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PORTFOLIO
CLÉMENCE GOUY
Féminin pluriel
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À l'heure où les droits des femmes sont bafoués un peu partout dans ce bas monde, des États-Unis à l'Afghanistan, les œuvres de Clémence Gouy s'apprécient d'autant plus. Diplômée de l'École de communication visuelle de Nantes, désormais installée à Amsterdam, cette illustratrice n'aime rien tant que célébrer « l'empowerment féminin » dans des compositions aux couleurs vibrantes – avec une appétence pour le rose, le rouge et le violet. Dans son portfolio, on trouve ainsi l'iconique Angèle, des sorcières ou une ribambelle de dames épiques fendant les airs sur leur skateboard. Ces filles « Je suis un peu de toutes cultures et morphologies sont magni- une "nerd" dans fiées à travers des aplats qui (comme elles) ne manquent jamais de relief. « J'utilise souvent une légère texture poudrée, comme si on soufflait de le domaine de la mythologie » la peinture sur les images, ça me permet d'offrir du volume à ces formes très plates », explique la native de Vannes, ellemême fille d'illustratrice – « eh oui, les chiens ne font pas des chats ! ». Inspirée par le graphisme épuré de la Française Malika Favre (qui faisait la "une" de LM il y a pile 10 ans) ou par le psychédélisme rétro de l'Américain Milton Glaser, Clémence Gouy avoue aussi un penchant pour l'astrologie, et surtout la mythologie. « Je suis un peu une "nerd" dans ce domaine », s'amuse l'intéressée, qui cite aussi bien Lilith, soit la première femme d'Adam « bannie du jardin d'Éden car trop indépendante », que la Gorgone Méduse, capable de pétrifier les hommes en un regard – à ce propos, ne fixez pas trop longtemps notre couverture… Julien Damien
À visiter / clemgouy.com c @clemence_gouy À lire / L'interview de Clémence Gouy sur lm-magazine.com










musi q u e
AURORA
Étoile polaire
On avait découvert Aurora voici deux ans, sur la bande originale de Wolfwalkers (Le Peuple Loup), magnifique film d’animation signé Tomm Moore et Ross Stewart (Le Chant de la mer, c’était eux aussi). Comme on croit aux signes, on ne fut pas étonné de retrouver la Norvégienne collaborer un peu plus tard avec Pomme. Eh oui, la Française a toujours trempé dans un occultisme kawaï et voue un culte à Princesse Mononoké – une autre histoire de jeune fille et de louve. Ce paganisme pop se retrouve dans les intitulés des chansons d'Aurora : The Gods We Can Touch, All My Demons Greeting Me as a Friend, ou encore… The Forbidden Fruits of Eden – un clin d’œil à Pomme ? On ne sait pas. Officiellement, ces Dieux sont ceux de la Grèce antique. On décèle en tout cas dans ce répertoire naviguant entre folk pastoral et envolées séraphiques les traces d’une Fever Ray, moitié de The Knife, qui proposa des bacchanales noirâtres et hantées. D’apparence moins radicales, voire inoffensives, les chansons faussement tendres d’Aurora se révèlent en réalité bien plus vénéneuses. Elles célèbrent, outre le panthéisme de la Nature, la place des femmes et les amours, quelles qu’elles soient. En un mot ?
Envoûtante ! Thibaut Allemand
Bruxelles, 04.09, Ancienne Belgique, 19h, complet ! www.abconcerts.be
YANN TIERSEN

La possibilité d’une île
© Richard Dumas
L’histoire de la musique est une suite de malentendus. Combien d’artistes a-t-on redécouverts, et réévalués ? Combien d’œuvres ont été réhabilitées contre l’avis de la critique de l’époque, voire contre l’avis même de leur auteur ? En ce qui concerne Yann Tiersen, l’histoire est encore plus compliquée. Retour sur un quiproquo.
Au mitan des années 1990, le natif de Brest s’ennuie à Rennes. Notre jeune punk reprend son violon (il avait brisé le précédent, de colère, à treize ans) et, suivant le bon vieux précepte "Do it yourself", compose inlassablement. Sur ces étagères ? Tuxedomoon, Einstürzende Neubauten, Faust… Nourri à l’indus, au rock minimaliste, au krautrock, il publie trois albums dont émergent des valses jouées à l’accordéon, au piano-jouet, où s’immiscent aussi des machines à écrire et des pédaliers. Tout cela renvoie à l’enfance. Tiersen trouve son travail assez sombre. Mais plus tard, associées aux images sépia d’Amélie Poulain, ces ritournelles décollent. Malentendu. Face au nuage de chloroforme et de bons sentiments, Tiersen s’enfuit sur l’île d’Ouessant. Il y apprend la langue bretonne et retape une vieille boîte de nuit pour la transformer en studio et salle de concerts (l’Eskal). Il opte pour des compositions plus abrasives et noisy, un krautrock inspiré (au sein du trio ESB). Bref, sur scène, ne vous attendez plus à des mignonneries, mais à un concert de musique contemporaine, au sens premier du terme : de son temps. En rythme avec les envies de son auteur. Thibaut Allemand

WORKING MEN’S CLUB

Soleil noir
© Andy Nicholson
Débarqué en 2019 du nord de l’Angleterre avec une poignée de morceaux hautement inflammables (Bad Blood, Teeth), ce quatuor ressuscite à merveille la bande originale de Manchester (voire de Sheffield) du mitan des eighties, entre post-punk et dance music. New Order, Joy Division, The Falls, Happy Mondays, 808 State ou même Cabaret Voltaire… les références se bousculent dans le répertoire de ces kids (la vingtaine à peine dépassée), qui fleure bon l’Haçienda et la brique rouge. Soyons clairs, on ne parle pas ici d’un vain revival. Plutôt d’héritage, d’ADN, en l’occurrence parfaitement recombiné. C’est-à-dire d’une musique sombre, malade et métallique (post-industrielle, quoi), débitée à un rythme effréné et qui incite aux regards de travers comme aux déhanchements – ou comment réinjecter un peu de mal-être sur la piste. L’insolence et la rage en bandoulière, notre "club des travailleurs" étrenne lors de cette tournée Fear Fear. Ce deuxième album tout aussi contrasté, entre ombre et lumière, aiguise plus que jamais notre appétit de révolte. Du beau boulot ! Julien Damien

