Mémoire Euralille

Ecole nationale supérieur d’architecture Paris-Malaquais Généalogie du projet contemporain Professeur responsable : Dominique Rouillard Directeur de mémoire : Nathalie Chabiland

Euralille_Matrice d’un Objet Ouvert 1988-2009_La congestion comme levier théorique

Julien Mirada Janvier 2012

Euralille_Matrice d'un Objet ouvert 1988-2009_La congestion comme levier théorique

Introduction…………………………….......……………….5 Développement……….……………….......………….…..12 Conclusion………….………………........………………..59 Bibliographie………………………........…………………62

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1_La congestion est ailleurs ……………………………….…12 1.1_Imaginer la métropole…………………………………………………..12 1.1.a. L'imaginaire Lillois …………………………………………...12 - Donner corps aux ambitions - Une mégalomanie typiquement française - Un bouleversement dans la ville

1.1.b. Euralille, ville du globe captif ?.........................................16 - Laboratoire idéologique - Une mise en scène - Euralille, un territoire théorique

1.1.c. Le nœud Gordien, une complexité exacerbée…………...20 - Une infrastructure malléable - Centralité(s) - L'infrastructure du programme - Intensifications et diversifications

1.1.d. Pré-métropolisation Lilloise………………………………24 - Culture et théorie - Frénésie hystérique et épuisante - Une nouvelle adresse

1.2_Le plaisir de la complexité…………………………………………..…27 1.2.a. Une ville condensée…………………………………………..27 - L'Hyper-building (OMA-1996) - Rapprochements théoriques - Rapprochements formels

1.2.b. Interprétations du « Programme cadre »…………………30 - Relier - Programmer - Rendre visible

1.2.c. Introduire la grande échelle………………………………..33 - Echanger - Accumuler - Rompre

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2_Programmer l'incertitude………………………………..….38 2.1_Désirs d'instabilité……………………………………………....….…..38 2.1.a. Le plein est incontrôlable……………………………………38 - Melun-Sénart (OMA-1987) - Imaginer le néant - Le territoire est potentiellement urbain

2.1.b. Construire les sanctuaires………………………….………41 - Le calme règne - Fabrique d'une réserve - Continuités d'un système vert

2.1.c. Congestion sans matière……………………………………43 - Parc de la Villette (OMA-1982) - Un décor fugace - La dimension de l'aventure

2.1.d. Les pièces urbaines……………………………….…………46 - L'unité de mesure - Les îlots et l'archipel - La cohérence des systèmes

2.2_Accentuer les symboles………………………………………………49 2.2.a. De loin en proche……………………………………………..49 - Superposition des réseaux - Reformuler les déplacements - Eloge de la rue

2.2.b. Intensifier les activités………………………………………52 - Activer le passage - Mixités programmatiques - Ancrages thématiques

2.2.c. L'épaisseur du contour………………………….……….…55 - La masse critique - Surfaces continues - Images Délires

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Introduction

J'ai toujours eu devant moi des images d'Euralille, celles des tours, d'une gare et d'un chantier continu. Les premiers travaux ont commencé au bout de ma rue et j'ai pu en suivre leurs avancées au cours de mes études à l'école d'architecture de Lille. Ce mémoire est pour moi l'occasion de comprendre l'origine et le développement d'un projet qui se poursuit vingt ans après. On peut, sans se tromper, dire qu'il fait partie des projets urbains les plus marquants de la fin du XXème siècle. Maxime Bitter, journaliste à AMC, a récemment dit qu'Euralille était l'épicentre de la création architecturale actuelle, l'endroit où il faut être, l'endroit où il faut avoir été1. On peut donc s'interroger sur l'influence qu'a eue et que continue à avoir cet urbanisme et son architecte sur le développement théorique et conceptuel aujourd'hui, autant dans la région Lilloise que dans le reste du monde.

La complexité du projet, tant d'un point de vue théorique que dans sa réalisation interroge les pratiques architecturales et urbaines. C'est donc avant tout pour comprendre ce que j'ai longtemps eu sous les yeux que je me suis lancé dans cette recherche. Le thème de ce séminaire est l'Hyper, on peut dans ce projet y associer énormément de choses, autant l'ensemble urbain que certains bâtiments. Les premières images que l'on en retient sont les tours surplombant la gare, elle-même traversée par une route, sous laquelle passe un parc. On peut également retenir le centre commercial signé par Jean Nouvel ou le Grand Palais fait par Rem Koolhaas. Euralille regorge de « monuments » contemporains et il est donc difficile de faire un choix d'étude tant ils en ont déjà été l'objet. Je me suis donc penché sur la conception et l'approche théorique de la première esquisse.

