrai métro. La vie du rail. «Bruxelles: du prémétro au vrai métro», n°1575 (9 janvier 1977), p. 6.

33 Lortie, André, et al. Les années 60: Montréal voit grand. Centre canadien d’architecture / Douglas and Mcintyre, Montréal / Vancouver, 2004, p.164.

55

En effet, peu avant la mise en service des premiers métros au milieu des années 1960, l’urbaniste canadien Vincent Ponte débute la construction du « RESO » de Montréal (Réseau piétonnier souterrain de Montréal). Cette nouvelle portion de ville dans la ville, conçue comme un microcosme protégé de la circulation automobile et des aléas météorologiques, constitue le début d’un vaste réseau qui s’étendra au fil du temps sur environ 30 kilomètres sous la ville de Montréal.

Comme à Bruxelles, en parallèle de l’extension du réseau souterrain, de nombreuses opérations immobilières importantes ont lieu en hors-sol. A Montréal, la proximité des différentes parcelles les unes aux autres facilite des potentielles connexions souterraines. En effet, d’une part la Société de transport de Montréal (STM) avec son réseau de métro et d’autre part les promoteurs avec des vastes projets immobiliers, voient dans la mise en connexion de leurs projets respectifs des grands avantages partagés. Ainsi, ensemble, la STM et les promoteurs immobiliers créent des sorties et des accès directs aux stations de métro et à la ville souterraine. Avec l’extension progressive de ce réseau souterrain complexe, on peut donc aisément accéder directement à des bâtiments à partir du souterrain, que ce soient des bureaux, des universités, des hôpitaux voir même des programmes privés. Ensuite, ces programmes sont accompagnés de nombreuses autres fonctions tels que des commerces, des espaces de restauration, des lieux de loisir, de sport et des espaces culturels situés de part et d’autre du niveau du sol, tantôt en souterrain, tantôt en rez-de-chaussée. En effet, on peut sortir du métro et profiter de toute cette variété de programmes dans des vastes espaces souterrains sans devoir sortir à l’air libre. Les codes traditionnels de circulation et d’utilisation des espaces d’une ville sont chamboulés par ce nouveau réseau souterrain vaste et complexe.34 Le cas de Montréal ressemble donc à la rue de la Loi, dans le sens qu’en dessous de la rue de la Loi, à la même période, il y a une forte densification du sous-sol.

Plus précisément, la configuration spatiale des premières stations de métro sous la rue de la Loi ressemble fortement à celles construites un peu avant à Montréal (voir Fig. 52 et 53). L’accès se fait soit par la voirie, soit à l’intérieur de bâtiments (par exemple le Mercator, voir troisième partie) en passant ensuite par un premier niveau de mezzanine (espace avec les guichets et quelques commerces) pour finalement descendre encore l’équivalent de deux étages plus bas pour arriver aux quais de métro. Il est assez probable que des ingénieurs belges aient été inspirés des stations de métro montréalaises, notamment grâce à l’Expo 67’ qui a lieu à Montréal. De plus, spécifiquement pour l’exposition, on a créé une ligne de métro (Expo Express) afin de relier celle-ci à la ville de Montréal. Ainsi, vu que ce type d’évènement existe surtout pour promouvoir des nouvelles technologies et inventions, on peut supposer que Montréal a été un exemple pour les concepteurs du métro bruxellois.

Montréal développe un réel réseau piétonnier souterrain directement lié à l’infrastructure du métro. De plus ce réseau piétonnier souterrain est planifié comme un tout, ce qui explique sa «cohérence» et qualité de fonctionnement encore aujourd’hui. A l’inverse, bien que l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi est également construite comme un seul projet (voir Fig. 54 sur les pages 58-59), le souterrain de la rue de la Loi n’est jamais conçu comme un lieu habitable par les piétons.

34 Mangin, David, et al. Mangroves urbaines. Du métro à la ville: Paris. Montréal. Singapour. Editions La Découverte, Paris, 2016, p.163.

56

Fig. 50 Le «Expo Express» construit spécialement pour l’exposition universelle de Montréal en 1967. (Disponible sur: https://expo67.morenciel.com/fr/transports/expo_express.php)

Fig. 51 Affiche publicitaire pour l’Expo 67’. (Disponible sur: https://www. journaldemontreal.com/2015/04/29/ souvenirs-dexpo-67)

Fig. 53 Coupe-type à travers une station de métro de Bruxelles.

On voit le niveau de mezzanine au-dessus du niveau des quais, rappellant le fonctionnement des stations de métro de Montréal. (Extrait de: Ministère des communications. Métro ? Oui !, 3ème édition, p.10 © archives de la STIB

Fig. 52 Plan et coupe longitudinale de la station de métro Bonaventure, conçue par Victor Prus en 1964. (Extrait de: Lortie, André, et al. Les années 60: Montréal voit grand. Centre canadien d’architecture / Douglas and Mcintyre, Montréal / Vancouver, 2004, p.167) © Collection Victor Prus

57

En effet, jusqu’aujourd’hui, cet ensemble conserve son caractère d’infrastructure dédiée au stockage et aux flux de mobilité mécaniques où les fonctions annexes dans les stations de métro se réduisent à quelques commerces et lieux de restauration peu signifiants. Néanmoins, les nombreuses connections entre ces infrastructures souterraines (et notamment le parking public sous la rue de la Loi) avec l’espace public et les bâtiments en aérien, pose la question d’une potentielle revalorisation de celles-ci dans l’optique d’un projet de redéveloppement futur de la rue de la Loi, nous y reviendrons dans la troisième partie.

58

Fig. 54 Coupe et plan de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi. (Novgorodsky, Léonide. Le prémétro de Bruxelles. La technique des travaux, Liège, 1970, p.23)

59

Fig. 55 Un des trois niveaux du parking souterrain de la rue de la Loi. © photo personnelle

Fig. 57 Une des nombreuses entrées du parking souterrain de la rue de la Loi. Ici l’entrée au niveau de la rue de la Science. © photo personnelle

Fig. 56 Une des rampes reliant les trois niveaux du parking de la rue de la Loi. © photo personnelle

60

Le parking public sous la rue de la Loi Le parking souterrain de la rue de la Loi est construit par l’Etat belge dans les années 1960 (en même temps que le métro), surtout destiné aux fonctionnaires européens et personnes travaillant dans le secteur tertiaire qui borde la rue de la Loi. Cette infrastructure souterraine, comptant pas moins de 1109 places et divisée en trois étages, s’étend sur environ 600 mètres de longueur à partir du croisement avec la petite ceinture jusqu’à l’interruption de la rue de la Loi par la chaussée d’Etterbeek (voir Fig. 54 sur les pages 58-59). Ce parking public s’ajoute au grand nombre de parkings privés construits au même moment sous la majorité des immeubles de la rue de la Loi. En effet, la quantité de places de parkings privés est basée sur la Circulaire de Saeger mise en place en 1970, prévoyant une place de parking pour 25m² de bureaux construits35, résultant en un sous-sol quasi entièrement bâti en dessous de la voirie et sous les îlots bordant la rue de la Loi. Ensuite, comme évoqué précédemment, depuis sa construction, de nombreuses entrées piétonnes et rampes d’accès figurent sur la rue de la Loi et les rues adjacentes, permettant ainsi une connexion très courte entre la voiture et le fonctionnaire travaillant dans les immeubles de bureaux adjacents. Avec la construction de ce parking et de la ligne de métro quelques mètres en dessous, la rue de la Loi se transforme en un véritable bâtiment. En effet, l’entièreté du sol de la rue de la Loi est artificialisé sur une profondeur d’environ 25m.

Depuis sa construction, la Région de Bruxelles-Capitale est propriétaire du parking et son exploitation à travers une concession a été confiée à la société privée Interparking. Le bail est de nature emphytéotique et s’étend depuis 1969 sur une durée de 50 ans. Ainsi, il est planifié qu’en 2019, parking.Brussels (l’agence régionale du stationnement) reprendrait le parking sous sa propre main afin que la Région de Bruxelles Capitale puisse avoir plus de contrôle sur l’aménagement futur de la rue de la Loi (notamment dans le cadre du Projet Urbain Loi). Comme écrit dans l’article de Pauline Deglume dans l’Echo en 2019, les idées de Bruxelles mobilité (l’organisme public en charge des projets de mobilité au sein de la Région Bruxelles-Capitale) gravitent surtout autour de la réaffectation des places de voitures en stationnement pour divers autres usagers que la voiture. Par exemple, ils évoquent la mise en place d’espaces de stationnement pour les vélos, les deux-roues, les voitures partagées, les habitants du quartier etc. La volonté est donc de conserver cette structure importante et d’en profiter pour accélérer le changement vers une multimodalité plus importante36.

Contrairement à ce qui était prévu en 2019, la Région de Bruxelles-Capitale relance une concession attribuée à Interparking pour une durée de 10 ans à partir de janvier 2021. Cela s’explique notamment en raison d’incertitudes concernant le futur développement de la rue de la Loi. Grâce à la durée courte du contrat, qui comprend notamment des clauses d’adaptation, la Région a la possibilité de réaffecter le parking à moyenne échéance.37 Dans la troisième partie de ce mémoire, nous reviendrons sur le potentiel de ce parking, dans l’optique d’explorer en quoi cet espace souterrain pourrait devenir un outil permettant de développer une vie urbaine plus agréable au sein de la rue de la Loi.

35 Entretien avec Géry Leloutre le 25 janvier 2022.

36 Deglume, Pauline. Bruxelles reprend la main sur le parking Loi et son millier de places. [en ligne]. Bruxelles : L’Echo, 28 mars 2019. [consulté le 17 janvier 2022]. Disponible sur internet à l’adresse: https://www.lecho.be 37 Echange email le 7 mars 2022 avec la cellule de communication de Bruxelles Mobilité.

61

1.4 1980-2000 : les tentatives postmodernes de réintroduire de l’urbanité à travers une architecture postmoderne L’époque postmoderniste n’a rien de particulièrement spécifique à la rue de la Loi, si ce n’est qu’elle révèle surtout des débats actuels concernant la relation de ses bâtiments avec l’espace public. En effet, différents immeubles construits à cette époque se caractérisent par un rapport différent à la rue, en comparaison avec la conception plus ouverte de certains immeubles modernistes des années 1960 (comme par exemple le Berlaymont). Cet épisode de l’histoire de la rue de la Loi se traduit notamment par la création de socles, d’arcades, de retraits, d’alignements au bâti environnant et d’un appareil de protection sécuritaire important. A travers quatre exemples (l’Eurosquare, le Juste Lipse et les rénovations du Berlaymont et Charlemagne), nous verrons en quoi ces bâtiments tentent d’une part de mieux «s’intégrer» dans l’espace urbain, tout en changeant considérablement la relation entre leur rez-de-chaussée avec l’espace public.

L’Eurosquare L’Eurosquare a été conçu par le bureau d’architecture belge Henri Montois en 1996 et réalisé en 1999. Il s’inscrit dans un mouvement de rénovation général qui se propage à cette époque dans la rue de la Loi. Les anciens bâtiments modernistes construits dans les années 1960-1970 ne sont plus aux normes et ne répondent plus aux besoins de leurs usagers. Ensuite, la rue de la Loi n’a cessé d’intensifier son caractère «d’égout à voitures», accompagné de façades continues communiquant peu ou pas avec l’espace public. Ainsi, le bureau d’architectes Henri Montois essaye avec le projet Eurosquare de réinjecter de l’urbanité dans la rue de la Loi en agissant sur quelques éléments de composition précis du projet. Néanmoins, ce qui est «vendu» comme de l’urbanité, se traduit finalement par une architecture à l’allure monumentale, dont les opérations au rez-de-chaussée semblent plutôt destinées à la mise en valeur du bâtiment qu’à l’intégration de ce dernier à l’espace public. En effet, l’espace dégagé entre les colonnades et la façade du bâtiment Eurosquare est surélevé par rapport au trottoir, ce qui fait l’escalier crée une limite physique entre ces deux espaces38. On ne se situe plus au même niveau que le trottoir, ce qui fait que le bâtiment, par sa position surélevée, domine l’espace public et «casse» sa continuité (voir Fig. 59).

Henri Montois décrit le projet de la manière suivante: «(...) Eurosquare, which is recessed from the main pedestrian walkways, creates a sense of oasis in this traffic-congested area.(...)»39. En effet, dans le contexte actuel de la rue de la Loi, il est appréciable d’avoir un espace couvert public qui distancie le piéton de la rue et lui offre une sorte de «refuge». Néanmoins, outre la différence de niveau évoquée précédemment, vu que l’espace public devant l’Eurosqure (et plus globalement chaque bâtiment des institutions européennes) est largement sécurisé et contrôlé, l’espace crée par la colonnade perd son statut réellement public, il devient un espace surveillé.

38 Cette différence de niveau résulte de la mise au niveau de l’espace public par rapport aux parkings souterrains privés en dessous du bâtiment Eurosquare. Nous verrons plus tard, notamment avec le projet Copernicus au rue de la Loi 51, que ce phénomène continue à se mettre en place.

39 Montois Partners Architects. EUROSQUARE 1040 Etterbeek / Belgique Disponible sur : http://www.montois.be/ projects/eurosquare.html [consulté le 19 mars 2022]

62

Fig. 58 Façade principale du bâtiment Eurosquare datant de 1999, conçu par Henri Montois architectes.

On perçoit la galerie piétonne au rez-de-chaussée. © photo personnelle

Fig. 59 Escaliers de «rupture» entre l’espace public de la rue de la Loi et la galerie semi-privative. © photo personnelle

63

Fig. 60 Le Juste Lipse et ses grands « arches » ou « colonnes » cherchant à s’intégrer plus souplement dans le contexte urbain. © photo personnelle

Fig. 61 Le Juste Lipse suit la forme des voiries, évoquant une certaine volonté de s’intégrer dans le contexte urbain. (Extrait de: Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.315) © Thierry Demey

Fig. 62 Image de l’entrée du Juste Lipse telle qu’on l’a imaginée initialement. Apparu dans l’article de journal «Le Conseil des ministres de la C.E.E flanquera le rond-point Schuman en 1992», apparu en 1986. © AVB DD 532

64

Finalement, le recours systématique à des pierres précieuses comme le granite et du verre réfléchissant (des matériaux qu’on retrouve beaucoup dans la construction de bâtiments de bureaux postmodernistes au sein du quartier Léopold, notamment le Juste Lipse), fait que l’Eurosquare semble d’autant plus distant par rapport à l’espace public.

Le Juste Lipse Depuis le début des années 1970, le Conseil des ministres a changé plusieurs fois de siège et de nombreux projets ont été envisagés à Bruxelles. En effet, le nombre de pays croissant mais tout de même incertain voulant joindre l’Union européenne, freine fortement la concrétisation de ce projet. Finalement, en 1995, un groupe de 20 architectes dirigé par le bureau CDG avec l’appui de la Régie des bâtiments, gagne un concours d’architecture lancé en 1976 pour la construction du Juste Lipse. Comme pour le Berlaymont, le gouvernement belge finance et construit ce projet, sans confirmation d’occupation par les institutions européennes. Ils espèrent les convaincre en leur proposant un projet répondant le plus précisément à leurs besoins40. En effet, comme pour de nombreux projets sur la rue de la Loi, ce projet est conçu pour un nombre précis d’Etats membres, à savoir exactement 15, ce qui semble une stratégie peu durable dans un contexte d’expansion forte de l’Union européenne à cette époque. De plus, vu la situation particulière de la parcelle, avant la construction du bâtiment, d’importants travaux préparatoires en termes d’infrastructure ont lieu au sous-sol, notamment le détournement des tunnels autoroutiers venant de la rue Belliard.

Au niveau architectural, le bureau d’architecture CDG, connu pour ses réalisations postmodernes, crée un projet d’allure monumentale qui en même temps cherche à s’intégrer dans le contexte urbain. En effet, on perçoit une architecture «hésitante». Comme évoqué précédemment, l’architecture et la manière de s’implanter du Juste Lipse s’opposent radicalement aux architectures modernistes (Berlaymont et Charlemagne avant leurs rénovations), notamment en créant des alignements à la rue et aux îlots environnants (voir Fig. 61). Ensuite, le Juste Lipse est le résultat d’une destruction partielle du Résidence Palace (la partie est) et d’un îlot d’habitations du 19ème siècle (l’îlot Froissart-Comines). Deux rues entières ont été abandonnées (rue Juste Lipse et rue de Comines), faisant du Juste Lipse un nouveau «méga-îlot» de 4,5ha. Vu la nécessité importante d’espaces de bureaux, la contrainte de servitude de vue à partir du Cinquantenaire imposant une hauteur maximale de 46 mètres41, et le coût important du projet, les architectes essayent de maximiser la place disponible en bâtissant quasi l’entièreté de la nouvelle parcelle. Pour combler cette forte densification et afin de rendre les nouveaux bureaux plus lumineux tout en minimisant les surfaces vitrées sur les façades à rue (pour des questions de sécurité), le bâtiment s’articule autour de cinq cours intérieures. Le résultat final est un bâtiment d’allure monumentale qui s’aligne aux rues adjacentes, occupant une surface très importante. Daniel De Laveleye (de CDG Architectes), explique le projet dans une interview par J.-C. Vantroyen apparu dans un article de presse en 1986 de la manière suivante: « Il n’était guère facile de réaliser un bâtiment de cette importance qui soit en même temps discret et marquant.»42. En effet, la demande semble contradictoire, vu le programme très important à mettre en place.

De plus, contrairement à l’image que souhaitent véhiculer les institutions européennes (ouverture, transparence, diversité etc.) et la conception initiale du patio d’entrée du Juste Lipse (voir Fig. 62), l’architecture de ce dernier donne l’impression d’un lieu hyperprotégé, une sorte de forteresse dont le langage de la façade et le choix de la matérialité (granite 40 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.303.

41 Ibid., p.304.

42 Interview apparue dans l’article de journal de J.-C. Vantroyen «Le Conseil des ministres de la C.E.E flanquera le rondpoint Schuman en 1992», apparu en 1986 (AVB, DD532)

65

66

Fig. 63 Extrait de l’article « L’envol international de Bruxelles», publié dans Le Soir le jeudi 2 mars 1995. © AVB DD 532

67

rose du Portugal) reflètent assez peu cette volonté initiale. Finalement, un important appareillage sécuritaire envahi de plus en plus, notamment après les évènements de 2001 à New York, les abords et l’espace ouvert de la parcelle du Juste Lipse. En effet, trois grandes entrées avec de multiples barrages de sécurité renforcent l’enfermement du Juste Lipse sur lui-même, un phénomène qui se propagera dans d’autres bâtiments de la même époque, dont notamment le Berlaymont et le Charlemagne.

Les rénovations du Berlaymont et du Charlemagne Depuis 1950, les promoteurs immobiliers n’ont cessé de construire des bureaux sur la rue de la Loi. A cette époque, la pression immobilière est tellement importante, que la rapidité de mise en œuvre prend le dessus sur la qualité de mise en œuvre. C’est ainsi qu’à la fin du 20ème siècle de nombreux bâtiments de l’époque moderniste doivent être démolis ou rénovés. Les démolitions sont plus fréquentes, car les rénovations sont souvent plus coûteuses et complexes. A priori, la rue de la Loi n’a rien de spécifique dans cette période de rénovation, vu qu’un bon nombre ses bâtiments subissent un « lifting » comme beaucoup d’autres immeubles dans le quartier Léopold. Néanmoins, les rénovations de deux bâtiments emblématiques tels que le Berlaymont et le Charlemagne sont d’autant plus importantes, vu le rayonnement symbolique qu’ils ont acquis au fil du temps. En effet, à travers leurs rénovations, l’idée est surtout d’en faire des projets exemplaires au niveau de la conception énergétique. Ce sont les premiers bâtiments avec une telle attention à la durabilité à Bruxelles. Dans cette optique, ils constituent des objets spécifiques à la caractérisation de la rue de la Loi. Mais vu la durée importante des travaux et les complications qui ont eu lieu, l’aspect réellement durable du bâtiment est questionnable (voir Fig. 68 sur les pages 70-71). L’autre aspect majeur de leur rénovation est un nouveau rapport plus fermé par rapport à l’espace public, dont l’influence postmoderniste est clairement identifiable (voir images en haut à droite).

Le Berlaymont La raison majeure pour la rénovation du Berlaymont était la présence de l’amiante dans les plafonds et les cloisons. De plus, avec la multiplication des services liés aux institutions européennes, le Berlaymont devenait de moins en moins adapté aux besoins de ses occupants. Il manquait de la lumière naturelle, les bureaux étaient trop étroits et de nombreuses fonctions étaient souterraines43. Ainsi, seulement 28 ans après sa construction, le bâtiment a été mis à nu et quasi complètement démantelé. En 1996, une nouvelle société s’intitulant «Berlaymont 2000» a été spécifiquement créé pour la rénovation du bâtiment. L’équipe en charge de cette rénovation d’une durée de plus de 8 ans (1995-2005), était composée d’environ 70 personnes dont notamment les architectes belges Steven Beckers, Pierre Lallemand et des allemands de bhss Architekturbüro Leipzig.44 Leur intervention n’est pas très spécifique dans le spectre de l’architecture à l’échelle européenne à cette époque, c’est-à-dire qu’on retrouve une architecture légère, composée d’éléments métalliques (des ailettes par exemple) et de panneaux de verre (voir Fig. 64). En effet, des architectes comme l’Italien Renzo Piano ou l’Anglais Norman Foster sont une grande influence à l’époque. Néanmoins, cette manière de rénover un bâtiment peut être considérée comme novateur dans le cadre bruxellois à cette époque, ce qui les rend à nouveau plus spécifique dans la caractérisation de la rue de la Loi.

43 Berlaymont 2000: rénovation. Berlaymont 2000, Bruxelles, s.d.

44 Norman, Anne. 1992, Bruxelles capitale de l’Europe. L’architecture des années 1990, n°166. Association des Amis de l’Unesco, n°166 (janvier,février,mars 2021) p.19-23.

68

Fig. 65 Entrée du Berlaymont délocalisée sur le Boulevard du Charlemagne, une rue mineure débouchant sur la rue de la Loi en 2022. © photo personnelle

Fig. 64 Espace de promenade privatisé par le Berlaymont côté rue de la Loi en 2022. En effet, de nombreuses endroits initialement accessibles sont transformées en «couches» de protection successives devant le Berlaymont. © photo personnelle

Fig. 66 La rampe du Berlaymont, cachée par une succession de filtres de sécurité physiques. © photo personnelle

Fig. 67 Traîtement de l’espace public autour du Berlaymont dans les années 1960, avant sa rénovation. Bien qu’on perçoit déja des murs séparatifs, on peut facilement accéder jusqu’au pied du bâtiment voire même à l’intérieur. De plus, la façade est très ouverte et on peut voir directement ce qui se passe à l’intérieur. (Extrait de: Demey, Thierry.

Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 234-235) © Ministère des Travaux publics

69

70

Fig. 68 Extrait de l’article «Le Berlaymont vidé fait le vide» de Daniel Couvreur, publié dans le Le Soir le 11 janvier 1993. © AVB DD 532

71

Fig. 71 Plan d’aménagement du rez-de chaussée de la proposition de Jean Nouvel pour la rénovation du Berlaymont en 1993. (Extrait de: Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994), p. 70) © Jean Nouvel

Fig. 69 Verrière et passerelle d’accès vers l’entrée principale du Berlaymont dans la proposition de Jean Nouvel pour la rénovation du Berlaymont en 1993. (Extrait de: Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994), p. 70) © Jean Nouvel

Fig. 70 Façade colorée et ouverte vers la ville dans la proposition de Jean Nouvel pour la rénovation du Berlaymont en 1993. (Extrait de: Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994), p. 70) © Jean Nouvel

72

Fig. 72 Vue d’un atrium au sous-sol, couvert par une verrière de forme elliptique dans la proposition de Jean Nouvel pour la rénovation du Berlaymont en 1993. (Extrait de: Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994), p. 67) © Jean Nouvel « On ne détruit pas les symboles, raconte Jean Nouvel. Celui-ci est un monument typique de l’architecture des années 60, époque à laquelle la plupart des villes ont connu un développement cataclysmique. Le Berlaymont est un produit irréversible de cette mutation urbaine. C’est devenu un fait historique et géographique que l’on ne peut nier. La «chose» est là et il faut faire avec.

Mais son architecture peut s’améliorer par des strates d’intervention postérieures. Le bâtiment d’ailleurs, n’est pas dépourvu de qualités esthériques, même si’l est complètement déconnecté de la ville. Dans ces années-là, l’atomisation des immeubles était de mode.»

Extrait d’interview dans l’article «Métamorphose du Berlaymonstre» de Daniel Couvreur publié dans Le Soir le 25 en juin 1993. © AVB DD 532

L’intervention n’est pas brutale, mais plutôt «discrète», ce qui permet au Berlaymont de conserver sa force symbolique dans l’imaginaire des gens qui l’ont connu avant sa rénovation (voir Fig. 67 en bas de la page 69). Outre la proposition finale telle qu’elle existe encore aujourd’hui, d’autres projets de rénovation du Berlaymont ont été proposés à la même époque, dont notamment les propositions de grands architectes de renommée internationale tels que Jean Nouvel et Norman Foster.

Proposition de rénovation de Jean Nouvel La proposition de Jean Nouvel est radicalement différente de celle qui a finalement été réalisée. En effet, un des thèmes principaux du projet constitue l’accessibilité et la perméabilité visuelle. Il propose une immense verrière couvrant une partie du vide qui entoure le Berlaymont (voir Fig. 72). Ensuite, il crée une passerelle d’accès large de 16 mètres au-dessus de cette verrière, ce qui permet d’être au même niveau que la rue de la Loi et ainsi de pénétrer de plain-pied dans le bâtiment. En effet, le creux entourant le Berlaymont d’une hauteur de trois niveaux est peu favorable en termes de lien entre le bâtiment et l’espace public. Ainsi, par la mise en valeur et l’hiérarchisation des accès au Berlaymont, sa symbolique est d’autant plus renforcée.

Ensuite, l’ouverture du bâtiment est accompagnée d’une façade conservant le caractère très ouvert du Berlaymont des années 1960. Jean Nouvel conçoit la façade-rideau en double peau avec des volets ouvrants opaques et des vitres fixes avec des stores colorés. On peut interpréter que la variété de couleurs représente la diversité de la population européenne. De plus, les quatre pignons deviennent des véritables lanternes bleues lumineuses porteuses de messages, ce qui amplifie la présence symbolique du Berlaymont.45 A travers cette intervention presque scénographique, Jean Nouvel rend le bâtiment, qui incarne la représentation physique de l’Union européenne, d’autant plus spécifique et unique. On perçoit un bâtiment qui externalise l’essence du projet européen, en manifestant un important degré d’ouverture et de transparence. A l’inverse, l’architecture mise en place dans la rénovation actuelle a un caractère bien plus générique et fermé (architecture d’ailettes et de verre), un symptôme qui continue à se mettre en place au bord de la rue de la Loi et dans le quartier Léopold.

En conclusion, la proposition de rénovation de Jean Nouvel révèle avant tout une attention particulière à la dimension symbolique du Berlaymont, tout en augmentant sa qualité spatiale et environnementale. En effet, de par l’importance que ce bâtiment a acquis au fil du temps, quasi au même statut qu’un palais de justice ou une cathédrale, Jean Nouvel saisit l’opportunité pour amplifier cette présence symbolique des institutions européennes à Bruxelles. A l’inverse, le projet réalisé par la société Berlaymont 2000, dispose les curseurs différemment en se concentrant principalement sur l’efficacité énergétique du bâtiment. En effet, la dimension symbolique se réduit finalement à la simple conservation de la forme du Berlaymont initial.

Proposition de Norman Foster A l’inverse, le projet de Norman Foster prend une toute autre forme. Toujours dans l’idée de renforcer la présence symbolique des institutions européennes à Bruxelles, il propose de démolir le Berlaymont et de le remplacer par une tour haute de 20 étages, offrant pas moins de 300 000m² de bureaux. Finalement, notamment en raison du non-respect des servitudes de vue vers le Cinquantenaire, le projet est immédiatement rejété.46 45 Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994) p. 66-70.

46 Dumont, Paula, et al. Bruxelles, 175 ans d’une capitale. Mardaga, Sprimont, 2005, p. 49-50.

73

Le Charlemagne Le Charlemagne subit en parallèle du Berlaymont une rénovation complète de 1995 à 1998 par le bureau d’architecture belge Henri Montois en collaboration avec l’Association d’architectes ARIAS et l’architecte allemand de Chicago Helmut Jahn (Murphy & John Architects). Les architectes proposent un projet constitué essentiellement de verre, d’acier et de lumière. En effet, ils créent une double façade de verre de forme courbe du côté nord du bâtiment, ayant pour effet «d’adoucir» la transition entre le quartier résidentiel des squares et le quartier de bureaux côté rue de la Loi. Helmut Jahn explique que le but de la rénovation est de «[...] le (le Charlemagne) transformer en fenêtre ouverte sur la ville.»47. De l’autre côté, ils décident de prolonger cette nouvelle façade de verre, afin d’aligner le bâtiment à la rue de la Loi. En effet, cette double-peau lui confère ainsi une identité largement altérée par rapport au projet initial de Jacques Cuisinier, dont la façade était de nature plus «générique» et dont la masse bâtie était implantée de manière autonome par rapport au contexte. Bien que par ces différentes opérations, le bâtiment semble d’autant plus «ancré» dans le tissu urbain environnant, on perçoit une certaine fermeture vis-à-vis de l’espace public (écrans de verre prolongés, façades assez fermées côté rue Joseph 2, encombrement par des dispositifs de sécurité etc.).

Conclusion Au-delà des dimensions écologiques et symboliques de ces deux rénovations, le postmodernisme a laissé des traces concernant le nouveau traitement de leur rezde-chaussée. En effet, les espaces interstitiels peu définis (les vides entre les ailes du Berlayomont et Charlemagne) datant d’une conception moderniste des années 1960, font face à une forte privatisation et densification lors des rénovations dans les années 1990-2000 (voir Fig. 73). Les nouvelles interventions émanent d’une certaine volonté de retrouver des alignements aux îlots adjacents afin de réintégrer le bâtiment dans le tissu urbain existant.

Ensuite, l’espace public devant les bâtiments des institutions européennes est devenu un espace à défendre. De manière générale, tant dans le traitement des façades que de l’espace public, parmi les intentions majeures des institutions européennes, la protection et la sécurité figurent parmi les premiers de la liste. La rue de la Loi constituant un axe routier important, est un réel danger en termes d’attaques terroristes pour les institutions. Ainsi, les nouveaux alignements des deux rénovations expliquées précédemment se traduisent notamment par la mise en place d’une série d’outils sécuritaires tels que des murs épais, des bancs en béton, des bandes végétales, des rampes etc.48 Outre ces outils sécuritaires, on perçoit également la relocalisation des accés sur des axes routiers moins importants que la rue de la Loi (voir Fig. 74). Ce phénomène de protection sécuritaire devant les bâtiments des institutions européennes s’intensifiera au fil des années, comme nous verrons dans la deuxième partie.

Finalement, lors des rénovations du Berlaymont et Charlemagne, il existe cette ambivalence entre, d’une part, la volonté de conserver leur caractère symbolique et ouvert sur la ville et, d’autre part, la nécessité de les protéger, menant à une certaine distanciation vis-à-vis de l’espace public.

47 Extrait d’interview de l’article «Le Charlemagne revu et corrigé par un Chicagolais» écrit pas Daniel Couvreur dans le journal Le Soir le 7 décembre 1995.

48 Les attentats terroristes du 11 septembre 2001 à Manhattan ont très probablement eu une influence majeure sur ces nouvelles considérations de la part des institutions européennes.

74

Fig. 73 Article «Le Charlemagne revu et corrigé par un Chicagolais» écrit par Daniel Couvreur, publié dans Le Soir le 7 décembre 1995. © AVB DD 532

Fig. 74 Recherche d’alignement avec l’écran de verre en face de la rue de la Loi dans la rénovation du Charlemagne. © photo personnelle

Fig. 75 La densification du rez-de-chaussée et l’écran de verre unifiant les trois ailes dans la rénovation du Charlemagne. © photo personnelle

75

76

Fig. 76 «EU Barcode», proposition de Rem Koolhaas dans «Brussels, capital of Europe», 2001. (Disponible sur : https://www.oma.com/projects/ eu-barcode) © OMA

77

Fig. 77 «The Image of Europe», exhibition de l’Union européenne sur le rond-point Schuman, créé par Rem Koolhaas, Reinier De Graaf (OMA) en 2004. (Disponible sur: https://www.oma.com/projects/eu-barcode) © OMA

Fig. 78 Extrait de l’article «Le projet en béton de Guy Verhofstadt» apparu dans Le Soir le 21 juin 2001. © AVB DD 532

Fig. 79 «L’OmbudsPlanMédiateur» de MSA, Aries et Idom en 2003. On voit comment le projet s’articule autour de la vallée du Maelbeek, en essayant notamment de mettre en valeur les structures vertes de ce territoire. (Extrait de: Plissart, Marie-Françoise, et al. Change: Brussels Capital of Europe. Prisme Editions, Bruxelles, 2005, p. 212) © MSA

78

1.5 2000-2022 : L’hyperdensification et le Projet Urbain Loi Les prémisses du Projet Urbain Loi Comme nous l’avons pu voir, la rue de la Loi a connu une forte densification depuis le début du 20ème siècle, notamment avec le Résidence Palace, la construction du métro et surtout les bureaux modernistes des années 1950-1960. En effet, avec la cristallisation des institutions européennes à Bruxelles, notamment par la construction du Berlaymont et du Charlemagne, le quartier Léopold et plus particulièrement la rue de la Loi acquièrent une telle importance, qu’il devient quasi indispensable de concentrer le projet européen dans cette zone spécifique de Bruxelles.

Jusqu’à la création de la Région Bruxelles-Capitale en 1989, ni l’Etat belge, ni les institutions européennes voient le potentiel symbolique de l’architecture pour matérialiser de manière tangible ce grand projet politique que constitue l’Union européenne.49 En effet, il n’existe pas de projet, ni à l’échelle urbanistique, ni au niveau architectural, pensé précisément pour les institutions européennes et représentatif de leurs spécificités politiques.

Le Berlaymont n’est devenu qu’avec le temps, un symbole fort de l’Europe que la population s’est approprié. Ainsi, en 2000, on crée une task force «Bruxelles Europe» pour repenser l’urbanisme du quartier européen. L’année d’après, en mai et septembre 2001, le Premier Ministre belge Guy Verhofstadt et le Président de la Commission européenne Romano Prodi organisent deux réunions de concertation, notamment en présence de deux personnalités remarquables de l’architecture contemporaine: Rem Koolhaas et Umberto Eco.50 Ils débattent sur les besoins et les fonctions nécessaires pour une capitale européenne, et de quelle manière sa présence physique et symbolique à Bruxelles pourrait être revue, modifiée, amplifiée (voir projet d’exhibition de l’Union européenne par OMA sur la Fig. 77).

Une première manifestation concrète d’une mise en forme urbanistique des débats gravitant autour du quartier européen est réalisée deux ans plus tard, en 2003, par le bureau d’urbanisme MSA, en collaboration avec Aries et Idom. Ils créent le «OmbudsPlanMédiateur» visant à redéfinir une identité du quartier européen et de recréer des synergies positives entre les différents acteurs concernés51. Le plan se développe sur l’axe de la vallée du Maelbeek, ponctuée d’une structure verte remarquable et d’équipements collectifs de grande envergure, participant à la mise en connexion des différents secteurs du quartier (voir Fig. 79).

Ensuite, c’est aux alentours de l’année 2005, que la discussion initiée par le Premier Ministre Guy Verhostadt sur l’emplacement d’un bâtiment pour le Conseil de l’UE, marque le début d’un grand projet urbain: le Projet Urbain Loi. En parallèle des discussions à Bruxelles, une étude académique majeure est préparée par le Berlage Institute aux PaysBas sous la direction de Pier Vittorio Aureli. L’ étude s’intitulant « Brussels A Manifesto : Towards The Capital Of Europe » s’intéresse à la position des institutions européennes à Bruxelles et la qualité urbaine du quartier Léopold (voir images page suivante).

49 Sterken, Sven. «Bruxelles, ville de bureaux: Le Berlaymont et la transformation du quartier Léopold.». Bruxelles patrimoines. Dossier Ateliers, Usines et Bureaux. Région de Bruxelles-capitale, n°015-016 (Septembre 2015), p. 113.

50 European Commission, Group of Policy Advisers. Brussels, capital of Europe: final report, October 2001. 2001.

51 Plissart, Marie-Françoise, et al. Change: Brussels Capital of Europe. Prisme Editions, Bruxelles, 2005, p. 213.

79

Fig. 81 Page de couverture de l’étude «Brussels: A Manifesto Towards the Capital of Europe», dirigée et écrite par Pier Vittorio Aureli, et publiée par le Berlage Intitute en 2007.

Fig. 80 Etalement des institutions européennes sur plusieurs sites à Bruxelles - Logique d’artefacts et d’archipel urbain. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al.

Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe.

NAi Publishers, 2007. p.85)

Fig. 82 Proposition pour le réaménagement de la rue de la Loi (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007. p. 101)

80

Elle constitue une vision de mise en forme plus ou moins concrète d’un projet urbanistique pour les institutions européennes, dont un des sites concernés est la partie est de la rue de la Loi, dédié plus particulièrement au siège de la Commission européenne.