musi q u e
ARCADE FIRE
Retour en grâce
Le biopic sur Arcade Fire ne sera sûrement pas un sommet de cinéma. Il y manquera les excès, les traumatismes, les accidents propres aux grands groupes pop-rock… Rien à tirer non plus de son couple fondateur, formé par Win Butler et Régine Chassagne, toujours aussi complices 20 ans après. La barbe !
Le parcours discographique des Canadiens, en revanche, pourrait bien devenir le sujet d’une thèse en économie de la musique : "Émergence indé et syndrome d’Icare dans la pop montréalaise : Arcade Fire 2004-2022". On les avait quittés en 2018 repus d’une tournée gigantesque après avoir exigé Everything Now sur un album foutraque et rempli de pop discoïde. Un virus planétaire plus tard et les revoici avec un sobre We, comme s’ils voulaient se réconcilier avec les premiers fans, ceux qui préfèreront toujours les chapelles aux stades. Une façon de s'extirper de la foule après un accès de mégalomanie.
Retour à la simplicité
Win et Régine ne retrouveront peut-être pas la spontanéité de leur inaugural et magistral Funeral, mais ils se débarrassent avec ce sixième album de toute sophistication inutile. Cette nouvelle collection de chansons (neuf plus un prélude, avec des titres toujours capillotractés et numérotés) renoue avec l’humilité de leurs meilleures compositions. On savoure la simplicité des cordes, les boucles méticuleusement nouées et mélodies chorales envoutantes. Arcade Fire ménage toutefois une place à quelques hymnes qui ont (aussi) fait sa réputation. Cette tournée passe forcément par de grandes arènes qu’on n’éclaire pas à la bougie (merci, au passage, d’arrêter cette mode). Comme quoi, la crise de la quarantaine peut être salutaire ! Mathieu Dauchy
Lille, 11.09, Le Zénith, 20h, 79 > 55€, www.zenithdelille.com Anvers, 12.09, Sportpaleis, 18h30, 75 > 49 €, www.sportpaleis.be
© Jack Bridgland

SUPERORGANISM
Superorganism, ce fut d’abord une révélation lors d’un concert rennais, en 2017. Puis une poignée de singles addictifs, merveilles de hip-pop collégial, à la croisée de la nonchalance de Beck et des effervescences harmoniques d’Animal Collective. L’album ne tint pas toutes ses promesses, mais qu’importe, on se réjouit de retrouver, sur les planches, ce collectif exquis comptant Japonais, Coréens, Australiens et Néo-Zélandais réunis à Londres. D’autant que ses nouveaux titres (dont l’explosif On & On et Into The Sun, avec Stephen Malkmus en invité de marque) prouvent que cette grande sono mondiale a encore beaucoup à dire ! T.A.
Bruxelles, 13.09, Botanique, 19h30, 20,50 > 14,50€, www.botanique.be
MICHAEL KIWANUKA
En même pas dix ans et trois albums impeccables, l’enfant de Muswell Hill (nord de Londres) s’est imposé comme un poids lourd de la soul moderne. Se croisent, au creux de ces chansons, les ombres de nombreux parrains devenus des pairs : Bill Withers, Terry Callier, Otis Redding… Bien aidé par Danger Mouse et Inflo, Kiwanuka modernise cet héritage sans l’aseptiser. L’actualise sans le vulgariser. En y insufflant son âme, tout simplement. T.A.
KIWI JR.

Fruit de la passion
© Warren Calbeck
En trois albums, ils se sont tranquillement imposés comme les meilleurs continuateurs des convulsions indie-pop de notre adolescence. Aussi électrisant que nonchalant, nerveux que rafraîchissant, le groupe de Toronto ravive une flamme que d’aucuns pensaient éteinte.
Puisque le temps est au retour de la vague indé millésimée 1990, on remerciera Kiwi Jr. de reprendre le flambeau avec plus de vigueur que certains aînés. Il y a peu, à la faveur d'un doublé d’albums engageants, on a cru la retrouver chez Weezer, tant sur un versant pastoral (OK Human) que hard FM (Van Weezer). Hélas, la bande de Cuomo s'est depuis empêtrée dans une série d'EPs sur le thème des Quatre Saisons, aussi enthousiasmante qu'une pizza froide. Bonne nouvelle donc, Kiwi Jr., dont on avait déjà repéré le potentiel électrisant, pétri d'efficacité punk-rock, défend sur la route son fantastique Chopper (voir page 67). Ce troisième album évoque le meilleur de Weezer donc, mais aussi et surtout de Pavement ou des Strokes — refrains emballants et morgue new-yorkaise. Ceux qui se souviennent avec émotion de Number One Cup et de leur trésor caché Wrecked By Lions seraient bien inspirés de venir applaudir ces Canadiens sur les scènes de Lille ou de Bruxelles. Il s’agira de se chauffer à l’écoute du chant "plus-cool-tu-meurs" de Night Vision puis de se repaître de ces claviers piquants, qui donnent aux compositions de ces émules de Jonathan Richman une patine irrésistible. Énergisant, acide et sucré, ce kiwi est un fruit bien mûr. Rémi Boiteux
OBONGJAYAR

© Bolade Banjo
Modèle hybride
De la scène hip-hop britannique, qui connaît décidément des heures fastes ces temps-ci, Obongjayar incarne l’un des plus passionnants représentants. Et cela grâce à un timbre caméléon, capable d’envolées tutoyant les anges comme de cris de colère tellurique. Possédant des moyens à la (dé)mesure de ses ambitions, le Nigérian installé à Londres repousse les barrières du rap. Il délaisse les boucles pour imaginer, avec Barney Lister (croisé chez Joy Crookes et Celeste), des instrus détonantes et étonnantes, tenant parfois plus de la pop. En témoigne Try, qui ouvre Some Nights I Dream of Doors, premier album franchement renversant. À l’instar de nombreux artistes avec lesquels il a collaboré (citons au hasard l’incontournable Little Simz, ou son jeune frère d’âme, Jeshi), Obongjayar joue la carte du mélange. En résulte un canevas de soul, d’afrobeat, d’electro et de jazz dont on ne voit jamais les coutures.
©Jay Sansone, Human Being Media