1_Conférence avec Isabelle.Menu et Laurent Théry à la Maison de l'Architecture et de la ville du 06 déc 2011

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Tout semble avoir été dit sur Euralille, depuis les débuts relatés dans la presse à sa réalisation. De nombreux ouvrages en retracent l’historique politique en décrivant le contexte franco-anglais et la liaison trans-manche, architecturale à travers diverses expositions et financier (plus spécifiquement le montage financier) de la société et de la ZAC. Mais cela n'est nullement l'objet de mon étude, je me suis donc rapproché des critiques architecturales de l'époque du concours à sa finalisation.

Sortie de terre, l’opération fait face aux attaques qui lui reprochent son échelle démesurée et quasi insoutenable, Xavier Malverti parlera de la ville délire2 et Jean Louis Cohen évoquera son manque d’articulations au sein même de l’opération mais aussi avec le reste de la ville: « Assemblage de segments bâtis dont les raccords sont toujours problématiques, Euralille entretient un rapport douloureux avec ses voisins. Si les agressions sont parfois le fait de ceux-ci, l’articulation du centre commercial annonçant le quartier vers le centre ancien est particulièrement faible (...). Les articulations internes des composantes de l’opération ne sont pas non plus sans poser problème et la gestion des limites entre les programmes singuliers a été menée à coup de serpe. »3

Il décrira le projet comme un collage simpliste, allant même jusqu'à faire des reproches purement esthétiques: « (...). Vu depuis la place de l’ancienne gare, le quartier apparaît comme un nouvel objet gris s’ajoutant aux vestiges usés des politiques immobilières successives des chemins de fer. »4

A la même période, la défense du projet se concentre plus sur la critique de la critique que sur les conditions de sa réalisation ou de ses éventuelles qualités. Jean Attali parlera d'un blocage de la pensée: « La sévérité des meilleurs critiques français à l’encontre des premières réalisations d’Euralille est étonnante. Tant de convergences dans l’accusation, tant d’agressivité parfois, finissent par faire soupçonner une inhibition, un blocage de la pensée »5

2_MALVERTI Xavier, « La grande échelle de Rem Koolhaas _ de New-York à Lille : la ville délire », dans Les annales de la recherche urbaine, Paris n°82, 1999 p14-22 3_COHEN, Jean-Louis, « Euralille: la Bigness à l'épreuve du chantier », dans Lotus, mai 1995 4_Idem

5_N.C, Euralille:poser, exposer, Lille, Espace Croisé, 1995, P.182-184

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Pour sortir de ce dialogue de sourds certains s’attachent alors à rechercher la validité et la cohérence du discours Koolhaassien. C’est sans doute Pierre Rouault qui le premier va tenter de replacer ces théories sur la Bigness à une échelle urbaine, décrivant une condition des villes encore non approchée et permettant ainsi d’appréhender le projet d’Euralille sous un autre angle. « Une discussion préalable de ces cinq propositions permettrait sans doute à la critique d’opérer et d’appréhender ces nouvelles qui constituent inévitablement l’environnement de demain; qu’il se fasse malgré nous est probable; en débattre évitera peut-être qu’il se fasse sans nous. »6

La fin de la première phase est également l’occasion d’évoquer le début de la seconde. C’est alors à un nouveau contexte politique, architectural et financier que doit faire face Euralille. Le choix est fait de poursuivre le projet sur un autre site, le contexte évoquant alors un rejet de la première opération. L’urbaniste en chef est mis de côté et laisse place à une nouvelle lecture de la ville. Euralille 2 se propose de développer une approche urbaine à une autre échelle, en lien direct avec celle de la ville historique. C’est une autre typologie qui, après concours, est adoptée. Presque chaque opération réalisée dans ce nouveau cadre fait l’objet de publication dans les revues et les expositions. Sur cela presque aucune critique ne vient s’affirmer. Vingt ans après, Euralille s’explique au travers d’un ouvrage réalisé par sa SAEM, reprenant l’historique et la description des projets, laissant la voix à leurs auteurs et effaçant presque toute attaque 7. Il n’est pas encore évoqué de filiation Koolhaassienne d’un projet à l’autre.