La proposition du Berlage Institute La proposition de reconfiguration des institutions européennes à Bruxelles par le Berlage Institute suit une stratégie de dispersion de celles-ci sur neuf sites distincts à Bruxelles.

En effet, les auteurs du projet défendent l’idée d’une «tension» entre «partie/contrepartie», c’est à dire une certaine logique où par la répartition des institutions européennes sur différents sites à Bruxelles, leur complémentarité serait valorisante dans la reconnexion entre des quartiers considérés autonomes (voir Fig. 80).52 En d’autres mots: la manifestation physique des institutions européennes à Bruxelles sur plusieurs sites aurait, d’une part, un effet fédérateur dans les liaisons entre différents quartiers et, d’autre part, par la diversité culturelle, économique et sociale que représentent chacun de ces quartiers, la dispersion institutionnelle serait plus représentative des valeurs politiques de l’Union européenne. Ainsi, Bruxelles se manifesterait plus clairement comme capitale nationale, tout en étant également la capitale de l’Europe.

La partie du projet qui nous intéresse dans le cas de ce mémoire est la proposition pour le siège de la Commission européenne dans le quartier Léopold, plus précisément autour du rond-point Schuman. La proposition est structurée en 3 parties : (1) sur une durée de 30 ans, à la fin des baux de location de la Commission européenne, toutes les fonctions liées à celle-ci sont concentrées autour du rond-point Schuman ; (2) le Conseil des ministres est implanté dans une extension des musées du Cinquantenaire ; (3) des nouveaux projets de logements occuperont les parcelles libérées par la Commission européenne et revitaliseront le quartier Léopold. Ces 3 parties s’inscrivent dans une « promenade institutionnelle » qui s’étend de l’ouest de la ville (le Parlement européen situé sur le site de Tour&Taxis) à travers le centre-ville (Carrefour de l’Europe), passant par le siège de la Commission européenne (rond-point Schuman) pour culminer au Conseil des ministres à l’est de la ville (Cinquantenaire).53 Le but est de d’éviter la continuation de l’étalement des institutions européennes dans le quartier Léopold, qui lui constitue depuis les années 1950-1960, une zone fortement altérée par leur arrivée. De plus, par la concentration d’une partie de leurs bâtiments autour du rond-point Schuman, cœur historique des institutions européennes, leur présence symbolique est amplifiée. A travers cette relocalisation des bureaux de la Commission européenne, le reste du quartier Léopold peut «renaître» en tant que quartier résidentiel (ce qui semble néanmoins peu réaliste vu la situation foncière). Cela permettrait notamment une transformation de l’espace public grâce à la disparition de toutes sortes de dispositifs de sécurité nécessaires pour protéger les institutions européennes.

Les nouveaux bâtiments implantés autour du rond-point Schuman sont visiblement inspirés d’un urbanisme de type moderniste. En effet on voit des bâtiments objets avec des grands espaces publics dégagés (voir Fig. 82). Les gabarits sont similaires aux bâtiments de bureaux environnants existants, à savoir une douzaine de niveaux. Alors qu’à l’ouest on perçoit des bâtiments de formes hétérogènes, à l’est, le siège de la Commission européenne est marqué par huit barres monumentales et identiques. La force symbolique du siège est créé par la répétition, la taille et l’emprise au sol, alors que plus tard, avec le Projet Urbain Loi, on essaye plutôt de marquer le symbole par des constructions cherchant la hauteur. Finalement, une importante galerie souterraine constitue la colonne vertébrale de la proposition et distribue les différentes entités.

52 Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 81 53 Ibid., p. 106

81

Fig. 83 Plans de la proposition pour le réaménagement de la rue de la Loi. On perçoit notamment une nouvelle galerie souterraine centrale qui permet d’aller d’une entité de bureaux à l’autre sans qu’il faille passer par l’extérieur. On voit donc clairement la volonté d’intensifier l’infrastructure souterraine existante et d’en tirer parti dans la conception du projet. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe.

NAi Publishers, 2007, p. 110-114)

82

Fig. 84 Perspectives de la proposition pour le réaménagement de la rue de la Loi. Ils proposent notamment d’ouvrir un maximum les rez-de-chaussée et des créer un siège pour la Commission européenne qui accentuerait la perspective historique vers le Cinquantenaire et le centre ville. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 115 et 118)

83

Le projet de Jaspers-Eyers & Partners pour la vallée du Maelbeek Dans la même année que la publication de la proposition du Berlage Institute, en 2007, un autre projet annonce plus précisément la couleur du Projet Urbain Loi qui suivra l’année d’après. En effet, lors du MIPIM (Marché international des professionnels de l’immobilier) en 2007 à Cannes, le stand belge est occupé par Atenor Group, Breevast Belgium, Cofinimmo, Immobel, l’UPSI et le bureau d’architecture Jaspers-Eyers & Partners. Ces acteurs immobiliers importants à Bruxelles et notamment dans le quartier Léopold, proposent un projet de plusieurs tours (dont certaines font plus de 200 mètres de hauteur) dans la vallée du Maelbeek, implantées de manière perpendiculaire par rapport à la direction de densification historique de la rue de la Loi, à savoir d’est en ouest (voir Fig. 88 sur les pages 86-87). En effet, l’axe d’intérêt principal n’est plus la rue de la Loi mais la chaussée d’Etterbeek. On y prévoit une sorte «d’avenue de l’Europe» ayant l’allure d’un parc (on voit une certaine ressemblance au schéma directeur de MSA quelques années plus tôt), profitant de la structure verte préexistante (Squares, Jardin de la Vallée du Maelbeek, Parc Léopold etc.). Plus tard dans le Projet Urbain Loi on fait l’inverse, c’est à dire qu’on «reprend» ces tours et on les dispose sur les différents îlots bordant la rue de la Loi. Parmi les tours proposées, deux émergences majeures figurent de part et d’autre de la rue de la Loi: l’une occupe la position de l’hôtel Europa (aujourd’hui démoli et remplacé par la tour The One dont le propriétaire est Atenor) et l’autre se situe en face sur une partie de l’îlot 130 (voir Fig. 87). La forme architecturale de cette tour n’a rien de particulier, mais on perçoit les premières réflexions par rapport à l’ouverture du rez-de-chaussée et l’utilisation de la différence de niveau entre la rue de la Loi et la chaussée d’Etterbeek au profit d’un passage commercial souterrain (voir Fig. 85). En effet, au-delà du débat sur la densité et la pertinence de la typologie de la tour à cet endroit, «le rez-de-chaussée ainsi que les trois niveaux de parkings souterrains seraient commerciaux et rejoindraient l’autre tour, ajoute Michel Jaspers, son père, créant un passage piétonnier reliant les deux côtés de la rue de la Loi via la chaussée d’Etterbeek, élargissement des trottoirs et lien avec le petit parc voisin en prime.»54. De plus, en contrepartie de ces deux tours, Jaspers-Eyers & Partners proposent de reconvertir une série d’immeubles de bureaux abandonnés par les institutions européennes en logements, ce qui semble peu réaliste vu la situation foncière du quartier Léopold.

Ensuite, le projet du Berlage Intitute mais aussi celui proposé par la Représentation belge au MIPIM 2007, ouvrent le débat sur une série de questions urbaines du Projet Urbain Loi. En effet, Stephan de Sonneville d’Atenor Group explique que: « l’idée de présenter cette maquette «dérangeante», est avant tout de lancer le débat, de discuter avec le politique sans toujours tomber dans un cadre normatif. Et surtout de réhabiliter les tours, à tout le moins d’arrêter de les décrier.»55 On verra plus tard avec le Projet Urbain Loi, que les associations de quartiers locales critiqueront notamment l’impact de ces nouvelles tours sur le patrimoine environnant, provoquant l’altération des vues et perspectives sur le Cinquantenaire et le quartier des squares au nord.

Finalement, même si un nouveau Schéma directeur pour la revitalisation du quartier européen est proposé par Marie-Laure Roggemans un peu plus tard en avril 2008, la représentation politique belge au MIPIM de 2007 (le ministre président de la Région de Bruxelles -Capitale Charles Picqué) se montre critique par rapport à cette densification massive de la rue de la Loi: « Nous n’allons pas éviter le débat sur la densité de la ville ce qui ne veut pas dire un débat sur les grandes tours.

54 Mikolajczak, Charlotte. (2007, 14 mars). Retour des tours à Bruxelles. La Libre. https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/2007/03/15/retour-des-tours-a-bruxelles-C6TW4XODYVHRDE6EIQ2SCCEH6I/ 55 Ibid.

84

Fig. 85 Coupe à travers la vallée du Maelbeek avec le projet de gratte-ciels de Jaspers-Eyers & Partners pour les institutions européennes. © Jaspers-Eyers & Partners

Fig. 86 Vue de l’espace accessible au public au dernier étage de la tour principale. © Jaspers-Eyers & Partners

Fig. 87 Vue du rez-de-chaussée de la tour principale, à l’endroit où est planifié le projet Realex. © Jaspers-Eyers & Partners

85

Fig. 88 Projet de gratte-ciels dans la vallée du Maelbeek par Jaspers-Eyers & Partners, 2007. © Jaspers-Eyers & Partners

86

87

1. Projet Urbain Loi 2. Boulevard urbain chaussée d’Etterbeek 3. Abords du Résidence Palace 4. Gare multimodale Schuman 5. Réaménagement rond-point Schuman 6. Abords du Consilium 7. Esplanade du Parlement européen 8. Parc du Cinquantenaire 9. Parc Léopold 10. Les rues de la Loi, Belliard et Cortenbergh 11. Place de Jamblinne de Meux 12. Places du Luxembourg & Jourdan

Fig. 89 Document reprenant le périmètre du Schéma directeur avec les 12 projets envisagés. Un de ces projets est le Projet Urbain Loi, dont on retrouve le périmètre sur la gauche de l’image. © perspective.brussels

Fig. 90 Plan schématique des 3 pôles d’identité du PAD Loi (autour de Arts-Loi, dans l’axe du square Frère-Orban et à proximité de la vallée du Maelbeek), tel qu’il a été dessiné par le bureau d’architecture et d’urbanisme BUUR en 2019. (Extrait de: BUUR, Projet de pad loi Bruxelles : mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur « Loi » et de son rapport sur les incidences environnementales, 2019, p. 50-51) © BUUR

88

Et si nous n’écartons pas d’office de monter en hauteur, je reste très réticent sur les trop fortes ruptures d’échelle. Entre accepter d’augmenter les gabarits et faire 60 étages, il y a de la marge. Restons également prudents, en tenant compte de la localisation, des conséquences sur le tissu urbain, des fonctions hébergées, de l’accessibilité ...»56. En effet, la densité représente un des sujets majeurs de la caractérisation de la rue de la Loi, qui sans doute aura eu son apogée avec le Projet Urbain Loi57.

Le Projet Urbain Loi Le Projet Urbain Loi est un concours d’architecture international organisé en 2008 par la Région de Bruxelles-Capitale, la Commission européenne et la Ville de Bruxelles, où on propose d’aller encore un cran plus loin que le projet proposé par Jaspers-Eyers & Partners au MIPIM de 2007. En effet, ce projet constitue un changement radical et bien spécifique à la rue de la Loi. Il fait partie d’un Schéma directeur pour le quartier européen, approuvé en 2008 par le Gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale, ayant pour ambition de revitaliser ce dernier en termes de durabilité, mobilité, mixité fonctionnelle et plus généralement de qualité urbaine. Ce Schéma directeur se divise en 12 programmes urbanistiques d’interventions concrètes, dont notamment le Projet Urbain Loi (voir Fig. 89).58 Le périmètre du concours est réduit aux îlots de la partie ouest de la rue de la Loi, d’une part à cause de la force symbolique de cet axe historique entre le Cinquantenaire et le Parc royal et d’autre part car la Commission européenne souhaite concentrer ses bureaux sur la rue de la Loi à proximité immédiate des autres institutions européennes majeures existantes telles que le Conseil et le Parlement européen et d’un nombre important de bâtiments dont ils sont propriétaires.59 En effet, celle-ci avait encore récemment (jusqu’en 2020) des bureaux situés en dehors du quartier européen, notamment sur les sites de Beaulieu, Herrman-Debroux ou Evere, témoignant d’une absence de planification urbanistique à long terme.

Ensuite, la Région bruxelloise tente à plusieurs reprises de mettre en place un cadre légal (voir Fig. 90), afin de concrétiser les idées énoncées par le lauréat du concours en 2009, à savoir le Français Christian De Portzamparc. Nous reviendrons sur les outils mis en place dans la deuxième partie, lorsque nous évoquerons le sujet de la densification.

Initialement, la Commission demande 400 000m² de nouveaux bureaux et la Région aimerait bien mettre en place 380 000m² d’équipements et de logements60, menant à une quantité de nouveaux espaces cumulée de 780 000m². Mais suite à la pandémie de la COVID-19, en 2021, la Commission européenne réduit sa quantité d’espaces souhaitée de moitié. En effet, avant l’annulation du Projet Urbain Loi en mai 2022, les chiffres gravitent autour de 240 000m² de nouveaux bureaux, 110 000m² de nouveaux logements et 60 000m² de nouveaux commerces et équipements publics61. Même si les projets du concours en 2009 sont basés sur les chiffres pré-COVID, ces quantités d’espaces restent très importantes vu la saturation préexistante des îlots bordant la rue de la Loi. Ainsi, le défi pour le concours en 2009 semble assez complexe : comment fortement densifier un axe déjà saturé en bureaux tout en augmentant sa qualité urbaine ? Voici la question à laquelle plusieurs bureaux d’architecture renommés tentent de répondre en 2009.

56 Ibid.

57 Le Projet Urbain Loi a été annulé en mai 2022.

58 Roggemans, Marie-Laure, et al. Schéma directeur: quartier européen. Avril 2008. Disponible sur: https://perspective. brussels/sites/default/files/documents/QE_Schema_directeur.pdf [consulté le 10 janvier 2022] 59 Vermeersch, Laurent. Rue de la Loi: attendre que le vent tourne. A+, n°260 (juin-juillet 2016) p. 60 60 Ibid., p. 61 61 Perspective. brussels. Quartier européen. Disponible sur : https://perspective.brussels/fr/projets/poles-strategiques/ quartier-europeen#:~:text=Le%20Projet%20urbain%20Loi%20(PuL)%20porte%20sur%20la%20cr%C3%A9ation%20 de,240.000%20m%C2%B2%20de%20nouveaux%20bureaux. (consulté le 23 mai 2022)

89

Fig. 91 Vue aérienne du projet de Christian de Portzamparc pour le Projet Urbain Loi en 2009. On voit à quel point le projet dédié à la Commission (3 tours) se démarque du reste. (Disponible sur: https://www.christiandeportzamparc.com/fr/projects/la-rue-de-la-loi/ ) © Atelier Christian de Portzamparc

Fig. 92 Schéma illustrant le principe de l’îlot ouvert de la rue ouverte selon Chrstian de Portzamparc. (Disponible sur: https://www.christiandeportzamparc.com/fr/projects/quartier-massena/) © Atelier Christian de Portzamparc

Fig. 93 La ligne de trame que Portzamparc avait planifié de «remettre» sur la rue de la Loi. (Disponible sur: https://www.christiandeportzamparc.com/fr/projects/ la-rue-de-la-loi/ ) © Atelier Christian de Portzamparc

Fig. 94 Plan aérien du projet de Christian de Portzamparc pour le Projet Urbain Loi en 2009. On percoit un mélange hétérogène de bâtiments conservés, supprimés et rajoutés. (Disponible sur: https://www.christiandeportzamparc. com/fr/projects/la-rue-de-la-loi/ ) © Atelier Christian de Portzamparc

90

Des approches intéressantes et variées émergent lors de ce concours, révélant une série de caractéristiques bien spécifiques à la rue de la Loi et aux institutions européennes à Bruxelles. Nous allons analyser brièvement trois des cinq propositions ayant été retenues au premier tour du concours.

Approche n°1 : Appliquer un «template urbanistique» et disperser la Commission européenne sur la rue de la Loi Christian de Portzamparc, le lauréat du concours pour le Projet Urbain Loi en 2009, propose un schéma urbanistique qu’il a déjà largement utilisé pour d’autres projets, notamment celui de Massena en France. Il propose d’appliquer le principe de la rue ouverte à la rue de la Loi, c’est-à-dire créer une rue ponctuée par des petites placettes (des «pocketparcs») qui sont le résultat d’une mise en recul de certains bâtiments (voir Fig. 92). L’idée principale est de casser la «rue corridor» et d’apporter plus de lumière, plus d’air et plus d’espace dédié aux piétons dans la rue de la Loi. La densité qu’on perd en créant les petites placettes et mises en recul est récupérée par la construction d’excroissances ponctuelles tout le long de la rue de la Loi. De plus, plus on crée de l’espace libre au sol, plus la tour peut être haute62. Ce phénomène de libération du sol pour densifier davantage n’est pas nouveau dans l’histoire de la rue de la Loi mais atteint sans doute son «maximum» avec le projet de Portzamparc.

A l’inverse de la proposition de OMA, le projet de Portzamparc nécessite beaucoup de démolitions pour ensuite redensifier massivement. En termes d’impact urbain, le projet de Portzamparc est assez «destructeur» et semble peu réaliste vu la réalité foncière de la rue de la Loi. Presque chaque parcelle des îlots bordant la rue de la Loi est la propriété de promoteurs immobiliers privés, ce qui rend la gestion et la mise en œuvre de la proposition de Portzamparc d’autant plus compliquée voire impossible63. De plus, en termes de mobilité, le changement du sens de la circulation et la réduction de la rue de la Loi à deux bandes en complément d’une nouvelle ligne de tram semble également peu réaliste vu l’importante quantité de voitures passant par cet axe tous les jours (voir Fig. 93).

Ensuite, dans le projet de Portzamparc il existe une certaine ambivalence concernant la visibilité et la manifestattion symbolique de la Commission européenne à Bruxelles. En effet, une série de tours très hautes sont planifiées le long de la rue de la Loi, dont notamment les trois tours sur l’îlot 130 (nouveau siège pour la Commission européenne, voir Fig. 94). Cette accumulation de tours, dont la hauteur semble la seule manière de se démarquer, a pour effet que la présence physique et symbolique de la Commission européenne à Bruxelles semble «s’estomper». En effet, c’est sans doute l’aspect «générique» et peu symbolique de la proposition de Portzamparc qui a convaincu la Commission européenne. Cette réticence de la part de la Commission européenne envers un symbole fort est présente jusqu’en 2018, lorsque le projet pour son nouveau siège (le concours Loi 130) est annulé. Nous verrons par la suite qu’à l’inverse de Portzamparc, qui essaye de corriger les fautes du passé avec un nouveau «système urbain», Rem Koolhaas impose un concept d’autant plus ancré dans le symbolisme et la réalité foncière de la rue de la Loi64.

Approche n°2 : Assumer l’Europe à Bruxelles comme un objet symbolique et s’inscrire dans la réalité foncière complexe de la rue de la Loi La proposition de Rem Koolhaas et Nicolas Firket est de nature monumentale, tout en proposant une certaine «intelligence» en termes d’occupation du sol. Ils proposent des 62 Vermeersch, Laurent. Rue de la Loi: attendre que le vent tourne. A+, n°260 (juin-juillet 2016) p. 60 63 En effet, aujourd’hui uniquement deux projets ont été construits dans le cadre du Projet Urbain Loi. 64 Lamant, Ludovic. Bruxelles chantiers: Une critique architecturale de l’Europe. Luw Editeur, 2018, p. 44.

91

grandes structures qui ressemblent à des arches et qui semblent déposées comme des objets autonomes au bord de la rue de la Loi (voir Fig. 95). En réalité, cette forme urbaine a un double intérêt : d’une part, l’arche est une sorte d’archétype de l’architecture grecque antique représentant la démocratie ce qui aurait donc un intérêt symbolique pour les institutions européennes ; d’autre part, ces arches ne touchent que ponctuellement le sol (les parcelles qui appartiennent à la Commission européenne), ce qui est avantageux étant donné que la majorité des parcelles de la rue de la Loi sont la propriété de promoteurs immobiliers privés et que la spéculation immobilière est très importante. En d’autres mots: «Cela diminuerait les problèmes de spéculation et permettrait de réaffecter les autres surfaces en logements»65. Outre ces questions foncières et programmatiques, Koolhaas et Firket proposent comme Xaveer de Geyter de mettre la voirie automobile de la rue de la Loi partiellement en sous-sol, afin de créer un espace largement piétonnisé en aérien (voir Fig. 96).

Le point principal du projet de Koolhaas et Firket consiste en sa monumentalité, ce qui rendrait la Commission européenne encore plus visible à Bruxelles, contrairement au souhait de celle-ci comme nous l’avons évoqué précédemment66. En effet, comme l’explique Marie-Laure Roggemans: «Ce qui était très clair au niveau de la CE (Commission européenne) dans les discussions autour des projets «symboliques», c’est qu’elle ne voulait pas être assimilée à un immeuble de grande hauteur et à un seul bâtiment iconique. Les immeubles de grande hauteur n’ont pas de justification économique, mais uniquement de pouvoir et de puissance. Or la CE ne voulait pas identifier son image à ce type de symbole [...]»67. Le positionnement de la Commission européenne par rapport à leur proposition est assez paradoxal comme le souligne Ludovic Lamant en citant Nicolas Firket : « L’architecte belge, qui a travaillé avec son confrère néerlandais sur le projet, suppose que la Commission n’a pas voulu affronter la manifestation tangible de sa présence à Bruxelles. Elle a formulé des exigences, en matière de superficie de bureaux, dont elle n’a pas su anticiper la forme ni les conséquences. Quand ses responsables ont vu le résultat, ils ont fait marche arrière. Le traumatisme du 11 Septembre a sans doute aussi influencé certains membres du jury, opposés à la construction des symboles qui pourraient devenir des cibles faciles aux yeux de terroristes »68. En conclusion c’est surtout l’aspect monumental et «trop symbolique» de la proposition de Rem Koolhaas et Nicolas Firket qui fait que ce projet n’a pas été retenu.

Approche n°3: Concentrer l’Europe autour du rond-point Schuman sans toucher le reste de la rue de la Loi Le bureau d’architecture de Xaveer De Geyter (XDGA) propose de limiter le Projet Urbain Loi autour du rond-Point Schuman, pour «soulager» le reste du quartier Léopold et offrir des espaces publics plus conviviaux. Le but est de concentrer toutes les nouvelles fonctions du projet dans un campus dense avec un bon nombre de tours très hautes. Comme pour toutes les autres propositions, la Commission européenne se montre à nouveau réticente envers la visibilité que créent ces tours dans l’espace urbain. Ainsi, pour des raisons similaires au projet de Rem Koolhaas, ils refusent ce projet69.

Ensuite, à l’inverse des autres propositions qui semblent prendre uniquement en considération le périmètre restreint défini par le concours, le projet de XDGA s’inscrit d’une certaine manière dans une logique plus territoriale à l’échelle du quartier européen. En effet, si une certaine densité est demandée et que historiquement les institutions européennes ont été 65 Duplat, Guy. Rue de la Loi: les enjeux d’un concours. La Libre, publié le 22 avril 2009. Disponible sur: https://www. lalibre.be/culture/arts/2009/04/23/rue-de-la-loi-les-enjeux-dun-concours-VYIN6XTV5JAIDJFUYX7FCNMX5U/ (consulté le 16 mars 2022) 66 Lamant, Ludovic. Bruxelles chantiers: Une critique architecturale de l’Europe. Luw Editeur, 2018, p. 42 67 Contesse, Audrey. Loi de consensus. A+, n°217 (avril-mai 2009) p.11 68 Lamant, Ludovic. Bruxelles chantiers: Une critique architecturale de l’Europe. Luw Editeur, 2018, p. 43 69 Ibid., p. 42

92

Fig. 95 Les arches monumentales de la proposition de OMA (Rem Koolhaas) et Nicolas Firket. (Disponible sur https:// wbarchitectures.be/fr/architects/NFA--Nicolas-Firket-Architects-/Plan-Urbain-Loi--Concours-International-de-Masterplan/218/) © OMA

Fig. 96 La rue de la Loi et le nouvel espace public en dessous des arches monumentales de la proposition de OMA (Rem Koolhaas) et Nicolas Firket. On remarque également la mise en souterrain de la voie automobile et la piétonnisation de la rue de la Loi. (Disponible sur: https://www.oma.com/projects/rue-dela-loi) © OMA

Fig. 97 Le plan général de la proposition de OMA (Rem Koolhaas) et Nicolas Firket. (Disponible sur https://wbarchitectures.be/fr/architects/NFA--Nicolas-Firket-Architects-/Plan-Urbain-Loi--Concours-International-de-Masterplan/218/) © OMA

93

fortement critiquées pour leur étalement dans Bruxelles, la proposition de XDGA semble la plus appropriée à cet égard. Grâce à l’hyperdensification qu’ils proposent autour du rond-point Schuman, le reste de la rue de la Loi peut être pensé autrement, sans la Commission européenne. En d’autres mots: il s’agirait de « dépolitiser » une partie de la rue de la Loi, de la rendre plus neutre et ainsi plus résiliente à des changements futurs.

XDGA propose d’implanter le projet dans la partie est de la rue de la Loi à proximité du rond-point Schuman, c’est-à-dire dans un contexte « d’objets de l’Europe » (Berlaymont, Charlemagne, Juste Lipse, Europa …). Il est important de noter que XDGA fera un projet pour le réaménagement du rond-point Schuman quelques années plus tard (2010), illustrant déjà une certaine volonté de concentrer le monde des institutions européennes à cet endroit spécifique (voir Fig. 100). Ensuite, plus à l’ouest de la proposition la rue de la Loi suit une autre logique urbaine, celle d’une grille orthogonale avec des îlots composés d’immeubles en mitoyenneté. La «force» du projet de XDGA semble être le respect de cette logique urbanistique historique du quartier Léopold. Outre des aspects d’ordre urbanistique, la «montagne de tours» proposée par XDGA serait implantée au croisement de deux axes majeurs de Bruxelles: la rue de la Loi et la chaussée d’Etterbeek. Le but est d’implanter le projet à proximité immédiate de différents nœuds de transport public (métro Maelbeek, gare multimodale Schuman, ligne de bus 59 etc.) permettant une accessibilité d’autant plus importante au nouveau complexe qu’ils proposent.

Finalement, la proposition du Berlage Institute, expliquée précédemment, peut être considérée comme le prédécesseur de celle de Xaveer De Geyter, car eux aussi voulaient concentrer les fonctions de la Commission européenne à proximité du rond-point Schuman, en espérant pouvoir redynamiser le reste du quartier Léopold, notamment en y injectant du logement. Ainsi, le fait de limiter le concours de 2008 sur un périmètre restreint de la rue de la Loi illustre bien «la fragmentation de la politique territoriale à Bruxelles»70.

Tenant compte du contexte plus large du quartier Léopold, il est en effet difficile de comprendre pourquoi il faudrait densifier toute la rue de la Loi. Comme pour la majorité des autres propositions, les institutions européennes ne veulent pas de symboles pour se démarquer à Bruxelles et considèrent que le projet de XDGA constituerait un «ghetto européen»71, ce qui résulte également au refus de ce projet.

En conclusion, on remarque que la grande quantité de nouveaux espaces demandée par la Commission européenne et la Région de Bruxelles-Capitale, se traduit en deux catégories de projets: les propositions plus «risquées» et symboliques (OMA, XDGA) et une proposition de nature plus «générique» telle que celle du lauréat Christian de Portzamparc.

Au final, comme le dit Olivier Bastin, on peut se demander: « Fallait-il un tel concours de niveau international pour prendre une décision qui n’est rien d’autre que la prolongation du processus naturel de densification du quartier européen ?»72. En effet, vu la réalité foncière du quartier Léopold, le nombre d’acteurs très important ainsi que la complexité de mise en œuvre d’un outil légal pour concrétiser la proposition de Portzamparc, seulement deux projets en 15 ans sont construits.

Des premiers projets du Projet Urbain Loi se construisent et sans doute les derniers ?

Depuis 2008, les deux uniques projets construits dans le cadre du Projet Urbain Loi sont la tour « The One » construite en 2020 par le promoteur immobilier Atenor et les architectes de Buro 2 & Archi+1 et le bâtiment « Copernicus » construit par Alidès et LD2 architectes en 2021.

70 Sterken, Sven. «Bruxelles, ville de bureaux: Le Berlaymont et la transformation du quartier Léopold.». Bruxelles patrimoines. Dossier Ateliers, Usines et Bureaux. Région de Bruxelles-capitale, n°015-016 (Septembre 2015), p. 114 71 Contesse, Audrey. Loi de consensus. A+, n°217 (avril-mai 2009) p.11 72 Ibid., p.9

94

Fig. 98 Plan d’implantation de la proposition de Xaveer de Geyter. On perçoit la volonté de concentrer toutes les fonctions des institutions européennes autour du rond-point Schuman. Toute la partie ouest de la rue de la Loi à partir du projet de De Geyter reste inchangée au niveau du bâti. (Disponible sur: https://xdga.be/project/rue-de-la-loi) © XDGA

Fig. 99 Perspective aérienne de la proposition de Xaveer de Geyter. On perçoit la mise en souterrain d’une partie de la voirie automobile. En effet, De Geyter est le seul à utiliser le parking souterrain pour piétonniser le dessus. (Disponible sur: https://xdga.be/project/rue-de-la-loi) © XDGA

Fig. 100 Projet de Xaveer de Geyter pour la place Schuman en 2010. (Disponible sur: https://xdga.be/project/schuman-square) © XDGA

Fig. 101 Axonométrie de la proposition de Xaveer de Geyter. (Extrait de: Contesse, Audrey. Loi de consensus. A+, n°217 (avril-mai 2009) p.11) © XDGA

95

96

Fig. 102 La Tour « The One » au Loi 107, construit par B2Ai en 2020. © photo personnelle

Fig. 103 Succession de «couches de sécurité» devant la Tour «The One». © photo personnelle

Fig. 104 Surélévation du pocket-parc devant la Tour «Copernicus». © photo personnelle

Fig. 105 La Tour « Copernicus » au Loi 51, construit par LD2 en 2021. © photo personnelle

La tour « The One », implantée à côté du bâtiment LEX 2000 et surplombant la chaussée d’Etterbeek, illustre une série de caractéristiques définies par le projet de Portzamparc. Abritant quelques services de la Commission européenne, le bâtiment n’a pas la même charge symbolique que ses voisins autour du rond-point Schuman.

A nouveau, comme pour les rénovations du Berlaymont et du Charlemagne dans les années 1990-2000, la conception énergétique du bâtiment est mise en avant alors que le rapport à l’espace public est resté assez fermé. En effet, le recul tel qu’il a été déterminé dans le plan de Portzamparc est encombré d’une série de «couches de sécurité», matérialisées par des barrières physiques tels que des bacs à plantes, des poteaux ou des stationnements à vélos. Cela illustre une des limites du projet de Portzamparc, à savoir l’intégration de la dimension sécuritaire dans ces nouveaux «espaces publics».

Ensuite, la mixité fonctionnelle demandée par le PAD Loi et mise en place dans la tour «The One» semble assez douteuse. En effet, même si une tour de bureaux combinée avec des logements est assez rare à Bruxelles, les logements proposés sont orientés vers le sud de la rue de la Loi, ayant peu d’impact en termes de qualité urbaine sur celle-ci. De plus, ces logements sont très petits et destinés à une part de la population aisée, notamment des individus ou des couples, louant les logements à des durées courtes. On peut considérer la tour The One comme une sorte de «test» pour voir en quoi les demandes créés par le projet de Portzamparc sont possibles et qualitatives.

L’autre exemple construit aujourd’hui est la micro-tour Copernicus un peu plus haut au numéro 51 de la rue de la Loi. Cette tour, moins haute, est implantée en retrait de quelques mètres par rapport à la rue de la Loi, libérant la place pour un petit pocket-parc. Bien que la rue de la Loi regagne un peu d’air et que les diagonales de vue sont amplifiées, la petite placette semble créer peu de lien avec l’espace public qui l’entoure. En effet, celle-ci est légèrement surélevée par rapport au niveau du sol urbain (à cause du parking privé construit juste en dessous), cassant la fluidité de l’espace public. Ainsi, comme la colonnade de son voisin de droite (l’Eurosquare), le pocket-parc d’adresse d’autant plus au bâtiment qu’à l’espace public. De plus, comme pour la tour The One, des dispositifs de sécurité comme des bacs à plantes ou des blocs de béton encombrent la placette la rendant ainsi peu «performante». Finalement, en analysant les premiers projets construits dans le cadre du Projet Urbain Loi, l’urbanisme de l’îlot ouvert de Portzamparc pose toute une série de problèmes dont on perçoit les effets aujourd’hui.

Qu’en est-t-il du Projet Urbain Loi en 2022 ?

Le 12 mai 2022, notamment par l’effet amplificateur qu’a eu la COVID-19 sur le télétravail au sein de la Commission européenne, une forte critique de la part des habitants du quartier européen concernant le PAD Loi (Plan d’aménagement directeur), des nouveaux besoins de la part des travailleurs et une attention plus poussée en matière de durabilité, le Projet Urbain Loi est annulé. Cette annulation se traduit aujourd’hui par la stratégie du «Urban Rolling»73 en combinaison avec une adaptation du RRU (règlement régional d’urbanisme), qui ne se réduit plus au périmètre de de la rue de la Loi mais à l’échelle de l’entièreté du quartier européen, nous allons y revenir plus tard lors de la conclusion finale.

73 Comme l’explique Rudi Vervoort (ministre-président de la région bruxelloise) dans une interview de bx1 le 12 mai 2022: «[...] Nous avons évoqué la piste de l’Urban Rolling. Tout promoteur, tout candidat acheteur devra d’abord faire valider un projet dans sa faisabilité, dans sa mixité, dans sa volumétrie. Est-ce qu’on démolit, estce qu’on rénove ?». Disponible sur: https://bx1.be/categories/news/quartier-europeen-vers-plus-de-mixite/

97

98

Conclusion Nous avons pu remarquer que l’histoire des phases de mutation de la rue de la Loi est ponctuée par des phases tantôt génériques qui se propagent également dans le reste du quartier Léopold voire même Bruxelles, mais aussi des périodes très spécifiques à la rue de la Loi. Parmi ces périodes spécifiques, trois ressortent clairement.

La première phase constitue développement de la rue de la Loi à partir du 19ème siècle en tant qu’axe symbolique majeur de Bruxelles. L’axe regroupe une série de bâtiments majeurs du jeune Royaume belge et devient un axe important de circulation. Cette métropolisation de la rue de la Loi est ensuite amplifiée par l’arrivée des institutions européennes à la fin des années 1950 et une construction massive de bureaux.

La deuxième période de transformation majeure de la rue de la Loi accompagne la construction abondante de bureaux entre 1950 et 1980. Elle constitue le changement de la rue de la Loi d’une rue de surface en une rue «à deux visages». Avec la construction d’un énorme parking, l’éventrement pour le métro et les tunnels autoroutiers et la superposition de flux dans la gare multimodale de Schuman, la rue de la Loi est devenue une « mégastructure » unique à Bruxelles.

La troisième phase constitue la tentative de mise en œuvre d’un projet reconfiguration des institutions européennes à Bruxelles à partir des années 2000.

En effet, avec le Projet Urbain Loi, de nombreuses questions urbaines spécifiques à la rue de la Loi sont révélées et intensifiées, qui constitueront le sujet de la partie suivante.

99

DEUXIEME PARTIE 6 questions urbaines clés de la rue de la Loi aujourd’hui

Introduction Cette deuxième partie traite de sujets de débat importants et spécifiques qui se posent depuis des décennies pour tout projet d’architecture sur la rue de la Loi. En effet, ce chapitre se concentre sur 6 questions urbaines transversales au niveau temporel et spécifiques à la rue de la Loi: la densité, la fonction dominante ou mixité fonctionnelle, la symbolique du pouvoir, le patrimoine, le traitement de l’espace public à travers le prisme sécuritaire et finalement les infrastructures souterraines. Cette dernière thématique servira notamment comme transition pour la troisième partie, trois cas spécifiques de la rue de la Loi ayant une relation importante avec le souterrain, seront analysés et comparés avec d’autres cas d’études dans le monde.

100

101

Fig. 106 Trois phases de densification: hôtels de maître, le Résidence Palace et une extension moderniste dans les années 1980. (Disponible sur: bruciel.brussels) © Autres collections publiques

Fig. 107 La situation de la rue de la Loi en 1950 (gauche) et en 1967 (droite). (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 62)

102

2.1 Densification Comme on l’a pu voir dans la première partie, la rue de la Loi s’est fortement densifiée au fil de son histoire. L’analyse historique nous a permis de diviser cette densification en trois phases distinctes, dont celle débutant dans les années 1950-1960 est la plus transformatrice à ce jour.

Première densification avec des immeubles de résidence Déjà dans les années 1920-1930, une série d’hôtels de maître et maisons bourgeoises ont été remplacés par quelques bâtiments d’un gabarit beaucoup plus important: les immeubles de résidence. En effet, ces immeubles atteignent jusqu’à 10 étages (résidence du Cinquantenaire) et ont une présence urbaine marquante (surtout le Résidence Palace, voir Fig. 106). Ils posent la base d’un débat qui persiste encore aujourd’hui: l’impact de bâtiments hauts sur les quartiers environnants, notamment les quartiers autour du Cinquantenaire mais aussi le quartier des squares proche de la rue de la Loi. Ainsi, par exemple, la monumentalité du Cinquantenaire est atténuée par ces nouveaux immeubles qui modifient la perspective sur ce dernier. Les comités de quartier, les communes mais aussi la ville de Bruxelles s’opposent à une densification trop importante de la rue de la Loi, un phénomène qui s’accentuera avec l’arrivée des institutions européennes vers la fin des années 1950.