LETTUCE
De ce côté de l’Atlantique, seuls les connaisseurs de la chose funk mentionnaient Lettuce. Pour cause : à la fois pilier et fer de lance de l'esprit traditionnel (pensez Maceo Parker, Tower of Power) le sextette américain est en activité depuis 1992… mais ne publia son premier disque que dix ans plus tard. Ces natifs de Boston ont arpenté toutes les scènes des États-Unis et du Japon avant de se poser pour signer leurs propres albums studio. Le résultat est à la hauteur des attentes : une machine de guerre, aussi habile lors d'un jam que dans la finesse, carambolant funk originel, influences hip-hop, constructions blues et éclairs rock. T.A.
Tourcoing, 21.09, Le Grand Mix, 20h, 21 > 6€, legrandmix.com Louvain, 29.09, Het Depot, 20h, 23/20€, hetdepot.be
PARCELS
L'été s'achève, hélas, mais on pourra toujours compter sur Parcels pour le prolonger indéfiniment. Quelque part entre Daft Punk (aux manettes derrière le morceau Overnight), les Bee Gees (pour l'harmonie vocale) et les Beach Boys, ces cinq Australiens dans le vent sont passés docteurs ès groove en seulement deux albums. Leur secret ? Une electro-funk mâtinée d'échos seventies et d'une pointe de spleen –mais qui aurait fondu au soleil. J.D.
LA NUIT DU BAL

Sans modération
La Femme © JD Fanello
Rendez-vous incontournable des amateurs de bonnes gueuzes, le festival brassicole de la métropole lilloise fait monter la pression en cette rentrée. Plus d’une centaine de brasseries régionales et d’un peu partout dans le monde (mais aussi quelques chefs passés maîtres dans l’art délicat des tapas) sont dans les "starting-bocks", dans une ambiance de dégustation à la bonne franquette. En point d’orgue, la Nuit du BAL (pour Bière à Lille, donc) convie des groupes de circonstance, à commencer par ces grands fêtards de La Femme. Entre pop pascalienne, fanfares et western disco-spaghetti, nos francs-tireurs basques sont dans le nord de la France comme à la maison : toujours prêts à Foutre le bordel ! On peut aussi compter sur le Marseillais Kid Francescoli (et grand fan de l’OM), dont les sets mélodieux frappent toujours droit au but, quelque part entre la tête les jambes (souvenez-vous : Moon). Enfin, la réputation de Møme n’est plus à faire sur scène. Qu’on se le dise, le Niçois n’est pas là pour servir de la bibine. Plutôt un cocktail bien serré d’electropop et de disco, comme entendu dans son dernier album, Flashback FM – même si on attendra toujours de lui qu’il joue Aloha. Julien Damien
POP FACTORY
Cinquième édition pour ce festival tout entier dédié à la pop française – et plus largement francophone. À Tourcoing, le Grand Mix célèbre une scène bigarrée, où le bizarre flirte avec le sublime, entre délices psychés, ballades brindezingues et rap certifié sans testostérone. La preuve par quatre. Julien Damien
LES LOUANGES

© Alex Blouin & Jodi Heartz
Au pays d’Hubert Lenoir, la pop est une affaire sérieuse. Apparu en 2018 avec La Nuit est une panthère, Vincent Roberge a depuis récolté son lot de… louanges. Il faut dire qu’avec un nom pareil, ce Québécois ne pouvait pas se fourvoyer. Intimes (donc universelles) et entonnées dans la langue de Molière (avec l’accent de chez lui !), ses chansons narrent les affres de la génération née en 2000 et déconfinent élégamment les genres, carambolant soul, jazz et R'n'B. Souvent comparé à Frank Ocean, le multi-instrumentiste cite plutôt… le Français Corneille, avec qui il signe une collaboration sur Crash, son deuxième disque. Un drôle d’oiseau !
Tourcoing, 29 & 30.09, Le Grand Mix, 20h • 1 jr : 25/21€ legrandmix.com, www.agauchedelalune.com

© Flo Pernet

ALOÏSE SAUVAGE
Circassienne, comédienne, chanteuse… Aloïse Sauvage joue sur tous les tableaux mais ne s’enferme dans aucun. Érigée en porteparole d’une génération en quête de nouveaux repères, la native de Seine-et-Marne brouille les pistes entre rap, electro ou chanson française, et fait fi des genres et des codes sans s’emmêler les pinceaux. Après nous avoir mis À l'horizontale, elle creuse cette fois une veine plus afro-trap et muscle son jeu – en témoigne son nouveau titre, Focus. Virile, mais correcte !
© Alice Moitié
JACQUES
Derrière l’hérésie capillaire et la posture dada se cache un redoutable compositeur. Jacques s’est révélé en produisant ses morceaux avec des objets du quotidien. Lassé de « taper sur des casseroles », pour le citer, ce Strasbourgeois aborde un virage plus pop, célébrant Limportanceduvide. Dans cet album, il fait désormais la part belle au chant et aux synthés, entre l’electro ouatée de Flavien Berger et la loufoquerie de Philippe Katerine. Un peu moins perché, peut-être, mais tout aussi enivrant.
© Juliette Valero