Entre Euralille 1 et Euralille 2 s’engagent d’autres projets, en appelant à des architectes et urbanistes reconnus; en rappelant l’OMA aussi d’une certaine manière. Ainsi, Floris Alkemade (OMA) est mis sur le 6_N.C, Euralille:poser, exposer, Lille, Espace Croisé, 1995, P.180 7_N.C, Euralille, Chroniques d'une métropole en mutation (1988-2008) , Paris, Dominique Carré Editeur, 2008

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secteur Chaude-rivière, ce qui lui autorise une critique vis-à-vis d’Euralille dont il avait la charge: « Les éléments principaux du projet (Lille Grand Palais, les deux gares et le centre commercial) fonctionnent, malgré leur proximité physique, comme des éléments isolés. Ils profiteraient tous fortement de jonctions plus directes. De par sa position centrale, le secteur Chaude-rivière a tout pour constituer ce chaînon encore manquant. »8

Isabelle Menu, qui travaillait à l'OMA au moment de la première esquisse, est chargée en 2009 d'étudier une éventuelle re-densification d'Euralille 1. A ce sujet elle dira du projet urbain que c'est un objet ouvert.

C'est à dire que, même vingt ans après son lancement, alors qu'il semble terminé, il est encore capable d'être réécrit, de supporter une nouvelle transformation. Ce fait est également évoqué par Floris Alkemade : « Tout cela montre que les possibilités de développement d’Euralille sont loin d’être épuisées et que chaque nouveau pas permet de renforcer le lien constitué par les bâtiments précédents. Cela montre également que les projets s’accommodent mieux d’un manque d’argent que d’un manque d’ambition. C’est finalement là que se situe la grande force d’Euralille. »9

Cette capacité de renouvellement du projet sur lui-même est pour la première fois évoquée. Cela semble être une piste d'étude intéressante d'autant plus que le séminaire est orienté sur la généalogie des projets. Il s'agirait donc de voir quels sont les éléments théoriques et conceptuels qui ont pu en faire un objet ouvert.

Pour ce faire, j'ai commencé par étudier la conception du projet. Je me suis basé sur une publication 10 de l'institut français d'urbanisme, dirigée par Patrice Goulet et qui recense l'ensemble des dessins, croquis, plans et schémas que l'OMA a produit pour la première esquisse. On y 8_N.C, Euralille, Chroniques d'une métropole en mutation (1988-2008) , Paris, Dominique Carré Editeur, 2008 9_Idem

10_GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d'architecture, 1990

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trouve les grandes clés conceptuelles et théoriques qui seront affirmées par la suite. En approfondissant mes recherches j'ai pu retracer des filiations théoriques et formelles présentes dans d'autres travaux de Rem Koolhaas. Ainsi, New York Délire apparaît comme l'élément déclencheur de toute une série de projets. Et surtout, il est un fil conducteur pour la lecture théorique d'Euralille.

Mais ses écrits ne s'arrêtent bien sûr pas là. Parmi les plus importants ayant un lien avec ce projet on peut citer Bigness, La ville du globe captif mais également Exodus. Tout cela construit dans le temps un répertoire théorique qui nourrit les futurs projets mais qui donne également des outils de compréhension des précédentes réalisations. Un des éléments déterminant dans la conception Koolhaassienne est le caractère rétro-actif des différentes oeuvres. Leur action peut alors être vue comme antérieure à leur production. Cela permet la confrontation des projets réalisés et/ou théoriques, ainsi que les écrits antérieurs ou postérieurs à ladite production.

J'ai donc pu sélectionner un corpus en me référant aux similitudes (théoriques et formelles) qui apparaissaient entre les différentes réalisations. J'ai choisi de mettre Euralille face à la ville du globe captif, au projet du Parc de la Villette, à l'Hyper-building et à celui du concours pour le développement de la ville nouvelle de Melun-Sénart.

J'ai pu accompagner ce corpus d'entretiens avec l'ancien directeur d'Euralille Jean-Louis Subileau et avec son successeur Laurent Théry.

Cela m'a permis d'avoir le point de vue des acteurs du projet.

En conclusion sur ce qui a déjà été dit ou fait sur le sujet, la notion d'objet ouvert est celle qui m'est apparue comme étant la plus pertinente.