Densification principale avec l’arrivée des institutions européennes Ce n’est qu’à partir des années 1950-1960 que la rue de la Loi connaît une très forte densification, encore largement présente aujourd’hui. De nombreux bâtiments modernistes, tantôt génériques, tantôt très spécifiques (par exemple le Berlaymont et le Charlemagne) envahissent le quartier Leopold à grand pas pour répondre à une demande croissante de bureaux pour les institutions européennes fraichement arrivées à Bruxelles. Ces bâtiments d’environ 6 à 8 étages ont été conçus et construits très rapidement, sans réel concept d’ensemble urbanistique réfléchi au préalable. Ainsi, ces bâtiments plus denses, plus hauts et plus fermés à l’espace public sont «mal» intégrés dans le contexte urbain, faisant de la rue de la Loi (outre son caractère d’autoroute urbaine) une barrière urbaine importante entre les quartiers qui l’entourent. La critique de la part des comités de quartier reste importante. Néanmoins, le potentiel économique qu’offre l’implantation des institutions européennes à Bruxelles laisse peu de place aux critiques d’ailleurs.

En effet, cette phase constitue le début du débat sur la pertinence de l’implantation des institutions au centre de Bruxelles, notamment dans une zone en transition entre un monde essentiellement résidentiel vers un univers monofonctionnel de bureaux. Ils est incertain qu’une implantation des institutions européennes en dehors de Bruxelles aurait pu éviter cette mutation binaire de la rue de la Loi. En parallèle à la densification de l’espace bâti en hors-sol, une forte densification du sous-sol a également lieu, notamment par la construction d’une ligne de métro, d’un énorme parking souterrain et de tunnels autouroutiers dans les années.

103

Hyperdensification avec le Projet Urbain Loi Ensuite, dans le cadre des réflexions de redéveloppement de la rue de la Loi à partir des années 2000, différentes propositions de densification tentent de répondre aux nouveaux besoins des institutions européennes à Bruxelles.

Le Berlage Institute, qui ouvre le débat sur le Projet Urbain Loi qui suit l’année d’après, propose en 2007 de diviser la répartition des institutions européennes sur plusieurs sites distincts mais connectés entre eux à Bruxelles. Concernant l’implantation de la Commission européenne autour du rond-point Schuman, ils proposent une stratégie de densification «horizontale», en conservant les mêmes gabarits que les bâtiments modernistes des années 1960 (voir partie précédente p.82-83). De plus, cette densification se prolonge également dans le sous-sol. En effet, ils sont les premiers à réfléchir au potentiel du sous-sol de la rue de la Loi à travers la mise en place d’une galerie souterraine centrale qui débuterait à partir du côté est de la chaussée d’Etterbeek. Le but est de profiter de la gare multimodale Schuman pour distribuer les nouveaux bâtiments proposés implantés de part et d’autre de la rue de la Loi. Néanmoins, l’étalement horizontal de bâtiments de gabarits quasi identiques à ceux construits dans les années 1960 n’est sans doute pas une réponse pertinente à la problématique de l’étalement des institutions européennes dans le quartier Léopold.

Ce n’est qu’avec le concours pour le Projet Urbain Loi en 2008, que la densification des années 1960 est poussée un cran plus loin, c’est à dire «vers le haut». Vu que la place disponible sur la rue de la Loi se fait de plus en plus rare et qu’on veut absolument concentrer les institutions européennes sur la rue de la Loi, la densification vers le haut semble «la seule» option. En effet, même si les propositions sont assez variées dans leur manière d’aborder le cahier des charges demandé, tous les participants du concours proposent inévitablement des projets de tours d’une densité très importante. Certains essayent de concentrer les mètres carrés demandés à proximité du rond-point Schuman, pour éviter l’étalement des institutions dans le quartier Léopold (proposition de Xaveer De Geyter). D’autres, conçoivent des tours tout le long de la rue de la Loi (Portzamparc, Koolhaas etc.) créant ainsi une densification moins ponctuelle, mais sans doute aussi plus impactante sur les quartier environnants. Finalement, nous verrons lors de la troisième partie en quoi la proposition de Fletcher Priest Architects en collaboration avec WIT architecten, est composée de tours un peu moins hautes et d’un travail important sur le potentiel du monde souterrain de la rue de la Loi. Avec l’annonce de la Commission européenne en 2020 de réduire sa surface de bureaux d’environ 200 000m² (580 000m² au lieu de 780 000m²), notamment à cause du télétravail qui est devenu quasi structurel, les gabarits de ces tours sont soit à la baisse, soit leur nombre va largement diminuer74. Comme l’explique la nouvelle vision partagée de mai 2022, aujourd’hui on plaide plutôt pour conserver ou diminuer la densité moyenne existante du quartier Léopold tout en permettant des légers rehaussements ponctuels75.

Finalement, comme annoncé précédemment avec le projet de WIT architecten, un élémént peu exploré pour densifier la rue de la Loi est son espace souterrain. En effet, le parking en dessous de la rue de la Loi composé de trois étages et faisant quasi toute la longueur de la rue de la Loi, mais aussi la présence des stations de métro Arts-Loi et Maelbeek sur cet axe, représentent des moyens de densification remarquables et peu explorés. On reviendra sur la valorisation de l’espace souterrain de la rue de la Loi dans la troisième partie.

74 Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Rapport de Atelier n°1 Forme urbaine et patrimoine, octobre 2021, p. 25 75 Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Synthèse des ateliers thématiques organisés par perspective d’octobre 2021 à janvier 2022: Forme urbaine et patrimoine, espace public et mobilités, adaptation au changement climatique et services ecosystémiques, logement et services de proximité, bureaux, circularité et occupation temporaire. 2022, p.

10

104

Fig. 108 Proposition de tours allant jusqu’à 165m de hauteur dans le projet de Portzamparc pour la rue de la Loi en 2009. Cette densification verticale permet la création de petites places d’aération. (Disponible sur: https://www.christiandeportzamparc. com/fr/projects/la-rue-de-la-loi/ )© Atelier Christian de Portzamparc

Fig. 109 Critique de la part du comité de quartier Tervueren-Montgomery par rapport au PAD Loi le 6 décembre 2019. Vue sur une la relation de tours (aléatoires) sur la persective du Cinquantenaire. (Disponible sur: https:// tervueren-montgomery.eu/Site-FR/ Tervueren-PAD-Loi.htm) © Comité de quartier Tervueren-Montgomery

105

Libérer le sol pour densifier: un phénomène transversal A travers les époques, on perçoit un phénomène récurrent dans plusieurs projets de bureaux dans la rue de la Loi, à savoir la libération du sol pour créer un espace public afin de permettre une densification plus importante. On perçoit différentes déclinaisons de cette libération du sol le long de la rue de la Loi. a) La colonnade Des exemples assez rares sur la rue de la Loi sont les deux immeubles Mercator et Woodrow, situés sur les deux coins entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts, avec un rez-de-chaussée majoritairement commercial et une colonnade publique. D’autres déclinaisons de colonnade se trouvent un peu plus à l’est dans la rue de la Loi, notamment un bout de la façade du Loi 120 et du LEX 2000. Ces deux exemples ont néanmoins un caractère plus «privatif», dans le sens qu’il n’y a pas de programmes accessibles au public à l’intérieur des rez-de-chaussée.

Cette mise en recul met d’autant plus en valeur le bâtiment. b) Zone de recul et colonnade Il existe également des versions plus hybrides, où colonnade et mise en recul sont combinés dans un seul et même bâtiment. C’est notamment le cas pour le bâtiment Eurosquare et le Loi 36, où l’on retrouve une colonnade surélevée et un désalignement par rapport à la rue.

Dans le cas du Loi 36, la colonnade mène vers un mur aveugle dans la rue du Commerce, illustrant ainsi à nouveau l’effet embellissant d’un espace libre devant un bâtiment, au détriment d’un espace public fluide. c) Zone de recul Dans le cadre du Projet Urbain Loi tel qu’il a été défini par Christian de Portzamparc, différentes zones de recul ou pocket-parcs sont déterminés afin de créer une «rue ouverte». On perçoit une zone de recul importante en face de la tour The One, qui est d’autant plus encombrée par une série d’éléments de protection sécuritaire. d) Le pocket-parc Une autre manière d’ouvrir la rue selon Portzamparc sont les «pocket-parcs», dont on perçoit un exemple devant le bâtiment Copernicus. A nouveau, l’espace dégagé est occupé par des larges dispositifs de sécurité tels que des bacs à plantes en béton, atténuant l’effet «aérateur» du dégagement créé. De plus, comme évoqué précédemment lors de la première partie, le socle du pocket-parc n’est pas de plain-pied avec le niveau du sol urbain (en raison du parking souterrain privé en dessous du bâtiment), constituant ainsi une rupture de fluidité de l’espace public. e) Le socle en retrait La dernière typologie identifiable sur la rue de la Loi est le socle en retrait illustré par le Berlaymont. En effet, le socle composé d’une structure en béton permettant d’importants porteà-faux, libère une grande partie du sol au public. Comme expliqué précédemment, avant la rénovation, on pouvait se balader à proximité immédiate du bâtiment et la relation par rapport à l’espace public était très ouverte. A l’inverse, aujourd’hui ce dernier est plus sécurisé, notamment par l’accumulation d’une série de barrières physiques, le rendant moins visible et accessible à partir de l’espace public.

106

Fig. 110 Colonnade et mise en recul devant le bâtiment Eurosquare. © photo personnelle

Fig. 115 Colonnade devant le bâtiment Mercator.

On perçoit le rez-de chaussée occupé par des commerces et des espaces de restauration. © photo personnelle

Fig. 111 Colonnade du Lex 2000. © photo personnelle

Fig. 112 Colonnade du Loi 120. © photo personnelle

Fig. 113 Mise en recul devant la tour The One. On perçoit de nombreux éléments qui occupent la majorité de l’espace. © photo personnelle

Fig. 116 Colonnade et mis en recul sur l’angle du Loi 36. © photo personnelle

Fig. 114 Socle en retrait du bâtiment Berlaymont. La zone libérée est accessible au public mais est très peu visible à partir de la rue à cause des murs de protection. © photo personnelle

Fig. 117 Petite placette devant le bâtiment Copernicus. On perçoit des grands bacs à plantes qui occupent la majorité de l’espace. © photo personnelle

107

Fig. 118 Vue à partir du rond-point Schuman vers le Cinquantenaire en 1920. On perçoit plusieurs commerces et lieux d’horeca au niveau des rez-de-chaussée. De plus, la rue de la Loi est tellement calme qu’on peut se balader sur la voirie-même. (Disponible sur: bruciel. brussels) © Cartes postales Belfius

Fig. 119 Vue à partir du tunnel autoroutier de la rue de la Loi vers le centre-ville. Les assurances, bureaux de l’Etat, lobbys, entreprises et institutions européennes se partagent la rue de la Loi. L’autoroute urbaine forme la colonne vertébrale. Disponible sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

108

2.2 La fonction dominante : entre monofonctionnalité et mixité fonctionnelle Quand on s’intéresse à la thématique de la fonction dominante au sein de la rue de la Loi, on peut diviser celle-ci en deux grandes phases. En effet, au-delà de la transformation de sa Skyline, la rue de la Loi mute radicalement au niveau programmatique à partir des années 1950.

Monofonctionnel logements Comme nous l’avons pu voir lors de la première partie, jusque dans les années 1920, la rue de la Loi conserve un caractère essentiellement résidentiel et est destinée à la haute bourgeoisie et la vie locale. Même si globalement la rue de la Loi et le quartier Léopold ont un caractère élitiste et que la fonction résidentielle domine largement, il existe une certaine mixité sociale. En effet, Suys imagine dans le plan pour l’îlot modèle du quartier Léopold, une disposition précise de typologies d’habitations en fonction de la classe sociale. Les rues mineures et perpendiculaires aux axes est-ouest sont dédiés aux «classes inférieures», alors que la rue de la Loi est destinée aux personnes les plus fortunées (voir première partie p.22). Finalement, seulement quelques îlots respecteront cette stratégie, la plupart seront découpés de manière traditionnelle en parcelles plus étroites.76 Ensuite, n’oublions pas que Suys planifie une série d’équipements collectifs (une église, un hippodrome, une caserne de cavalerie, un cirque, un palais de l’industrie) ponctuant la trame régulière du quartier Léopold. Le but est d’attirer l’attention de la ville vers le nouveau quartier Léopold, symbole du progrès de l’Etat belge. Assez peu de ces équipements voient définitivement le jour. On construit deux squares (square Frère Orban et square de Mêeus), l’église Saint-Joseph et le jardin zoologique (le parc Léopold aujourd’hui). On renonce à toute une série de projets collectifs/publics pour rentabiliser l’investissement de la construction de ce nouveau quartier.

Finalement, jusqu’au début des années 1920, le paysage urbain de la rue de la Loi sera surtout composé d’hôtels de maître et de maisons bourgeoises associées à des petits commerces et ateliers d’artisans. Ainsi, la rue conserve un caractère à échelle humaine, dédiée à la desserte locale. Vu le peu d’espaces publics collectifs, la voirie de la rue de la Loi est également utilisée par les piétons, se partageant cet espace public avec les autres formes de mobilité de l’époque (voir Fig. 118).

Monofonctionnel bureaux Au moment des premières reconversions d’hôtels de maître en bureaux dans les années 1920 pour des institutions publiques, des sociétés privées et majoritairement des assurances, on sent déja le «frémissement» d’un changement programmatique dans la rue de la Loi. Mais ce n’est qu’avec la signature du traité de Rome en 1957 que le visage de la rue de la Loi mute radicalement. La première vague de quelques immeubles modernistes est ainsi rattrapée par une deuxième vague de bureaux pour les institutions européennes bien plus importante. On passe d’un quartier largement verdurisé en intérieur d’îlot à un quartier d’immeubles de bureaux et béton et en acier, dont les intérieurs d’îlot sont rapidement saturés d’annexes et de parkings.

76 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.40

109

Fig. 120 Le Plan Régional d’Affectation du Sol en 2022, le quartier Léopold quasiment inchangé depuis le plan de secteur des années 1970. On perçoit que presque tous les îlots bordant la rue de la Loi sont affectés en zones administratives (en mauve). L’affectation reste majoritairement inchangée depuis les années 1950. (Disponible sur: https://gis.urban.brussels/brugis/#/)

Fig. 121 Axonométrie indicative d’une forme de mixité au sein du Projet Urbain Loi en 2019. Le jaune est logement, le rouge est bureaux et le bleu est de l’équipement collectif. (Extrait de: BUUR, Projet de pad loi Bruxelles : mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur « Loi » et de son rapport sur les incidences environnementales, 2019, p. 34-35) © BUUR

110

Comme expliqué dans la première partie, la grille urbaine et la taille relativement importante des parcelles (par rapport à la norme bruxelloise), notamment à cause des hôtels de maître qui les occupaient, facilitent de manière conséquente le développement de la fonction tertiaire. Cette tertiarisation est accompagnée d’importants travaux d’infrastructure (métro, parking souterrain, tunnels autoroutiers) pour desservir les nouveaux bâtiments des institutions européennes. La rue de la Loi et ensuite quasi l’entièreté du quartier Léopold deviennent un lieu de passage, où l’on ne vit plus. En effet, avec la transformation de la rue de la Loi en autoroute urbaine et la disparition quasi totale de commerces, habitations ou équipements collectifs, le logement devient très peu attractif.

Vers une mixité fonctionnelle ?

Ce n’est qu’à partir des années 2000 qu’on commence réellement à questionner la qualité urbaine de la rue de la Loi et sa monofonctionnalité accrue. Comme on le voit sur le PRAS (Plan Régional d’Affectation du Sol), les parcelles de la rue de la Loi sont encore aujourd’hui quasi exclusivement affectées en zones administratives (voir Fig. 120). Cela pose ainsi la question de l’outil urbanistique à mettre en place pour injecter plus de mixité sur cet axe. Le PRAS permet un certain nombre de fonctions mais n’oblige pas le propriétaire de faire tous les programmes possibles. En effet, il n’est pas contraint par des pourcentages obligatoires pour chaque programme. Vu que le bureau est la fonction la plus lucrative dans la rue de la Loi et plus globalement dans le quartier Léopold, il n’y a pas de réel intérêt d’injecter d’autres programmes en plus. Ainsi, le PRAS ne permet pas la mixité souhaitée.

Après la création du Projet Urbain Loi (PUL) en 2010, il fallait donc trouver un autre outil réglementaire permettant la mise en œuvre du PUL. Ainsi, en 2013 la Région de Bruxelles-Capitale décide de créer un Règlement Régional d’Urbanisme Zoné (RRUZ), déterminant plus strictement les règles d’implantation et les gabarits des îlots. Cependant, comme il est expliqué dans le projet pour le PAD Loi par BUUR en 2019 : «La portée de cet outil ne permet cependant pas d’orienter les affectations dans les nouveaux projets, ni de définir une vision stratégique d’ensemble tel que le fait un document planologique.».77 Cet outil sera notamment remis en cause par les comités de quartier et finalement annulé par le Conseil d’Etat. Vu qu’il est compliqué de changer le type d’affectation au sein du PRAS, on opte finalement pour un PAD (Plan d’aménagement directeur), permettant le développement d’une vision urbanistique d’ensemble tout en offrant une liberté fonctionnelle plus importante (voir Fig. 121). Vu le nombre d’acteurs important et la demande complexe et fluctuante de la part de la Commission européenne et de la Région Bruxelles-Capitale, la mise en place de ce genre d’outils prend énormément de temps. On peut donc se questionner sur l’utilité d’un tel outil pour la rue de la Loi, où la spéculation immobilière est tellement importante et où les intérêts des différents acteurs sont souvent opposés.

Concrètement, au sein du PAD Loi, on propose d’injecter environ 25 à 35% de logements, 50 à 60% de bureaux, 10 à 15% d’équipement d’intérêt collectif et de commerces et 5 à 10% d’hôtels pour réanimer cet axe métropolitain78. Est-ce vraiment de la mixité fonctionnelle ? En effet, vu la réalité foncière de la rue de la Loi, les logements proposés seront relativement chers et souvent assez petits (voir les plans de la tour The One au 107 rue de la Loi)79.

77 BUUR, Projet de PAD Loi Bruxelles, Mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur «Loi» et de son Rapport sur les Incidences Environnematales», Projet de prescriptions, 6 mai 2019, p.15.

78 Ibid., p.52.

79 ATENOR, «The One Brussels Europa. Living in the beating heart of Europe», brochure pubilicitaire, s.d

111

Ces logements de moyenne et haute gamme sont souvent destinés à des jeunes fonctionnaires européens ou bien des couples aisés, ce qui fait que les gens ne seront majoritairement pas sédentaires à long terme80. De plus, même s’il y avait plus de logements plus grands et plus abordables, le quartier européen et la rue de la Loi manquent d’équipements collectifs et de services de proximité qui devraient accompagner ces logements.

Le logement social est très peu attractif pour les promoteurs dans un quartier d’un tel prestige. Ainsi, ce n’est qu’en imposant des charges urbanistiques plus strictes qu’une réelle mixité fonctionnelle pourrait être mise en place.

Christian de Portzamparc avait prévu dans son projet pour le PUL une «mise en accord» entre les différents propriétaires d’un même îlot bordant la rue de la Loi. En effet, certains promoteurs au sein du Projet Urbain Loi devraient céder leur parcelle au profit d’un espace ouvert et se mettre d’accord sur la répartition des programmes demandés avec les autres propriétaires du même îlot. Vu que le logement et toute autre fonction sont moins lucratifs que le bureau, une vraie mixité fonctionnelle au sein de la rue de la Loi semble assez compliquée.

Néanmoins, il y a eu différentes tentatives d’explorer l’apport de plus de mixité au sein du quartier européen. L’étude «Towards een multifonctionele quartier européen» du bureau d’architecture belge Bogdan & van Broeck datant de 2014 est un recueil de 10 recommandations pour des futurs projets dans le quartier européen.81 Le périmètre de l’étude s’étale sur une série d’îlots situés de part et d’autre de la rue Belliard, l’équivalent de la rue de la Loi mais dans l’autre sens (voir Fig. 124). En effet, le sujet de la fonction dominante ou de la mixité fonctionnelle n’est pas uniquement réservé à la rue de la Loi, car on retrouve ce débat dans l’entièreté du quartier européen. Par contre, c’est la rue de la Loi qui a commencé à être envahie par les bureaux, vu son importance symbolique et économique qu’elle a développée au fil du temps. On pourrait interpréter l’étude du bureau Bogdan & Van Broeck comme une tentative de créer une pression sur la rue de la Loi à travers l’injection massive de logements dans un périmètre restreint autour de la rue Belliard. Ainsi, en changeant radicalement le visage d’une partie du quartier européen, une nouvelle tendance vers un quartier plus mixte serait lancée, poussant les promoteurs des îlots environnants de suivre ce phénomène. Bien que cette étude fait preuve de bonnes intentions, aucune solution juridique et réglementaire précise n’est proposée pour concrétiser les idées. De plus, tant que la rue de la Loi reste une autoroute urbaine et que d’autres équipements collectifs ne soient pas mis en place, le logement sur la rue de la Loi semble peu attractif et cohérent.

Aujourd’hui, il existe dans cette «mare» de bureaux quelques rares projets apportant de la mixité fonctionnelle au sein de la rue de la Loi comme par exemple l’hôtel Thon qui dispose d’un restaurant au rez-de-chaussée ou encore une concentration de commerces de proximité et d’espaces de restauration à l’extrémité est de la rue de la Loi, sous les arcades des bâtiments Woodrow et Mercator. Le seul projet de logements sur la rue de la Loi est actuellement l’extension au-dessus du Loi 42 (voir images sur la page 114). Ce projet d’extension de logements et de rénovation de bureaux du Loi 42 est conçu par SI Studio en 2012. Comme l’explique Sébastien Cruyt (associé chez SI Studio), ce projet est le fruit d’un concours du promoteur immobilier Credibe, qui à l’époque voulait faire un projet «exemplaire» sur la rue de la Loi.82

80 Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Rapport de l’Atelier n°4 Logement et services de proximité, décembre 2021.

81 BOGDAN & VAN BROECK, «Towards een multifonctionele quartier européen. Guidelines for future projects in the European neighbourhood», 2014 82 Discussion avec Sébastien Cruyt le 2 juin 2022 dans son bureau SI Studio à Auderghem.

112

Fig. 122 Mixité fonctionnelle et sociale. (Extrait de: BOGDAN & VAN BROECK, «Towards een multifonctionele quartier européen. Guidelines for future projects in the European neighbourhood», 2014, p.13) © Bogdan&Van Broeck

Fig. 123 Création de perméabilités en intérieur d’îlot. (Extrait de: BOGDAN & VAN BROECK, «Towards een multifonctionele quartier européen. Guidelines for future projects in the European neighbourhood», 2014, p.25) © Bogdan&Van Broeck

Fig. 124 Périmètre d’intervention autour de la rue Belliard. (Extrait de: BOGDAN & VAN BROECK, «Towards een multifonctionele quartier européen. Guidelines for future projects in the European neighbourhood», 2014, p.6) © Bogdan&Van Broeck

113

Fig. 127 Coupe de l’extension de logements au-dessus du Loi 42. © SI Studio

Fig. 125 Image de l’extension de logements au-dessus du Loi 42. On perçoit un certain caractère «défensif» par rapport à la rue de la Loi. © photo personnelle

Fig. 128 Tour «Copernicus» de LD2 Architectes au Loi 51 avec une partie logements en arrière-plan à droite donnant sur la rue de la Science. © photo personnelle

Fig. 126 Tour «The One» avec la partie logements à l’arrière et les bureaux face à la rue de la Loi. © photo personnelle

114

D’une part, l’exemplarité s’explique par la volonté de concevoir un bâtiment mixte (logements, bureaux, espace de coworking) à une époque où uniquement des bureaux se construisaient sur la rue de la Loi. D’autre part, le mode constructif en double façade et les éléments préfabriqués de l’extension de logements ont permis l’obtention de certification de standard passif, une rareté à cette époque. De plus, l’implantation des logements en hauteur ainsi que la matérialité des façades en acier noir, donnent l’impression que le projet soit «protégé» des nuisances de la rue de la Loi. Bien qu’en 2012 et encore aujourd’hui une implantation en hauteur semble assez évidente vu le caractère d’autoroute urbaine de la rue de la Loi, les logements ne contribuent peu voire pas du tout à la qualité urbaine de cette dernière.

Pour que le logement puisse réellement avoir un impact sur la qualité urbaine de la rue de la Loi, il faudrait donc inverser l’organisation fonctionnelle proposée au Loi 42. Par exemple, on pourrait mettre en place une règle urbanistique, obligeant les promoteurs immobiliers à réserver les 3 premiers niveaux à des fonctions commerciales, des équipements collectifs et sans doute aussi des logements (à condition que la circulation automobile sur la rue de la Loi soit fortement réduite voire supprimée). Cela permettrait de réanimer l’espace public tout en donnant la possibilité de densifier davantage. En effet, vu que le rez-de-chaussée et les 2 premiers étages sont les plus «impactants» en termes de perception pour le piéton, les étages supérieurs pourraient sans problème être occupés par des bureaux. On le voit déjà sous les arcades des bâtiments Mercator et Woodrow, où les deux premiers niveaux du bâtiment sont dédiés à des fonctions commerciales, amplifiant la qualité urbaine.

De plus, outre l’apport de cette division fonctionnelle verticale en termes de qualité urbaine, cela permettrait sans doute aux institutions européennes de se libérer de toute une série d’outils de sécurité encombrant l’espace public. Il faudrait séparer les entrées des bureaux des entrées publiques, en les implantant par exemple en intérieur d’îlot connecté à la rue par une galerie traversant la masse bâtie. Ainsi, l’espace public serait réellement dédié aux occupants de l’espace public sans qu’il y ait une «privatisation» par les institutions européennes.

En conclusion, il faut constater que la mise en place d’une «réelle» mixité fonctionnelle au sein de la rue de la Loi reste complexe et inachevée aujourd’hui. En effet, la situation foncière en faveur des bureaux, la situation de la mobilité de la rue de la Loi (autoroute urbaine) et l’absence d’équipements collectifs semblent constituer les principales entraves. Les deux projets de tours («The One» et «Copernicus») construits dans la cadre du Projet Urbain Loi, reprennent une stratégie similaire à celle mise en place pour le Loi 42, à savoir la mise à distance des logements par rapport à la rue de la Loi. Les logements de la tour «The One» sont orientés vers le sud, alors que les bureaux font face à la rue de la Loi (voir Fig. 126). Un peu plus haut, les logements du projet «Copernicus» sont implantés de manière presque «anecdotique» sur la rue de la Science, une rue secondaire et perpendiculaire à la rue de la Loi. On peut donc se poser la question si c’est possible de faire du logement abordable et réellement impactant en termes de qualité urbaine au sein de la rue de la Loi. Sans doute, le logement n’est pas adapté. Cela n’empêche pas d’injecter des équipements de grande envergure (espaces de sport, théâtres, cinémas, ateliers etc.) sur les trois premiers niveaux des bâtiments à bureaux existants en complément d’une revalorisation de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi. En effet, nous verrons dans la troisième partie de ce mémoire, en quoi l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi, à travers sa revalorisation et mise en évidence, pourrait constituer une opportunité pour la mixité fonctionnelle. Avant de s’attaquer à ce sujet clé de ce mémoire, nous continuons à analyser le sujet de la force symbolique que la rue de la Loi a acquis au fil du temps.

115

2.3 Symbolique du pouvoir L’extension progressive de la rue de la Loi est le résultat de trois constructions majeures représentant tantôt le pouvoir politique belge, le pouvoir militaire belge ou plus tard encore le pouvoir politique européen. Ces grands ensembles architecturaux constituent les «moteurs» pour l’extension et le changement d’échelle de la rue de la Loi. Le Parlement belge Le premier symbole du pouvoir sur la rue de la Loi est le Parlement belge situé au nord du Parc Royal et à l’extrémité ouest de la rue de la Loi (voir Fig. 129). Comme expliqué précédemment, c’est à partir du quartier Royal que s’est créé au début du 19ème siècle le quartier Léopold et l’extension de la rue de la Loi. D’abord, jusqu’à la moitié du 19ème siècle, la rue de la Société Civile (devenue plus tard rue de la Loi) sert uniquement à desservir le quartier Léopold qui s’arrête à la rue d’Arlon en 186483. La rue de la Loi est un cul-de-sac et n’a pas encore l’importance métropolitaine qu’elle atteindra quelques années plus tard, notamment avec la construction du Cinquantenaire. En effet, elle est orientée vers le quartier Royal où se trouve également le siège de la Société Civile. Aujourd’hui, outre la présence du gouvernement belge à la fin de la rue de la Loi mais aussi dans certains bâtiments plus à l’est (notamment le Résidence Palace), de nombreux sièges de partis politiques se situent dans les bâtiments de part et d’autre de la rue de la Loi, amplifiant son caractère d’axe de pouvoir.

Le Cinquantenaire A partir de 1880, l’installation du nouveau champ de manœuvres de l’armée belge à l’est sur le plateau de Linthout constitue le moteur pour la deuxième phase d’extension de la rue de la Loi. En effet, pour les 50 ans d’indépendance de la Belgique, la ville de Bruxelles décide d’utiliser le champ des manœuvres comme lieu de grandes festivités. En 1880 la première «version» du Cinquantenaire constituée d’une arcade unique est construite (voir Fig. 130). La longue perspective rectiligne de la rue de la Loi est d’autant plus renforcée par ce monument remarquable. En effet, comparé à la majorité des autres portes d’entrée de la ville de Bruxelles, la rue de la Loi a la spécificité d’être un long axe rectiligne traversant depuis le centre-ville le quartier Léopold pour ensuite se prolonger quasi sans rupture vers les faubourgs. En outre, la majorité des autres entrées de ville étant coupées par des axes obliques secondaires, la forme rectiligne continue de la rue de la Loi a davantage permis le développement d’une véritable autoroute urbaine à partir des années 1940.

Ce «système d’extension» de la rue de la Loi par la construction successive de monuments remarquables se prolonge au-delà de la rue de la Loi sur l’avenue de Tervuren. Le Roi Léopold 1er construira notamment un musée d’art monumental et industriel, le Musée Royal de l’Afrique centrale et l’Arboretum. La symbolique du pouvoir, un élément très caractéristique de la rue de la Loi, s’intensifiera davantage avec l’arrivée des institutions européennes à partir des années 1950.

83 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p.44

116

Fig. 129 Rue de la Loi - le Parlement belge et les ministères vers 1900. (Disponible sur: bruciel.brussels) © Cartes postales Belfius

Fig. 130 Vue générale de l’Exposition nationale de 1880, Album commémoratif de l’Exposition nationale, 1830-1880. (Disponible sur: https://monument.heritage.brussels/fr/ buildings/18722#&gid=null&pid=5) © AVB/FI

117

Fig. 131 Le Berlaymont derrière à droite, le Charlemagne derrière à gauche, le Juste Lipse devant à droite et l’Europa au centre. (Disponible sur: https:// samynandpartners.com/fr/portfolio/europa-siege-du-conseil-europeen-et-duconseil-de-union-europeenne/) © Samyn&Partners

Fig. 132 Le Berlaymont, symbole de l’Union europénne. (Extrait de: Union européenne. Unir des peuples. Associer des états nations: L’Europe à travers les affiches. Europa Grafica ,1995, p.94)

Fig. 133 «No Landmark, framing the city! (view from the roof of the central gallery towards the pentagon)». Voilà comment le Berlage Institue avait imaginé le siège de la Commission européenne en 2007.

(Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 115)

Fig. 134 Projet lauréat du concours pour l’îlot 130 par le bureau d’architectes Raphael de La-Hoz en 2019. (Disponible sur: https://architectura.be/fr/actualite/loi-130-rafael-de-la-hoz-arquitectos-laureat-du-concours) © Rafael de la-Hoz Arquitectos

118

Berlaymont, Charlemagne, Juste Lipse, Lex 2000 et Europa Jusqu’en 1967, le quartier Léopold, situé entre le Parlement belge et le Cinquantenaire, se densifie fortement avec la construction massive de bureaux d’une architecture générique moderniste. En effet, les bureaux des institutions européennes sont difficilement dissociables des bureaux de lobbys, assurances, partis politiques ou autres entreprises privées.

Ce n’est qu’en 1967, avec la construction du Berlaymont et du Charlemagne, que les institutions européennes deviennent réellement visibles sur la rue de la Loi et plus généralement à Bruxelles (voir Fig. 132). Ces deux bâtiments se démarquent notamment par leur forme particulière, leur mode constructif novateur et une implantation fortement décontextualisée. Ils marquent le début d’une nouvelle typologie urbanistique à l’est du quartier Léopold, à savoir un urbanisme de campus (voir Fig. 131).

Ensuite, avec l’augmentation du nombre de pays membres de l’Union européenne au fil des années, la demande de bureaux croît de plus en plus. Ainsi, en complément de bâtiments génériques tout le long de la rue de la Loi et dans le quartier Léopold, de nouveaux bâtiments objets sont construits à proximité du rond-point Schuman dans une «logique» d’urbanisme de campus comme évoqué précédemment. Le Juste Lipse, mais aussi la rénovation du Résidence Palace avec une extension pour le Conseil de l’UE, amplifient la présence symbolique du pouvoir européen à Bruxelles. D’autres projets plus récents tels que le LEX 2000 ou la tour The One profitent de cette typologie urbanistique de campus pour se manifester dans l’espace urbain, sans pour autant représenter un pouvoir particulièrement important. En effet, ceux-ci n’ont pas la même charge symbolique que les quatre autres bâtiments énoncés précédemment, ce qui «brouille» sans doute la clarté du positionnement de la part des institutions européennes par rapport à leur manière de se manifester à la fois physiquement et symboliquement à Bruxelles.

L’îlot 130 dans la proposition de Portzamparc Dans la proposition de Christian de Portzamparc pour le Projet Urbain Loi en 2009, l’îlot 130 situé à l’ouest de la chaussée d’Etterbeek est voué à la démolition et une nouvelle construction est réservée au développement d’un projet phare exclusivement destiné à la Commission européenne. En effet, cet îlot regroupe déjà une grande partie des bureaux de la Commission européenne, ce qui facilite la mise en œuvre du projet. Le but est de regrouper la majorité des fonctions de la Commission européenne en un seul îlot pour remplacer une partie de ses bureaux vieillissants et éviter la continuation de son étalement dans les autres quartiers bruxellois. Le moyen de représentation symbolique pour la Commission européenne au sein du projet de Portzamparc est la hauteur (la tour). Les gabarits autorisés sur cette parcelle (tours de plus de 160m de haut) sont plus importants que sur les autres parcelles comprises dans le périmètre du Projet Urbain Loi, permettant davantage d’amplifier la présence symbolique de la Commission européenne à Bruxelles. Cela semble d’autant plus contradictoire avec leurs affirmations lors du concours en 2009 (voir partie précédente).

Après quelques années de discussion et de rectification du Projet Urbain Loi, la Commission européenne en collaboration avec la Région Bruxelles-Capitale lance en 2018 un concours d’architecture pour l’îlot 130. Le lauréat du concours est le bureau d’architecture espagnol Rapahel de La-Hoz (voir Fig. 134). Comme prévu, deux tours émergent dans leur proposition pour marquer une fois de plus la présence des institutions européennes à Bruxelles.

Mais suite au refus du PAD Loi en 2019 et une nouvelle politique immobilière de la Commission européenne, le projet Loi 130 est annulé, ce qui laisse ainsi de nouvelles possibilités de réflexion pour cet îlot, nous y reviendrons dans la troisième partie.

119

Fig. 135 Article «Le symbole du Berlaymont sera-t-il détruit ?» d’André Riche, publié dans Le Soir au début des années 1990. © AVB DD 532

Fig. 136 Article «Un Berlaymont vert pour la Commission européenne» de Daniel Couvreur, publié dans Le Soir le 17 novembre 2000. © AVB DD 532

120

2.4 Patrimoine Ce chapitre s’intéresse surtout à la situation patrimoniale actuelle de la rue de la Loi, en se questionnant ce qui pourrait être ou est déjà considéré comme «patrimoine» actuellement.

Aujourd’hui, il semble évident que les quelques hôtels de maître, maisons bourgeoises et immeubles de résidence «coincés» entre des immeubles de bureaux sont déjà largement considérés comme du patrimoine. Néanmoins, ce n’est qu’au début des années 1990, qu’on dresse un inventaire légal qui recueille 120 bâtiments de valeur patrimoniale dans le quartier Léopold (hôtels de maître et immeubles à appartements) dont certains sont protégés. De plus, une série de bâtiments de bureaux plus récents de nature remarquable sont également repris dans la liste patrimoniale de la Région de Bruxelles-Capitale, sans être nécessairement protégés.84 Outre les quelques vestiges du 19ème siècle qui figurent encore sur la rue de la Loi, quelques bâtiments emblématiques des institutions européennes de l’époque d’aprèsguerre et spécifiques à la rue de la Loi existent encore aujourd’hui. Parmi ces bâtiments on peut compter le Charlemagne, le Berlaymont et quelques autres bâtiments de l’époque moderniste moins connus. Le nombre de bâtiments de bureaux de cette époque se fait néanmoins de plus en plus rare. En effet, aujourd’hui, l’immeuble à bureaux est devenu un véritable bien de consommation avec un cycle de vie très court (environ 25 ans). La relation entre architecte, entrepreneur et occupant est substituée au profit d’un mécanisme de nature purement économique entre le promoteur et le concepteur, mettant l’occupant en arrière-plan. La facilité d’usage et la rentabilité économique constituent les paramètres clés.85 Ainsi, de nombreux bâtiments essentiellement modernistes sont démolis et remplacés au fil des années afin de répondre aux nouveaux besoins des institutions européennes. Aujourd’hui, surtout dans un souci de durabilité mais aussi de conservation patrimoniale, se pose la question de la rénovation et transformation de ces nombreux immeubles à bureaux de l’époque moderniste. Avant d’expliquer ce type de rénovations, il est intéressant d’analyser quelques cas spécifiques de la rue de la Loi évoquant d’abord le sujet du patrimoine au niveau symbolique, ensuite au niveau du style architectural et finalement au niveau du rapport entre «l’ancien et le nouveau».