MIEL DE MONTAGNE
"Pourquoi pas vivre tout nu", se demandait Miel de Montagne en 2018, dans un petit chef d’œuvre de pop sucrée, faussement nonchalante et diablement efficace. À l’heure du difficile-deuxième-album, ce complice du précité Jacques confirme ses talents de songwriter avec des ballades saupoudrées de house, mais plus mélancoliques et profondes. Évoquant par endroit le Suisse Muddy Monk, ces chansons douces-amères se dégustent comme la parfaite BO de l’été indien - ou d’un automne torride, c’est selon.
NAME FESTIVAL
Bienvenue au club !
En bientôt deux décennies (eh oui, déjà !), le NAME s’est imposé comme une institution des musiques électroniques au nord de Paris – et bien au-delà. À Roubaix, la Condition Publique se transforme en club éphémère, entre sets (très) énervés et techno sophistiquée, dans un décor industriel de circonstance.
On ne change pas une formule qui gagne. Depuis la création de ce festival en 2005, l’équipe d’Art Point M reste attachée à ses principes : la fidélité en amitié et le défrichage sonore. Parmi les têtes d’affiches de cette 17e édition, on trouve ainsi des noms qu’on ne présente plus, tel le Berlinois Dixon, co-fondateur du label Innervisions avec le duo Âme (invité l’an passé), la marraine Ellen Allien, l’incontournable Jennifer Cardini, le trio danois Who Made Who ou encore Maceo Plex, capable des sets les plus sombres comme d’expérimentations sinoques. L’essentiel est d’assurer la bonne tenue de ces soirées (en gros, deux jours de fêtes survoltés), « mais notre rôle est aussi de faire découvrir des artistes », assure Gaël Troussier, chargé de production. Parmi les p’tits nouveaux, citons l’Allemand Kobosil, résident du Berghain et pourvoyeur d’une techno pure et dure, régulièrement flashée à plus de 140 BPM, et surtout Adiel, très attendue à Roubaix – notre coup de cœur, pour tout dire. Révélée au Goa Club de Rome, l’Italienne délivre une electro raffinée mais sans concession, entre deep house et sons tribaux, relevée d’un soupçon de sonorités acid – histoire de nous faire
fondre. Julien Damien
Roubaix, 30.09 & 01.10, La Condition Publique, 22h > 06h, 1 soir : 39 > 24€ • 2 soirs : 64 > 40€ + NAME By Day : Lille, 30.09 > 01.10, 18h > 00h, gratuit + NAME à Saint-Omer, 08.10, Chapelle des Jésuites, lenamefestival.com
Sélection / 30.09 : Dixon, Jennifer Cardini, Jimi Jules B2B Trikk, Kobosil, Maceo Plex, Terr 01.10 : 999999999 (hybrid live), Adiel, Adriatique, APM001, Ellen Allien, Mind Against, Who Made Who (hydrid DJ set), Anna
HOT CHIP Accords hédonistes pêle-mêle
Une electropop dansante et mélodique, des looks bizarres, un humour pince-sansrire… Les Sparks ? Non, Hot Chip ! Du haut de ses 20 ans de carrière et huit albums, le groupe emmené par Alexis
Taylor et Joe Goddard poursuit sa route à l’écart des modes et des tendances, entre hybridation en tous genres, vague à l’âme et décalage. Les Londoniens n’auront certes jamais le succès de leurs (pas si) lointains cousins Pet Shop Boys, mais restent ce que la perfide Albion a produit de mieux sur scène depuis le début de ce millénaire.
Bruxelles, 03.10, Ancienne Belgique 20h, 34/33€, www.abconcerts.be


AU DÉPART Hot Chip (soit "puce électronique"), c’est d’abord l’association entre Joe Goddard et Alexis Taylor. Ces deux-là se sont rencontrés à l’âge de onze ans, à l'atelier théâtre du collège où ils répétaient alors le Magicien d'Oz. Le premier jouait le Lion peureux, le second l'Homme de fer blanc. Oui, c’est ça, comme dans un conte de fées. MONTE LE SON
S’ils se sont révélés grâce à la musique assistée par ordinateur (mais ne les taxez pas de "nerds", ils abhorrent ce terme !), Joe et Alexis ont su insuffler une âme aux machines et même… du cœur. Depuis 20 ans, le répertoire de Hot Chip balance entre hymnes extatiques et mélodies douces-amères, télescopant soul, R’n’B, house, rap, funk, dance ou disco avec cette petite dose d’humour so britsh.

LABEL AFFAIRE Nos Anglais ne sont pas que des pourvoyeurs de tubes. Ce sont aussi de sacrés dénicheurs de talents. À la tête du label Greco-Roman, Joe Goddard a ainsi repéré quelques pépites, telles Disclosure, Tirzah ou Totally Enormous Extinct Dinosaur. Série en cours. ENGAGEMENT

Taillés pour le dancefloor, souvent rigolards, les morceaux de Hot Chip n’en sont pas moins profonds, voire engagés. Les Britanniques n’ont jamais caché leur position contre le Brexit et abordent régulièrement des sujets de société dans leurs chansons, à l’image du titre Positive, dans lequel ils évoquent le sort des SDF souffrant d'addictions. TOP 10 Over and Over (2005), Boy From School (2006), Ready for the Floor (2008), One Life Stand (2010), I Feel Better (2010), Flutes (2012), Huarache Lights (2015), Need You Know (2015), Positive (2019), Down (2022) > voir page 66
MALL RAT

Rêve éveillé
(Nettwerk, 2022) À écouter / Butterfly Blue
Attention, ici on jongle avec les codes. Un logo façon combo black metal, un alias tiré du film de Kevin Smith, un single nommé Suicide Blonde – oui, comme ses compatriotes australiens d’INXS. Et la musique, dans tout ça ? Assez indescriptible – c’est un compliment. La mélancolie des banlieues pavillonnaires, très occidentale, a également touché la plus grande île du Commonwealth, et Mallrat n’y a pas échappé. Cependant, cette jeune femme originaire de Brisbane sublime le tout dans une pop plutôt propre, éthérée, qui n’est pas sans rappeler ses voisins néo-zélandais (Yumi Zouma, Lorde) ou les chercheuses perchées Grimes et Sia. Un son clean, mais pas clinique. Grand ouvert, mais pas grandiloquent. Ici, on prend son temps pour développer son propos. Ainsi, ces chansons possèdent toutes un "je-ne-sais-quoi" qui relève du songe, lui-même hérité du revival dream pop des années 2010. Bref, on ne saurait dire si Mallrat fera partie des grands noms de demain. Mais cette mélodiste douée incarne l’idée que l’on se fait d’une pop star d’aujourd’hui. Thibaut Allemand
l i om l m a llrat.c
The Darkness © S. Emmett RAISMES FEST Voilà plus de trente ans que ce festival porté par des bénévoles attire d'innombrables fidèles, et surtout quelques hérauts de la musique du diable. Cette édition ne déroge pas à la règle. Au château de la princesse d’Arenberg, on attend par exemple les hardrockeurs britanniques de The Darkness (auteurs de l’inusable I Believe in a Thing Called Love). Au rayon "événement" on ne manquera pas non plus le groupe tunisien Myrath, fer de lance de la scène metal arabe. J.D.