En commençant les recherches, le thème de la congestion est devenu l'élément récurrent du discours Koolhaassien. C'est un concept qu'il a tiré de son manifeste rétro-actif pour Manhattan. Il en ressort une culture de la congestion qui est pour lui l'essence même de la métropole. Il développe cela en une théorie de la congestion qui serait le moyen de transformer

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une ville de province en une métropole.

Peut-on voir cette théorie comme un levier fondamental au développement du projet et, vingt ans après, peut-elle se vérifier ?

L'hypothèse ainsi soutenue est qu'elle permet de constituer un nouveau type d'urbanisme qui aura des capacités de ré-invention, ce que Koolhaas appelle également une reconstruction perpétuelle. Mais la constitution d'un objet ouvert ne s'arrêterait pas là puisqu'elle aurait également pour conséquence d'intégrer l'incertitude du développement urbain dans sa programmation.

Dans un premier temps le mémoire s'attachera à décortiquer la théorie de la congestion et à la confronter aux réalités de la ville de Lille.

Ainsi, elle ne semble pas être un élément mesurable ou identifiable sur le site,

mais

plutôt

une

notion

abstraite

servant

la

rhétorique

Koolhaassienne. Cela en devient un outil de persuasion et d'extrapolation plus qu'une donnée transformant de façon tangible la métropole. Elle permettrait

cependant

de

constituer

d'autres

instruments

pour

métamorphoser la ville.

La méthode de conception est aussi à prendre en compte puisqu'elle incorpore la complexité comme un nouveau procédé de compréhension et d'intervention architecturale. Cela permet de saisir la métropole à la fois dans sa globalité et dans ses entités. En composant et en recomposant les données du projet il fait des allers-retours permanents comparables à l'objet ouvert qu'il est en train de construire. Ici, réalisation et processus de conception semblent se confondre.

Cette confusion n'est pas sans rappeler l'instabilité qui est un des mots circulant dans son discours. Elle est à voir comme une conséquence de la théorie de la congestion mais aussi comme une résultante du contexte physique du site. Un des intérêts de ce projet est que, pour la première fois, Koolhaas se confronte aux réalités d'une ville. Ce n'est plus

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une étude, un concours ou une réalisation théorique mais une mise en œuvre des différents concepts qu'il a pu proposer auparavant.

En dernière partie, la première esquisse vient se mettre en regard de l'étude de densification. On peut ainsi voir les éventuelles continuités et discontinuités formelles et/ou théoriques entre les deux propositions. Le projet se met face aux temps de la ville, ceux de sa construction et ceux de son appropriation pour donner une lecture critique d'Euralille.

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1_La congestion est ailleurs

1.1_La métropole virtuelle 1.1.a. L'imaginaire Lillois Le projet d'Euralille est d'abord celui d'afficher les ambitions Européennes d'une ville de province. Le nord et le Pas-de-Calais sont en pleine crise industrielle. L'arrivée du TGV est vue comme l'opportunité de relancer l'économie régionale. Après de multiples batailles économicopolitiques, la décision est prise de faire entrer le TGV dans le centre de Lille. La création de cette gare amène l'idée d'un Centre Européen d'Affaires. Lille souhaite par ce pôle tertiaire devenir une grande métropole en Europe. L'ensemble des acteurs du projet vont mettre en route cette idée, mettant en scène la ville par un « système d'extrapolations », développant ainsi l'imaginaire Lillois.

Donner corps aux ambitions Euralille affiche dès le départ ses ambitions, celles d'être le pôle régénérateur de toute une région. Pour ce, elle adopte un postulat simple : Le TGV redéfinit les hiérarchies entre les villes, géographiquement et économiquement. L'arrivée du TGV est donc une transformation radicale dans le paysage régional, national et international. Lille veut s'assurer une forme « d'Européanité » : « Lille au Sud de l'Europe du Nord et au Nord de l'Europe du Sud »11

Elle devient immédiatement le cœur d'une Euro-Région. En ce sens elle se doit de fournir un certain nombre de services tertiaires et commerciaux. Mais cela postule également qu'en amenant ces types de 11 _Voir le programme cadre en annexes

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services elle se situe de fait au même niveau que les autres métropoles. « Assurer la « mise à niveau » de Lille et de la métropole pour leur donner les meilleurs chances d'exploiter leurs atouts et de « concourir » avec les métropoles Européennes. »12

L'élaboration du Programme Cadre se base sur l'extrapolation de besoins qui n'existent pas encore et qui place la ville dans une situation incertaine quant à la réussite de l'opération. Le but du projet que devra mettre en images un urbaniste s'éclaircit, il n'a pas essentiellement pour travail de dessiner un bout de ville mais surtout celui de mettre en scène une métropole qui n'existe pas encore.