Le Berlaymont et le Charlemagne Lorsqu’on s’interroge sur la représentation symbolique et physique de l’Union européenne, on pense sans hésiter au Berlaymont. En effet, ce bâtiment, de par sa forme singulière, son ingéniosité constructive (surtout le système structurel qui date d’avant la rénovation) et l’imaginaire symbolique qu’on y attache, constitue une pièce patrimoniale incontestable86. Même si la rénovation des années 1990 semble avoir «renfermé le bâtiment sur lui-même», la forme est restée quasiment inchangée. Le Berlaymont reste un édifice emblématique dans le paysage de la rue de la Loi. En effet, c’est avant tout sa force symbolique qui l’a sauvé d’une éventuelle démolition (voir Fig. 135 et 136).

84 Patrimoine.brussels. L’inventaire légal du Quartier-Léopold: liste des immeubles publiée au Moniteur Belge du 24/06/1994. Disponible sur: http://patrimoine.brussels/liens/inventaires/liste-quartier-leopold [consulté le 6 juin 2022] 85 Sterken, Sven. «Bruxelles, ville de bureaux: Le Berlaymont et la transformation du quartier Léopold.». Bruxelles patrimoines. Dossier Ateliers, Usines et Bureaux. Région de Bruxelles-capitale, n°015-016 (Septembre 2015), p. 115 86 Ibid., p. 109

121

Le Charlemagne, construit en même temps que le Berlaymont, constitue également un bâtiment de valeur patrimoniale remarquable. Contrairement au Berlaymont, ce n’est qu’avec sa rénovation par Helmut Jahn en 1995 qu’il se démarque encore plus fortement d’une architecture moderniste générique (son état initial, voir Fig. 137). La façade initiale ayant une allure générique comme la plupart des bureaux construits à cette époque dans la rue de la Loi, reçoit un «lifting» radical. En effet, la nouvelle structure d’acier et de verre accrochée à la façade existante, lui confère un aspect d’autant plus unique dans le paysage architectural de la rue de la Loi (voir première partie).

A évoquer aussi l’aspect «novateur» que les rénovations de ces deux bâtiments représentent en termes de durabilité à une époque où Bruxelles ne s’est pas encore vraiment intéressé pour ce genre de sujet. Ils constituent des véritables exemples pour la construction de bureaux à l’époque, notamment par leur traitement de façade particulier. Néanmoins, l’efficacité énergétique promise par la technologie mise en place lors de la rénovation du Berlaymont, est rapidement remise en cause par la durée excessive du chantier de rénovation. A l’inverse, le Charlemagne constitue réellement un projet novateur dans sa dimension écologique dans les années 1990. Outre ces deux bâtiments emblématiques au niveau symbolique et énergétique, il existe également un bâtiment remarquable témoignant d’un court épisode de «folie» unique sur la rue de la Loi: le Résidence Palace.

Le Résidence Palace Ce complexe de bâtiments Art-Déco remarquable des années 1920, constitue aujourd’hui une pièce patrimoniale importante dans le paysage de la rue de la Loi. Déjà en 1947, l’Etat belge transforme ce palais complexe de logements et d’équipements de nature diverse (voir première partie), en bâtiment à bureaux. Les institutions européennes, étant constamment à la recherche de nouveaux bureaux, peuvent représenter un danger pour la préservation du Résidence Palace. En effet, historiquement, de nombreux bâtiments remarquables sur la rue de la Loi ont été démolis au profit de nouveaux bureaux à l’allure générique. En 1979, on crée une première extension moderniste sur la façade en L du Résidence Palace faisant face à la rue de la Loi (voir Fig. 139). Etant donné que cette extension est de nature peu remarquable et qu’il existe une nécessité forte de trouver un lieu adapté pour créer le nouveau siège du Conseil de l’UE à proximité des autres institutions européennes majeures, une nouvelle extension plus importante du Résidence Palace semblait une option intéressante au début des années 2000.

Etant donné que le nouveau siège du Conseil européen réalisé en 2016 par Samyn&Partners est en directe connexion avec le bâtiment Juste Lipse (Conseil des ministres) à côté, le Résidence Palace est devenu un lieu hyperprotégé. En effet, l’entièreté de son périmètre est minutieusement surveillé: l’espace ouvert entre les différents bâtiments qui le constituent, qui était d’autant plus accessible au public avant cette transformation, est encombré de voies d’accès et de dispositifs de sécurité.

Ainsi, par cette extension pour le Conseil européen, d’une part, le Résidence Palace est protégé contre une éventuelle démolition pour créer un nième immeuble à bureaux générique, d’autre part, il perd sa vocation de micro-quartier résidentiel à côté de la rue de la Loi constitué d’espaces ouverts qualitatifs. La relation entre des nouvelles extensions ou bâtiments avec le patrimoine plus ancien est un sujet d’autant plus central avec le projet de Portzamparc en 2009. En effet, les tours construites ou projetées au sein de cette proposition contrastent fortement avec les hôtels de maîtres et les quartiers historiques entourant la rue de la Loi.

122

Fig. 137 Vue aérienne du Berlaymont et du Charlemagne en 1978. Ils constituent deux «ovnis» sur la rue de la Loi, notamment à cause de leur forme et la manière de s’implanter dans le contexte urbain. (Disponible sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 138 Rénovation du Résidence Palace et extension pour le Conseil de l’UE par Philippe Samyn & Partners en 2016. (Disponible sur: https://samynandpartners.com/fr/portfolio/europa-siege-du-conseil-europeen-et-du-conseil-de-union-europeenne/) © Samyn&Partners

Fig. 139 Article de journal «La C.E.E aujourd’hui...et demain» apparu en septembre 1980. © AVB DD 532

123

La relation tour - hôtels de maître dans la proposition de Portzamparc Dans la proposition de Christian de Portzamparc pour le Projet Urbain Loi, certains bâtiments jugés remarquables et historiques sont conservés. Bien qu’il en existe très peu, les quelques hôtels de maître, maisons bourgeoises et immeubles de résidence qui subsistent, semblent en rupture d’échelle avec les nouvelles tours projetées. En effet, avec les reculs d’alignements proposés, ces vestiges patrimoniaux ont une position étrange et isolée par rapport aux nouveaux bâtiments en retrait. Des pignons aveugles apparaissent, dénaturant ainsi l’essence même d’un immeuble conçu initialement en mitoyenneté.

Pour certains projets, notamment le Realex (non-construit), une certaine volonté peut être constatée, bien que peu convaincante, «d’intégrer» un hôtel de maître à travers une adaptation du gabarit d’un des nouveaux volumes construits en mitoyenneté de ce dernier (voir Fig. 140 et 141). Les règles urbanistiques déterminées dans le plan urbanistique de Portzamparc pour la rue de la Loi mènent à une architecture très «hétérogène» et fragmentée, où on sent davantage l’impact des limites de gabarits et de zones de reculs. En effet, quand on analyse le projet Realex, on perçoit trois typologies de bâtiments au sein du même projet: un petit bâtiment en mitoyenneté ressemblant à une maison, un immeuble de gabarit plus important ayant un statut intermédiaire et une moitié de tour surélevée. D’une part, cette architecture est intéressante vu qu’elle révèle d’une certaine manière un «comprimé» de l’historique des différentes phases de densification de la rue de la Loi et d’autre part, il semble qu’on valorise assez peu le patrimoine existant en créant des ruptures d’échelle aussi concentrées et importantes.

Outre le rapport étrange au patrimoine conservé, on peut reprocher au projet de Christian de Portzamparc pour le Projet Urbain Loi la nécessité de beaucoup démolir pour pouvoir réaliser sa vision urbanistique. Bien que les hôtels de maître soient conservés, un bon nombre de bâtiments de l’époque moderniste sont voués à la démolition alors que souvent ils présentent un potentiel de transformation important. En effet, de nombreux bâtiments modernistes ont été rénovés au fil des années, parfois même plusieurs fois, ce qui fait qu’ils sont «porteurs» d’un bon nombre de récits et de mutations en termes d’occupations. Outre l’impact environnemental de toutes les démolitions-reconstructions nécessaires dans le projet de Portzamparc, avec ce projet on nie un fait historique encore très présent aujourd’hui dans la rue de la Loi, c’està-dire le fait d’accumuler des épisodes de densification au sein d’un seul et même bâtiment.

Finalement, on peut revenir sur l’impact du projet de Portzamparc sur les quartiers environnants, notamment le quartier autour du parc du Cinquantenaire et le quartier des squares. Comme expliqué précédemment, les tours planifiées sur la rue de la Loi (dont notamment la tour The One aujourd’hui) altèrent de manière conséquente la perspective vers le Cinquantenaire. Ensuite, le quartier des squares, situé à proximité immédiate de la tour The One par exemple, est en rupture d’échelle totale avec cette hyperdensification de la rue de la Loi (voir Fig. 142). Ces ruptures d’échelle posent ainsi la question sur la manière de laquelle il faudrait densifier la rue de la Loi tout en permettant une «gradation» du bâti moins abrupte.

Aujourd’hui, outre cette relation à la fois à l’échelle architecturale et urbanistique entre les nouveaux projets dans le cadre du Projet Urbain Loi et le patrimoine existant, on réfléchit davantage à la revalorisation/ transformation des bâtiments de l’ère moderniste, dont notamment le bâtiment Isala situé à l’ouest de la rue de la Loi. 124

Fig. 141 Projet de tour Realex sur la rue de la Loi, pensé en même temps que la tour The One (réalisée).

On perçoit notamment un espace public entre les deux tours, faisant le lien entre la rue de la Loi et la rue Jacques de Lalaing. (Disponible sur: https://www. skyscrapercity.com/threads/bxl-eu-realex-128m-34flpro.1310233/?u=1120807) © Assar Architects

Fig. 140 Projet de tour Realex sur la rue de la Loi, on perçoit 3 typologies de bâtiments en 1. (Disponible sur: https://www.skyscrapercity.com/threads/bxl-eu-realex128m-34fl-pro.1310233/?u=1120807) © Assar Architects

Fig. 142 Rupture d’échelle entre la tour The One et le quartier des squares. © photo personnelle

125

Fig. 143 Enseigne de Pétrofina sur la façade côté rue du commerce. © photo personnelle

Fig. 144 Bâtiment initial conçu par l’architecte Max Winders pour le siège de la société pétrolière Pétrofina (Total) dans les années 1950. (Disponible sur: https://wiki.totalenergies.com/fr/pays/belgique)

Fig. 145 Façade du projet de rénovation du bâtiment Isala, ancien siège de Total (Petrofina) situé sur la rue de la Loi. (Disponible sur: https://www. immobelgroup.com/fr/actualites/batiment-isala-le-pacte-vert-dimmobelavec-le-quartier-europeen) © Immobelgroup

Fig. 146 Intérieur d’îlot du projet de rénovation du bâtiment Isala, ancien siège de Total (Petrofina) situé sur la rue de la Loi. (Disponible sur: https:// www.immobelgroup.com/fr/actualites/ batiment-isala-le-pacte-vert-dimmobel-avec-le-quartier-europeen) © Immobelgroup

126

Le projet de Neutelings Riedijk et Jaspers-Eyers & Partners pour le bâtiment Isala (Total) Quand on s’intéresse au sujet du patrimoine dans la rue de la Loi, les premiers bâtiments qui sautent à l’œil sont soit les plus anciens (hôtels de maître, maisons bourgeoises, Parlement belge et Résidence Palace), soit les architectures des institutions européennes dotés d’une symbolique importante (Berlaymont, Charlemagne, etc.). Situés entre ces bâtiments très anciens et hautement symboliques figurent de nombreux immeubles modernistes, postmodernistes, contemporains, dont la majorité est de nature peu remarquable et générique.

Un immeuble moderniste se démarque des autres: le bâtiment Isala conçu par l’architecte belge Maxime Winders en 1939. L’immeuble, qui constitue un des plus grands bâtiments du quartier Léopold, est conçu pour la société pétrolière belge «Petrofina» (repris par l’entreprise française Total aujourd’hui), qui cherche dans les années 1950 à déménager d’Anvers pour trouver un nouveau siège à Bruxelles. Après environ 70 ans d’occupation, en 2020, Total et les autres occupants ou propriétaires du bâtiment (Degroof-Petercam et Cofinimmo) envisagent à vendre le bâtiment et de redéménager autre part. Ce dernier est devenu obsolète et ne répond plus aux normes énergétiques et de travail actuelles. Il est évident que vu la taille importante de l’îlot, dans le cadre du Projet Urbain Loi encore en vigueur à cette époque, la possibilité de créer une tour jusqu’à 100 mètres de haut et un rapport P/S de 9 pour une empreinte au sol d’environ 0,55, l’îlot constitue un bien immobilier très attractif.87 En effet, en tenant compte des règles urbanistiques initiales du PAD Loi pour cet îlot, la surface totale de l’immeuble augmenterait de 38000m² à plus de 50000m².88 Finalement, on opte pour une rénovation du bâtiment existant, évitant la destruction de cette pièce patrimoniale. Total confie la revente de l’îlot à la société de conseil Belsquare. L’îlot est ainsi sous le contrôle d’un seul propriétaire, permettant de ne pas devoir appliquer la stratégie de «remembrement» évoquée dans le PAD Loi. En effet, celle-ci prévoit que les différents propriétaires d’un même îlot se mettent d’accord sur la répartition des programmes. Vu la réalité foncière de la rue de la Loi et la rentabilité importante pour des bureaux, un tel accord semble quasi impossible. Ainsi, le monopole sur la parcelle donne à Belsquare une grande liberté en terme de calibrage des programmes à mettre en place. De manière générale, dans la première version du PAD (revu en 2022), la répartition des fonctions se situe aux alentours de 50% bureaux, 30% logements et 20% équipements)89. Après que Belsquare ait trouvé un acquéreur, le projet de rénovation par le promoteur immobilier Immobel prévoit comme programmation majoritairement des bureaux. En effet, le projet comprend 32 435m² de bureaux, 491m² de commerces et « d’espaces à vocation sociale » et 768 m² de jardin intérieur. Bien que le projet soit exemplaire en termes de durabilité90 et que la décision d’une rénovation pour ce bâtiment le protège d’une nième démolition dans la rue de la Loi, le fait de créer un projet très peu mixte, semble une occasion manquée pour une transformation conséquente de la qualité urbaine de la rue de la Loi. En conclusion, il existe aujourd’hui encore de nombreux autres bâtiments de l’époque moderniste comme notamment le Mercator et le Woodrow situés sur le coin entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts, ou encore le Loi 120 juste au-dessus de la chaussée d’Etterbeek, qui marquent une spécificité majeure de la rue de la Loi, celle du le lien entre le bâtiment et les infrastructures souterraines. Ce lien qu’ont ces bâtiments avec l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi, pose la question de leur valeur patrimoniale révélant une spécificité particulière de la rue de la Loi, on y reviendra dans la troisième partie.

87 BUUR, Projet de pad loi Bruxelles : mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur « Loi » et de son rapport sur les incidences environnementales, 2019.

88 S.a. Le bâtiment Isala sur la rue de la Loi. Disponible sur: tervueren-montgomery.eu (consulté le 30 mars 2022) 89 Ibid.

90 Archi Urbain. ISALA : le pacte vert d’Immobel avec le quartier européen. Publié le 19 juillet 2021. (Disponible sur: https:// www.archiurbain.be/?p=9903 (consulté le 6 juin 2022)

127

Fig. 149 Couches de sécurité successives devant le LEX 2000 (Conseil des ministres) aujourd’hui. © photo personnelle

Fig. 147 L’entrée de voitures principale du Parlement belge sur la rue de la Loi aujourd’hui. A noter une double rangée de blocs de béton et une surveillance policière permanente. © photo personnelle)

Fig. 150 Espace public devant la tour The One (Loi 107), protégé par des bacs à plantes, des parkings à vélos et un escalier menant à la station de métro Maelbeek. © photo personnelle

Fig. 148 Parvis devant le bâtiment Copernicus (Loi 51), encombré par des bacs à plantes et des blocs de béton. © photo personnelle

128

Fig. 151 Succession d’appareillages de sécurité devant l’entrée principale du Juste Lipse en face du rond-point Schuman. © photo personnelle

2.5 Sécurité – le rapport à l’espace public Le Parlement belge et les institutions européennes Non seulement l’espace bâti mais également l’espace public de la rue de la Loi, s’est fortement transformé au fil du temps. Le rapport entre le piéton et l’espace public est largement altéré par l’invasion massive de la voiture sur la rue de la Loi à partir des années 1940. Cette rue, ayant initialement un caractère plus calme à l’échelle humaine, devient une véritable autoroute urbaine. Ensuite, pendant plus de 40 ans, la voiture ne semble pas être un danger pour les institutions européennes, vu que le rapport entre les bâtiments et l’espace public reste très ouvert (voir première partie).

Ce n’est qu’avec les rénovations du Berlaymont et Charlemagne mais aussi avec la construction du Juste Lipse, qu’on sent une attention plus particulière à la mise en place de dispositifs de sécurité dans l’espace public. A partir des années 2000, notamment avec les évènements du 11 septembre à New York, on commence à véritablement «armer» la rue de la Loi de tout un appareillage sécuritaire visant à protéger les institutions européennes.

La voiture étant un objet lourd, pouvant atteindre une grande vitesse et ayant la capacité de contenir des quantités d’explosifs considérables, constitue un potentiel danger important en termes d’attaques terroristes pour les nombreuses instances politiques sur la rue de la Loi. Déjà depuis 2001 mais surtout à partir des années 2010, avec de multiples attaques terroristes à l’aide de voitures chargées d’explosifs (Oslo en 2011, Nice et Berlin en 2016, Londres en 2017), la dimension sécuritaire dans le traitement de l’espace public devant le Parlement belge et surtout les institutions européennes devient d’autant plus importante.91 Initialement, lors de la conception des bâtiments à partir des années 1950-1960, la protection sécuritaire est directement intégrée dans les bâtiments, notamment par le fait qu’on s’adresse avant tout aux piétons, alors qu’aujourd’hui, c’est aussi la circulation automobile qui est prise en considération comme un potentiel danger.

Etant des lieux de rassemblement pour les plus hauts fonctionnaires de l’Etat belge et l’Union européenne, ces bâtiments constituent des cibles importantes et doivent être protégés. Par exemple, l’espace public devant le Parlement belge, notamment les entrées automobiles, sont sécurisées à l’aide de larges blocs de béton et une surveillance policière permanente (voir Fig. 147). Avant, la protection du bâtiment vis-à-vis de l’espace public se réduisait à une simple grille et quelques gardes policiers. Aujourd’hui, on pourrait dire que les bâtiments d’une symbolique politique importante privatisent partiellement l’espace public.

L’aménagement de l’espace public dans le quartier Léopold et plus particulièrement sur la rue de la Loi, se trouve aujourd’hui dans une situation paradoxale. D’une part, la volonté de créer des espaces publics plus appropriables pour tous et d’autre part, l’obligation intégrer des dispositifs de sécurité physiques résistant à d’éventuelles attaques terroristes. Il est évident que le paramètre «sécurité» est indéniable dans le quartier Léopold, et surtout dans un lieu aussi concentré comme la rue de la Loi ou la place Schuman.

91 Perspective.brussels. Quartier éuropéen - Vision partagée: Rapport de l’atelier n°2 Espace public et mobilité, décembre 2021. Intervention de Benoît Moritz (MSA).

129

Mais ce n’est pas un sujet «nouveau» et de nombreux projets, dont certains très récents (The One et Copernicus), puisent systématiquement dans la même boîte à outils, c’est-à-dire des dispositifs sécuritaires «rapportés» sans intégration souple, multifonctionnelle et intelligente dans l’aménagement de l’espace public.

Souvent des dispositifs inutilisables ou monofonctionnels tels que des blocs en béton, des zones de stationnement de vélos ou encore des bacs à plantes surélevés y sont installés (voir images sur la page 128). Il serait sans doute plus judicieux, dans des futurs projets sur la rue de la Loi, de directement intégrer la dimension sécuritaire à la conception architecturale du bâtiment pour une transition plus souple entre le privé et le public ou les voies de circulation et les espaces publics utilisés par les piétons.92 La solution la plus efficace, mais très complexe à mettre en œuvre, consisterait probablement de fortement réduire voire de supprimer la voiture sur la rue de la Loi. Le projet pour le rond-point Schuman Le rond-point Schuman, localisé au cœur des institutions européennes, constitue sans doute la cible la plus importante pour des potentielles attaques terroristes. En effet, plusieurs fois à l’occasion de sommets européens, un périmètre de sécurité y est mis en place rendant le rondpoint Schuman et ses abords inaccessibles (voir Fig. 155). Une partie de l’espace public qui l’entoure est temporairement privatisé, menant d’ailleurs souvent à d’importants embouteillages au sein de toute la ville de Bruxelles.

Ensuite, le rond-point Schuman (aussi appelé «place» Schuman), n’a depuis l’arrivée de la voiture dans les années 1940 jamais été un espace public très fréquenté ou qualitatif. En effet, la place centrale dédiée aux piétons, est coupée de l’espace public par une butte circulaire dotée d’une végétation dense et d’un anneau à voitures embouteillé la majorité du temps (voir Fig. 153). De plus, étant un lieu bordé par quelques-unes des plus importantes institutions européennes (siège de la Commission européenne, du Conseil de l’UE etc.), la place et la zone qui l’entoure sont toujours en danger par rapport aux potentielles attaques terroristes.

Comme nous l’avons pu voir précédemment, l’espace public devant un grand nombre de bâtiments importants des institutions européennes est fortement sécurisé par une série de dispositifs physiques indépendants. Pour certains bâtiments, comme par exemple le Berlaymont ou le Juste Lipse, l’encombrement de l’espace public par des dispositifs de sécurité se poursuit encore loin au-delà du trottoir longeant le bâtiment. En effet, alors que initialement le bureau COBE (gagnant d’un concours pour la place Schuman en 2017) conçoit un projet très ouvert et continu doté d’un auvent minimaliste, la version qui se réalisera en fin de compte, reprend les codes sécuritaires déjà largement utilisés dans le quartier Léopold (voir Fig. 152 et 154). Une succession de larges bandes de béton massif, présentées comme une sorte de banc «verdurisé»93, recréent une limite franche entre la place et l’espace public adjacent. Ainsi, on peut se demander à qui s’adresse réellement cet espace public: aux institutions européennes ou bien au public ?

En conclusion, si l’on continue à concevoir les espaces publics de la rue de la Loi avec cette stratégie, celui-ci restera un espace essentiellement dédié à la circulation automobile, dont les abords sont encombrés de dispositifs de sécurité physiques sans qualité particulière ni utilité multiple. Il est donc important dans tous les nouveaux projets au sein de la rue de la Loi, d’accorder une attention particulière à l’intégration intelligente de dispositifs de sécurité dans le projet dès la conception.

92 Ibid.

93 Perspective.brussels. Quartier éuropéen - Vision partagée Rapport de l’atelier n°2 Espace public et mobilité, décembre 2021. Intervention de David Pinto (Bruxelles Mobilité)

130

Fig. 152 Le projet pour la place Schuman tel qu’ila été imaginé par le bureau COBE en 2017. A noter un aménagement de l’espace public très ouvert, sans protections sécuritaires particulières. (Disponible sur: https://cobe.dk/idea/ place-schuman) © Cobe

Fig. 153 Voici la situation actuelle (23.04.2022) du rondpoint Schuman. On perçoit une succession de barrières entre cette «place» centrale et l’espace public qui l’entoure. D’abord la voirie et ensuite une série de couches végétales cachent la «place» centrale. © photo personnelle

Fig. 154 Le projet pour la place Schuman tel qu’il sera réalisé finalement à partir de 2023. On perçoit un aménagement de l’espace public moins épuré et plus sécurisé par des bandes en béton successives. (Disponible sur: https://mobilite-mobiliteit.brussels/fr/projets/place-robert-schuman-reamenagement) © Cobe

Fig. 155 Périmètre de sécurité pour les sommets européens. (Extrait de: Perspective.brussels. Quartier éuropéen - Vision partagée Rapport de l’atelier n°2 Espace public et mobilité, intervention de Benoît Moritz du bureau d’archtecture MSA)

131

Fig. 156 Gare de la rue de la Loi vers 1900, construite pour desservir l’exposition universelle au Cinquantenaire.

(Disponible sur: bruciel.brussels) © Ministère des Travaux publics

Fig. 157 Entrée de la gare Schuman en 1969. (Extrait de: D. Demonie, ingénieur principal. « Bruxelles Schuman, du nouveau ! » Le Rail, septembre 1973. Disponible sur https:// rixke.tassignon.be/spip.php?article1220&lang=fr )

Fig. 158 Plan schématique de la gare Schuman en 1969. (Extrait de: D. Demonie, ingénieur principal. « Bruxelles Schuman, du nouveau ! » Le Rail, septembre 1973. Disponible sur https://rixke.tassignon.be/spip. php?article1220&lang=fr )

132

2.6 Infrastructures du sous-sol Outre une transformation importante de la rue de la Loi dans le monde aérien (hors-sol), celle-ci subit également une forte mutation et densification au niveau de son sous-sol.

En effet, de par sa position stratégique à Bruxelles et l’intérêt économique qu’elle représente pour la ville, elle devient à partir du début du 20ème siècle un axe de circulation majeur pour entrer et sortir de Bruxelles. En plus d’être desservie par la voiture, la rue de la Loi est également croisée par une voie ferroviaire venant du sud de Bruxelles, lui conférant ainsi un caractère «supra-local».

La gare de la rue de la Loi La construction du réseau souterrain en dessous de la rue de la Loi commence avec la mise en place du tronçon ferroviaire entre les gares de Bruxelles-Nord et Bruxelles-Luxembourg. Ce tronçon fait partie de la ligne de chemin de fer 161 construite de 1846 à 1855 par la Grande compagnie du Luxembourg et ayant pour but de relier Bruxelles à la Wallonie, notamment la région du Grand-Duché de Luxembourg, Namur et Arlon.94 Ensuite, comme expliqué précédemment, en 1880 une grande exposition nationale est organisée pour fêter les 50 ans de la Belgique sur le nouveau champ des manœuvres fraichement annexé par la ville de Bruxelles (le plateau de Linthout). Ainsi, pour rendre ce site plus accessible, la Grande compagnie du Luxembourg, subventionnée par l’Etat, crée en 1879 la «gare de la rue de la Loi» (voir Fig. 156). C’est une gare temporaire en bois située à l’arrière de l’ancien couvent de Berlaimont, plus précisément à l’angle entre l’actuel boulevard du Charlemagne et la rue Stévin.95 Après son utilisation pour l’exposition universelle, cette gare a surtout servi au Résidence Palace. Ensuite, cette gare provisoire est d’abord remplacée par une station-service pour ensuite faire place à la construction du Berlaymont actuel.

La gare Schuman Après la fermeture de la gare de la rue de la Loi dans les années 1930 et jusqu’au début des années 1960, le train ne s’arrête pas en dessous de la rue de la Loi. Ce n’est qu’en 1966, que cet ancien point d’arrêt (renommé Schuman) est réouvert (voir Fig. 157 et 158). En effet, celui-ci regagne de l’intérêt auprès de la SNCB quand le Service de la promotion des transports urbains annonce le projet d’une ligne de métro passant en dessous de la rue de la Loi, croisant ainsi la ligne de chemin de fer préexistante. Celle-ci, passant entre le futur Berlaymont et Charlemagne, est ainsi d’une part revalorisée afin de connecter les fonctionnaires européens aux institutions dans les villes européennes environnantes (notamment le FMI au Luxembourg et aussi le Parlement à Strasbourg) mais aussi pour satisfaire la population régionale qui ne cesse de croître aux alentours de l’axe Bruxelles-Ottignies et finalement les étudiants du nouveau campus universitaire de Louvain-La-Neuve.96 94 Belrail. Ligne 161 : Bruxelles-Nord - Namur. Disponible sur: https://www.belrail.be/F/infrastructure/lignes/161. html [consulté le 1er juin 2022] 95 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 49-52 96 D. Demonie (ingénieur principal). «Bruxelles Schuman, du nouveau !». Le Rail (Septembre 1973). Publié le 7 novembre 2012 sur https://rixke.tassignon.be/spip.php?article1220&lang=fr [consulté le 6 mai 2022]

133

Fig. 160 Escalier d’entrée du parking Loi en 2022. © photo personnelle

Fig. 159 Extrait de l’article « Enfin, nous aurons le métro à Bruxelles » de Anne Solages dans le n°1087 du magazine « Femmes d’aujourd’hui » apparu en mars 1966. © Archives personnelles

Fig. 161 Sortie du tunnel Kennedy vers le centre de Bruxelles en 2022. © photo personnelle

Fig. 162 Plan d’ensemble de l’axe Est-Ouest Rue Royale - Rond-Point Schuman dessiné le 24 septembre 1971 par la STIB. Le document représente plusieurs coupes, notammment celle du parking Loi. © AVB TP 91925

134

Outre l’accès à la station de métro et la gare ferroviaire, le premier niveau de mezzanine fait également office de passage souterrain, marquant déjà un début de perméabilités souterraines en dessous de la rue de la Loi. De plus, nous verrons plus tard que la ligne de chemin de fer et la gare Schuman constituent des contraintes importantes pour le projet d’extension du Résidence Palace en 2016.

Le métro, le parking et les tunnels autoroutiers Perpendiculairement à la voie de chemin de fer 161, la rue de la Loi se transforme rapidement en un véritable bâtiment. En effet, avec la création de la ligne de métro 1, le parking public souterrain sur trois étages et le tunnel Kennedy venant de l’est, la rue de la Loi est devenue une mégastructure souterraine. Cette plateforme en béton et en acier rectangulaire est ponctuée de nombreuses entrées le long de la rue de la Loi, notamment des rampes de parking, des escaliers vers le parking, des entrées de stations de métro dans des bâtiments, des entrées de métro sur la voie publique et des escaliers d’accès privatisés pour certains bâtiments (voir Fig. 162).

Au-delà d’une simple rue pour différentes formes de mobilité en surface (surtout pour des voitures), la rue de la Loi constitue une infrastructure souterraine à plusieurs échelles en termes de rayon d’influence. La première échelle consiste en son parking, qui s’adresse à des visiteurs mais surtout aux fonctionnaires travaillant dans les bâtiments adjacents. Ensuite, le métro à échelle plus importante, s’adresse non seulement aux bureaux bordant la rue de la Loi, mais constitue également un axe de circulation important pour une grande partie de la population bruxelloise voire régionale. Finalement, la ligne de chemin de fer 161 relie la rue de la Loi à l’Europe entière, notamment à travers une connection directe vers l’aéroport Zaventem via la gare multimodale Schuman. Ainsi, par le découpage de l’infrastructure souterraine en différentes gradations d’influence territoriale, la rue de la Loi constitue un cas particulier voire unique à Bruxelles. En effet, il existe aucun endroit à Bruxelles où il y a une telle densification et hyperconnection au niveau du sous-sol.97

97 Discussion avec Benoît Moritz le 30 janvier 2022.

135

La gare multimodale Schuman Comme expliqué précédemment, déjà dans les années 1960 on avait saisi l’opportunité de lier la station de métro Schuman avec une ancienne gare de train en dessous de la rue de la Loi. Cependant, ce projet n’avait jamais été conçu comme une véritable gare multimodale au départ. En effet, les connexions piétonnes entre ces deux formes de mobilité sont assez peu fluides et le lien entre la gare et la rue de la Loi et la chaussée d’Etterbeek est assez faible. Il existe un niveau de métro et deux niveaux de train superposés, résultant dans un véritable «labyrinthe»98. Au début des années 2000 dans le cadre des accords de coopération entre l’Etat et la Région de Bruxelles-Capitale mais aussi à une époque des grandes discussions autour du sujet de Bruxelles comme capitale de l’Europe (voir première partie), le Gouvernement fédéral belge propose le projet de transformer ce lieu souterrain complexe en une véritable gare multimodale hyperconnectée.

Un premier projet est conçu en 2003 par le bureau d’architecture de la SNCF s’intitulant AREP (Aménagement Recherche Pôles d’Échanges), dirigé par Jean-Marie Duthilleul, qui a construit plusieurs gares remarquables en France et à l’internationale. Ce bureau a la volonté de créer un projet lumineux et ouvert sur la ville, notamment à travers des longues bandes vitrées de part et d’autre de la sortie du tunnel Kennedy. En ce qui concerne les voies de circulation, on perçoit une superposition en diagonale de la voie de métro et de la voie ferroviaire au sein d’un seule et même espace ce qui le rend d’autant plus dynamique et lisible à partir du monde en aérien (voir Fig. 163).

Outre l’amélioration des espaces et de l’accessibilité piétonne, le but principal est d’intégrer un nouveau tronçon ferroviaire long de 1250m entre la gare Schuman et la ligne 26 (Schaerbeek - Hal), permettant ainsi notamment une connexion directe en 15 minutes entre le cœur des institutions européennes (Schuman) et l’aéroport international de Zaventem.99 Pour que le train puisse passer, il fallait faire d’importants travaux de rehaussement du tunnel autoroutier, comme l’explique l’ingénieur pour Beliris Pieter Dudale: « Le grand défi de ce chantier, c’est qu’entre deux structures existantes, à savoir le métro et les voitures, on placera une toute nouvelle structure pour faire une troisième gare, c’est-à-dire un pôle multimodal qui permet de passer directement du train au métro.»100 Cela explique l’aspect légèrement «bombé» de la sortie du tunnel Kennedy, passant au-dessus de la gare multimodale.

De plus, de nombreux obstacles ralentissent le chantier, notamment le grand nombre de parkings privés des institutions européennes (Résidence Palace, Juste Lipse, Berlaymont, Charlemagne).101 L’infrastructure finale est réalisée bien plus tard que la première proposition. En effet, après 8 ans de chantier, le projet de Beliris en collaboration avec Infrabel, la STIB et Bruxelles Mobilité est finalisé en mai 2016. Le projet est réalisé en parallèle de la rénovation et l’extension du Résidence Palace (le nouveau siège du Conseil européen), dont l’architecture est largement conditionnée par la nouvelle gare multimodale.

En termes d’architecture, la version finale de la gare multimodale est assez similaire au projet initial de AREB. On retrouve l’idée d’un espace très ouvert et lumineux où l’on perçoit aisément les croisements entre les différentes voies de circulation (voir Fig. 166).

98 Laconte, Pierre. 080 Lexique du non-urbanisme: Accords de coopération. BRU/EUR. A+, n°184 (octobre-novembre 2003), p.80-81 99 Ibid.

100 RTBF. «Caldendrier respecté pour le chantier de la future gare Schuman». Publié le 06.07.2012. Disponible sur : https://www.rtbf.be/article/calendrier-respecte-pour-le-chantier-de-la-future-gare-schuman-7800336 (consulté le 01.06.2022) 101 Beliris. «Pôle multimodal Schuman». Publié le 3 mai 2016. Disponible sur : https://www.youtube.com/ watch?v=_0hSt5HSTGY (consulté le 01.06.2022)

136

Fig. 163 Hall A, l’espace où se croisent le métro et la voie ferroviaire dans le projet pour la nouvelle gare multimodale Schuman en 2003 par le bureau d’architecture AREP (SNCF). (Extrait de: Laconte, Pierre. 080 Lexique du non-urbanisme: Accords de coopération. BRU/EUR. A+, n°184 (octobre-novembre 2003), p.80-81.)© Service public fédéral Mobilité et Transports - AREP

Fig. 164 et 165 Hall d’entrée vitré (pas réalisé) de part et d’autre de la gare et coupe transversale à travers la gare multimodale avec le Berlaymont sur la gauche. (Extrait de: Laconte, Pierre. 080 Lexique du non-urbanisme: Accords de coopération. BRU/EUR. A+, n°184 (octobre-novembre 2003), p.80-81.)© Service public fédéral Mobilité et Transports - AREP

Fig. 166 La gare multimodale Schuman tel qu’elle est réalisée depuis 2016. © photo personnelle

137

Fig. 167 Coupe à travers l’extension du Résidence Palace réalisé par Saymyn & Partners en 2013 pour le Conseil européen. La forme de la «lanterne» intérieure est conditionnée par la voie de chemin de fer passant en dessous de la parcelle. (Disponible sur: https://wbarchitectures.be/fr/architects/Philippe-SAMYN-et-ASSOCIES-sprl-architecteset-ingenieurs/SIEGE-du-CONSEIL-EUROPEEN-et-du-CONSEIL-DE-L-UNION-EUROPEENNE/401/) © Polygon Graphics cvba - Stijn Stragier © colours: Georges Meurant

Fig. 168 Niveau souterrain du bâtiment Europa avec la ligne de chemin de fer passant au nord du site. © Samyn&Partners

138

Fig. 169 Entrée de la gare ferroviaire Schuman en dessous du Résidence Palace. © Samyn&Partners

Cependant, bien que les entrées de la gare actuelle soient multiples et la rendent ainsi très accessible, elles sont moins «prononcées» que celles de la proposition antérieure. En effet, elles sont réduites à des simples boîtes génériques mises en place par un bureau d’ingénierie travaillant en collaboration avec Bruxelles Mobilité et qu’on retrouve un peu partout à Bruxelles.