Raismes, 10 & 11.09, Château de la princesse d'Arenberg, sam : 11h30 • dim : 11h • 1 j : 42€ • 2 j : 76€ (grat. -12 ans), raismesfest.fr Sélection / 10.09 : The Darkness, Sidilarsen, Electric Mary, Little Caesar, Lazuli, Wolvespirit, X-Rated FDH... // 11.09 : The Quireboys, Myrath, Lucifer, Grand Slam, Sons of Liberty, Knuckle Head, Zak Perry, Octane...
et aussi…
VEN 02.09
THE HUMAN LEAGUE Anvers, De Roma, 19h, 35>33€ FRONT 242 + ARNAUD REBOTINI… Charleroi, Rockerill, 20h, 30>25€ SAM 03.09
THE HUMAN LEAGUE Anvers, De Roma, 19h, 35>33€ LUN 05.09
BANKS Bruxelles, Ancienne Belgique, 19h, 32/31€ MAR 06.09
DOPE LEMON Bruxelles, Ancienne Belgique, 19h, 26/25€ FLEET FOXES Anvers, De Roma, 20h, 42>40€ MER 07.09
FLEET FOXES Bruxelles, Ancienne Belgique, 20h, 43/42€ SAM 10.09
WATER MUSIC. HAENDEL EN CROISIÈRE ! (ONL) Lille, Berges de la Deûle, 16h30 & 19h, Gratuit
NEEKA FEAT. STEF KAMIL CARLENS Anvers, De Roma, 20h, 18/16€ SVINKLES Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19€ LUN 12.09
MONO + A.A WILLIAMS Lille, L'Aéronef, 20h, 10>5€ MAR 13.09
THE WEDDING PRESENT Lille, L'Aéronef, 20h, 10>5€ MER 14.09
MAGENTA + NIKOLA Lille, L'Aéronef, 20h, 22>14€ MICHEL JONASZ & JEAN-YVES D'ANGELO Mons, Théâtre Royal, 20h, 49>35€ NIGHT BEATS + THE PSYCHOTIC SIDEWINDERS Roubaix, La Cave aux Poètes, 20h, 14>10€ JEU 15.09
SAINT-VINCENT D'AUTOMNE : THE MARCHING BAND + SAMY LE GRAND + BATTERIE FANFARE LA RENAISSANCE + SWING TCHAVO + BAL SALSA AVEC PATA NEGRA Marcq-en-Barœul, divers lieux, dès 14h, gratuit SINEAD O'BRIEN Tourcoing, Le Grand Mix, 20h, 14>6€ VEN 16.09
BILLY OCEAN Anvers, De Roma, 20h, 35>33€ MICHEL JONASZ & JEAN-YVES D'ANGELO La Louvière, Le Théâtre , 20h, 33>30€ SAM 17.09
SUUNS Bruxelles, AB, 19h, 19€ AMBER MARK Bruxelles, Botanique, 19h30, 21,50>15,50€ MARIE-FLORE + OLYMPE CHABERT Lille, L'Aéronef, 20h, 19>11€ MR GISCARD + BRÖ… Dunkerque, Les 4 Ecluses, 20h, 15/12€ DIM 18.09
LES SIÈCLES : LE CARNAVAL DES ANIMAUX Bruxelles, Bozar, 14h, 10€ JONATHAN JEREMIAH Anvers, Trix, 19h30, 26>24.50€ MAR 20.09
ANGEL HAZE Anvers, Trix, 19h30, 19>15.50€ MER 21.09
Malgré quelques vents contraires, le festival boulonnais garde le cap - et la pêche. Sise sur le Quai Thurot, dans un cadre maritime et industriel, cette édition fait la part belle à des ambianceurs de premier ordre (Mr Oizo, General Elektriks), une diva rétromaniaque (Fishbach) tout en ménageant une place à de jeunes prodiges. Ainsi de Luv Resval, rookie du rap français, dont le flow mélodique et inspiré n’est pas sans rappeler Nekfeu ou le regretté Népal. J.D.
Boulogne-sur-Mer, 16 & 17.09, Quai Thurot (l’Éperon), 20h • 1 j : 23/20€ • 2 j : 30€, poulpaphone.com Sélection / 16.09 : Le Vertigo, Luv Resval, Emilie Zoé, General Elektriks, Mr Oizo... 17.09 : Pierre de Maere, Aloïse Sauvage, Johnny Mafia, Ziak, Fishbach, Jahneration
JEU 22.09
JAMES MORRISON Anvers, Trix, 19h30, 34.50€ BILLY OCEAN Ostende, Kursaal, 20h, 55>35€ LES FRANGINES Le Touquet, Palais des Congrès, 20h, 43>31€ LINDSEY BUCKINGHAM + BAND Gand, Capitole, 20h, 65>47€ ONL : MESSIAEN, MOZART, BRAHMS (DIR. GABRIEL PIDOUX) Hem, Le Zéphyr, 20h, 18/15€ TRYO Bruxelles, Cirque Royal, 20h, 39>36€

