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Le laboratoire du droit transsystémique

par Jean-Benoît Nadeau

Voici quatre personnes qui ont fait leur droit à McGill entre 1992 et 2016 — l’intervalle d’une génération. Leur point commun? Les quatre ont tour à tour fait de la recherche au Centre Paul-André Crépeau de droit privé et comparé, lequel a pour mission de développer et de promouvoir la tradition civiliste canadienne dans une perspective comparatiste. Et comme bien des membres de notre communauté diplômée, ce quatuor en a long à raconter !

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Jean-Philippe Brisson - LE DISCIPLE

Jean-Philippe Brisson, BCL’96, LLB’96, peut se vanter d’avoir été l’assistant de recherche du professeur Paul-André Crépeau en personne. En plus de collaborer à ses recherches, Brisson l’aidait dans la mise à jour de ses notes de cours. « Il a été pour moi un mentor. Il connaissait ma femme. Il m’a conseillé sur mes orientations de carrière et mes lieux d’études. »

Brisson est maintenant associé et coprésident mondial en matière de réglementation environnementale et de droit transactionnel chez Latham & Watkins à New York. Il est passé à McGill quelques années avant que la Faculté adopte formellement l’enseignement transsystémique, même si celui-ci était implicite dans la pensée du professeur Crépeau. « Je dois beaucoup à la méthode de pensée acquise à McGill. » Cette rigueur lui a permis, notamment, de réussir plusieurs transitions, dont notamment entre la Banque mondiale, la Communauté européenne et un cabinet new-yorkais. « C’est un tremplin. »

« Au début de ma carrière, le droit en matière de changements climatiques était surtout réglementaire, mais il est devenu très contractuel sous l’effet des produits dérivés, dont les crédits de carbone. C’est 90 pourcent de ma pratique. J’applique couramment des techniques dont je discutais avec le professeur Crépeau il y a 25 ans ».

Rui Gao - QUESTION DE PRINCIPES

Rui Gao, BCL/LLB’16, est arrivée directement du Collège Jean-de-Brébeuf à 19 ans. « Même aujourd’hui, je suis toujours la plus jeune du cabinet », s’exclame l’avocate chez Davies Ward Phillips & Vineberg à Toronto.

Elle explique avoir choisi McGill précisément pour l’approche transsystémique. « Il y a des limites à l’utilité de mémoriser des codes, des lois ou des règlements qui changent tout le temps. Je voulais davantage examiner les traditions et la structure juridique. J’étais plus dans les principes que dans le par cœur ».

Comme assistante de recherche au Centre Crépeau, elle a collaboré à un dictionnaire du droit privé comparatif en plus d’organiser une conférence de deux jours sur la « jurilinguistique », soit l’effet des mots sur le droit.

« La pratique est différente du contexte académique, mais il y a beaucoup de liens dans la manière de faire sa recherche. Par exemple, comment utiliser un principe de droit déjà formulé pour l’appliquer sur une question nouvelle pour laquelle il n’existe aucune jurisprudence ? L’approche transsystémique nous apprend à penser hors des sentiers battus ».

Jameela Jeeroburkhan - L’ANTHROPOLOGUE

Jameela Jeeroburkhan, BLC/LLB’04, est arrivée au droit en passant par l’anthropologie. « Mon intérêt était académique. Je voulais comprendre le rapport entre culture, norme et droit », dit l’avocate spécialisée en droit autochtone et associée au cabinet Dionne Schulze à Montréal.

De ses six mois comme assistante de recherche au Centre Crépeau, elle conserve un souvenir inaltérable du professeur Nicholas Kasirer, BCL’85, LLB’85, désormais juge à la Cour suprême du Canada. C’était l’été où le Québec venait de créer l’union civile, alors que le gouvernement fédéral n’avait pas encore modifié sa définition du mariage. Le professeur et l’étudiante sont allés assister à la première union civile. « Il voulait que je l’aide à considérer les éléments symboliques du rituel. Participer à l’analyse anthropologique d’un principe juridique a été pour moi une expérience marquante. »

Elle explique que la capacité de penser « transsystémiquement » est inhérente au droit autochtone, en plein développement. Or, c’est un environnement « trijuridique », voire « quadrijuridique ». Car outre la Loi sur les Indiens, de la common law, et le droit civil du Québec, de plus en plus de communautés autochtones en appellent au droit international. « L’approche transsystémique nous dit qu’il n’y a pas une seule norme. C’est précisément ce que j’aimais en anthropologie. »

Olivier Jarda - LE TOUCHE-À-TOUT

Olivier Jarda, BCL/LLB’15, considère avoir franchi un point tournant en 2 e année de droit, alors qu’il était assistant de recherche au Centre Crépeau. On lui a alors confié la tâche de coorganiser un forum en l’honneur du professeur Roderick Macdonald, qui a réuni plusieurs générations issues de notre communauté diplômée et corps professoral. « Le professeur Macdonald savait créer un environnement où les gens sont à l’aise de prendre des risques. C’est emblématique de la faculté. »

Après s’être spécialisé en droit autochtone chez Hutchins Legal à Montréal, l’ex-musicien — avec trois albums à son actif — et boursier Rhodes a agi comme attaché politique du ministre fédéral de la Justice à Ottawa, avant de devenir directeur des politiques et des affaires juridiques au cabinet de la ministre fédérale de l’Infrastructure et des Collectivités.

« L’approche transsystémique sert aussi bien à régler des problèmes que le législateur n’a pas prévus qu’à développer de nouvelles politiques. » Il cite l’exemple du dossier sur les discours haineux pour lequel il a comparé, entre autres, les lois allemandes (de tradition civile) et australiennes (de tradition britannique). « Ce sont des styles qui ne sont pas étrangers à un diplômé en droit de McGill ».

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