Des projets contraints par le sous-sol Le bâtiment Europa Suite à l’élargissement de l’Union européenne avec un nombre important de pays de l’est au début des années 2000, le Juste Lipse (ancien siège du Conseil européen) ne parvient plus à répondre au nombre de sièges nécessaires. De plus, avec l’adoption du Traité de Nice en 2001, tous les sommets du Conseil européen doivent se tenir à Bruxelles, lançant la recherche d’un site permettant l’extension du Conseil européen à Bruxelles. Ayant la volonté de concentrer les institutions européennes au sein du quartier Léopold voir de préférence à proximité immédiate du Juste Lipse, l’Etat belge propose le bloc A du Résidence Palace, c’est-à-dire le bâtiment principal bordant la rue de la Loi. En août 2004, le Conseil européen lance un concours européen d’architecture pour choisir en automne 2005, en concertation avec l’Etat belge et la Régie des bâtiments, le projet pour l’extension du Résidence Palace de Samyn & Partners avec Studio Valle Progettazioni et Buro Happold.102 Afin de respecter le patrimoine existant, le Résidence Palace est restauré et le vide défini par le bloc A de ce dernier est investi avec une nouvelle extension. Cette aile du Résidence Palace est transformée en un «cube», alignant le Résidence Palace à la rue de la Loi. L’atrium défini par la façade de l’extension et le bloc A existant abrite le nouveau lieu d’accueil principal du bâtiment et la nouvelle «lanterne» dessinée par Samyn&Partners. Celle-ci regroupe plusieurs salles de conférence et espaces divers, notamment pour organiser les sommets européens.

Ce qui est d’autant plus intéressant avec ce projet d’extension est que la forme de la lanterne est conditionnée par deux contraintes: d’une part, chaque niveau de la lanterne reprend la surface minimale des différentes salles de conférence ou espaces demandés; et d’autre part, le rétrécissement de la base est le résultat d’une contrainte physique importante au sous-sol, la nouvelle voie ferroviaire entre Schuman et Josaphat (voir Fig. 168 et 169). En effet, cette voie ferroviaire, faisant partie du projet de la gare multimodale Schuman, passe de manière diagonale à travers le site du Résidence Palace pour ensuite traverser la rue de la Loi. Puisqu’il n’est pas possible d’appuyer le nouveau bâtiment sur les murs de soutènement de la voie ferroviaire, la «lanterne» doit prendre pied autre part. Vu la place limitée de la parcelle, le bureau Samyn & Partners conçoit donc une base étroite de trois niveaux pour ensuite, dès qu’on se situe au-dessus de la voie ferroviaire, ressortir et élargir le volume progressivement.103 Comme évoqué précédemment lors du débat sur le patrimoine, cette extension «sauve» d’une certaine manière le Résidence Palace d’une nième extension ou modification générique voire d’une potentielle démolition. De plus, bien qu’on puisse aimer ou ne pas aimer le projet de Samyn&Partners, il manifeste clairement à travers son architecture particulière (la lanterne) la densification complexe du monde souterrain de la rue de la Loi. Outre l’influence du monde souterrain sur des bâtiments comme l’Europa, on perçoit également son impact au niveau des espaces publics, dont notamment le projet de Xaveer de Geyter pour la place Schuman (non-réalisé).

102 Attali, Jean. Europa - Siège du Conseil européen et du Conseil de l’UE. Lannoo, 2013.

103 Archi Urbain. Samyn&Partners/Europa. Les Délires Productions, publié le 24 juillet 2017. Disponible sur: https://www. youtube.com/watch?v=FAa7G7QGTSY (consulté le 5 avril 2022)

139

Le projet de XDGA pour la place Schuman En 2010, le bureau d’architecture belge de Xaveer De Geyter (XDGA) gagne le premier concours d’architecture international pour la place Schuman s’intitulant «One Schuman».

En effet, cette zone regroupe un bon nombre des institutions européennes majeures de Bruxelles, faisant de lui un lieu hautement symbolique. De plus, la rénovation du Berlaymont est finalisée dans la même année et le projet pour la gare multimodale Schuman est en pleine construction, ce qui explique la volonté (notamment de Beliris, constructeurs de cette nouvelle gare), d’étendre la rénovation sur le rond-point Schuman. L’ambition est grande: amplifier le caractère symbolique de cet espace, créer une zone plus adaptée aux modes de circulation doux et améliorer l’accessibilité aux réseaux de mobilité souterrains.104 La proposition de XDGA n’a jamais été construite car considérée trop chère, mais aussi pour des questions de manquement d’encadrement.105 En 2015, la Région de Bruxelles-Capitale relance un nouveau concours qui semble moins ambitieux et doit intégrer des nouveaux paramètres, notamment une attention plus importante à la sécurité.

En effet, nous avons vu précédemment que la proposition de COBE est bien plus simple (pas d’entrées vers le métro), mais aussi plus ambivalente en termes de représentation symbolique par rapport à celle de De Geyter, notamment à cause des contraintes sécuritaires.

Le projet de XDGA consiste en une sorte d’auditoire à ciel ouvert, un lieu de manifestation, de diversité culturelle et de débat. C’est un projet qui incarne en lui même les principes et valeurs européennes. Au-delà de la force symbolique du projet, il semble également intéressant de se pencher sur sa dimension technique et architecturale. En effet, constituant une structure plus ou moins importante, ce «parlement à ciel ouvert» est largement contraint par ce qui se passe au niveau du sous-sol (voir Fig. 171). Nous avons pu voir précédemment, à quel point le réseau souterrain de la rue de la Loi est complexe, notamment à l’endroit où se trouve la gare multimodale Schuman. En dessous du rondpoint Schuman, la situation reste assez similaire. De nombreux réseaux se croisent non seulement en hors-sol mais également au sous-sol, notamment la ligne de métro et les le tunnels Loi, Belliard et Cortenbergh.106 Ces nombreux vides, définis par des parois de béton superposées, constituent une base géologique complexe pour fonder le bâtiment imaginé par Xaveer de Geyter. De plus, il est également difficile de trouver les interstices pour placer les différents escalators d’accès à la station de métro (voir Fig. 173 sur les pages 142-143).

Ceci-dit, il est également intéressant d’observer l’intervention de XDGA comme un lieu catalysateur entre le monde du souterrain et le monde aérien. En effet, on peut passer à travers la station de métro sans forcément devenir acteur d’une potentielle manifestation politique sur l’auditoire en surface. Mais à travers les interstices, on est rappellé du fait qu’on se situe à un endroit particulier de Bruxelles. Même si le projet de De Geyter a une forte présence symbolique, il est totalement fonctionnel pour un usage quotidien quelconque. En effet, cette dimension très fonctionnelle se prolonge dans la relation de l’amphithéâtre avec les rues débouchant sur la place, notamment par quatre incisions dans le bâtiment permettant de créer un lieu perméable à la circulation environnante (voir Fig. 172).

104 Binst, Jean-Marie. Place Schuman: mauvais timing. Repositioning the EU. A+, n°260 (juin-juillet 2016), p. 33 105 En effet, le sous-sol du rond-point Schuman est très complexe et nécessite une étude approfondie. Celle-çi est plus onéreuse que prévue, ce qui fait que De Geyter ne peut pas la payer. De plus, il existe une forte opposition au projet pour le tunnel Cortenbergh qui permettrait de rediriger la circulation en surface vers le sous-sol. Ainsi, en 2014, la Ministre fédérale Laurette Onkelinx (à l’époque Ministre tutuelle de Beliris), annule le projet. (Ibid., p. 33.).

106 Gerrewey, Christophe Van. Opus 160. A+, n°244 (octobre-novembre 2013), p.20-21

140

Fig. 170 Vue de rendu du projet de Xaveer De Geyter pour la place Schuman en 2010. On perçoit notamment les vitrines au niveau souterrain, qui donnent une vue sur le croisement des multiples tunnels autoroutiers. (Disponible sur: https://afasiaarchzine.com/2011/12/xaveer-de-geyter-architecten-xdga/) © XDGA

Fig. 171 Coupe transversale du projet de Xaveer De Geyter pour la place Schuman en 2010. On perçoit la complexité du souterrain, de nombreuses voies de circulation se croisent, ce qui rend l’accès au métro d’autant plus difficile. De plus, on voit comment l’amphithéatre accentue la perspective vers le Cinquantenaire. (Extrait de: Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: political animals. El croquis, Madrid, 2020.

Fig. 172 Maquette du projet de p.88) © XDGA Xaveer De Geyter pour la place Schuman en 2010. On perçoit notamment la prolongation des axes environnants à travers les ouvertures dans le projet. (Extrait de: Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: political animals.

El croquis, Madrid, 2020.) © XDGA

141

Fig. 173 Plan du souterrain du projet de Xaveer De Geyter pour la place Schuman en 2010. On perçoit les escalators placés dans les vides encore disponibles entre les tunnels autoroutiers.(Extrait de: Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 20052020: politicla animals. El croquis, Madrid, 2020. p.88) © XDGA

142

143

144

Conclusion De nombreux débats reviennent d’époque en époque, voire s’intensifient au fil du temps. En effet, la rue de la Loi constitue un cas particulièrement intéressant, regroupant une série de questions urbaines à la fois représentatives de Bruxelles, mais aussi uniques et spécifiques à sa propre histoire. Chacun des thèmes expliqués se présente de manière très intense et concentré sur la rue de la Loi. En effet, bien que le quartier nord subit également une forte densification et monofonctionnalité à partir du milieu du 20ème siècle, aucun autre quartier à Bruxelles présente une telle concentration de lieux de pouvoir politique, d’hétérogénéité patrimoniale, de protection sécuritaire de l’espace public et de densification du sous-sol.

Ce dernier thème (le monde souterrain), semble très caractéristique de la rue de la Loi mais peu exploité jusqu’à présent. La rue de la Loi représente l’exemple bruxellois le plus marquant quand on s’intéresse aux réseaux souterrains bruxellois, notamment en raison de sa taille, la diversité d’infrastructures entremelées, mais aussi en termes de connectivité aux réseaux majeurs de Bruxelles, de la Belgique voire de l’Europe entière. Ainsi, dans la troisième partie, nous explorerons en quoi cette infrastructure souterraine pourrait constituer un levier d’action dans un futur projet développement de la rue de la Loi, notamment en s’intéressant plus particulièrement à son lien avec l’espace public.

145

TROISIEME PARTIE L’avenir de la rue de la Loi à travers son sous-sol

Introduction Aujourd’hui, comme on l’a pu voir dans la partie précédente, la rue de la Loi suscite plusieurs sujets de débat urbanistiques et architecturaux transversaux à travers le temps, notamment la densité, la mixité fonctionnelle, la symbolique du pouvoir, le patrimoine, la sécurité et les infrastructures souterraines. Contrairement à la majorité de ces sujets, le potentiel du souterrain de la rue de la Loi semble peu traité à ce jour. Ainsi, dans cette troisième et dernière partie, nous expliquerons d’abord le contexte historique plus global de projets ayant un rapport particulier au souterrain à Bruxelles et analyserons ensuite plus en détail le fonctionnement des réseaux souterrains existants en dessous de la rue de la Loi. En effet, les différentes infrastructures sous la rue de la Loi (dont notamment l’énorme parking public de plus de 1000 places et les stations de métro Maelbeek et Arts-Loi) présentent des liens particuliers mais sous-exploités avec le monde aérien et les bâtiments de la rue de la Loi. L’intérêt de cette dernière partie est de discuter, si et comment cette infrastructure souterraine, pourrait devenir un acteur valorisant dans un futur projet de redéveloppement de la rue de la Loi. Afin d’éclaircir les propos, on analysera les défis et les solutions apportées dans quelques exemples dans le monde ayant soit développé un réseau souterrain remarquable, soit revalorisé des structures souterraines existantes au profit d’un espace public plus qualitatif.

146

147

3.1 Urbanisme du souterrain à Bruxelles Qu’est-ce que l’urbanisme du souterrain ?

L’urbanisme du souterrain, un concept inventé par l’architecte ingénieur français Edouard Utudjian dans les années 1930107, s’adresse au sous-sol des milieux urbains et analyse en quoi ce dernier peut, dans une recherche d’espace incessante, constituer un terrain «fertile» pour le développement de la ville. En effet, pour créer des nouveaux projets architecturaux d’envergure importante en milieu urbain, le respect du patrimoine existant constitue une contrainte importante et l’étalement de la ville à l’horizontale semble un modèle peu durable.

Historiquement, depuis l’ère industrielle, le souterrain des villes a toujours été et est encore aujourd’hui majoritairement un espace dédié aux flux techniques (eau, assainissement, électricité, fibre téléphonique etc.) et de mobilité (métro, train, tunnels autoroutiers). Au fil du temps, différents modèles urbanistiques tentent de répondre à cette séparation fonctionnaliste, notamment la rue à étages d’Eugène Hénard (1900), l’urbanisme de dalle promu par Le Corbusier (1920) et l’urbanisme souterrain défendu par Edouard Utudjian (1930). Le but des deux premiers est de «cacher» tout ce qui est utilitaire, alors que les fonctions dites habitables occupent plutôt le monde aérien. Utudjian à l’inverse, propose d’implanter certaines fonctions en souterrain, afin de désencombrer le monde aérien et de protéger la population contre d’éventuelles attaques.108 L’urbanisme souterrain, tel qu’il est décrit par Utudjian, connaît assez peu de réalisations dans le monde. On reviendra sur les raisons plus tard. A Bruxelles, c’est avec la construction de la jonction Nord-Midi qu’un premier projet d’urbanisme du souterrain est conçu au centre de Bruxelles: la gare centrale.

Gare centrale: premier projet d’urbanisme souterrain à Bruxelles La gare centrale, un projet complexe dessiné en 1910 par Victor Horta et construit de 1937 à 1952, se situe à la limite entre la ville basse (ville historique) et la ville haute (le quartier royal) (voir Fig. 177). Dans l’historique de projets qui pourraient entrer dans la catégorie de l’urbanisme souterrain à Bruxelles, cette gare constitue le premier projet architectural et urbanistique où l’aménagement des flux souterrains constitue un enjeu majeur (voir Fig. 175). En effet, la jonction Nord-Midi, passant à travers le site, constitue l’objet central auquel se greffe cette gare, ce qui a fortement densifié le sous-sol. De plus, au lieu d’étendre le bâtiment de la gare sur une grande surface en aérien, Horta est contraint d’implanter celui-ci sur la «petite» parcelle triangulaire à l’est du boulevard de l’Impératrice, en respectant les servitudes de vues et les gabarits imposés.109 Ainsi, l’apparence modeste du bâtiment en aérien contraste fortement avec la complexité et l’étendue du réseau souterrain, nécessaire pour abriter l’entièreté du programme demandé.

107 Edouard Utudjian fonde le GECUS (Groupe d’études et de coordination de l’urbanisme souterrain) en 1933, une sorte de «Think tank» portant sur des réflexions concernant l’urbanisme souterrain.

108 Barles, Sabine, et al. L’urbanisme souterrain. Presses Universitaires De France, Paris, 1995, p.6 109 Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p.73

148

Fig. 174 Le parking et l’accès à la gare centrale en contre-bas du Boulevard de l’Impératrice dans les années 1950, avant l’ajout d’autres bâtiments en face de la gare plus tardivement. (Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p. 72)

Fig. 176 «Radiographie» de ce qui existe (bâtiments aériens et souterrains) avant la projection de projet de Xaveer de Geyter en 1997. (Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered.

Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p. 187) © XDGA

Fig. 175 Schéma des différents flux de mobilité en dessous de la gare centrale.

(Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city.

Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p. 55)

Fig. 177 Vue aérienne du centre historique (ville basse) et la gare centrale en arrière plan (ville haute). (Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p. 72)

149

Fig. 178 Vue en plan des interventions pour la gare centrale de Xaveer de Geyter en 1997.

(Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city.

Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p.186) © XDGA

Fig. 179 Axonométrie du sous-sol du projet pour la gare centrale de Xaveer de Geyter en 1997. (Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p.187) © XDGA

Fig. 180 Plans des différents niveaux, notamment du sous-sol du projet de Xaveer de Geyter pour la gare centrale et ses alentours en 1997.Les zones en gris sont les nouvelles parties ajoutées. ((Extrait de: Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000, p.90) © XDGA

150

La particularité de ce site est que la gare ne fonctionne pas comme un «objet autonome» mais est connectée à son contexte proche (complexe de musées du Mont des Arts, Palais des Beaux-Arts, quartier royal etc.) via un réseau piétonnier à la fois souterrain et aérien (il existe en effet de nombreux raccourcis, galeries piétonnes, ponts et passages qui distribuent les différents programmes). Par exemple, en dessous du boulevard de l’Impératrice, initialement conçu comme une autoroute urbaine, se trouve une sorte de «cathédrale de béton» reliant les différentes espaces au sein de la gare (voir Fig. 174 sur la page 149). Ainsi, le projet est connecté tant à l’échelle architecturale (la gare et les autres bâtiments adjacents de Horta) mais aussi à l’échelle urbanistique (le quartier) en formant une sorte de «plateforme de liaison» entre la ville basse et la ville haute.110 Au-delà d’un réseau souterrain complexe et d’une multimodalité importante, le projet de la gare centrale témoigne dès le début d’une certaine mixité fonctionnelle, notamment par la présence de magasins, d’un bureau de poste et de bureaux111. Ces programmes sont complétés à travers d’autres programmes mis en place dans les projets de Horta autour de la gare centrale, connectés à celle-ci par le réseau souterrain. La variété de spatialités, de typologies et de morphologies des espaces créés au sein de la gare centrale et des projets de Horta aux alentours permettent cette grande richesse programmatique et l’adaptabilité des projets au fil du temps.

Carrefour de l’Europe Plus tard, lors d’un concours en 1997, Xaveer De Geyter, qui avait déjà proposé un projet en 1983 au sein du groupement d’architectes Hoogpoort (S. Beel, X. De Geyter, A. Karssenberg, W.J. Neutelings), conçoit un projet de réaménagement du site de la gare centrale et de l’espace public entre les bâtiments qui s’intitule «Carrefour de L’Europe».

En effet, au fil du 20ème siècle, de nombreuses infrastructures se sont rajoutées au sein du sous-sol, d’abord la jonction ferroviaire Nord-Midi, ensuite la gare centrale, des parkings souterrains et finalement les lignes de métro. Ces infrastructures ont attiré le développement de projets architecturaux en aérien, ce qui fait que plusieurs bâtiments se sont «agglutinés» progressivement autour de la gare centrale (d’abord des grandes entreprises internationales à partir des années 1950 et ensuite des hôtels dans les années 1990), formant un conglomérat de bâtiments et d’espaces publics interstitiels peu claire (voir Fig. 176 sur la page 149).

Ainsi, Xaveer De Geyter propose une série de nouvelles infrastructures, tout en complétant les zones bâtissables avec des nouveaux bâtiments. La volonté est de redéfinir les espaces publics en créant un grand îlot unitaire («superblock») très dense, en tirant parti de la fragmentation générée par les bâtiments existants et en intégrant les nouveaux programmes demandés (notamment des logements, un centre de conférence, une station de bus, des hôtels, des bureaux et espaces commerciaux).112 Le projet intensifie la complexité du souterrain préexistant et fait de la fragmentation existante un élément de composition central pour le projet (voir Fig. 179). Les espaces publics imaginés par Horta sont complétés avec des nouvelles poches publiques, créant un réseau piétonnier complexe et des espaces de conférence à la fois souterrains et aériens s’ajoutent aux programmes existants (voir Fig. 178).

Après la gare centrale, ce sont quelques stations de métro situées à des endroits spécifiques à Bruxelles, qui constituent des amorces d’un urbanisme du souterrain.

110 Ibid., p. 73 111 Ibid., p. 74 112 Ibid., p. 91

151

En effet, il existe quelques points de convergence majeurs entre des lignes de métro, de prémétro et de train à Bruxelles. Les cas en dehors du contexte de la rue de la Loi se situent au croisement entre l’axe des lignes de prémétro 3 et 4 les quatre lignes de métro bruxelloises, c’est-à-dire la place de Brouckère avec le Centre Monnaie et la place Rogier.

Centre Monnaie Le Centre Monnaie, un bâtiment moderniste situé dans le cœur commercial de Bruxelles (de Brouckère), est un projet construit de 1969 à 1971 par le Groupe Structures, les architectes Jacques Cuisinier, André et Jean Polak, Jean Gilson et Robert Schuiten. Il fait partie d’un des nombreux projets de grande envergure construits dans un élan de modernisation de Bruxelles après la Deuxième Guerre mondiale, une époque à laquelle Bruxelles est en pleine compétition pour atteindre le statut de capitale européenne.

Le Centre Monnaie se situe au croisement d’un important réseau de mobilité infrastructurel. D’abord, le plan Tekhné de 1962 prévoit l’implantation de l’échangeur no.1113 à proximité de de Brouckère, là où se croisent deux autoroutes urbaines, à savoir le boulevard Anspach et le ring autour du centre historique prévu dans le plan Tekhné. Ensuite, ce bâtiment fait intrinsèquement partie du réseau de transports en commun souterrain, c’est-àdire qu’il se greffe sur deux stations souterraines: l’une reprenant les lignes de métro 2 et 6 sur l’axe Est-Ouest et l’autre reprenant les lignes de prémétro 3 et 4 sur l’axe Nord-Sud. En effet, on remarquera la dénomination «Plan rez-métro» sur les plans du Centre Monnaie (voir Fig. 182). En plus de ces réseaux souterrains, le Centre Monnaie constitue également le terminus de plusieurs lignes de bus. Il comprend également un vaste parking souterrain de 600 places équipé de deux stations-services, afin de répondre à l’arrivée en masse de la voiture en ville à partir des années 1950114.

Ce bâtiment est un des rares exemples à Bruxelles où bâtiment et infrastructure souterraine sont fortement liés. En effet, ce complexe multifonctionnel, dont la partie supérieure en forme de croix est occupée par les bureaux de l’administration de la Poste et de de la Ville de Bruxelles et dont le socle et les niveaux souterrains sont majoritairement occupés par des commerces et des lieux de restauration, est directement lié à travers une galerie souterraine et un couloir de correspondance à la station de métro de Brouckère (voir Fig. 182).115 De plus, le magasin des «Galeries Anspach», dont le bâtiment principal se trouve en face du Centre Monnaie, occupe également une surface considérable au niveau du «rez-métro». En effet, le magasin des Galeries Anspach est également connecté au Centre Monnaie à travers une passerelle sur trois niveaux passant au-dessus du la rue de l’Evêque. Ainsi, on voit d’autant plus à quel point le Centre Monnaie constitue une sorte «d’aimant» pour les commerces adjacents, notamment en raison de la connexion directe avec le métro.

Le Centre Monnaie peut être considéré comme « a giant processor of bodies, cars and goods.»116 [un gigantesque processeur de corps, voitures et biens]. En effet, on perçoit un rez-de-chaussée dessiné avant tout à partir des flux piétons en lien avec les stations de métro (voir Fig. 184 sur la page 155) et une organisation verticale illustrant une gradation 113 Le plan Tekhné de 1962 propose un ring intérieur autour du centre ville historique qui serait ainsi une zone sans voitures. A l’endroit où se croisent ce ring et les radiales perpendiculaires à ce dernier, se trouvent des échangeurs, dont celui de de Brouckère.

114 Vandenweghe, Thomas. «Le Centre Historique de la ville comme point focal de la mobilité urbaine: illustration d’un concept à travers du Centre Monnaie». Mémoire de fin d’études, Faculté d’architecture La Cambre Horta de l’ULB, 20152016.

115 Sterken, Sven ; De Moffaerts, Jan. Centre Monnaie, Brussel: Architectural Study and Heritage Value Assessment, 2019, p.17 116 Ibid., p.20

152

Fig. 181 Coupe perspective du complexe souterrain de la place de Brouckère, là où se croisent les lignes de prémétro 3 et 4 avec les lignes de métro 1 et 5. On perçoit sur la gauche la tour Philips et sur la droite le Centre Monnaie.

(Extrair de: Leloutre, Géry. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. Les bâtiments élevés de Belgique, A+, n°209 (décembre 2007-janvier 2008) p. 30-41) © STIB

Fig. 182 Plans du niveau -1 ou rez-de métro (gauche) et rez-de chaussée (droite) du Centre de la Monnaie dans son état initial avant sa rénovation en 2017. (Extrait de: Sterken, Sven ; De Moffaerts, Jan. Centre Monnaie, Brussel: Architectural Study and Heritage Value Assessment, 21 novembre 2019.) © La Technique des Travaux, 1971, p.250-251)

153

Fig. 183 Coupe perspective à travers le Centre Monnaie, le parking 58 (détruit aujourd’hui) et la tour Philips.

(Extrait de: Sterken, Sven ; De Moffaerts, Jan. Centre Monnaie, Brussel: Architectural Study and Heritage Value Assessment, 21 novembre 2019.) © CDP Rapport annuel 1966, AAM/CIVA, Fonds Charly De Pauw

progressive entre le privé et le public (voir Fig. 183). Initialement, ce grand «hub of flows»117 [pôle de flux] est orienté vers l’intérieur du bâtiment (schéma inversé où l’intérieur d’îlot devient l’endroit le plus public, protégé des flux de voitures), alors qu’aujourd’hui, après sa rénovation par DDS+ Architectes en 2017, les commerces s’orientent plutôt vers le nouveau piétonnier qui l’entoure. Ainsi, le rapport à la rue est très différent. Celle-ci est davantage considérée comme un espace de qualité vers lequel il faut orienter le bâtiment. Vu la disparition de la voiture de l’espace public grâce à la mise en place du piétonnier, on décide de supprimer la galerie commerçante initiale, ce qui change considérablement le fonctionnement interne du Centre Monnaie. Plusieurs espaces structurants disparaissent, comme par exemple le hall central à travers lequel on accédait aux bureaux de la Poste. De plus, son rapport au sous-sol et aux infrastructures de mobilité est largement altéré. L’accès au métro se réduit aujourd’hui à deux entrées, l’une située sur le coin du bâtiment entre la rue de l’Evêque et la place de la Monnaie et l’autre sur la place de Brouckère. Ainsi, l’essence même d’une architecture connectée aux stations de métro disparaît au profit d’un système d’accès d’autant plus générique.

Selon les architectes de DDS+, la version contemporaine d’un centre commercial se décline à travers un socle entièrement vitré sur le pourtour où les commerces sont surtout accessibles à partir de la place de la Monnaie et des rues adjacentes. Comme l’explique l’échevin de l’Urbanisme Geoffrey Coomans de Brachène dans un article de La Libre: « Il faut que le projet valorise l’attractivité des commerces dans les dessertes latérales, rue de l’Evêque et rue Fossé aux Loups.».118 En d’autres mots: le bâtiment s’adresse davantage au monde aérien, à l’inverse de sa conception initiale qui était plus centripète et qui semblait plutôt orientée verticalement qu’à l’horizontale.

117 Ibid., p.20 118 Gonzhe, Nathan. «La galerie Monnaie va disparaître Le centre Monnaie va être rénové. Ouverture probable en 2016.». La Libre, le 29.10.2013. Disponible sur internet: https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/2013/10/29/ la-galerie-monnaie-va-disparaitre-YEOGMMD6YVHQLCWWFXDBF7DWZI/#:~:text=Le%20centre%20 Monnaie%20va%20%C3%AAtre,Ouverture%20probable%20en%202016.&text=La%20galerie%20commer%C3%A7ante%20du%20centre,inoccup%C3%A9s%20ou%20%22%C3%A0%20remettre%22. [consulté le 27 mars 2022]

154

Fig. 184 Plans schématiques illustrant les flux piétonniers à travers le Centre Monnaie dans son état initial en 1966.

(Extrait de: Sterken, Sven ; De Moffaerts, Jan. Centre Monnaie, Brussel: Architectural Study and Heritage Value Assessment, 21 novembre 2019.) © Wonen 12, 1966

155

Place Rogier La place Rogier, située à la limite entre le quartier Nord et la ville historique et dans le prolongement de la rue Neuve au croisement des lignes de métro 2 et 6 avec lignes de prémétro 3 et 4, a toujours été un lieu de convergences. En effet, jusqu’en 1952, un des bâtiments définissant la place était l’ancienne gare du Nord, qui a dû être déplacée plus au nord à cause de la construction de la jonction ferroviaire Nord-Midi. Même si la gare a disparue, la place a conservé son caractère de «rotonde de mobilité», notamment par la mise en place du prémétro, du métro et des lignes de bus. En effet, dans les années 1960, la place Rogier subit une transformation majeure, notamment à travers la mise en service du prémétro mais aussi la construction d’un centre de congrès (avec une série d’espaces adjacents), occupant l’entièreté de la surface souterraine de la place. Adjacent à ce centre de congrès, se trouvent un parking, un bureau de police, des petits commerces et les stations de métro, formant un conglomérat de fonctions souterraines assez rare à Bruxelles (voir Fig. 185).

Cette intervention majeure transforme radicalement le sens des flux piétons sur la place, en passant d’un modèle horizontal vers un mode de fonctionnement plus vertical. Outre cette dimension verticale, le souterrain de la place Rogier s’est également étendu vers le nord et le sud, notamment en créant une liaison piétonne avec le City 2 et la rue Neuve, un des lieux commerciaux les plus importants à Bruxelles (voir Fig. 187). En effet, au-delà d’être une simple infrastructure de mobilité, le souterrain de la place Rogier se greffe sur le contexte environnant (comme le Centre Monnaie expliqué précédemment), ce qui rend cet espace d’autant plus dynamique et mixte. Jusqu’au début des années 2000 la place n’a jamais été adaptée à ces nouvelles formes de mobilité et aux espaces souterrains, ce qui fait que le lien entre le monde aérien et le sous-sol n’a jamais été clairement défini. En 2006, Xaveer de Geyter gagne un concours pour le réaménagement de la place Rogier et une partie de son souterrain. Son projet tend à réconcilier le souterrain avec la surface, en créant notamment un patio qui illumine et rend plus facilement accessible les espaces souterrains. De plus, il rénove les stations de métro existantes et crée un auvent de 64m de diamètre, couvrant une partie de la petite ceinture et faisant également office de station de bus.119 L’intervention rappelle son projet pour la place Schuman qui suivra quelques années plus tard (2010), dans le sens que l’objet construit en aérien (ici l’auvent) vient annoncer où révéler la présence du monde souterrain, offrant ainsi une «charnière souple» entre le monde aérien et le sous-sol (voir Fig. 186).

Rue de la Loi En parallèle de la construction du souterrain de la place Rogier dans les années 1960, le sous-sol de la rue de la Loi est également fortement densifié par des grandes infrastructures, dont notamment les stations de métro Arts-Loi, Maelbeek et le parking public Loi. Contrairement aux cas énoncés précédemment, ces espaces sont conçus dans une optique purement fonctionnaliste, sans qu’il y ait des réelles synergies volontaires en termes de programme avec l’espace public et les bâtiments en aérien. Néanmoins, ces trois «lieux d’intensité souterraine», présentant chacun des caractéristiques particulières en termes de relation physique entre le sous-sol et les bâtiments au-dessus (position hypercentrale à Bruxelles, perméabilités en intérieur d’îlot, multiplicité de points d’accès etc.), semblent peu ou pas exploitées. Il s’agira par la suite d’analyser ces trois points d’intensité, afin de les confronter à d’autres cas d’études qui pourraient servir d’exemple de réaménagement en vue d’augmenter la qualité urbaine de la rue de la Loi. 119 Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: political animals. El croquis, Madrid, 2020, p. 74-85

156

Fig. 185 Axonométrie éclatée illustrant les différents niveaux existants et les interventions.

(Extrait de: Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: politicla animals. El croquis, Madrid, 2020. p.77) © XDGA

Fig. 186 Vue à l’intérieur du patio du projet de Xaveer de Geyter pour le réaménagement de la place Rogier et de son sous-sol. (Extrait de: Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: politicla animals. El croquis, Madrid, 2020. p.79) © XDGA

Fig. 187 Coupe transversale du projet de Xaveer De Geyter pour la place Rogier réalisé en 2019. On perçoit le nouveau patio, le centre de congrès (à droite), le parking et le passage souterrain passant en dessous des voies de métro vers le centre commercial City 2 situé en face de la place Rogier. (Disponible sur: http://www.foruminfo.be/fr/references/secteur-public/place-etstation-de-mtro-rogier) © XDGA

Fig. 188 Plan de la ligne de prémétro entre la gare du Midi et la gare du Nord, passant par la place de Brouckère et la place Rogier (marqués en rouge) en 1977.

(Extrait de: Masse, Jean-Paul, et al. Bruxelles: du prémétro au vrai métro. La vie du rail. «Bruxelles: du prémétro au vrai métro», n°1575 (9 janvier 1977), p.8) © Archives personnelles

157

3.2 Un état des lieux - 3 sites d’intensité Comme nous l’avons pu voir historiquement, les lieux où se croisent plusieurs flux de mobilité (que ce soient des voies ferrées, métros ou voies automobiles), constituent des «pôles d’intensité» importants au sein de la ville, une caractéristique commune à de nombreux projets d’urbanisme souterrain en général et à quelques cas précis à Bruxelles.

Pour le cas de la rue de la Loi, il s’agit de redonner un sens plus profond à ces structures souterraines existantes, à savoir les bâtiments Mercator et Woodrow en lien avec la station de métro Arts-Loi, l’îlot 130 avec la station de métro Maelbeek et le parking public en dessous de la rue de la Loi.

3.2.1 Le «couple» Mercator-Woodrow et la station de métro Arts-Loi Un carrefour de mobilité important Le Mercator (l’immeuble à gauche sur la Fig. 189, conçu par Jean Verschuere et construit par le promoteur immobilier Léon Colson en 1967) et le Woodrow (à droite, construit par le promoteur immobilier anglais Taylor-Woodrow au même moment et rénové par Art&Build en 2004) est un «couple» de deux bâtiments à gabarit et forme quasi identiques situés sur les deux coins entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts. Outre le fait qu’ils soient situés au croisement de ces axes importants, ils doivent leur spécificité à la station de métro Arts-Loi qui se situe au sous-sol. Arts-Loi a été inauguré le 17 décembre 1969 comme une des premières stations de prémétro sur la ligne entre Schuman et la place Sainte-Catherine. Ensuite, un an plus tard, une deuxième ligne de prémétro est ouverte entre la Porte de Namur et Madou, croisant la première ligne à Arts-Loi. Les deux lignes sont remplacées en 1976 et 1988 par des vrais métros. Aujourd’hui, Arts-Loi est la station de métro la plus fréquentée à Bruxelles, avec environ 140 000 voyageurs par jour, ce qui s’explique d’une part par sa position stratégique dans un quartier très fréquenté mais aussi par le fait qu’elle se situe au croisement des 4 lignes de métro de Bruxelles, à savoir les lignes 1 et 5 avec les lignes 2 et 6 (voir Fig. 190).120 Lors de la construction de la station de métro Arts-Loi, la voirie de la rue de la Loi a été élargie de 20m à 26m (32m avec les colonnades)121, brisant l’effet corridor de la partie centrale de la rue de la Loi. Comme expliqué dans la deuxième partie (densification), la colonnade mais aussi la mise en retrait ont permis une densification plus importante des immeubles Mercator et Woodrow.

Un rez-de-chaussée unique sur la rue de la Loi Outre cette hyperconnectivité et perméabilité importante vers les infrastructures souterraines, le rez-de-chaussée des bâtiments Mercator et Woodrow est majoritairement occupé par des commerces et des lieux de restauration, ce qui est rare voire unique sur la rue de la Loi (voir images page 160). En effet, les colonnades et la façade en retrait forment des véritables galeries commerçantes à l’air libre où le piéton se sent un peu plus protégé des intempéries et des nuisances automobiles de de la rue de la Loi. 120 Beliris. Dossier de presse : Démarrage des travaux de rénovation de la station de métro Arts-Loi, publié le 18.4.2011. Disponible sur: beliris.be (consulté le 01.06.2022).