POULENC. STABAT MATER Tourcoing, Eglise saintchristophe, 20h30, Gratuit
VEN 23.09
BACH. LA CITE CELESTE Tourcoing, Eglise saintchristophe, 18h, Gratuit AMINÉ Bruxelles, AB, 19h, 29/28€ CLAIRO Bruxelles, La Madeleine , 20h, 74.67>28.70€
UFOMAMMUT Tourcoing, Le Grand Mix, 20h, 14>6€
LES FATALS PICARDS + PLASTIC DUCK Oignies, Le Métaphone, 20h30, 20/17€ SAM 24.09
GLAUQUE + SÜEÜR Béthune, Le Poche, 20h30, 12/10€ MUSIQUES POUR LE FESTIN ROYAL Tourcoing, Théâtre Municipal Raymond Devos, 20h30, Gratuit
LUN 26.09
PETER HOOK & THE LIGHT PLAY JOY DIVISION Bruxelles, La Madeleine , 20h, 39€ SOHN Anvers, Trix, 19h30, 26.50€ MAR 27.09
STRAVINSKY : L’OISEAU DE FEU, PETROUCHKA, SACRE DU PRINTEMPS (ORCHESTRE LES SIÈCLES / F-X ROTH) Valenciennes, Le Phénix, 20h, 25>5€ MER 28.09
KAKY Lille, La bulle café, 20h30, 13€ JEU 29.09
DELUXE Béthune, Théâtre de Béthune, 20h, 34>17€ HIGH TONE & ZENZILE Lille, Le Splendid, 20h, 29€ OUVERTURE DE SAISON (ONL) Lille, Nouveau Siècle, 20h, 55>6€ VEN 30.09
MUSE & PIANO : ENSEMBLE BACH STAGE DIR. LÉO MARGUE AVEC FRANCESCO TRISTANO (PIANO) Lens, Louvre-Lens, 21h, 15>5€ THE BLACK CROWES Anvers, Lotto Arena, 18h30, 56€
TWO DOOR CINEMA CLUB Bruxelles, Ancienne Belgique, 19h, 33/32€ LET'S EAT GRANDMA Bruxelles, Botanique, 19h30, 20,50>14,50€ BIGA*RANX + SUMAC DUB + ODGPROD DJ SET Lille, L'Aéronef, 20h, 26>19€ OUVERTURE DE SAISON (ONL) Lille, Nouveau Siècle, 20h, 55>6€ LASS + LOUP BLASTER Roubaix, La Cave aux Poètes, 20h, 14>10€
MEDINE Lille, Le Splendid, 20h, 28€ MÉLISSA LAVEAUX Valenciennes, Le Phénix, 20h30, 22/19€ SAM 01.10
MUSE & PIANO : VARIATIONS GOLDBERG PAR DAVID FRAY Lens, Louvre-Lens, 20h30, 14>5€ TOUR DE CHAUFFE : CHLOE + UÈLE LAMORE + APOLLO DRAMA + SOUL OF BEAR + FIG . Mons-en-Baroeul, Salle Allende, 20h, 10>7€ SOOLKING Bruxelles, La Madeleine , 20h, 29€ GASPARD ROYANT Béthune, Le Poche, 20h30, 12/10€ DIM 02.10
MUSE & PIANO : L’ÉGYPTE EN MUSIQUE Lens, Scène du Louvre-Lens, 17h, 14>5€ SOOLKING Lille, Le Splendid, 19h, 30€
Panda Bear & Sonic Boom Reset
(Domino)
Quelle claque ! Ce disque marque des retrouvailles au sommet : d’un côté, Noah "Panda Bear" Lennox, bidouilleur génial depuis plus de 20 ans au sein d’Animal Collective. De l’autre, Pete "Sonic Boom" Kember, qui aura dédié les quarante dernières années à conjuguer le drone au psychédélisme via Spacemen 3, Spectrum et Experimental Audio Research. Les deux se connaissent déjà, Kember ayant produit les deux récents albums de Panda Bear. Pour ce premier disque sous leurs deux noms, la paire explore plus de soixante ans de pop music en enchaînant les "wilsoneries" portées par le timbre enfantin de Lennox. À ses mélopées chopées au vol, le tandem colle des instrus étranges, souvent répétitives et volontiers spatiales, piochant chez les anciens (on a cru reconnaître The Troggs, Roy Orbison, The Everly Brothers, Eddie Cochran ou Buddy Holly, entre autres). Or, notre duo se place dans les pas du plus frappadingue des producteurs visionnaires, le Britannique Joe Meek. Leurs trouvailles synthétiques, clochettes de passage ou six-cordes acoustiques, servent de prodigieux hymnes de poche. Bref, cette remise à zéro (Reset, donc) élève le trafic sonique au rang d’art majeur. Thibaut Allemand