121 Colson, L. Demande de «démolir les immeubles sis rue de la Loi 28/30 et 32 et avenue des Arts 24 et 25 et y reconstruire un bâtiment à usage de bureaux». (AVB TP 82608)

158

Fig. 189 Les deux bâtiments Mercator et Woodrow situés sur les deux coins entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts. On perçoit l’activité commerciale, des lieux de restauration au rez-de-chaussée avec une entrée vers la station de métro intégrée. De plus, on voit le léger retrait des bâtiments par rapport aux autres immeubles de la rue de la Loi. © photo personnelle

Fig. 190 Maquette de l’immeuble (appellé Nexity aujourd’hui) conçu par le promoteur immobilier anglais Taylor-Woodrow dans les années 1960 et situé de manière stratégique au-dessus de la station de métro Arts-Loi. (Extrait de: De Beule, Michel, et al. Bruxelles, ses bureaux, ses employés. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale : La Fonderie, Bruxelles, 2009. p. 106) © Collection de Georges Binder/Buildings & Data sa

159

Fig. 192 Entrée de métro intégrée dans le bâtiment Mercator côté nord de la rue de la Loi. © photo personnelle

Fig. 191 Vue de la galerie commerçante du bâtiment Mercator côté nord de la rue de la Loi. © photo personnelle

Fig. 193 Entrée/sortie du parking Loi au sein du rez-dechaussée du bâtiment Woodrow. © photo personnelle

Fig. 194 Croisement des quatre lignes de métro (1 et 5 en dessous et 2 et 6 au dessus). © photo personnelle

Fig. 195 Entrée de métro et de parking dans le rez-de-chaussée du bâtiment Woodrow. © photo personnelle

160

Comme nous l’avons pu voir dans la deuxième partie, il existe plusieurs bâtiments sur la rue de la Loi dont le rez-de-chaussée est composé de colonnades, de reculs ou encore plus récemment de micro-placettes. Bien que la colonnade ne sert pas uniquement de justification de densification pour les bâtiments Mercator et Woodrow mais aussi pour quasi tous les autres bâtiments sur la rue de la Loi ayant une colonnade, ces derniers les utilisent plutôt comme outil de mise en valeur du bâtiment au lieu de les considérer comme des outils permettant la création d’espaces de transition dynamiques entre le privé et le public. En effet, les rez-de-chaussée de la rue de la Loi sont majoritairement occupés par des postes de contrôle de sécurité et des lobbies d’attente pour les bureaux situés aux niveaux supérieurs.

Etant donné que ces espaces ne sont pas accessibles au public, les colonnades sont avant tout des lieux de passage purement fonctionnels, occupés notamment par les fumeurs des bureaux au-dessus. Grâce à la présence de programmes accessibles au public au niveau des rez-de-chaussée des bâtiments Mercator et Woodrow, on perçoit un lien d’autant plus important entre le bâtiment, l’espace public et ici plus spécifiquement aussi l’infrastructure souterraine vu que l’entrée de la station de métro est intégrée dans le rez-de chaussée (voir Fig. 195).

Parmi les quelques entrées de métro figurant sur les abords de l’avenue des Arts (voir Fig. 198 sur la page 163), deux sont directement intégrées dans les rez-dechaussée des deux bâtiments Mercator et Woodrow. Cela pourrait s’expliquer par la largeur de trottoir trop petite sur la rue de la Loi, ne permettant pas l’intégration d’un escalier vers le métro. L’intégration d’une entrée vers la station de métro est ainsi pensée dès le départ de leur construction (voir plans de Jean Verschuere sur les pages 164-165), ce qui les rend particuliers dans le catalogue de stations de métro à Bruxelles.

Outre ces entrées de métro et fonctions commerciales ouvertes au public, des entrées privées sont réservées aux bureaux se situant aux niveaux supérieurs.

Aujourd’hui, les deux entrées de métro reflètent néanmoins peu l’importance de la station de métro au sous-sol. En effet, les deux entrées implantées en retrait par rapport à la façade principale, ne sont indiquées qu’à travers de grands panneaux bleus reprenant le signe du métro et la hauteur sous plafond peu importante semble écraser les entrées (voir Fig. 192).

Un nœud de connexion entre les infrastructures de la rue de la Loi et le monde aérien Comme évoqué précédemment, les rez-de-chaussée et le sous-sol des deux bâtiments Mercator et Woodrow sont conditionnés par la présence de la station de métro Arts-Loi située en dessous de ces derniers. De plus, le parking public en dessous de la rue de la Loi s’étend quasi jusqu’au croisement entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts, constituant un élément infrastructurel en plus au niveau du sous-sol (voir plan de la STIB sur les pages 134 -135). En effet, une grande surface du rez-de-chaussée du Woodrow est occupée par une entrée vers le parking public en dessous de la rue de la Loi (voir plan de la rénovation du Woodrow par Art&Build sur la page suivante). Par conséquent, ce bâtiment est un des rares bâtiments sur la rue de la Loi avec une connexion entre le parking public, le métro et un bâtiment en aérien. Dans une future reconversion du parking souterrain, cette sortie/entrée de parking dans le bâtiment Woodrow serait d’autant plus intéressante à exploiter, afin d’amplifier le lien entre les différentes infrastructures souterraines entre elles et entre le sous-sol et l’espace en aérien.

161

Fig. 196 Perspective de l’avenue des Arts, illustrant les différentes entrées vers la station de métro Arts-Loi. On perçoit les deux entrées dans les bâtiments Mercator à droite de l’image. (Extrait de: brochure informative des Transports Intercommunaux de Bruxelles vicinaux (TIVB) - Lignes de petite ceinture n°s 101, 102 et 103 - 1e Phase - 1970) © Archives personnelles

Fig. 197 Plan du rez-de-chaussée de la rénovation du bâtiment Woodrow côté sud de la rue de la Loi par Art & Build. © AVB TP 112962

162

On reviendra sur le débat autour d’une potentielle reconversion du parking en dessous de la rue de la Loi dans la suite du mémoire. Après l’explication des deux autres sites d’intensité sur la rue de la Loi, on analysera comment l’université du Québec à Montréal (UQAM) s’est implantée au croisement des trois lignes de métro majeures à Montréal et discutera comment les deux bâtiments Mercator et Woodrow devraient être revalorisés, en tenant compte de leur caractère hyperconnecté dans le réseau de transports en commun à Bruxelles.

Fig. 198 Extrait du plan d’ensemble de l’axe est-ouest Rue Royale - Rond-Point Schuman dessiné le 24 septembre 1971 par la STIB. Plan de la station de métro Arts-Loi, située au carrefour entre la rue de la Loi et l’avenue des Arts. © AVB TP 91925

163

Fig. 199 Plan d’implantation du bâtiment Mercator construit par Jean Verschuere en 1967. © AVB TP 82608

Fig. 200 Plan d’implantation de la partie arrière du bâtiment Mercator construit par Jean Verschuere en 1967. © AVB TP 82608

164

Fig. 201 Plan du rez-de-chaussée du bâtiment Mercator construit par Jean Verschuere en 1967. © AVB TP 82608

Fig. 202 Plan du niveau -1 du bâtiment Mercator construit par Jean Verschuere en 1967. © AVB TP 82608

165

3.2.2 Le Loi 120 et la station de métro Maelbeek Le bâtiment Loi 120 (bâtiment de droite sur la Fig. 203), est conçu en 1979 et construit de 1982 à 1987 par les architectes André et Jean Polak. Ils proposent 28 000m² de nouveaux bureaux à la Commission européenne qui est toujours en expansion et à la recherche de surfaces de bureaux. Initialement, cette parcelle est affectée au logement, mais la pression immobilière est tellement importante que l’Etat belge décide de construire un grand immeuble de bureaux en proposant en échange de créer des logements à l’arrière du bâtiment sur le côté rue Joseph 2.122 Finalement, faute de moyens budgétaires de l’Etat belge, la Commission européenne elle-même met le projet en œuvre, devenant pour la première fois propriétaire d’un bâtiment sur la rue de la Loi123.

Cela explique pourquoi, notamment à cause d’une vision immobilière encore incertaine, le projet pour le l’îlot 130 (comprenant le bâtiment Loi 120), conçu par le bureau d’architectes Raphael de La-Hoz en 2019 dans le cadre du Projet Urbain Loi, a pu être annulé par la Commission européenne.

Ensuite, avant que les plans du Loi 120 soient finalisés, les comités de quartier, étant opposés à ce projet, demandent un projet de revalorisation de la vallée du Maelbeek.

Cette revalorisation se résume à quelques commerces situés sur l’aile du Loi 120 donnant sur la chaussée d’Etterbeek. Outre ces commerces légèrement «écrasés» par la masse bâtie supérieure, il existe plus loin en dessous du pont construit au-dessus de la chaussée d’Etterbeek, une entrée vers la station de métro Maelbeek, révélant l’infrastructure souterraine en dessous de la rue de la Loi (voir images page 168).

Un croisement d’une multiplicité de flux Le Loi 120 et l’hôtel Crowne Plaza en face (entretemps démoli et remplacé par la tour The One, occupée par la Commission européenne), se situent au croisement d’axes de circulation de nature multiples. En effet, on perçoit une superposition de flux tels que l’autoroute urbaine (la rue de la Loi), une voie automobile et de ligne de bus importante (la chaussée d’Etterbeek avec les lignes de bus 59 et 64), le tunnel de métro reprenant les lignes de métro 1 et 5, un tunnel piétonnier donnant accès au parking situé entre ces voies majeures et l’important collecteur du Maelbeek en dessous de la chaussée d’Etterbeek (voir Fig. 203). Comme évoqué précédemment, certaines de ces différentes «couches» deviennent partiellement visibles en dessous du pont à partir de la chaussée d’Etterbeek.

A l’inverse du cas de Arts-Loi où c’est surtout deux autoroutes urbaines et 4 lignes de métro qui se croisent, on perçoit dans le cas de Maelbeek le croisement d’une variété de flux à des échelles variables (piéton, voiture, métro ...) et notamment un chemin d’accès au métro traversant l’intérieur d’îlot du Loi 120. De plus, les abords de part et d’autre de la rue de la Loi sont équipés d’escaliers, d’escalators et d’ascenseurs permettant un accès facile à la fois à la station de métro, au parking souterrain et aux bâtiments adjacents (voir images page 168). Ces différentes infrastructures semblent ainsi faire quasiment partie des bâtiments adjacents. En effet, on peut se balader à partir de la tour The One, à travers le tunnel piétonnier en dessous de la rue de la Loi, pour ensuite passer soit à travers le Loi 120 pour déboucher sur la rue Joseph 2, soit descendre vers la station de métro Maelbeek et vers les arrêts de bus en dessous du pont.

122 Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold. Badeaux, 2007, p. 295 123 Ibid., p. 296

166

Fig. 203 Dessin perspective de la station de métro Maelbeek. Extrait d’une brochure explicative de la ligne de métro 1 par le, Bruxelles, (Extrait de: Ministère des communications, Promotion des transports urbains, Relations extérieurs. «Métro de Bruxelles: Ligne 1, Maelbeek». Brochure explicative, Bruxelles, s.d.) © archives de la STIB

Fig. 204 Plans schématiques de la station de métro Maelbeek. (Extrait de: Ministère des communications, Promotion des transports urbains, Relations extérieurs. «Métro de Bruxelles: Ligne 1, Maelbeek». Brochure explicative, Bruxelles, s.d.) © archives de la STIB

167

Fig. 205 Vue sur l’escalator qui fait le lien entre la chaussée d’Etterbeek et la rue de la Loi au-dessus. © photo personnelle

Fig. 207 Vue sur le passage piéton en dessous de la rue de la Loi qui va vers la tour The One et donne accès au parking souterrain. © photo personnelle

Fig. 206 Vue sur l’entrée de la station de métro Maelbeek à partir de la chaussée d’Etterbeek. On perçoit également l’escalator sur la droite qui mène directement vers l’entrée du Loi 120 et le passage piéton en dessous de la rue de la Loi, qui donne également accès au parking souterrain. © photo personnelle

Fig. 208 Escalier et ascenseur d’accès du bâtiment The One vers la station de métro Maelbeek. © photo personnelle

Fig. 209 Entrée de la station de métro Maelbeek (à droite) en dessous de la rue de la Loi avec l’escalier qui mène vers la tour The One. © photo personnelle

Fig. 210 Vues sur le passage piéton passant en intérieur l’îlot du Loi 120. L’accès se fait par les deux côtés, d’une part par une porte de garage sur la rue Joseph 2 (ouverte du lundi au vendredi, sauf jours fériés) et d’autre part côté rue de la Loi où une partie du rez-de-chaussée est réservé par l’accès au métro. © photos personnelles

168

Bien que le cheminement est uniquement bordé d’infrastructures de mobilité et de bureaux, on perçoit déjà un «embryon» d’un urbanisme souterrain, d’un urbanisme à plusieurs niveaux connectés.

Le métro comme créateur de perméabilités Comme expliqué précédemment (voir Fig. 204 sur la page 167), la station de métro Maelbeek mais aussi le parking public en dessous de la rue de la Loi sont desservis par une série de chemins et de rampes d’accès passant en dessous et à travers les bâtiments adjacents. En effet, il existe deux entrées vers la station de métro Maelbeek de part et d’autre de la rue de la Loi, une dans Loi 120 et une dans le Loi 85 juste en face (voir page de couverture). Ces deux entrées sont reliées par un passage souterrain passant en dessous de la rue de la Loi. Dans le cas du bâtiment Loi 120, on perçoit la particularité d’un passage en intérieur d’îlot (voir images à gauche et les plans des frères Polak sur les pages 170-171), permettant l’accès à la station de métro Maelbeek à partir de la rue Joseph 2 allant jusqu’à la rue de la Loi et la chaussée d’Etterbeek.

Aujourd’hui la grande majorité des intérieurs d’îlots des bâtiments de la rue de la Loi sont entièrement densifiés, notamment par des grandes surfaces de parkings privés.

Ainsi, ce passage en intérieur d’îlot du Loi 120, toujours fonctionnel aujourd’hui, est d’autant plus particulier au sein de la rue de la Loi. De plus, à nouveau on perçoit une colonnade et une mise en retrait d’une partie de la façade, au profit du piéton, même si le rez-de-chaussée est occupé par des bureaux et pas par des commerces comme dans le cas des bâtiments Mercator et Woodrow au-dessus de Arts-Loi. En effet, la colonnade du Loi 120 reste assez «privatisante» mais matérialise un premier filtre vers le souterrain.

On verra dans la suite de ce mémoire, comment un très grand projet tel que l’Illa Diagonal à Barcelone parvient à s’intégrer dans l’espace urbain, en développant notamment un rez-de-chaussée dessiné à partir du contexte environnant.

Le métro comme outil d’animation de la rue de la Loi Finalement, de manière plus générale, le passage en intérieur d’îlot du Loi 120, l’élargissement de la rue de la Loi au croisement avec l’avenue des Arts mais aussi le traitement très ouvert du rez-de-chaussée des bâtiments Mercator et Nexity au-dessus de la station Arts-Loi, illustrent l’influence importante des stations de métro sur l’espace public et l’architecture des bâtiments adjacents. En effet, lorsqu’on observe les autres bâtiments de la rue de la Loi, on fait face à des rez-de-chaussée assez fermés et une limite entre intérieur et extérieur d’autant plus abrupte. L’espace extérieur est public mais peu qualitatif à cause de longues façades continues et aveugles; et l’intérieur est souvent entièrement privatisé par des espaces d’accueil pour les bureaux, créant peu ou pas de lien avec l’espace extérieur.

Ainsi, dans la situation actuelle et ce depuis plus de 20 ans, où il existe une grande volonté de rendre l’espace public et les rez-de-chaussée de la rue de la Loi plus dynamiques et vivables, une stratégie sans doute intéressante serait de plus valoriser le lien entre les bâtiments en aérien avec les stations de métro et d’autres infrastructures souterraines telles que le parking public en dessous de la rue de la Loi. En effet, le fait d’intensifier ces passages et entrées existantes au sein des bâtiments pour accéder aux infrastructures, permet d’injecter plus de mixité et d’animer l’espace public. On verra par la suite, en quoi le parking public en dessous de la rue de la Loi présente également un potentiel important dans cette logique d’animation de l’espace public par le souterrain.

169

Fig. 211 Extrait du plan du niveau -2 du bâtiment Loi 120 et la cour d’accès à la station de métro Maelbeek. © AVB TP 91925

170

Fig. 212 Extrait du plan du rez-de-chaussée du bâtiment Loi 120 et l’entrée côté rue de la Loi vers la station de métro Maelbeek. © AVB TP 91925

Fig. 213 Extrait du plan du niveau -1 du bâtiment Loi 120 et l’entrée côte rue de la Loi vers la station de métro Maelbeek. © AVB TP 91925

171

3.2.3 Le parking public Loi En analysant le souterrain de la rue de la Loi, un élément hors du commun est constaté: le parking public souterrain de 600m de long situé en dessous de la voirie et audessus de la voie de métro. Depuis sa construction dans les années 1960, ce parking a conservé sa fonction de lieu de stockage pour voitures mais est aujourd’hui rarement occupé totalement, ce qui s’explique sans doute notamment par l’augmentation du télétravail. Comme expliqué précédemment dans la première partie, la Région de Bruxelles-Capitale est propriétaire du parking et a relancé une concession attribuée à Interparking pour une durée de 10 ans à partir de janvier 2021, notamment en raison d’incertitudes concernant le futur développement de la rue de la Loi. Depuis la fin du bail emphyotique en 2019, Parking Brussels (l’organisme public en charge du stationnement de voitures à Bruxelles) a repris la gestion administrative du parking, en le sous-louant à l’entreprise privée Interparking. La courte durée de la concession permettra à la Région de réaffecter le parking à moyenne échéance si le prochain projet de réaménagement de la rue de la Loi le prévoit. Le contrat comprend en effet des clauses d’adaptation si’il faut intervenir sur le parking avant la fin du contrat.124 Ce «cadre juridique» est donc largement favorable pour une potentielle reconversion du parking dans le futur.

Un parking cadastré sous la voirie Outre ces aspects administratifs et légaux, ce parking a la particularité d’être cadastré, c’est-à-dire d’être divisé en 3 «parcelles», alors qu’il se trouve en dessous d’une voie carrossable. En effet, d’habitude on fait la distinction entre ce qui est hors-voirie (cadastré) et ce qui constitue les voies carrossables (non-cadastré). C’est pour cela que la rue de la Loi peut être considérée comme un véritable bâtiment et pas uniquement comme une autoroute urbaine.

Comme l’explique l’ingénieur civil-architecte Léonide Novgorodsky dans son ouvrage «Le prémétro de Bruxelles» apparu en 1970, le parking public sous la rue de la Loi a été construit en plusieurs phases et avec différentes techniques de construction selon la nature géologique du sol (voir Fig. 215). En effet, entre la chaussée d’Etterbeek et la rue d’Arlon (une partie de la vallée du Maelbeek) on met en place des pieux Franki forés de grand diamètre pour chercher le sable dur en fond de vallée. Ensuite, le reste du parking sous la rue de la Loi est construit sur un sol composé de sable brucellien non décalcifié, un sol assez dur permettant de prolonger la construction du parking avec des piédroits en fouilles blindées125. Bien que techniquement les parois du parking soient composées de différentes structures, elles ne créent pas des spatialités différentes au sein du parking. Néanmoins, cette uniformité spatiale est ponctuellement interrompue par les rampes d’accès verticales (voir Fig. 220 en bas de la page 174).

Ensuite, la dalle de la voirie est réalisée en trois tronçons parallèles, ce qui permettait lors de la construction de maintenir la circulation des voitures et des trams en surface126. Ainsi, lorsqu’il faudrait démolir des parties du parking lors d’une future reconversion, les ouvertures seraient davantage contraintes par cette division en strates de la structure du parking. De plus, les dalles en hourdis des niveaux inférieurs fonctionnent comme des étançons pour tenir les parois périphériques, ce qui rajoute une contrainte en termes de transformation potentielle du parking.

124 Echange email le 7 mars 2022 avec la cellule de communication de Bruxelles Mobilité.

125 Novgorodsky, Léonide. Le prémétro de Bruxelles. La technique des travaux, Liège, 1970, p. 24-25.

126 Ibid., p.25

172

Fig. 214 Plan reprenant les limites cadastrales de Bruxelles. On perçoit en rouge les 3 parcelles du parking public en dessous de la rue de la Loi. Trait rouge: limites cadastrales. (Disponible sur: https://gis.urban.brussels/brugis/)

Fig. 215 Phases d’exécution du pertuis entre la chaussée d’Etterbeek et la station «Arts». (Extrait de: Novgorodsky, Léonide. Le prémétro de Bruxelles.

La technique des travaux, Liège, 1970, p. 25)

Fig. 216 Exécution du niveau -1 des parkings sous la rue de la Loi. (Extrait de: Novgorodsky, Léonide. Le prémétro de Bruxelles.

La technique des travaux, Liège, 1970, p. 25)

173

Fig. 217 On perçoit un espace très long et assez étroit, reflètant la forme de la rue de la Loi au-dessus. © photo personnelle

Fig. 218 Un parmi de nombreux escaliers donnant directement accès au parking Loi. © photo personnelle

Fig. 219 Une parmi plusieures rampes d’accès à ciel ouvert du parking Loi. Ici la rampe se trouve entre l’Eurosquare et le nouveau bâtiment Copernicus. © photo personnelle

Fig. 220 Rampe du parking Loi, reliant les 3 niveaux.

Bien que ce n’est qu’une visite ponctuelle en journée, on voit que le parking de plus de 1000 places est très peu occupé. © photo personnelle

174

De nombreux points d’accès existants Le parking souterrain, s’étalant sur plus de la moitié de la rue de la Loi, est bien connectée au monde aérien à travers de nombreuses rampes et escaliers d’accès qui débouchent sur les rues perpendiculaires de la rue de la Loi (voir plan cadastral sur la page 173, Fig. 217 et Fig. 218). En effet, ces points d’accès, à la fois variés en termes de typologie (rampe, escalier) et en termes d’emplacement (sur la voie publique, au sein de bâtiments), constituent, en complément des accès aux stations de métro, des véritables «charnières» entre les rez-de-chaussée des bâtiments bordant la rue de la Loi et le soussol.

De plus, le fait que ces accès se propagent comme des «tentacules» sur les rues perpendiculaires à la rue de la Loi, casse l’effet corridor et rectiligne de celle-ci, du moins à partir de la perspective du sous-sol. En effet, ces entrées latérales constituent non seulement des points charnières entre le monde aérien et le sous-sol mais également entre la rue de la Loi et les rues adjacentes. Dans cette optique, on pourrait considérer le parking en dessous de la rue de la Loi comme une véritable «plateforme de liaison» urbanistique entre la rue de la Loi et les rues voire les quartiers adjacents.

Une reconversion du parking Loi ?

Aujourd’hui, dans une vision de mobilité de la Région de Bruxelles-Capitale127 où l’espace en ville dédié à la voiture se réduit de plus en plus et qu’on privilégie la mobilité douce et les transports en commun, la transformation ou reconversion des parkings souterrains devient une réelle question. Vu la taille et la quantité de matière importante que représente le parking Loi, il serait peu durable de démolir cette infrastructure à Bruxelles.

En termes de programmation, Bruxelles Mobilité ne vise pas à changer fondamentalement la fonction du parking, si ce n’est que d’offrir plus d’espace aux voitures électriques, vélos et autres formes de mobilité douce ou partagée.128 Cependant, si l’on considérait cette grande infrastructure souterraine comme un outil d’animation de l’espace public, d’autres programmes plus dynamiques et accessibles devraient être mis en place. En effet, déjà en 2007, le Berlage Institute avait proposé une galerie souterraine en dessous de la partie est de la rue de la Loi, débutant à la chaussée d’Etterbeek vers le parc du Cinquantenaire129 (voir images sur la page 176).

La galerie souterraine, qui fait 570 mètres en longueur et 37 mètres en largeur, pénètre physiquement au sein du complexe de la Commission européenne et est composée de fonctions multiples. En effet, celle-ci se divise en cinq niveaux: (1) la toiture, une terrasse piétonne linéaire qui s’étend de la chaussée d’Etterbeek jusqu’au parc du Cinquantenaire; (2) la galerie souterraine regroupant tous les équipements accessibles au public et une nouvelle ligne de tram vers le Parlement; (3) le niveau «lobby», fonctionnant comme un filtre de sécurité entre la galerie publique et les bureaux; (4) la gare ferroviaire souterraine et (5) la station de métro130 (voir Fig. 221).

La «frite» publique en aérien, destinée aux évènements, rassemblements, de manifestations, conférences de presse etc., est connectée à la galerie souterraine par plusieurs escaliers et rampes d’accès, permettant une certaine fluidité de circulation verticale.

127 Bruxelles Mobilité. Be Goodmove be.brussels Plan régional de mobilité 2020-2030.

128 Voir page 61 pour plus d’informations sur les idées de reconversion de Bruxelles Mobilité.

129 Le parking n’est pas traité dans leur étude.

130 Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007. p.106-108

175

Fig. 221 Axonométrie éclatée de la proposition du Berlage Intitute pour la rue de la Loi. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 114)

Fig. 222 La galerie centrale en dessous de la rue de la Loi comme dispositif de rencontre et de distribution. On voit l’entrée de la galerie à partir de la chaussée d’Etterbeek. La galerie occupe uniquement la partie est de la rue de la Loi à partir de la chaussée d’Etterbeek. Proposition du Berlage Institute en 2005. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 118)

176

Fig. 223 On voit le réseau de la galerie centrale vers les bâtiments et quartier adjacents de la rue de la Loi.Proposition du Berlage Institute en 2005. (Extrait de: Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe. NAi Publishers, 2007, p. 117)

En effet, la galerie distribue les différents niveaux du nouveau complexe, permettant notamment de gérer plus facilement l’accessibilité aux bureaux et de créer des connections transversales entre les quartiers environnants (voir Fig. 223). Lorsqu’on descend jusqu’au niveau de la galerie, on est accueilli par une variété de fonctions ouvertes au public, dont notamment des cafés, magasins, accès au transports en commun, centres d’information etc. En effet, la galerie témoigne d’une certaine multifonctionnalité, dans le sens qu’elle sert également d’entrée principale pour la Commission européenne131.

La galerie devient un véritable lieu d’échange entre les fonctionnaires, les visiteurs et les habitants de la ville, notamment par la création d’un accès aux infrastructures de mobilité situées aux niveaux inférieurs (métro, parkings, train). En effet, l’infrastructure souterraine est utilisée pour de nombreuses fonctions, ce qui lui confère une certaine «résilience». Par la présence de différents types d’acteurs tout au long de la journée, l’utilisation de l’infrastructure est ininterrompue, sans que celle-ci soit vide, notamment le weekend (ce qui est actuellement le cas pour le quartier Léopold ).

Ensuite, de par son implantation souterraine, la galerie facilite la gestion logistique et sécuritaire associée au monde bureaucratique des institutions européennes. En effet, lorsqu’on descend vers les niveaux inférieurs, le degré de privacité augmente davantage. On débouche notamment sur l’espace «lobby», qui sert de filtre sécuritaire entre la galerie publique et les bureaux de la Commission européenne. On décide également de profiter de la qualité de protection qu’offre le souterrain, pour enterrer certains espaces de réunion et fonctions nécessitant pas de lumière naturelle. Afin d’apporter de la lumière naturelle dans ces espaces souterrains, on décide de créer plusieurs surfaces vitrées au niveau du sol urbain, dont notamment une verrière du côté du quartier Léopold. Finalement, on peut émettre l’hypothèse que par le filtre sécuritaire souterrain (la galerie), l’espace public en aérien est libéré d’éléments sécuritaires encombrants (voir deuxième partie).

Le Berlage Institute avait donc déjà considéré en 2007 le sous-sol comme un dispositif d’animation de l’espace public, de créateur de mixité, de gestion plus efficace de la sécurité etc. On verra dans les 3 cas d’études suivants, la manière de laquelle ces thèmes sont abordés et traduits dans des réels projets d’architecture construits ou à construire prochainement.

Si le parking maintient sa fonction de parking pour voitures, c’est essentiellement à cause de l’incertitude concernant le futur développement de la rue de la Loi. En effet, dans le projet initial de Portzamparc, le parking Loi n’est pas inclus dans le projet, s’agissant avant tout d’un projet en aérien. Etant donné que Bruxelles Mobilité dépend de la Région et que la nouvelle vision partagée132 concernant le quartier européen n’explique pas précisément ce qui va se passer avec le parking public sous la rue de la Loi, ce dernier reste inchangé pour le moment.

Dans le chapitre suivant, on s’intéressera aux défis et réponses apportées à des infrastructures souterraines de grande envergure dans deux des trois cas d’études analysés dans ce mémoire, notamment le projet du bureau d’architecture Belge Baukunst pour le réaménagement du parking et des espaces souterrains du quartier d’affaires de La Défense à Paris, le projet de tunnel à tram souterrain de OMA à La Haye et l’Operaplein de Manuel de Solà-Morales à Anvers.

131 Ibid., p.107 132 Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Synthèse des ateliers thématiques organisés par perspective d’octobre 2021 à janvier 2022: Forme urbaine et patrimoine, espace public et mobilités, adaptation au changement climatique et services ecosystémiques, logement et services de proximité, bureaux, circularité et occupation temporaire.

2022

177

3.3 Analyse de cas d’études L’analyse suivante se base sur trois cas d’études choisis spécifiquement par rapport aux trois pôles d’intensité identifiés précédemment sur la rue de la Loi. Ils servent avant tout comme exemples, où chaque cas représente une intensification des spécificités propres à Arts-Loi, Maelbeek et le parking souterrain. En effet, l’intérêt est de révéler les conditions de fonctionnement de ces projets, afin de proposer une nouvelle perspective dans le futur développement d’un projet de réaménagement de la rue de la Loi.

3.3.1 Montréal : Berri - UQAM Depuis les années 1960, pris dans un élan de modernisation radicale, Montréal a développé un urbanisme souterrain important, une véritable «ville intérieure» qui s’étale sur environ 30 kilomètres. Le RESO (voir Fig. 224) a notamment été conçu pour abriter une vie urbaine à Montréal pendant les mois d’hiver très froids et les étés assez chauds. Au fil des années ce réseau s’étend en fonction des opportunités immobilières qui se développent en aérien. Autrement dit, les promoteurs privés et la Ville de Montréal voient une opportunité commune dans la création d’un réseau piétonnier souterrain (RESO) faisant le lien entre l’infrastructure du métro et les bâtiments en aérien. Cela permet aux promoteurs de développer des programmes majoritairement commerciaux greffés au RESO, profitant des flux humains importants et apportant une plus-value au bâtiment. Cela permet à la STM (Société de transport de Montréal) et la Ville de Montréal d’étendre le réseau de métro de manière plus efficace, notamment en mettant en place des règles urbanistiques obligeant les promoteurs privés de se raccorder au métro sous la voie publique133.

Une situation stratégique Ensuite, il existe également une série de programmes publics qui se greffent sur le réseau du métro et la ville intérieure, dont notamment l’Université du Québec à Montréal (UQAM).

En effet, l’UQAM, implantée au-dessus de la station de métro Berri-UQAM et Place des Arts, a la particularité d’être située au croisement perpendiculaire des trois lignes de métro existantes du réseau de métro montréalais, à savoir les lignes 1 (verte), 2 (orange) et 4 (jaune). Cette situation unique à Montréal et hyperconnectée à l’entièreté de la ville à travers le transport collectif est la raison principale pour l’implantation de l’Université du Québec à Montréal vers la fin des années 1960 à cet endroit spécifique134. En effet, de par sa situation stratégique, qui est développée sur trois niveaux, cette station est la plus fréquentée (13 millions d’utilisateurs en 2011) au sein du réseau montréalais.135 Elle ressemble ainsi au cas de Arts-Loi, où se croisent également toutes les lignes de métro du réseau, créant une sorte de «hub» de mobilité. Cette haute fréquence s’explique également par la présence d’autres complexes de bâtiments importants qui se sont greffés au fil de l’histoire sur cette station de métro, à savoir le complexe Place-Dupuis dans les années 1980, un complexe d’hôtel et de commerces, la Grande Bibliothèque du Québec en 2005 et la Station centrale d’autobus de Montréal en 2011 (voir Fig. 224).

133 Barroca, Bruno, et al. Penser la ville et agir par le souterrain. Presses de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Paris, 2014, p .84 134 Boisvert, Michel. Montréal et Toronto. Villes intérieures. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2011, p.78 135 Mangin, David, et al. Mangroves urbaines. Du métro à la ville: Paris. Montréal. Singapour. Editions La Découverte, Paris, 2016, p. 193

178

Fig. 224 Plan du RESO (réseau piétonnier souterrain) et plan du réseau de métro de Montréal (en bas à gauche).

L’UQAM s’implante au croisement des trois lignes de métro principales de Montréal, créant ainsi un véritable pôle important au sein du réseau. (Disponible sur: https://montrealvisitorsguide.com/the-underground-city-map/) © Ville de Montréal

Fig. 225 Ville de Montréal, 2000 000 de personnes dans votre sous-sol, 1965. (Extrait de: Lortie, André, et al. Les années 60: Montréal voit grand. Centre canadien d’architecture / Douglas and Mcintyre, Montréal / Vancouver, 2004, p. 165) © Ville de Montréal, Gestion de documents et archives

179

Cette variété de programmes explique la grande diversité de publics qu’on peut retrouver à cet endroit, comme l’explique Michel Boisvert dans son ouvrage Montréal et Toronto. Villes intérieures : « A la sortie des tourniquets [...], on trouve une foule assez mélangée: des personnes de tous âges qui se rendent vers le nord à la Bibliothèque nationale du Québec ou à la gare d’autobus interurbains, des travailleurs et des travailleuses qui vont vers l’est, en direction des bureaux de la Place-Dupuis, des touristes, seuls ou en famille, qui ont loué une chambre au grand hôtel voisin et, bien sûr, un très grand nombre d’étudiants, de professeurs et d’employés de l’université, qui prennent les directions du sud et ouest.».136 De plus, comme l’expliquent David Mangin et Marion Girodo dans leur ouvrage «Mangroves Urbaines. Du métro à la ville. Paris. Montréal. Singapour» : «La présence de cette gare routière confère à la mangrove urbaine un rayonnement dépassant largement celui des autres mangroves urbaines du centre de Montréal en termes d’accessibilité nationale et internationale, y compris la mangrove comprenant la gare centrale. En effet, les réseaux de train sont assez peu développés pour le transport de voyageurs au Canada (ils sont essentiellement utilisés pour du fret) et ils n’ont pas l’importance que peut revêtir un réseau tel que celui de la SNCF en France. De fait les déplacements entre villes se font soit en avion, soit en autocar.»137. Bien que Arts-Loi ne bénéficie pas d’une gare d’autocars, il suffit d’aller deux arrêts de métro plus loin pour arriver à Schuman où l’on peut prendre le train, permettant de circuler à l’échelle nationale voire à l’échelle internationale si l’on prend la ligne menant directement à l’aéroport de Zaventem (voir partie 2 chapitre infrastructures souterraines). La rue de la Loi en tant que telle pourrait être considérée, avec ces deux pôles de mobilité importants, comme une seule infrastructure hyperconnectée. Mais les différentes infrastructures de la rue de la Loi sont assez peu ou pas connectées entre elles d’un point de vue spatial, ce qui explique cette division entre Schuman et Arts-Loi. Metro/éducation Pour compléter l’analyse de Berri-UQAM, il est intéressant de se pencher sur le travail de recherche des architectes Michel Lincourt et Harry Parnass apparu en 1970 s’intitulant «Metro/education». Ce travail consiste en une réponse alternative aux plans pour le campus de l’UQAM, qui a été inauguré un an plus tôt en 1969. Les architectes décrivent leur travail comme « [...] un projet de recherche et de développement qui tend à rentabiliser des systèmes d’éducation et de culturation populaire par une meilleure utilisation des ressources urbaines existantes.»138. Il « [...] se base sur l’hypothèse qu’il est possible d’optimiser le rendement de la population par le rehaussement du taux de performance des infrastructures physiques et organisationnelles de la ville.»139. Concrètement, ils s’opposent au modèle de l’école isolée et partent de l’hypothèse que l’éducation devrait faire partie d’un «système» urbain plus large. En effet, ils estiment que l’optimisation du métro permettrait un apprentissage pouvant mieux répondre aux nombreuses exigences de la population à l’époque, dont surtout la question de l’accessibilité pour ceux vivant en périphérie du centre-ville. Ils estiment que les infrastructures (le métro) de Montréal sont sous-utilisées, ce qui les amène à repenser le réseau souterrain à travers le prisme de l’éducation.

136 Montréal et Toronto. Villes intérieures, Michel Boisvert, p.81-82 137 Mangroves urbaines, Du métro à la ville, Paris Montréal Singapoour, de Marion Girodo et David Mangin avec Seura Architectes, p. 194 138 Métro/éducation, Michel Lincourt et Harry Parnass, p.7 139 Ibid., p.7

180

Fig. 226 Perspective aérienne du réseau souterrain connecté à la station de métro Berri-UQAM à Montréal. (Extrait de: Mangin, David, et al. Mangroves urbaines. Du métro à la ville: Paris. Montréal. Singapour. Editions La Découverte, Paris, 2016, p. 199)

Fig. 227 Page de couverture du livre «Metro/education» de Michel Lincourt et Harry Parnass (Montreal, Université de Montréal (UdeM), Faculté de l’Aménagement, 1970)

Fig. 228 Diagramme d’un développement multi-fonctionnel. (Extrait de: Lincourt, Michel, Parnass, Harry. Metro/education. Université de Montréal (UdeM), Faculté de l’Aménagement, Montreal, 1970, p.36) © Michel Lincourt et Harry Parnass

181

Fig. 229 Schéma de «remplissage urbain». L’idée est de créer un premier niveau de remplissage des espaces existants vacants, ensuite de les remplir avec des structures temporaires et finalement de les remplacer par des structures permanentes. (Extrait de: Lincourt, Michel, Parnass, Harry. Metro/education. Université de Montréal (UdeM), Faculté de l’Aménagement, Montreal, 1970, p.34) © Michel Lincourt et Harry Parnass

Fig. 230 Coupes du centre-ville de Montréal dans le réseau, le professeur rencontre l’étudiant à mi-chemin, dans un lieu d’éducation. (Extrait de: Lincourt, Michel, Parnass, Harry. Metro/education. Université de Montréal (UdeM), Faculté de l’Aménagement, Montreal, 1970, p.64) © Michel Lincourt et Harry Parnass

182

Le but est de créer un système d’éducation, de culturation et de diffusion d’informations basé sur l’infrastructure du métro, qui permettrait à la fois de connecter davantage les instances éducatives entre elles et de lier celles-ci à la ville qu’elles occupent.

En effet, le métro constituerait la colonne vertébrale du système éducatif, où les espaces vacants du métro et leurs extensions seraient réinvestis par des équipements éducatifs.

En outre, des espaces existants tels que des cinémas seraient davantage utilisés par les instances éducatives quand ils ne sont pas occupés (par exemple le matin). Ainsi, les architectes évoquent la notion «d’environnement fluide»140, c’est-à-dire de considérer que les espaces disponibles existants puissent être flexibles en terme de programmation selon les besoins. En effet, le RESO montréalais dispose déjà de tous les programmes nécessaires à un système d’éducation, notamment des lieux de restauration, librairies, laboratoires, cliniques etc., il suffit d’optimiser leur gestion.

Concrètement la réalisation de ce projet se ferait par une stratégie de «remplissage urbain» (voir Fig. 229), où chaque espace vacant/ espace sous-utilisé peut être investi par des acteurs du monde de l’éducation à un certain moment. De plus, vu que les espaces dédiés à l’éducation ne sont généralement pas rentables, Lincourt et Parnass proposent une «organisation multifonctionnelle de l’environnement urbain». Des fonctions sociales (l’éducation) sont intégrées à d’autres fonctions plus rentables telles que des bureaux, commerces ou logements, afin de réduire le déficit des fonctions sociales (voir Fig. 228 sur la page 179). On voit ainsi également l’intérêt économique d’un modèle d’éducation dispersé et intégré dans la ville, profitant de la mixité fonctionnelle projetée ou existante.

Conclusion Le cas de Berri-UQAM et le projet de recherche Metro/éducation révèlent deux éléments à retenir pour la rue de la Loi. D’abord, on voit à quel point un croisement de plusieurs lignes de métro (Berri-UQAM) combiné avec de nombreux complexes importants constitue un véritable pôle central dans la ville et rayonne dans la ville à grande échelle.

Ensuite, bien que Metro/éducation est un travail académique non-réalisé et qu’il est difficile de mesurer son impact réel, ce travail nous montre comment on pourrait pousser le rayonnement par le métro encore plus loin, en investissant des infrastructures existantes (des «ressources urbaines») en lien avec une conception mixte des fonctions dans les bâtiments en aérien. Quand on se projète sur la rue de la Loi, cela semble d’autant plus cohérent vu que la démolition/reconstruction est très importante et que le quartier peine à changer d’identité. Il s’agirait davantage d’investir l’existant de manière intelligente (temporalités, usages partagés etc.) tout en agissant de manière chirurgicale à certains endroits critiques (voir dernier chapitre sur l’îlot 130, perméabilités Nord-Sud etc.). La question des temporalités (utiliser un espace quand quelqu’un d’autre ne l’utilise pas) et des usages partagés entre le public et les fonctionnaires des institutions européennes, semble d’autant plus complexe vu le protocole sécuritaire en vigueur actuellement.

Finalement, si on suppose qu’un jour les différentes infrastructures souterraines de la rue de la Loi seront davantage valorisées, il est important de considérer la rue de la Loi comme une infrastructure à la fois locale et supralocale. En d’autres mots, cette infrastructure devrait être réaménagée comme un ensemble, un véritable «hub» qui rayonne à l’échelle de Bruxelles, de la Belgique, de l’Europe, mais qui en même temps amplifie la qualité de l’espace public et la mixité fonctionnelle au sein de la rue de la Loi.

140 Ibid., p.33

183

3.3.2 Barcelone - L’Illa Diagonal Afin de mieux comprendre les enjeux de Maelbeek et l’îlot 130 sur la rue de la Loi (qui comprend le bâtiment Loi 120 décrit précédemment), il est intéressant d’analyser l’Illa Diagonal à Barcelone. Ce projet, conçu par Rafael Moneo et Manuel de Solà-Morales lors d’un concours en 1986 et construit en 1993, est un «gratte-ciel couché» long de plus de 300 mètres implanté le long de l’Avenue Diagonale (Avenida Diagonal) à Barcelone. Cet axe majeur constitue une des principales artères d’accès à la ville de Barcelone et forme une exception dans le plan en damier très régulier conçu par Ildefonso Cerdà en 1859.

Plusieurs édifices importants sont construits de part et d’autre de cet axe (universités, centres commerciaux, tours de bureaux remarquables, parcs majeurs etc.), dont notamment l’Illa Diagonal. Le projet a surtout été apprécié pour la manière dont il s’intègre dans l’espace urbain, les liens qu’il forme à travers le traitement très ouvert de son rezde-chaussée et l’attention particulière qu’il accorde à la circulation naturelle des piétons.

En d’autres mots: les voies piétonnes du contexte définissent le tracé du projet.

Densité/Perméabilité L’intérêt d’expliquer le cas de l’Illa Diagonal vient de la manière dont les architectes créent un projet très dense tout en intégrant subtilement l’édifice dans le contexte environnant. En effet, comme l’îlot 130 sur la rue de la Loi (voir page 167), l’Illa Diagonal s’implante parallèlement à un axe de circulation majeur, formant une très longue façade en continue (voir Fig. 231). Contrairement à l’îlot 130, où la longue façade est un héritage historique, dans le cas de l’Illa Diagonal, le fait de créer un long immeuble de plus de 300m résulte surtout d’une volonté urbanistique et programmatique de faire un grand bâtiment. En effet, avant la construction de ce projet, les îlots étaient plus petits et plus fragmentés. Finalement, bien qu’à première vue l’Illa Diagonal paraît comme une masse bâtie très importante, le profil du bâtiment est segmenté en hauteur et différents reculs ont été mis en place en plan, atténuant l’effet monolithique du bâtiment.

L’Illa Diagonal se situe entre le croisement des rues Entença et Numància avec l’Avenue Diagonale, deux axes de mobilité urbaine importants141. Outre ces axes périphériques qui forment déjà des entrées vers la ville, le projet est composé à partir des autres axes environnants mineurs qui débouchent sur l’îlot. En effet, les architectes dessinent des axes piétonniers qui percent la masse bâtie au niveau du rez-de-chaussée, dont le tracé forme la prolongation des axes environnants (voir Fig. 232 et 233). Le but est entre autres d’amplifier la fonction de «porte d’entrée» de l’îlot vers la ville de Barcelone. L’îlot 130 sur la rue de la Loi n’a pas cette fonction de porte d’entrée (Arts-Loi semble plus adapté à cet égard), mais constitue néanmoins un îlot de très grande taille (comparé aux autres îlots sur la rue de la Loi), qui aujourd’hui constitue une «barrière physique» entre le sud (quartier Léopold) et le nord (quartier des squares et Saint Josse) de la rue de la Loi142.

L’îlot 130 comme l’Illa Diagonal accentue l’effet rectiligne des grands axes à côté desquels ils s’implantent, en développant des façades très longues et continues. A l’inverse de l’îlot 130 actuel, l’Illa Diagonal est percé de nombreux passages publics au niveau du rez-de-chaussée.

141 Solà-Morales, Manuel de. Illa Diagonal. Disponible sur: http://manueldesola-morales.com/proys/Illa_Diagonal_ eng.htm [consulté le 15.05.2022] 142 BUUR, Projet de pad loi Bruxelles : mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur « Loi » et de son rapport sur les incidences environnementales, 2019.

184

Fig. 231 Façade côté avenue diagonale de l’Illa Diagonal à Barcelone, conçu par Rafael Moneo et Manuel de Sola-Morales en 1992. (Extrait de: Moneo, Rafael, Solà-Morales, de Manuel. L’Illa Civic Center, Barcelona, Spain 19881993. Architecture and Urbansim. n°304, (janvier 1996), p.7) © Dida Biggi

Fig. 232 Vue d’une des allées piétonnes qui traverse l’Illa Diagonal et se prolonge dans la rue dans le même axe. (Extrait de: Martinez de Guerenu, Laura, Moran, Michel. Rafael Moneo: Remarks on 21 Works.

Thames&Hudson, Londres, 2010) © Rafael Moneo

Fig. 233 Plan du rez-de-chaussée de l’Illa Diagonal. A noter la continuité des axes environnants à travers l’îlot. (Extrait de: Martinez de Guerenu, Laura, Moran, Michel. Rafael Moneo: Remarks on 21 Works.

Thames&Hudson, Londres, 2010) © Rafael Moneo

185

Ensuite, dans le cas de l’Illa Diagonal, tout en «respectant» le profil de l’Avenue Diagonale dessinée par Cerdà et garantissant ainsi la continuité du tissu urbain, le projet s’adapte morphologiquement et programmatiquement aux quartiers à l’arrière de la façade principale. On retrouve notamment des programmes comme un parc public central entouré d’écoles, d’un centre de congrès, d’une bibliothèque et d’un hôtel, occupant tous des volumes à gabarits moins importants que la «barre» principale. Cette double adaptation n’est aujourd’hui pas présente dans l’îlot 130, alors que dans les propositions pour le concours de l’îlot 130 en 2018, on retrouve des projets qui tentent d’autant plus de s’adapter au contexte bâti, topographique et infrastructurel.

Différences de niveaux Outre cette recherche de perméabilité et de connexion aux quartiers environnants, dans le cas de l’Illa Diagonal comme pour l’îlot 130, il y a une différence de niveau plus ou moins importante entre le côté donnant sur l’axe principal (Avenue diagonale ou rue de la Loi) et le côté à l’arrière de l’îlot (quartiers plutôt résidentiels dans les deux cas). En effet, comme nous l’avons pu voir pour le cas de la station de métro Maelbeek et le bâtiment Loi 120 actuel, il existe plusieurs chemins d’accès à différents niveaux qui tantôt traversent la rue de la Loi, «l’escaladent» de part et d’autre ou alors traversent l’îlot 130. Dans leur configuration actuelle, ces espaces manquent de visibilité et de lien avec les bâtiments adjacents, ce qui explique entre autres la volonté de réintégrer les accès au métro et au parking sous la rue de la Loi de manière plus «souple» dans les projets pour le concours du Loi 130.

Au sein de l’Illa Diagonal les différences de niveau entre l’Avenue Diagonale et la rue Déu i Mata sont gérées à travers des pentes longues et douces143, accentuant la planéité et la continuité de l’espace public au sein du projet et avec le contexte environnant (voir Fig. 234).

Intégration d’infrastructures souterraines Dans le cas de l’Illa Diagonal, la dimension infrastructurelle est différente de celle que l’on retrouve au sein de l’îlot 130. Toujours dans cette logique d’assurer la continuité de différents flux à travers l’Illa Diagonal, les architectes prolongent l’axe de la rue de Constança en créant un tunnel autoroutier comprenant également un passage piétonnier, passant à travers l’îlot et en dessous de l’Avenue Diagonale (voir Fig. 234). Cette infrastructure permet à la fois de traverser l’îlot pour reconnecter les quartiers de Les Corts (Sud) et Sarrià (Nord) mais aussi d’accéder directement au parking souterrain et au centre commercial, formant ainsi une artère de distribution principale au sein du projet.

A l’inverse, l’îlot 130 n’est pas traversé mais bordé d’un axe de ciruclation important, à savoir la chaussée d’Etterbeek qui passe également à côté d’un des accès à la station de métro Maelbeek. En effet, ce qui différencie les deux projets sur le point infrastructurel est la présence du métro à proximité de l’îlot 130. Lors du concours pour l’îlot 130, les architectes sont chargés d’intégrer un accès à la station de métro Maelbeek dans leur projet, ce qui demande une attention particulière en termes d’accessibilité et de perméabilité de l’espace public.

143 Walberto, Badillo. Evolucion de los espacios colectivos de la ciudad. 3. Casps de estudio: De la Casa Bloc a l’Illa Diagonal. s.d, p. 108

186

Fig. 234 Coupes à travers le tronçon de la rue Constança, une rue qui traverse l’Illa Diagonal. Sur la coupe du haut l’avenue diagonale se trouve à gauche. On perçoit une différence de niveau assez importante entre les deux côtés du projet et on voit notamment la pente douce de l’espace public. (Extrait de: Moneo, Rafael, Solà-Morales, de Manuel.

L’Illa Civic Center, Barcelona, Spain 1988-1993. Architecture and Urbansim. n°304, (janvier 1996), p.7) © Rafael Moneo

Fig. 235 Proposition de WIT architecten avec Fletcher Priest Architects pour le Projet Urbian Loi en 2008, et ici plus particulièrement l’îlot 130 et la manière dont la station de métro est prolongée vers l’espace public. (Disponible sur: https://wit.eu/projecten/masterplan-wetstraat) © WIT architecten, Fletcher Priest Architects

187

Fig. 236 Vue à partir de la nouvelle place de Trèves telle qu’elle est conçue dans la proposition de WIT architecten avec Fletcher Priest Architects pour le Projet Urbain Loi en 2008. Ici plus particulièrement on perçoit l’espace public au niveau -1 (mezzanine), qui forme le nouveau sol urbain entre la rue de la Loi (qu’on aperçoit en face) et le métro.

(Disponible sur: https://wit.eu/projecten/masterplan-wetstraat) © WIT architecten, Fletcher Priest Architects

Fig. 237 Proposition de WIT architecten avec Fletcher Priest Architects pour le Projet Urbain Loi en 2008. L’implantation des bâtiments se fait surtout au nord de la rue de la Loi, où le niveau -1 est considéré comme sol urbain.

(Disponible sur: https://wit.eu/projecten/masterplan-wetstraat) © WIT architecten, Fletcher Priest Architects

188

Comme on le voit dans les différentes propositions pour le concours Loi 130 en 2018 (notamment celle de B2Ai, voir page suivante) mais aussi déjà dans la proposition de WIT architecten (en collaboration avec les architectes anglais Fletcher Priest Architects) en 2008 pour le Projet Urbain Loi, il existe une certaine volonté d’intégrer la station de métro Maelbeek dans l’aménagement de l’espace public voire dans le bâtiment-même (voir Fig. 235 en bas de la page 187). Bien que le dessin reste assez schématique, on perçoit des pentes faibles permettant la fluidité de l’espace public et l’accès facile aux infrastructures souterraines.

Optimisation programmatique/ libération de l’espace public Ensuite, on constate également une certaine optimisation programmatique du bâtiment, à savoir la mise en sous-sol de certains espaces comme des auditoires pour des conférences nécessitant pas de lumière. Cela permet sans doute de libérer des mètres carrés en aérien, notamment au profit d’un rez-de-chaussée plus poreux et ainsi plus accessible. En d’autres mots: l’infrastructure souterraine du métro appelle à une certaine perméabilité au niveau de l’espace public, ce qui pourrait être rendu d’autant plus possible en utilisant le sous-sol comme espace habitable pour des fonctions habituellement programmées en aérien. De plus, dans le contexte foncier du quartier européen, où chaque mètre carré «perdu» au profit de l’espace public coûte très cher, ce serait d’autant plus intéressant de profiter de l’infrastructure souterraine existante et de lier certains programmes à celle-ci en investissant le sous-sol.

A l’échelle plus globale du périmètre défini par le Projet Urbain Loi en 2008 (voir Fig. 237), WIT architecten proposent d’investir quasi uniquement les îlots côté nord de la rue de la Loi. Le fait de ne traiter qu’un seul côté de la rue de la Loi, et de ne pas résoudre ainsi le problème dans son entièreté, est sans doute un élément de réponse pourquoi cette proposition n’a pas été retenue. En effet, ils considèrent les axes orientés est-ouest comme des voies «supra-locales» (dont la rue de la Loi et la rue Joseph 2), alors que les voies nord-sud auraient un caractère plus «local», notamment à cause de leur tracé discontinu. Ainsi, ils développent une sorte de «supra-bande»144 entre ces deux axes, tout en accentuant le lien nord-sud à travers des axes traversants moins importants.

Redéfinition d’un nouveau niveau de sol urbain Cette perméablité est rendue possible par le fait qu’ils décident de redéfinir un nouveau niveau de sol urbain, à savoir le niveau «mezzanine» -1. Ce niveau se trouve entre le niveau de sol actuel de la rue de la Loi et le niveau du métro se situant encore quelques mètres plus bas. On pourrait en déduire que les architectes acceptent la rue de la Loi comme une autoroute urbaine et qu’ainsi la redéfinition du niveau de sol urbain aux alentours de cet axe, permettrait d’offir des espaces publics plus qualitatifs tout en permettant une densité de circulation importante.

En effet, ceci est la seule proposition du concours pour le Projet Urbain Loi en 2008 qui décide d’investir une partie du souterrain par des flux humains, alors que la majorité des autres propositions gardent le niveau de sol urbain existant et décident de mettre la circulation automobile dans un tunnel (Xaveer de Geyter, Rem Koolhaas ...) ou alors de la réduire massivement et ajouter un tram assurant la navette locale (Christian de Portzamparc)145.

144 WIT architecten. MASTERPLAN WETSTRAAT: groeiscenario voor de uitbreiding van de Europese Commissie. Disponible sur : https://wit.eu/projecten/masterplan-wetstraat [consulté le 25.05.2022] 145 Voir première partie

189

Fig. 238 Proposition de B2Ai architects pour le concours Loi 130 pour la Commission européenne en 2018. A noter notamment l’accès au métro, qui résulte d’une différence de niveaux entre la rue de la Loi et la rue Joseph 2.

(Disponible sur: https://afasiaarchzine.com/2019/07/c-f-moller-b2ai/c-f-moller-b2ai-la-loi-130-bruxelles-afasia-11/) © B2Ai

190

Une autre raison pour laquelle cette proposition n’a pas été retenue, est sans doute la complexité de mise en œuvre au niveau juridique, vu qu’elle demande le rachat d’une grande quantité d’immeubles de nombreuses démolitions/reconstructions, ce qui prend beaucoup de temps et n’est pas durable au niveau écologique. Une autre explication possible, comme évoquée précédemment, est l’ambition limitée et le fait de ne pas traiter l’entièreté de la rue de la Loi. Des idées réémergent...

Dix ans plus tard, on perçoit un phénomène similaire à la proposition de WIT architecten dans le projet du bureau d’architecture belge B2Ai architects pour le concours du Loi 130 dédié aux bureaux de la Commission européenne, où la différence de niveaux entre la rue de la Loi et la rue Joseph 2 est mise au profit pour intégrer l’entrée vers la station de métro Maelbeek (voir Fig. 238). Cette entrée de métro constitue l’élément principal au sein de la placette centrale que dessinent les architectes.

Ensuite, au-delà d’une simple entrée de métro, la différence de niveaux sur la parcelle de l’îlot 130, et sans doute plus généralement sur toute la «rive» nord de la rue de la Loi, permet d’ouvrir potentiellement l’infrastructure du parking en dessous de la rue de la Loi, si ce dernier devait être reconverti dans le futur (voir Fig. 238). En d’autres mots: le fait que la parcelle de l’îlot 130 se situe en contrebas par rapport à la rue de la Loi permettrait de révéler et d’ouvrir l’infrastructure souterraine de celle-ci sur l’îlot, comme nous l’avons pu voir précédemment avec le projet de WIT architecten.

Conclusion Le cas de l’Illa Diagonal à Barcelone apporte des éléments de réponse à la future réflexion par rapport au cas de Maelbeek et l’îlot 130, étant donné qu’il s’agit d’un projet dessiné à partir des flux divers qui débouchent sur l’îlot, s’intégrant ainsi fluidement dans la structure et le fonctionnement de la ville. De plus, il illustre bien la manière de laquelle on peut créer un projet très dense tout en offrant des espaces publics qualitatifs et participant activement à la continuité des flux urbains.

Dans le cas de la rue de la Loi, la volonté de créer des liens plus évidents entre les quartiers au nord et au sud mais aussi la présence des infrastructures souterraines (métro, parking à reconvertir etc.) appellent à ce genre d’architecture dessinée à partir des flux. Comme l’Illa Diadonal, l’îlot 130 est bi-orienté en termes de flux qui le bordent ou le transpercent. En effet, l’îlot fonctionne à la fois comme «plateforme de liaison» entre le nord et le sud, mais également (et cela grâce à la différence de niveaux) comme «porte d’entrée» vers le monde souterrain de la rue de la Loi, comme nous l’avons pu voir avec les projets de WIT architectent et B2Ai architects. Cette différence de niveaux entre la rue de la Loi et la rue Joseph 2 est ainsi sans doute un des points d’attention fondamentaux dans l’optique d’une future revalorisation des infrastructures souterraines de la rue de la Loi. Nous reviendrons sur ce sujet dans le chapitre suivant, à savoir l’analyse du projet pour la revalorisation du sous-sol de la Défense à Paris, dessiné par le bureau belge Baukunst.

191

3.3.3 Paris : La Défense - Baukunst Le quartier d’affaires de La Défense ainsi que le quartier Léopold sont caractérisés par une forte densité, un manque de mixité fonctionnelle, un espace public peu animé et surtout des infrastructures souterraines sous-exploitées. Afin de répondre d’une manière moins «classique» à ces différentes questions urbaines, il semble intéressant de saisir l’opportunité d’investir ces infrastructures souterraines existantes, dont notamment le parking public sous la rue de la Loi. De plus, dans un contexte (le quartier Léopold) où la démolition/reconstruction est très importante et la vie d’un bâtiment s’arrête en moyenne après environ 25 ans, les structures souterraines ne bougent pas, elles ont cette caractéristique de pérennité. En effet, celles-ci constituent des «grottes anthropiques» en béton et acier, qui restent quasi inchangées depuis les années 1950 et dont l’espace public en aérien peine à profiter.

Ainsi, le dernier cas d’étude que nous analyserons est le projet du bureau d’architecture belge Baukunst (Adrien Verschuere), qui a gagné un concours lancé par Paris La Défense146 en mars 2020, ayant pour ambition la requalification des espaces résiduels sous la dalle du quartier d’affaires de la Défense à Paris. Il s’agit plus précisément d’un bout de 350 mètres sur 80 mètres de largeur du souterrain en dessous l’Esplanade.

Il est important de préciser que dans le cas de l’espace aérien de La Défense il s’agit d’un espace public pour les piétons et non pas d’une voie automobile comme la rue de la Loi. Si la rue de la Loi devait rester une «autoroute urbaine», cela impliquerait sans doute d’autres manières d’ouvrir le souterrain vers l’espace aérien, notamment en travaillant plutôt de manière latérale comme nous l’avons pu voir dans le projet de WIT architecten (voir cas d’étude précédent). Si à l’inverse la rue de la Loi devait devenir entièrement piétonne, alors on pourrait opter pour des stratégies similaires à celles mises en place dans le projet de Baukunst pour La Défense.

Espaces interstitiels inexploités La Défense à Paris est un exemple remarquable illustrant le principe de «l’urbanisme de dalle» des années 1950, où l’idée est de mettre au sous-sol les différents flux mécaniques (voitures, trains, métro etc.), parkings, espaces logistiques et techniques etc. afin de libérer l’espace public en aérien. Aujourd’hui, le résultat consiste en une place publique très minérale (l’Esplanade), qui peine à s’intégrer au sein de la «forêt» de gratte-ciels qui l’entoure. Afin de réanimer cet espace public, Paris La Défense a la volonté aujourd’hui de revaloriser les 20 000 m² d’espaces interstitiels qui se sont accumulés depuis les années 1950 entre les différents parkings, zones techniques, tunnels ferroviaires et tunnels automobiles. En effet, cette «sixième façade»147 constitue une «mine immobilière» inexploitée, permettant notamment l’injection de nouveaux programmes au sein d’un quartier monofonctionnel comme La Défense. Le concept de Baukunst est de proposer une promenade linéaire, tantôt souterraine, tantôt en aérien, permettant de relier les différents espaces interstitiels entre eux (voir Fig. 239) tout en les connectant avec le monde aérien. Ensuite, ces espaces interstitiels sont investis par une variété de nouveaux programmes, notamment des fonctions de loisir, de sport ou encore de nature culturelle et évènementielle. Le but est d’injecter des programmes qui n’existent pas au sein de la Défense permettant d’amener d’autres publics au sein d’un quartier assez «fermé sur lui-même».

146 Paris La Défense est l’organisme public en charge de l’améngament du territoire du quartier de La Défense. Il est aussi le maître d’ouvrage et l’investisseur du projet de Baukunst.

147 Scoffier, Richard. «Cinq manières de repenser la dalle de La Défense: Dialogue compétitif concernant les volumes résiduels de Paris La Défense». D’architectures n°287 (mars 2021), p. 45

192

Fig. 239 Coupes, axonométrie et maquette du projet de Baukunst pour le réaménagement des volumes intersticiels en dessous de la dalle de La Défense à Paris. (Extrait de: Scoffier, Richard. «Cinq manières de repenser la dalle de La Défense: Dialogue compétitif concernant les volumes résiduels de Paris La Défense». D’architectures n°287 (mars 2021), p. 46) © Baukunst

193

Comme évoqué précédemment, dans le cas de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi, il faudrait d’abord déterminer la nature de l’espace public en aérien (autoroute urbaine ou rue piétonne), pour définir le niveau d’interdépendance entre le sous-sol et le monde aérien et ainsi les nouveaux programmes à mettre en place.

Points de charnière dessus/dessous La particularité de la proposition de Baukunst est qu’ils essayent d’utiliser au maximum l’existant, tout en plaçant de manière «chirurgicale» des nouveaux éléments à la charnière entre le dessous et le dessus, notamment à des endroits stratégiques comme par exemple le centre commercial Westfield-Les Quatre temps ou la Place de la Défense148. En effet, leur projet vise deux priorités: d’une part relier les différents espaces interstitiels entre-eux, et d’autre part optimiser la porosité existante entre la dalle et le sous-sol149 (voir Fig. 240 et 241). Ainsi, afin de «réconcilier» le sous-sol avec l’espace public en aérien, il faut qu’il y ait des éléments de charnière facilement identifiables, permettant la manifestation du monde souterrain dans l’espace public aérien. Baukunst conçoit notamment un anneau central, marquant l’entrée principale vers les volumes cachés au sous-sol (voir Fig. 240). Richard Scoffier, dans la revue D’architectures n°298 de mars 2021, explique ce nouveau parcours de la manière suivante: « [...] Une traversée qui sait employer à bon escient escalators, et passerelles, ascenseurs et plateformes mobiles. Un arsenal de prothèses qui protège les corps plongés dans le continuum de nappes, de failles et de puits piranésiens tout en maximalisant leurs impressions sensorielles. La création de ce parcours souterrain induit des émergences qui permettent d’assurer l’interface entre le monde du dessous et celui du dessus[...]»150. En effet, l’approche de Baukunst se base avant tout sur la gestion de la mobilité et les questions d’accessibilité au grand public, ce qui implique une certaine mise en évidence des éléments charnière entre le dessous et le dessus.

Dans le cadre de la rue de la Loi, où l’on retrouve les mêmes problèmes comme la monofonctionnalité ou le manque d’espaces publics qualitatifs, le parking souterrain est déjà assez bien «connecté» au monde aérien. En effet, une série d’entrées de parking, tantôt carrossables, tantôt piétonnes, distribuent le parking de manière assez homogène le long de la rue de la Loi (voir pages 58-59). Il s’agirait davantage d’utiliser ces porosités existantes et de les intensifier en les rendant notamment d’autant plus visibles. De plus, vu que l’infrastructure du parking prend quasi toute la largeur de la voirie et que la rue de la Loi peine à créer des liens avec les quartiers adjacents, ces entrées latérales existantes ont un potentiel d’autant plus important.

Apports de lumière et végétalisation Ensuite, on perçoit différentes manières d’apporter la lumière naturelle au sein des espaces intersticiels (patios, puits de lumière etc.), dont notamment «l’allée des Platanes», où on a supprimé une partie de la dalle (voir Fig. 242 page 196). Faute d’informations, on peut supposer que ces interstices lumineuses, au-delà d’apporter de la lumière, permettent d’atteindre le «vrai sol urbain», rendant possible la plantation des arbres en pleine terre, à l’inverse des plantations en bacs que l’on retrouve sur l’esplanade en aérien et aussi sur la rue de la Loi (notamment comme dispositif de sécurité). En effet, la végétation perd sa fonction décorative ou sécuritaire et redevient un élément performant de l’espace public, notamment en termes d’infiltration des eaux de pluie dans le sol, permettant d’alimenter les nappes 148 Paris La Defense. «Découvrez le projet qui invente une future vie sous La Défense !» Disponible sur: https://parisladefense.com/fr/actualites/article/amenagement-axe-de-la-defense/decouvrez-le-projet-qui-invente-une-future-vie-sous-ladefense [consulté le 26.05.2022] 149 Ibid.

150 Scoffier, Richard. «Cinq manières de repenser la dalle de La Défense: Dialogue compétitif concernant les volumes résiduels de Paris La Défense». D’architectures n°287 (mars 2021), p. 47

194

Fig. 240 Vue aérienne sur l’anneau central, symbolisant l’entrée vers les espaces souterrains. Projet de Baukunst pour le réaménagement des volumes intersticiels en dessous de la dalle de La Défense à Paris. (Disponible sur: defense-92.fr) © Baukunst

Fig. 241 Vue de la «Cathédrale». Projet de Baukunst pour le réaménagement des volumes intersticiels en dessous de la dalle de La Défense à Paris.

(Disponible sur: parisladefense.com) © Baukunst

195

Fig. 242 Vue de la «Traversée» ou «l’allée des Platanes» en face du FNAC (Fond national d’art contemporain). Projet de Baukunst pour le réaménagement des volumes intersticiels en dessous de la dalle de La Défense à Paris. ((Disponible sur: parisladefense.com) © Baukunst

Fig. 243 Coupe perspective retrécie du projet «Souterrain tram tunnel» de OMA (Rem Koolhaas) à La Haye aux Paysbas, 2004. On perçoit notamment les nombreux points de charnière entre le dessus et le dessous.

(Disponible sur: https://www.oma.com/projects/souterrain-tram-tunnel) © OMA

196

phréatiques. Afin de verduriser la rue de la Loi de manière durable et intelligente, il s’avère quasi indispensable d’investir le sous-sol pour y implanter de la végétation en pleine terre. En d’autres mots: au-delà du potentiel d’animation de l’espace public en aérien, le souterrain de la rue de la Loi pourrait devenir un réel écosystème performant.

Temporalité/Evolutivité A ces éléments «tangibles» évoqués précédemment, s’ajoutent les notions de temporalité voire d’évolutivité. En effet, le projet de Baukunst s’inscrit dans cette idée de respecter le plus possible l’existant tout en permettant au projet d’évoluer au fil du temps. Comme l’expliquent les maîtres d’ouvrage, «[...] l’agence imagine une évolution progressive des usages le long de la promenade souterraine. Dans un premier temps, des installations de loisirs ou culturelles permettront d’initier son potentiel. Un projet pilote qui pourrait déboucher sur l’implantation d’équipements sportifs, de commerces et de services.»151. Le fait d’intervenir de manière minimale sur les espaces existants, notamment en injectant le nécessaire en termes d’accessibilité et de fluidité spatiale, permet au projet d’évoluer dans le temps. En effet, on pourrait en déduire que ces «grottes anthropiques» demandent juste de devenir accessibles au grand public, sans que leur caractère d’origine très particulier soit altéré. On pourrait aller encore plus loin et considérer ces espaces souterrains sous-exploités comme du patrimoine.

Tunnel habité Ensuite, en complément du cas de La Défense, il est intéressant d’évoquer le projet de tunnel souterrain à La Haye du bureau d’architecture OMA (Rem Koolhaas), afin d’amener une autre approche à la discussion par rapport à une future reconversion du parking en dessous de la rue de la Loi. A l’inverse du cas de La Défense, le tunnel de 1250 mètres suivant le tracé de la Grote Markt straat au centre-ville de La Haye, n’a pas la vocation de devenir un lieu de loisir ou de culture comme le projet de Baukunst. Le projet, dont les dimensions (600m de longueur x 15m de largeur x 12m de hauteur) sont très similaires à celles de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi (600m x 15m x 25m), consiste plutôt en une mégastructure concentrant plusieurs types de mobilité (dont notamment une ligne de prémétro) et deux niveaux superposés de parking. En effet, cet espace souterrain abrite deux stations de prémétro de 200 et 150 mètres de longueur. Ainsi, cette énorme infrastructure souterraine, qui permet de desservir les bâtiments adjacents et la rue commerciale au-dessus, est d’abord traitée comme une infrastructure de mobilité regroupant une multiplicité de flux humains et mécaniques (voir Fig. 243).

Ensuite, afin d’éviter une certaine monotonie spatiale, les architectes se servent d’une série d’outils similaires à ce qu’on a pu voir dans le projet de Baukunst, à savoir la variation des largeurs et hauteurs des espaces (qui était déja partiellement donnée par l’existant dans le cas de La Défense), la mise en place d’une multiplicité de points d’accès et de puits de lumière, la mise en évidence du parking comme outil d’animation spatiale et un jeu de matérialités particulier. En effet, l’espace semble d’autant plus dynamique, notamment grâce aux dalles de parking inclinées pénétrant l’espace au-dessus des voiries, des chemins d’accès pour les piétons tantôt parallèles, perpendiculaires ou obliques par rapport aux voies de prémétro et des «boîtes de verre» lumineuses qui donnent accès au parking. De plus, ils mettent en place un sol composé de fines lamelles de bois tropique qui accentue notamment la direction des flux, atténue les nuisances sonores et participe activement à une perception plus «chaleureuse» de ce tunnel de béton (voir Fig. 244 en haut de la page 199).

151 Paris La Defense. «Découvrez le projet qui invente une future vie sous La Défense !» Disponible sur: https://parisladefense. com/fr/actualites/article/amenagement-axe-de-la-defense/decouvrez-le-projet-qui-invente-une-future-vie-sous-la-defense [consulté le 26.05.2022]

197

Finalement, on perçoit comment les architectes se servent d’une série d’outils architecturaux plus ou moins simples, qui permettent à la fois d’évoquer et de soutenir la densité de flux humains et mécaniques de ce tunnel. En effet, comme l’explique Dominique Boudet dans son article pour le magazine d’architecture AMC: « [...] l’utilisateur du tunnel dispose d’itinéraires variés pour accéder aux quais, récupérer son véhicule ou regagner le niveau de la rue. Lors de son parcours, il reste en contact visuel avec l’activité du niveau rue, peut apercevoir les voitures glissant dans le parking ou les trams déchargeant leurs voyageurs sur les quais. Loin de se sentir dans un tunnel fermé, et isolé, il se trouve dans un espace urbain animé, ouvert, varié. Et au demeurant sécurisé, les nombreuses connexions visuelles facilitant le travail de surveillance d’un personnel de sécurité assez nombreux et présent…».152 Ce projet, qui est avant tout composé d’un programme très fonctionnel, parvient, à travers la mise en place intelligente de différents éléments architecturaux, à lier le soussol au monde aérien.

A l’inverse du projet de OMA à La Haye, la manifestation de flux humains dans l’infrastructure est quasi absente dans le cas de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi. En effet, aujourd’hui, ces flux importants se concentrent de manière ponctuelle dans les stations de métro Schuman et Arts-Loi, sans que le reste de l’infrastructure souterraine en profite ou que ces flux soient clairement identifiables à partir de l’espace public.

Un «hub» de transports urbains En complément du projet de OMA à La Haye, il est intéressant d’expliquer brièvement le projet de rénovation pour l’Operaplein à Anvers conçu par Manuel de Solà-Morales en collaboration avec les architectes de A33 en 2004. Comme pour de nombreux projets de Manuel de Solà-Morales, ce nouvel espace public est dessiné à partir de l’infrastructure. En effet, le but du projet est d’offrir une nouvelle plateforme de mobilité multimodale afin de remplacer le carrefour routier préexistant, tout en proposant le réaménagement de l’espace public en aérien. Le projet comprend le réaménagement du croisement entre deux stations de prémétro, un parking souterrain, des tunnels de by-pass autoroutiers, une station de bus etc. un parking à vélos. Ainsi, par rapport aux deux cas expliqués précédemment, le projet de Solà-Morales correspond déjà plus au cas de la rue de la Loi, parce qu’il y a également une circulation automobile préexistante très importante. Ainsi, comme dans certaines propositions pour le concours du Projet Urbain Loi en 2009, pour l’Operaplein on décide de rediriger les flux automobiles dans un tunnel de by-pass souterrain, permettant le développement d’une zone piétonnisée et dédiée aux modes de circulation doux en aérien.

Comme évoqué précédemment, le but du projet de Solà-Morales est d’intégrer les infrastructures souterraines dans l’espace public aérien, afin de «casser» l’idée d’une séparation fonctionnaliste entre des éléments techniques et l’espace public. En d’autres mots: au lieu de créer une place détachée du sol, Solà-Morales conçoit l’espace public à partir de l’infrastructure souterraine.

Les outils architecturaux utilisés pour connecter physiquement et visuellement l’infrastructure souterraine à l’espace public en aérien sont très similaires aux deux cas expliqués précédents. En effet, un puit de lumière de 20m de largeur regroupant différents moyens de circulation verticales illumine le sous-sol en profondeur. Il constitue à la fois l’élément charnière entre le dessus et le dessous et la «rotule» d’échange entre les différents niveaux du souterrain (voir Fig. 245).