Hot Chip Freakout / Release
(Domino) En 20 ans, Hot Chip s’est hissé au panthéon de la synthpop britannique. La bande d’Alexis Taylor et Joe Goddard brille d'ailleurs sur l'une de nos playlists fétiches avec Depeche Mode, The Human League et les Pet Shop Boys. Celle-ci pourrait même s’intituler Relax & Enjoy, du nom du studio londonien du groupe où furent mitonnés ces onze titres. Ici, la voix de Taylor épouse les compositions synthétiques de son poto Joe. De fait, un "banger" signé Hot Chip ne produit sa détonation qu’après une délicieuse ascension. C’est le cas de Down, le morceau d’ouverture : une relecture de More Than Enough de l’Universal Togetherness Band, merveille méconnue du disco. Soit 30 secondes de warm up avant l’émeute. Mine de rien, voilà deux décennies qu'Hot Chip renouvelle la formule magique, Over and Over… M. Dauchy
Santigold Spirituals
(Little Jerk Records / Modulor) Six ans après 99¢, Santigold n’est pas tombée dans le piège (fréquent) de la musicienne courant après les vogues et les modes. À l’instar d’une M.I.A. (à laquelle elle fut beaucoup trop comparée) l'Américaine possède une patte bien à elle et creuse un sillon personnel, marqué ici par l’amour des basses. La native de Philadelphie navigue entre reggae dub (Ushers of the New World), bass music à l’anglaise (Witness, Ain’t Ready), funk bondissant et détraqué (Shake). Elle fait également du pied au New Order période Brotherhood (1986) sur Fall First. Enregistré durant le confinement en ping-pong virtuel avec une palanquée de producteurs (dont Rostam, Boys Noize, Dre Skull, Nick Zinner ou encore SBTRKT), Spirituals marque un retour plus que digne. Thibaut Allemand
Kiwi Jr. Chopper
(Sub Pop / Modulor) Certes, le nom ne fait guère envie. Mais il serait criminel de passer à côté des deux premiers albums de ces Canadiens, qui se situent idéalement entre Modern Lovers, The Strokes première période et Parquet Courts. Ici est pris un virage plus synthétique, sous la houlette de Dan Boeckner (Wolf Parade, Handsome Furs). La bande a conservé le sens de la mélodie qui fait mouche, le chant arbore toujours ce détachement classieux et l’ensemble s’enrichit des apports de synthés et du timbre diaphane de Dorothea Paas (membre de US Girls et Badge Epoch Ensemble). Alors, certes, nos quatre gus n'ont plus cette attitude de branleurs magnifiques et touchés par la grâce, et semblent un brin plus mûrs. Mais franchement, ça leur va bien.
Thibaut Allemand
Gwenno Tresor
(Heavenly / PIAS) Non, rien à voir avec le fameux club techno berlinois. Ce trésor-ci regarde à la fois la maternité nouvelle et la double culture de son autrice. Gwenno est en effet née d’une mère galloise et d’un père poète cornouaillais. Produit par son partenaire et mari, le multi-instrumentiste Rhys Edwards, son troisième album est, comme Le Kov (2018), entièrement chanté en cornique – à l’exception de la protest-song Nid yw Cymru ar Werth ("Le Pays de Galles n'est pas à vendre", en VF). On y retrouve, une fois encore, cet univers pastoral hanté, quelque part entre les rêveries de Broadcast et le film The Wicker Man. La clarinette épouse la cithare, les basses électroniques répondent aux cloches et, sur ce paysage magnifiquement désolé, plane le timbre délicat de Gwenno. Parfait. Thibaut Allemand
Mikella Nicol Les Filles bleues de l’été
(Le Nouvel Attila) Il est des entrées plus ou moins flamboyantes en littérature. Avec ce premier roman paru en 2014 au Québec, mais qui atteint seulement nos librairies françaises, Mikella Nicol impressionne. Le thème semble pourtant rebattu. La belle saison dans une maison d’enfance, une amitié inébranlable entre deux jeunes filles, des baignades nues dans le lac et un chagrin d’amour en toile de fond. Mais la native de Montréal se distingue par la grâce de l’écriture, la poésie élégante de chaque sensation captée, du moindre paysage saisi. Et par le danger qu’elle fait monter en puissance l’air de rien, au fil de ce bref livre. Chloé, tige aux grands yeux vifs, cherche à repousser la noirceur qui étreint son âme quand elle ne trouve d’échappatoire qu’en s’entaillant les bras ou régurgitant ses repas. La jolie Clara aimerait elle faire taire la douleur d’une rupture, la souffrance de n’avoir pas su garder ce garçon qui lui avait tout promis. Après cet été pansement, ces jours alignés qui « sentaient la lumière », monte l’angoisse du retour au réel. Pour les deux adolescentes, septembre ne peut être que fatal. Pour nous lecteurs, ce roman ne peut être qu’une déflagration.
144 p., 17€. Marine Durand
Benjamin Abitan, Sophie Guerrive & Olivier Schwartz La Mort de Spirou (Dupuis)
Après cinq aventures signées Yoann et Vehlmann, le garçon d’étage le plus célèbre de la planète retrouve Schwartz, qui avait signé trois volumes de la série Le Spirou de… en compagnie de Yann, dont Le Groom vert-de-gris. Ici, c’est la série "classique" que le dessinateur se voit confier. Pour l’occasion, on retrouve un nouveau tandem au scénario : Benjamin Abitan et Sophie Guerrive. Cette reprise débute en territoire connu : Champignac, son comte, son château… mais aussi Zorglub, dans une aventure qui ne tarde pas à nous entraîner dans les fonds marins – on pense beaucoup aux Hommes-bulles de Franquin. On n’en dira pas plus évidemment. En tout cas, ce changement dans la continuité augure de belles aventures à venir ! 64 p., 11,90€. Thibaut Allemand
Merel (Dupuis) Merel, la quarantaine célibataire et heureuse, écrit dans le canard régional et s’occupe des siens (de canards). Elle s’investit dans l’équipe de football locale et compte de nombreux amis. Mais un soir, un innocent trait d’esprit va lui coûter sa réputation. Elle lâche une blague sur la sexualité du mari d’une voisine. Dès lors, c’est tout un village qui se ligue contre elle… Dessinée en couleurs directes, cette chronique signée de la jeune autrice belge Clara Lodewick dépeint une ruralité flamande faite de petites lâchetés, de cruauté féroce et d’instinct grégaire. Chiches en décors, les dessins (ligne claire et enlevée) mettent l’accent sur les dialogues, les petits riens et l’incompréhension grandissante – mention spéciale aux enfants, paumés face à l’hypocrisie des adultes !
160 p., 24€. Thibaut Allemand
Emmanuelle Richard Hommes
(Éditions de l’Olivier) L’amour, les relations hétéros sont depuis longtemps le sujet d’Emmanuelle Richard. Deux ans après l’essai Les Corps abstinents, la trentenaire revient au roman pour livrer le vertige d’une femme mûre réalisant que l’homme l’ayant violentée 20 ans plus tôt est recherché pour féminicides. Que faire ? Parler, endosser les habits de victime ? En face des souvenirs troubles qu’elle garde d’Aiden, le colosse texan qui la rendait « liquide » mais ne lui inspirait aucun sentiment, se dresse la figure antagoniste de Gwyn. On trouve dans Hommes de la colère et de la sensualité à chaque page. Les plus brûlantes étant celles où la narratrice se donne du plaisir en revisitant la douceur de Gwyn et le respect qui émanait du moindre geste de ce bref mais grand amour. 256 p., 19€. Marine Durand
Mark Z. Danielewski
La Maison des feuilles (Monsieur Toussaint Louverture) Un livre dont on ne sort pas indemne. En voilà, une expression cliché ! À vrai dire, voici un roman dont on ne sort simplement pas… du tout. Minutieusement articulée, cette œuvre conte l’histoire de la famille Navidson, qui découvre un jour que sa maison est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Une nouvelle pièce a surgi. Ceci est l’un des trois récits (enchâssés) d’un livre qui fit couler beaucoup d’encre et tritura les méninges des lecteurs : un forum web lui fut consacré pour démêler cet univers labyrinthique – en vain. Cette réédition soignée rend justice au jeu sur la typographie, la couleur, la mise en page, le sens de lecture, les notes de bas de page, la narration cinématographique, le vrai et le faux. Un roman fantastique, dans tous les sens du terme.
Le Petit Nicolas, 2022 © ONYX Films - Bidibul Productions

Le Pharaon, le sauvage et la princesse © 2022 Nord-Ouest Films-StudioO - Les Productions du Ch'timi - Musée du Louvre - Artémis Productions


FESTIVAL 2 CINÉMA DE VALENCIENNES
Remise en salle
Le scénario est désormais bien connu, mais pas moins haletant : deux compétitions officielles entre fictions et documentaires, des invités de marque (telles Michèle Laroque ou Hélène Vincent) et une soixantaine d'avant-premières. À l'heure où les salles peinent toujours à se remplir, le Festival 2 Cinéma de Valenciennes entend bien nous redonner goût à cette vieille habitude.
Après Romy Schneider et Michel Piccoli, c'est Patrick Dewaere qui a les honneurs de l'affiche du festival valenciennois. L'acteur mythique renaît ici dans un documentaire coréalisé par sa fille et Alexandre Moix, Patrick Dewaere, mon héros. Un joli clin d'œil aux 40 ans de sa disparation, et le témoignage du bon goût dont fait preuve ce rendez-vous. Parmi une palanquée d'exclusivités, citons le nouveau dessin animé de Michel Ocelot (Le Pharaon, le sauvage et la princesse) ou encore Les Pires de Lise Akoka et Romane Gueret. Après avoir tourné un court-métrage dans le quartier Chasse Royale de Valenciennes, les réalisatrices ont cette fois posé leurs caméras à Boulogne-sur-Mer, mêlant fiction et réalité pour raconter l'histoire de quatre ados entamant le tournage d'un film.
L'envers du décor
On le sait, l'autre spécialité du festival, c'est la mise en lumière des métiers de l'ombre du septième art. Cette année, place au monteur américain Paul Hirsch, récompensé d'un Oscar pour son travail sur Star Wars. Le F2V nous emmène aussi dans l'envers du décor, en accueillant Dante Ferretti et Francesca Lo Schiavo. Ces chefs-décorateurs italiens ont sublimé des plateaux légendaires, et obtinrent des statuettes pour Aviator, Hugo Cabret ou Sweeney Todd. Pas de doute : en septembre, c'est depuis Valenciennes qu'on observe le mieux les étoiles. Julien Damien
Valenciennes, 23 > 28.09, Cinéma Gaumont & divers lieux 1 séance : 7 > 4,50€, festival2valenciennes.fr
FEU FOLLET