152 Boudet, Dominique. «Galerie souterraine à La Haye, un tunnel de 1250 mètres conçu par OMA regroupe deux stations de tramway, un parking et un musée de l’affiche». AMC, publié le 1er février 2005. Disponible sur : https://www.amc-archi. com/article/galerie-souterraine-a-la-haye-un-tunnel-de-1-250-metres-concu-par-oma-regroupe-deux-stations-detramway-un-parking-et-un-musee-de-l-affiche.13208 (consulté le 21.05.2022)

198

Fig. 244 Image du projet «Souterrain tram tunnel» de OMA (Rem Koolhaas) à La Haye aux Pays-bas, 2004. On perçoit notamment les nombreux points de charnière entre le dessus et le dessous. (Disponible sur: https://www.oma. com/projects/souterrain-tram-tunnel) © OMA

Fig. 245 Isométrie éclatée illustrant les différentes couches du projet pour le réaménagement de l’Operaplein à Anvers par Manuel de Solà-Morales en collaboration avec a33 architecten. (Disponible sur: http://manueldesola-morales.com/proys/Operaplein_eng.htm) © Manuel de Solà-Morales

199

De plus, on perçoit également des relations visuelles entre les différents niveaux infrastructurels tels que le parking de 400 places et les stations de prémétro situées à différents niveaux (voir Fig. 247). Ces perméabilités visuelles internes permettent d’amplifier la qualité spatiale et de créer des relations plus souples entre chaque infrastructure souterraine. Elles clarifient la complexité de ce nœud multimodal en facilitant notamment le sens de l’orientation pour les différents usagers.

Finalement, quand on compare le projet pour l’Operaplein avec l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi, on perçoit plusieurs similitudes et différences. En effet, la rue de la Loi est ponctuée de plusieurs pôles multimodaux à diverses échelles différentes (Arts-Loi avec le croisement des 4 lignes de métro, Maelbeek en lien avec la chaussée d’Etterbeek et le réseau de bus et Schuman avec les voies ferroviaires) ce qui fait qu’il n’y a pas cette polarité centrale qu’on retrouve dans le projet de Solà-Morales. Chaque pôle de mobilité sur la rue de la Loi s’adresse à un public différent et comporte des rayons d’influence territoriale variables, ce qui mène à considérer l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi comme un seul pôle multimodal. Le parking souterrain pourrait ainsi servir d’espace public souterrain créant la connexion entre ces pôles de mobilité, tout en augmentant la qualité urbaine en aérien à travers différents outils architecturaux énoncés précédemment.

Conclusion Le parking public en dessous de la rue de la Loi est largement sous-exploité, ce qui pose la question de sa potentielle future reconversion. Les trois cas expliqués dans ce dernier chapitre apportent des éléments de réponse à ce sujet. D’abord, dans le cas de La Défense, les espaces souterrains constituent le «négatif» d’une accumulation d’infrastructures existantes, ce qui appelle à un projet de retissage chirurgical nécessitant une étude méticuleuse de la structure existante. Ensuite, le projet d’OMA à La Haye consiste en une nouvelle construction, illustrant la planification an amont d’une infrastructure très similaire (au niveau des fonctions et des dimensions) à celle en dessous de la rue de la Loi. Bien que l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi est conçue comme un seul objet infrastructurel dès le départ, celle-ci est dessinée de manière très fonctionnelle et les différents espaces ne communiquent peu ou pas entre eux. En effet, les différents «pôles de mobilité» sur la rue de la Loi sont dissociés les uns des autres, ce qui pose la question du rôle du parking souterrain qui se situe entre celles-ci. Comme nous l’avons pu voir dans le projet de Manuel de Solà-Morales pour l’Operaplein à Anvers, il s’agirait de reconnecter les différents espaces souterrains de la rue de la Loi à travers plusieurs outils architecturaux, dont notamment des fenêtres ouvertes ou encore des puits de lumière ponctuels.

En effet, dans les trois cas analysés, on perçoit la mise en place une série d’outils, qui permettent à la fois de reconnecter des espaces souterrains entre eux, de casser la monotonie de «l’effet tunnel» et de lier l’univers du dessous au monde du dessus. Il s’agira d’adopter des stratégies similaires, afin de reconnecter le souterrain de la rue de la Loi avec les autres infrastructures souterraines, l’espace public, les bâtiments adjacents et les quartiers environnants.

Au final, la transformation du parking sous la rue de la Loi dépend avant tout de la politique de mobilité et de stationnement de la Ville de Bruxelles. Ce n’est probablement qu’en redéfinissant ces enjeux, qu’une transformation du parking sous la rue de la Loi pourrait se faire dans le futur.

200

Fig. 246 Image du puits d’accès principal du projet pour le réaménagement de l’Operaplein à Anvers par Manuel de Solà-Morales en collaboration avec a33 architecten. On perçoit notamment des lignes rouges verticales qui accetuent le lien entre les différents niveaux souterrains. (Disponible sur: https://www.vlaamsbouwmeester.be/nl/instrumenten/open-oproep/projecten/oo06b25-antwerpen-operaplein-antwerpen) © Michiel de Cleene

Fig. 247 Image du concours illustrant la relation visuelle entre les quais du prémétro et le parking souterrain. Projet pour le réaménagement de l’Operaplein à Anvers par Manuel de Solà-Morales en collaboration avec a33 architecten.

(Disponible sur: http://manueldesola-morales.com/proys/Operaplein_eng.htm) © Manuel de Solà-Morales

201

202

Conclusion Bien que l’urbanisme souterrain s’est assez peu propagé à Bruxelles, nous constatons que quelques «embryons» remarquables apparaissent avec une caractéristique commune: ils sont toujours attachés au réseau de métro. En effet, tantôt pour des raisons commerciales (de Brouckère et Rogier), tantôt pour des raisons économiques ou touristiques (Gare centrale et rue de la Loi), le métro fonctionne comme un aimant pour les flux et les bâtiments adjacents.

Ensuite, nous avons identifié trois points d’intensité sur la rue de la Loi, qui évoquent une relation particulière avec le monde souterrain.

Ces trois endroits ont chacun leur spécificité, à savoir la caractéristique de «pôle de mobilité» pour Arts-Loi, l’effet du métro de Maelbeek sur la perméabilité des intérieurs d’îlots adjacents et la sous-exploitation du parking public en dessous de la rue de la Loi, dont une éventuelle transformation pourrait avoir un effet valorisant sur la rue de la Loi et son contexte proche.

Finalement, nous avons analysé trois cas d’études complétés par des cas secondaires, qui évoquent des caractéristiquess spécifiques à chacun des cas énoncés précédemment. Ils permettent de révéler une intensification des spécificités de chaque endroit identifié sur la rue de la Loi et d’illustrer le potentiel du souterrain de la rue de la Loi.

203

Conclusion

204

L’objectif du mémoire était d’examiner, après une analyse historique de la rue de la Loi, si le souterrain de cette rue pouvait constituer un levier d’action valorisant dans le développement futur d’un projet de réaménagement.

L’analyse historique nous a permis de constater que la rue de la Loi est caractérisée par trois phases d’urbanisation principales. A partir de la fin du 19ème siècle, elle devient un axe symbolique important de Bruxelles. En effet, elle regroupe une série de bâtiments majeurs du jeune Royaume belge tout en affirmant son caractère d’axe métropolitain pénétrant la ville de Bruxelles.

Cette métropolisation est ensuite amplifiée par l’arrivée des institutions européennes à la fin des années 1950, se matérialisant par la construction massive de bureaux sans planification au préalable, la spéculation immobilière ayant été le principal moteur de développement de l’urbanisme de la rue de la Loi. La densification en hors-sol est accompagnée par la construction d’un énorme parking souterrain, l’éventrement pour le métro et la gare multimodale de Schuman. La rue de la Loi devient une véritable « mégastructure », un cas unique à Bruxelles.

La dernière phase clé représente la tentative de mise en œuvre d’un projet de reconfiguration des institutions européennes à Bruxelles à partir des années 2000. C’est ainsi que le Projet Urbain Loi visait à mettre fin à cette situation chaotique. Il révèle de nombreuses questions urbaines spécifiques à la rue de la Loi, qui semblent revenir d’époque en époque, voire s’intensifier au fil du temps.

Chacune de ces questions – la densité, la mixité fonctionnelle, la symbolique du pouvoir, le patrimoine, le lien entre la protection sécuritaire et la qualité de l’espace public, et les infrastructures souterraines - se présente de manière intense et concentrée sur la rue de la Loi. Un thème en particulier - le monde souterrain - semble très caractéristique de la rue de la Loi mais peu exploité jusqu’à présent. En effet, cet axe métropolitain constitue un exemple remarquable en ce qui concerne les réseaux souterrains bruxellois, notamment en raison de sa taille, la diversité d’infrastructures entremêlées, mais aussi en termes de connectivité aux réseaux majeurs de Bruxelles, de la Belgique voire de l’Europe entière. Cela nous a donc mené à explorer en quoi cette infrastructure souterraine pourrait constituer un levier d’action valorisant dans un futur projet de développement de la rue de la Loi, notamment en s’intéressant plus particulièrement à son lien avec l’espace public.

Nous avons identifié trois points d’intensité sur la rue de la Loi évoquant une relation particulière avec le monde souterrain. Ces trois endroits ont en effet, chacun leur spécificité, à savoir la caractéristique de «pôle de mobilité» pour Arts-Loi, l’effet du métro de Maelbeek sur la perméabilité des intérieurs d’îlots adjacents et la sous-exploitation du parking public en dessous de la rue de la Loi. Finalement, afin de soutenir l’hypothèse du souterrain comme outil valorisant pour la rue de la Loi, nous avons analysé trois cas d’études complétés par des cas secondaires, évoquant des caractéristiques spécifiques à chacun des endroits identifiés sur la rue de la Loi. Pour qu’une infrastructure souterraine « fonctionne », les différents exemples (Montréal, La Défense, La Haye, Anvers…)

205

206

analysés illustrent une variété de caractéristiques, notamment des entrées clairement identifiables, une optimisation fonctionnelle, des manières diversifiées d’éclairer le sous-sol, des espaces intérieurs publics ou encore des relations visuelles entre les espaces souterrains. Aujourd’hui, le souterrain de la rue de la Loi est largement sous-valorisé, alors qu’il répond potentiellement à plusieurs problématiques de cet axe.

Dans un contexte comme le quartier Léopold, où la densité est un réel défi avec une importante spéculation immobilière et où chaque mètre carré disponible est bâti, le souterrain constitue sans aucun doute une solution intéressante.

Bien que celui de la rue de la Loi ne peut absorber à lui seul l’entièreté de la densification future, la surface en aérien peut être optimisée par la mise au sous-sol de certaines fonctions spécifiques. En effet, comme l’illustre le projet de WIT architecten pour le Projet Urbain Loi, on pourrait imaginer de mettre au souterrain des salles de conférence ou d’autres espaces nécessitant peu ou pas de lumière naturelle. Toujours dans cette logique d’optimisation des espaces, ces nouveaux espaces souterrains, dédiés habituellement uniquement aux institutions européennes, pourraient également être partagés avec le public à des moments spécifiques, notamment le weekend.

Ensuite, le souterrain de la rue de la Loi peut contribuer à assurer la mixité fonctionnelle. Par sa situation, il agit comme un « hub de mobilité » avec les nombreuses lignes de métro, la gare de Schuman et le réseau ferroviaire. Ceci assure le flux et la présence de nombreuses personnes venant de tous les horizons. Des programmes accessibles au public, ainsi que des fonctions liées aux institutions européennes, pourraient être injectés dans le sous terrain. En effet, vu que l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi est détenue par la Région de Bruxelles-Capitale, il est sans doute plus facile d’utiliser cet espace comme vecteur de mixité plutôt que l’aérien, où un grand nombre d’acteurs, de contraintes légales et de demandes fluctuantes de la Commission européenne et de la Région Bruxelles-Capitale rendent les projets urbanistiques très difficiles, voire impossibles.

En investissant le parking souterrain avec une série de fonctions initialement programmées en aérien, la hauteur de ces bâtiments pourrait être diminuée, ce qui permettrait de réduire son impact sur le patrimoine environnant. De plus, le parking sous la rue de la Loi témoigne d’une des phases les plus transformatrices de cet axe et pourrait donc être considéré comme une véritable pièce patrimoniale en soi. A l’image du projet de Baukunst pour le souterrain de la Défense, lors d’une éventuelle reconversion de l’infrastructure souterraine de la rue de la Loi, il faudra être vigilant à conserver au maximum l’existant, notamment pour des questions de qualité spatiale et de matérialité. En effet, les nombreuses rampes hélicoïdales, mais aussi les voies d’accès passant à travers certains bâtiments, constituent des éléments clés à rendre visible à partir de l’espace public en aérien.

Finalement, le souterrain de la rue de la Loi pourrait également apporter une réponse à la protection sécuritaire des institutions européennes et à l’intégration de cet axe à son contexte. La mise au sous-sol des entrées vers les bureaux des institutions européennes permettrait de libérer l’espace public en aérien d’un phénomène très caractéristique de la rue de la Loi, à savoir une succession de couches sécuritaires encombrantes. De plus, comme nous avons pu le voir avec le projet de B2Ai pour le Loi 130, ces nouveaux accès au souterrain permet207

208

traient davantage d’accentuer la perméabilité des îlots adjacents à l’infrastructure souterraine. En effet, à l’image notamment de l’Illa Diagonal à Barcelone, les multiples accès latéraux de l’infrastructure souterraine, prolongés à travers les intérieurs d’îlots, permettraient de reconnecter la rue de la Loi aux quartiers environnants.

La seule question à laquelle l’utilisation du sous terrain ne répond pas, est celle de la symbolique du pouvoir. Depuis l’arrivée des institutions européennes, cette symbolique a toujours été une question paradoxale, sans vision claire et déterminée. En fait, l’utilisation du sous terrain pourrait, au contraire, agir comme « plateforme citoyenne » offrant un lien entre le public et les institutions.

Ce travail ne peut pas se conclure sans revenir sur le Projet Urbain Loi. En effet, il partait d’une bonne intention, c’est-à-dire d’offrir notamment davantage de mixité à la rue de la Loi et de rendre son espace public plus agréable, tout en densifiant considérablement. Mais la « grande idée » de concentrer les bureaux de la Commission européenne sur la rue de la Loi pour libérer des bureaux ailleurs et y faire du logement, s’est perdue au fil des années. Les nombreuses tentatives de mise en place d’une base légale pour le projet de Portzamparc ont en effet toutes échouées. Cette défaillance des outils urbanistiques est visible par les transformations récentes sur la rue Belliard. En effet, on remarque notamment l’immeuble Trebel de Jaspers&Eyers au Belliard 80, le Belliard 40 de Pierre Lallemand & Partners ou encore le futur projet de tour de Art&Build situé à la place de la pompe à essence au Belliard 86. Tous ces projets sont des bâtiments considérablement plus hauts que leur contexte, posant la question de l’utilité d’un cadre urbanistique, si de toute façon « tout est possible ».

Le 12 mai 2022, la Région de Bruxelles-Capitale a décidé d’annuler le Projet Urbain Loi au profit d’une nouvelle vision urbanistique dépassant le périmètre de la rue de la Loi. Les intentions de ce énième projet pour le quartier Léopold sont certes louables, mais largement identiques à celles de toutes les autres versions du Projet Urbain Loi, en mettant à nouveau l’accent sur des sujets bien connus : la mixité fonctionnelle, la qualité de l’espace public, la relation au patrimoine, etc. Bien que quelques rares projets sur la rue de la Loi ont tenté de respecter ces différentes caractéristiques (la tour « The One », la tour « Copernicus », …), ils semblent peu convaincants. Au vu des multiples problèmes depuis plus de 15 ans, l’abandon du Projet Urbain Loi est sans doute la seule décision possible. Néanmoins, cette annulation marque un aveu d’échec important de l’urbanisme et de la planification bruxelloise.

Il est certain que le réaménagement de la rue de la Loi et du quartier environnant reste un défi exceptionnel au niveau urbanistique. L’intégration du souterrain dans une vision future, ouvre sans aucun doute de nouvelles opportunités, telles que la stabilité à long terme, caractéristique de cette infrastructure. La gestion des projets liés au souterrain sera d’autant plus facile et efficace étant donné que la Région de Bruxelles-Capitale en est l’unique propriétaire.

Est-ce que les acteurs impliqués dans la nouvelle vision, auront l’audace de s’y aventurier ? Affaire à suivre…

209

Bibliographie

210

Ouvrages Attali, Jean, Samyn, Philippe. Europa: Conseil européen et Conseil de l’Union européenne. Lannoo, 2013.

Barles, Sabine, et al. L’urbanisme souterrain. Presses Universitaires De France, Paris, 1995.

Boisvert, Michel. Montréal et Toronto. Villes intérieures. Les Presses de l’Université de Montréal, Montréal, 2011.

Bussière, Eric, et al. Die europäische Kommission (1973-1986): geschichte und erinnerungen einer institution. Commission européenne, Bruxelles, 2014.

Carez, Christian, et.al. Bruxelles Art Déco : 1920-1930. Norma Editions, Paris, 1996.

Culot, Maurice. Bruxelles 100 ans d’architecture: 1910-2010. AAM Editions, Bruxelles, 2013.

De Beule, Michel, et al. Bruxelles, histoire de planifier: urbanisme aux 19e et 20e siècles. Mardaga, Bruxelles, 2017.

De Beule, Michel, et al. Bruxelles, ses bureaux, ses employés. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale : La Fonderie, Bruxelles, 2009.

Deglise, Fabien. Montréal souterrain. Sous le béton le mythe. Héliotrope, Québec, 2008.

Demey, Thierry. Bruxelles, capitale de l’Europe : quartier Léopold, quartier royal, quartier de squares, Cinquantenaire, Berlaymont, Juste Lipse, Espace Léopold.

Badeaux, 2007.

Demey, Thierry. Les transports publics bruxellois: De l’omnibus à cheval au métro (1835-2030). Badeaux, Woluwe-Saint-Lambert, 2019.

Demey, Thierry. Bruxelles, des remparts aux boulevards: sur les traces de six siècles de mutation. Badeaux, Woluwe-Saint-Lambert, 2013.

Demey, Thierry. Bruxelles, chronique d’une capitale en chantier: 1. Du voûtement de la Senne à la jonction Nord-Midi. Paul Legrain, Bruxelles, 1992.

Demey, Thierry. Bruxelles, chronique d’une capitale en chantier: 2. De l’Expo ‘58 au siège de la C.E.E. Paul Legrain, Bruxelles, 1992.

Dumont, Paula, et al. Bruxelles, 175 and d’une capitale. Mardaga, Sprimont, 2005.

Graw, Isabelle, et al. Vacant city. Brussels’ Mont des Arts reconsidered. Nai Publishers, Rotterdam, 2000.

Hein, Carola. The Capital of Europe: Architecture and Urban Planning for the European Union. Praeger, 2004.

211

Lamant, Ludovic. Bruxelles chantiers: Une critique architecturale de l’Europe. Luw Editeur, 2018.

Lortie, André, et al. Les années 60: Montréal voit grand. Centre canadien d’architecture / Douglas and Mcintyre, Montréal / Vancouver, 2004.

Mangin, David, et al. Mangroves urbaines. Du métro à la ville: Paris. Montréal. Singapour. Editions La Découverte, Paris, 2016.

Martinez de Guerenu, Laura, Moran, Michel. Rafael Moneo: Remarks on 21 Works.

Thames&Hudson, Londres, 2010.

Ministère des travaux publics. Bruxelles: carrefour de l’occident. Ministère des travaux publics, Bruxelles, 1956.

Novgorodsky, Léonide. Le pré-métro de Bruxelles. La technique des travaux, Liège, 1970.

Plissart, Marie-Françoise, et al. Change: Brussels Capital of Europe. Prisme Editions, Bruxelles, 2005.

Ryckewaert, Michael. Building the Economic Backbone of the Blgian Welfare State: Infrastructure, planning and architecture 1945-1973. 010 Publishers, Rotterdam, 2011.

Traumnovelle. Eurotopie. Editions de la Féderation Wallonie-Bruxelles, Cellule architecture, Bruxelles, 2018.

Union européenne. Unir des peuples. Associer des états nations: L’Europe à travers les affiches. Europa Grafica , 1995.

Revues et périodiques D’Huart, Thierry. «Victor Besme: Un «voyer» aux multiples facettes. Bruxelles patrimoines. Dossier Victor Besme. Région de Bruxelles-capitale, n°21 (Décembre 2016), p. 6-25.

Dijk, Pauline van. Immeubles à appartements de l’entre-deux-guerres. Bruxelles: Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, 2006.

Contesse, Audrey. Loi de consensus. A+, n°217 (avril-mai 2009) Eggericx, Laure. Si le Résidence Palace m’était conté. Les nouvelles du patrimoine: Brussels Art Nouveau Art Déco Festival. Association des Amis de l’Unesco, n°158 (mars, avril, mai, juin 2018), p. 21-24.

Gerrewey, Christophe Van. Opus 160. A+, n°244 (octobre-novembre 2013), p.20-21 Heymans, Vincent. Le quartier des squares. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, 1995.

212

Jacques Ricquier, ‘A l’approche des élections communales. A chacun son métier’, Routes, 3 (1952, n°7), pp.291-293.

Laconte, Pierre. 080 Lexique du non-urbanisme: Accords de coopération. BRU/ EUR. A+, n°184 (octobre-novembre 2003), p.80-81.

Leloutre, Géry. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. Les bâtiments élevés de Belgique, A+, n°209 (décembre 2007-janvier 2008) p. 30-41.

Loze, Pierre. Jean Nouvel: un projet pour le Berlaymont. A+, n°128 (juin-juillet 1994) p. 66-70.

Norman, Anne. 1992, Bruxelles capitale de l’Europe. L’architecture des années 1990, n°166. Association des Amis de l’Unesco, n°166 (janvier,février,mars 2021) p.19-23.

Rafael Moneo/ Manuel de Solà-Morales, L’Illa Civic Center, Barcelona, Spain 1988-1993. Architecture and Urbansim. n°304, (janvier 1996), p.6-21.

Ricquier, Jacques. ‘A l’approche des élections communales. A chacun son métier’, Routes, 3, n°7, (1952) p.291-293.

Scoffier, Richard. «Cinq manières de repenser la dalle de La Défense: Dialogue compétitif concernant les volumes résiduels de Paris La Défense». D’architectures n°287 (mars 2021), p. 44-55.

Sterken, Sven. «Bruxelles, ville de bureaux: Le Berlaymont et la transformation du quartier Léopold.». Bruxelles patrimoines. Dossier Ateliers, Usines et Bureaux.

Région de Bruxelles-capitale, n°015-016 (Septembre 2015), p. 102-117.

Vermeersch, Laurent. Rue de la Loi: attendre que le vent tourne. A+, n°260 (juin-juillet 2016) p. 60-64.

Xaveer de Geyter Architecten, et al. XDGA, Xaveer de Geyter, 2005-2020: politicla animals. El croquis, Madrid, 2020.

Travaux de recherche Aureli, Pier Vittorio, et al. Brussels - A Manifesto: Towards the Capital of Europe.

NAi Publishers, 2007.

Barroca, Bruno, et al. Penser la ville et agir par le souterrain. Presses de l’Ecole nationale des ponts et chaussées, Paris, 2014.

BOGDAN & VAN BROECK, «Towards een multifonctionele quartier européen. Guidelines for future projects in the European neighbourhood», 2014.

Burniat, Patrick. Le quartier Léopold à Bruxelles. Université libre de Bruxelles, mémoire de fin d’études, 1982.

Centre d’etude, de Recherche et d’Action en Architecture (CERAA). Bruxelles, lecture d’une ville. CERAA-asbl, ISA St Luc, Bruxelles, s. d.

213

Lincourt, Michel, Parnass, Harry. Metro/education. Université de Montréal (UdeM), Faculté de l’Aménagement, Montreal, 1970.

Sterken, Sven ; De Moffaerts, Jan. Centre Monnaie, Brussel: Architectural Study and Heritage Value Assessment, 21 novembre 2019.

Vandenweghe, Thomas. «Le Centre Historique de la ville comme point focal de la mobilité urbaine: illustration d’un concept à travers du Centre Monnaie». Mémoire de fin d’études, Faculté d’architecture La Cambre Horta de l’ULB, 2015-2016.

Walberto, Badillo. Evolucion de los espacios colectivos de la ciudad. 3. Casps de estudio: De la Casa Bloc a l’Illa Diagonal. s.d Autres sources écrites Agence de développement territorial. Projet de règlement régional d’urbanisme zoné pour le projet urbain loi, 2013.

ATENOR, «The One Brussels Europa. Living in the beating heart of Europe», brochure pubilicitaire, s.d Beliris. Dossier de presse : Démarrage des travaux de rénovation de la station de métro Arts-Loi, publié le 18.4.2011. Disponible sur: beliris.be [consulté le 01.06.2022] Berckmans, Caroline, Genon, Marie-Hélène.Le quartier Nord-Est, les squares et leurs abords: histoire du développement urbanistique. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, s. d Berlaymont 2000: rénovation. Berlaymont 2000, Bruxelles, s.d.

BUUR, Projet de pad loi Bruxelles : mission d’élaboration du projet de Plan d’Aménagement Directeur « Loi » et de son rapport sur les incidences environnementales, 2019.

Bruxelles Mobilité. Be Goodmove be.brussels Plan régional de mobilité 20202030.

Colson, L. Demande de «démolir les immeubles sis rue de la Loi 28/30 et 32 et avenue des Arts 24 et 25 et y reconstruire un bâtiment à usage de bureaux». (AVB TP 82608) DTZ Research. Inventaire des immeubles et propriétaires des îlots de part et d’autre de la rue de la loi, 2008.

European Commission. Group of Policy Advisers. Brussels, capital of Europe: final report, october 2001. 2001.

Ministère des communications. Métro ? Oui !, 3ème édition, s.d.

214

Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Synthèse des ateliers thématiques organisés par perspective d’octobre 2021 à janvier 2022: Forme urbaine et patrimoine, espace public et mobilités, adaptation au changement climatique et services ecosystémiques, logement et services de proximité, bureaux, circularité et occupation temporaire. 2022 Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Rapport de Atelier n°1 Forme urbaine et patrimoine, octobre 2021.

Perspective. brussels. Quartier européen. Vision partagée: Rapport de l’Atelier n°4 Logement et services de proximité, décembre 2021.

Perspective.brussels. Quartier éuropéen - Vision partagée: Rapport de l’atelier n°2 Espace public et mobilité, décembre 2021. Intervention de Benoît Moritz (MSA).

Perspective.brussels. Quartier éuropéen - Vision partagée Rapport de l’atelier n°2 Espace public et mobilité, décembre 2021. Intervention de David Pinto (Bruxelles Mobilité) Roggemans, Marie-Laure, et al. Schéma directeur: quartier européen. Avril 2008.

Disponible sur: https://perspective.brussels/sites/default/files/documents/QE_ Schema_directeur.pdf [consulté le 10 janvier 2022] Space Syntax. Etude: La morphologie spatiale des quartiers européens. Partie A. Diagnostic de la strcuture spatiale existante. Space Syntax, Bruxelles, 2007.

Berckmans, Caroline, Genon, Marie-hélène.Le quartier Nord-est, les squares et leurs abords: histoire du développement urbanistique. Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale, Direction des Monuments et des Sites, Bruxelles, s. d Bibliothèque royale Albert 1er. 50 ans architecture Bruxelles. CERAA, Bruxelles, 1989.

Articles de presse Atelier de Recherche et d’action Urbaines asbl (ARAU). Réaménagement du Boulevard Clovis : il est temps de prendre en compte la valeur patrimoniale de nos espaces publics historiques !. ARAU, Bruxelles, 21 décembre 2020. Disponible sur internet: https://www.arau.org/fr/reamenagement-du-boulevard-clovis/ [consulté le 17 janvier 2022] Archi Urbain. ISALA : le pacte vert d’Immobel avec le quartier européen. Publié le 19 juillet 2021. Disponible sur: https://www.archiurbain.be/?p=9903 [consulté le 6 juin 2022] Couvreur, Daniel .«Le Charlemagne revu et corrigé par un Chicagolais». Le Soir, publié le 7 décembre 1995. AVB DD 532 Deglume, Pauline. Bruxelles reprend la main sur la parking Loi et son millier de places. Bruxelles : L’Echo, 28 mars 2019. Disponible sur internet: https://www. lecho.be [consulté le 20 février 2022]Duplat, Guy. Rue de la Loi: les enjeux d’un concours. La Libre, publié le 22 avril 2009. Disponible sur: https://www.lalibre.be/ culture/arts/2009/04/23/rue-de-la-loi-les-enjeux-dun-concours-VYIN6XTV5JAIDJFUYX7FCNMX5U/ [consulté le 16 mars 2022] 215

Fabergé, Robert. De la flèche ...au métro. Femmes d’aujourd’hui, n°1410 (1975), p. 86-91. Archives personnelles Finet, G. Le matériel du métro de Bruxelles. La vie du rail. «Le matériel du métro de Bruxelles». n°1528 (1er février 1976), p. 4-6. Archives personnelles Gonzhe, Nathan. «La galerie Monnaie va disparaître Le centre Monnaie va être rénové. Ouverture probable en 2016.». La Libre, le 29.10.2013. Disponible sur internet: https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/2013/10/29/la-galerie-monnaie-va-disparaitre-YEOGMMD6YVHQLCWWFXDBF7DWZI/#:~:text=Le%20 centre%20Monnaie%20va%20%C3%AAtre,Ouverture%20probable%20en%20 2016.&text=La%20galerie%20commer%C3%A7ante%20du%20centre,inoccup%C3%A9s%20ou%20%22%C3%A0%20remettre%22. [consulté le 27 mars 2022] Masse, Jean-Paul, et al. Bruxelles: du prémétro au vrai métro. La vie du rail.

«Bruxelles: du prémétro au vrai métro», n°1575 (9 janvier 1977), p. 6-13.

Mikolajczak, Charlotte. (2007, 14 mars). Retour des tours à Bruxelles. La Libre.

Disponible sur internet: https://www.lalibre.be/economie/entreprises-startup/2007/03/15/retour-des-tours-a-bruxelles-C6TW4XODYVHRDE6EIQ2SCCEH6I/ [consulté le 23 mars 2022] RTBF. «Caldendrier respecté pour le chantier de la future gare Schuman». Publié le 06.07.2012. Disponible sur : https://www.rtbf.be/article/calendrier-respectepour-le-chantier-de-la-future-gare-schuman-7800336 [consulté le 01.06.2022] Solages, Anne. Enfin, nous aurons le métro à Bruxelles. Femmes d’aujourd’hui, n°1087 (mars 1966), p. 36-38.

Vantroyen, J.-C. «Le Conseil des ministres de la C.E.E flanquera le rond-point Schuman en 1992», publié en 1986. (AVB, DD532) Liens internet Belrail. Ligne 161 : Bruxelles-Nord - Namur. Disponible sur: https://www.belrail. be/F/infrastructure/lignes/161.html [consulté le 1er juin 2022] Boudet, Dominique. «Galerie souterraine à La Haye, un tunnel de 1250 mètres conçu par OMA regroupe deux stations de tramway, un parking et un musée de l’affiche». AMC, publié le 1er février 2005. Disponible sur : https://www.amcarchi.com/article/galerie-souterraine-a-la-haye-un-tunnel-de-1-250-metresconcu-par-oma-regroupe-deux-stations-de-tramway-un-parking-et-un-museede-l-affiche.13208 (consulté le 21.05.2022) D. Demonie (ingénieur principal). «Bruxelles Schuman, du nouveau !». Le Rail (Septembre 1973). Publié le 7 novembre 2012 sur https://rixke.tassignon.be/ spip.php?article1220&lang=fr [consulté le 6 mai 2022] Gares belges. La gare de Bruxelles Schuman (5 vues / 1 plan / 1 article). Disponible sur : http://www.garesbelges.be/brux/bruxelles_schuman.htm [consulté le 6 mai 2022]

216

Montois Partners Architects. CHARLEMAGNE 1000 Bruxelles / Belgique.

Disponible sur : http://www.montois.be/projects/charlemagne.html [consulté le 19 mars 2022] Montois Partners Architects. EUROSQUARE 1040 Etterbeek / Belgique Disponible sur : http://www.montois.be/projects/eurosquare.html [consulté le 19 mars 2022] Musée du tram urbain Bruxellois. Rue de la Loi (1897). Posté le 22 mai 2017. Disponible sur : https://trammuseum.brussels/rue-de-la-loi-1897/ [consulté le 9 mars 2022] Paris La Defense. «Découvrez le projet qui invente une future vie sous La Défense !» Disponible sur: https://parisladefense.com/fr/actualites/article/amenagement-axe-de-la-defense/decouvrez-le-projet-qui-invente-une-future-vie-sous-ladefense [consulté le 26.05.2022] Patrimoine.brussels. L’inventaire légal du Quartier-Léopold: liste des immeubles publiée au Moniteur Belge du 24/06/1994. Disponible sur: http://patrimoine.brussels/liens/inventaires/liste-quartier-leopold [consulté le 6 juin 2022] Perspective.brussels. Quartier européen. Perspective.brussels.

Disponible sur : https://perspective.brussels/fr/projets/poles-strategiques/quartier-europeen#:~:text=Le%20Projet%20urbain%20Loi%20(PuL)%20porte%20 sur%20la%20cr%C3%A9ation%20de,240.000%20m%C2%B2%20de%20nouveaux%20bureaux. [consulté le 25 mai 2022] Perspective. brussels. Quartier européen : Projet de Rafael De La-Hoz Arquitectos & Perkins+Will lauréat du concours international d’architecture ‘Loi 130’. Publié le 10 juillet 2019. Disponible sur : https://perspective.brussels/fr/actualites/quartiereuropeen-projet-de-rafael-de-la-hoz-arquitectos-perkinswill-laureat-du-concours [consulté le 3 avril 2022] S.a. Le bâtiment Isala sur la rue de la Loi. Disponible sur: tervueren-montgomery. eu (consulté le 30 mars 2022) Solà-Morales, Manuel de. Illa Diagonal. Disponible sur: http://manueldesola-morales.com/proys/Illa_Diagonal_eng.htm [consulté le 15.05.2022] TUC RAIL. The Schuman-Josaphat tunnel. Disponible sur : https://www.tucrail.be/ fr/photogallery/schuman-josaphat-tunnel [consulté le 4 avril 2022] Wallonie-Bruxelles Architectures (WBA). PLAN URBAIN LOI, CONCOURS INTERNATIONAL DE MASTERPLAN. Disponible sur : https://wbarchitectures.be/fr/ architects/NFA--Nicolas-Firket-Architects-/Plan-Urbain-Loi--Concours-International-de-Masterplan/218/ [consulté le 7 avril 2022] WIT architecten. MASTERPLAN WETSTRAAT: groeiscenario voor de uitbreiding van de Europese Commissie. Disponible sur : https://wit.eu/projecten/masterplan-wetstraat [consulté le 25.05.2022]Régie des bâtiments. Bruxelles Résidence Palace Conseil européen et Conseil de l’Union européenne | Centre de presse international. Dossier actualisé le 15 septembre 2017. Disponible sur : https://www. regiedesbatiments.be/fr/projects/residence-palace [consulté le 17 mars 2022] 217

Sources audio-visuelles Archi Urbain. Samyn&Partners/Europa. Les Délires Productions, publié le 24 juillet 2017. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=FAa7G7QGTSY [consulté le 5 avril 2022] Bastin, Olivier, Leloutre, Géry, Degros, Aglaée. Bruxelles, la possibilité d’une métropole. Cité de l’architecture et du patrimoine, le 23 mars 2017. Disponible sur: https://www.youtube.com/watch?v=wiXQvmFEn6o&t=2485s [consulté le 3 mai 2022] Beliris. «Pôle multimodal Schuman». Publié le 3 mai 2016. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=_0hSt5HSTGY [consulté le 01.06.2022] Bulletin d’infomation. «Le métro fait sa première sortie !», 17 décembre 1969.

Disponible sur: https://www.sonuma.be/archive/le-metro-fait-sa-premiere-sortie [consulté le 15 avril 2022] Bulletin d’information. «Autopsie du métro bruxellois», 17 juillet 1964. Disponible sur: https://www.sonuma.be/archive/autopsie-du-metro-bruxellois [consulté le 15 avril 2022] Bulletin d’information. «Dans les souterrains du futur métro bruxellois», 10 janvier 1969. Disponible sur : https://www.sonuma.be/archive/dans-les-souterrainsdu-futur-metro-bruxellois [consulté le 16 avril 2022] De Geyter, Xaveer. Conférence de Xaveer de Geyter, agence XDGA. Ensa Strasbourg, le 24 février 2015. Disponible sur : https://www.youtube.com/ watch?v=mxhbCkk8Z5o [consulté le 23 mars 2022] De Geyter, Xaveer. Xaveer de Geyter - Recente Work. AA School of Architecture, le 25 mars 2003. Disponible sur : https://www.youtube.com/watch?v=UYIaNnPsTRs [consulté le 25 mars 2022] TV scolaire. «Naissance du prémétro à Bruxelles», 10 novembre 1973. Disponible sur : https://www.sonuma.be/archive/tv-scolaire-du-10101973 [consulté le 16 avril 2022] Entretiens Entretien avec Géry Leloutre le 25 janvier 2022 à travers un appel Teams.

Echange email le 7 mars 2022 avec la cellule de communication de Bruxelles Mobilité.

Echange email le 3 avril 2022 avec Pierre Lemaire de Perspective. brussels Entretien avec Géry Leloutre le 8 avril 2022 à travers un appel Teams.

Discussion avec Sébastien Cruyt le 2 juin 2022 dans son bureau SI Studio à Auderghem.

218

219

220

221