Conte défait
© JHR Films
2069. Des soucoupes survolent le Portugal. Sur son lit de mort, un prince fortement ballonné se souvient de sa jeunesse. Présenté par João Pedro Rodrigues comme une « fantaisie », Feu follet mêle les genres, de la science-fiction à la comédie musicale, pour offrir une jouissive transfiguration de la réalité.
Alors que le feu dévore une fois encore les forêts de son pays, le jeune prince Alfredo s’engage comme pompier volontaire. À la caserne, il rencontre Alfonso, homme noir originaire de l'ancien empire colonial. Convoquant l'imaginaire du conte, Feu follet démythifie le grand récit national par sa description satirique de l'aristocratie – la mère d'Alfredo lui ordonne de ne pas se comporter comme un « républicain » ou un « castillan ». Mais c'est surtout dans sa représentation du désir que le film se fait le plus joyeux et corrosif. Une séquence montre ainsi les deux garçons s'étreindre entre les pins tout en s'insultant, l'un d'« esclavagiste » et l'autre de « brachycéphale ». L’attirance se dévoile alors dans toute sa violence, fruit d'une domination que la sexualité dénaturalise par le jeu et l'excès comique. Un autre moment délicieux suggère qu'il faudra un investissement libidinal renouvelé pour mieux protéger les arbres. En à peine plus d'une heure, le réalisateur de Mourir comme un homme (2009) parvient ainsi à nouer les questions les plus urgentes, du péril écologique aux conséquences sociales et intimes de la colonisation. Et prouve, une fois de plus, que le cinéma portugais est l'un des plus vivaces en Europe. Raphaël Nieuwjaer
FLEE

© Haut et court
Vivre libre
Le premier long-métrage documentaire de Jonas Poher Rasmussen adopte la forme originale du cinéma d’animation. Récompensé à Sundance et au festival d’Annecy, Flee (soit "fuir" en français) relate l’histoire vraie d’un jeune homosexuel ayant quitté l’Afghanistan et l’obscurantisme pour gagner l'Occident. Un récit bouleversant.
Les amateurs de cinéma d’animation savent que le genre ne se destine pas uniquement au jeune public. En 2008, l’Israélien Ari Folman marquait les esprits avec Valse avec Bachir, film autobiographique sur ses années de guerre. Depuis, d’autres œuvres comme Cafard (2015), narrant l'errance d'une escouade belge pendant la Première Guerre mondiale, ont privilégié cette technique. Si Jonas Poher Rasmussen se sert lui aussi du dessin animé pour réaliser son documentaire, c’est d’abord pour protéger l’identité de son héros, Amin, et celle de ses proches. Le Danois utilise ici des entretiens effectués avec le jeune homme (c’est sa voix qu’on entend en VO) et, par l’entremise de flash-back, retrace les 30 premières années de sa vie. Flee raconte ainsi son enfance heureuse en Afghanistan, dans les années 1980, avant la guerre civile, l’arrivée des talibans et l’exil au Danemark, où il deviendra un brillant universitaire… Le réalisateur ne sacrifie en rien la beauté du graphisme et des décors, tout en servant un discours engagé et humaniste. Abordant l’intolérance et le déracinement de tous les réfugiés, Flee est un film lumineux, à l’heure où l’Afghanistan s’enfonce toujours plus dans les ténèbres. Grégory Marouzé
CINECOMEDIES
Le rire, c'est sérieux. Tel est le mantra de ce festival, qui met à l'honneur un genre populaire mais souvent mésestimé : la comédie. Après Pierre Richard (le parrain), Gérard Oury, Bourvil et Belmondo, c'est la bande du Splendid qui est célébrée à Lille. Outre une soirée spéciale Le Père Noël est une ordure, une exposition au Palais Rihour rassemble costumes, accessoires et autres photos de tournage inédites de films culte (des Bronzés à Papy fait de la résistance). Parmi les invités d'honneur, Claude Lelouch, pas forcément connu pour son humour, vient rappeler qu'il a tout de même signé il y a pile 50 ans un classique de la gaudriole : L'Aventure c'est l'aventure. Au casting ? Lino Ventura, Jacques Brel, Aldo Maccione et Johnny Hallyday. Oui, rien que ça. Julien
Damien Lille, 28.09 > 02.10, UGC, Le Majestic, Le Métropole, L'Univers, Palais Rihour, Furet du Nord, festival-cinecomedies.com (Expo au palais Rihour : 10.09 > 09.10, gratuit)

SAUL BASS.
Autopsie du design cinématographique
C’est peut-être l’un des plus célèbres graphistes du xxe siècle. Créateur de la police de caractères des mouchoirs Kleenex ou du logo des céréales Quaker, Saul Bass (19201996) a surtout signé les affiches de films légendaires – citons Psychose, Sueurs froides, West Side Story, Casino… Avec son épouse, Elaine, il a conféré au générique d’ouverture le statut de prologue. Cette somme revient sur le parcours d’un gamin du Bronx nourri au constructivisme russe et au Bauhaus. Pointue et fouillée, cette analyse formelle étudie un style unique qui a fait école. On peut regretter la portion congrue laissée à l’image, mais ce livre érudit complétera la monographie Saul Bass : A Life in Film & Design (2011) de Jennifer Bass et Pat Kirkham.
Thibaut Allemand