Le Centre d'Affaires International devient une Turbine Tertiaire, un objet capable d'entrainer avec lui toute une région. Mais cette turbine se traduit également par les procédés mis en place pour élaborer le projet. La société ainsi montée est à risques partagés, elle engage les partenaires publics et privés de façon étroite. Autour de l'architecte-urbaniste sera créé un cercle de qualité constitué d'architectes, d'urbanistes et de critiques. Le tout créant une Dynamique d'enfer (selon les mots de JeanPaul Baïetto), une turbine au service d'Euralille.

Il faut alors trouver un architecte-urbaniste capable de comprendre cette dynamique et de lui donner forme. Au préalable et pour créer une émulation architecturale, Euralille implique des acteurs régionaux et internationaux au travers de conférences sur la ville à l'école d'architecture de Lille. Ainsi, avant même la finalisation du programme cadre, Lille se voit au centre de l'activité architecturale Européenne. Le choix de l'urbaniste ne se fait pas par les classiques concours et commissions mais par une consultation qui prendra la forme d'un grand oral où huit concepteurs seront invités à présenter sans dessins leur vision de la ville et celle du devenir de Lille. Il s'agit là, pour eux, de pouvoir donner corps à l'imaginaire Lillois. Pierre Mauroy dira plus tard à Rem Koolhaas : « Vous m'avez soufflé l'image que j'avais... »13 12 _Voir le programme cadre en annexes

13_N.C, Euralille:poser, exposer, Lille, Espace Croisé, 1995, P.52

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Une mégalomanie typiquement française A l'époque où Rem Koolhaas reçoit le dossier de la consultation il travaille également sur le projet de la Bibliothèque de France. Deux grands projets en France qui lui font voir Euralille comme un centre d'affaires aux ambitions démesurées, une mégalomanie typiquement française selon lui : « En lisant le dossier du concours j'ai d'abord été convaincu que l'hypothèse du Centre Européen d'Affaires était une mégalomanie typiquement française. J'étais alors très sceptique. C'était à un moment où l'impact du TGV était moins clair, où l'on connaissait encore mal l'importance que cela aurait. »14

Cette démesure sera pour lui la base du projet, en extrapolant les ambitions affichées pour garantir la réussite d'un objet inimaginable. Pour donner corps à cette mégalomanie il en accentue les traits, l'arrivée du TGV devient ainsi la scène d'une métropole internationale, ne se définissant plus uniquement par sa situation régionale mais par les grandes capitales qui l'entourent. « L'adresse serait formulée comme suit: « 70 minutes de Londres », « 50 minutes de Paris », « 18 minutes de Bruxelles » »15

Le Centre Européen d'Affaires devient une nouvelle capitale, qui vient s'implanter dans une ville qui n'en a pour l'instant aucunement l'envergure. L'approche de Koolhaas dans ce projet n'est cependant pas évidente puisqu'il admet ne pas croire à sa réalisation. « L'unique raison pour laquelle nous n'étions pas entièrement paralysés était que nous ne pensions pas un instant que le projet verrait réellement le jour. »16

La construction d'Euralille est donc pour lui, au départ, uniquement théorique. Que serait une nouvelle capitale pouvant traduire les délires mégalomaniaques d'une petite ville de province? Les points sur lesquels il va alors se raccrocher sont ceux d'une ville qui existe parce qu'elle est 14 _N.C, Euralille:poser, exposer, Lille, Espace Croisé, 1995, P.51 15 _KOOLHAAS, Rem et MAU, Bruce, S,M,L,XL, New York, The Monacelli Press, 1998 (réédition de 1995), P.1170

16 _N.C, Euralille, Chroniques d'une métropole en mutation (1988-2008) , Paris, Dominique Carré Editeur, 2008, P.40

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Une nouvelle adresse

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.19

entourée par Londres, Paris et Bruxelles. L'imaginaire Lillois s'appuie désormais sur les extrapolations théoriques développées par Koolhaas et on peut alors se référer à ses précédents travaux pour une lecture du projet d'Euralille.

Un bouleversement dans la ville Le regard théorique porté par Koolhaas sur Euralille l'amène à anticiper le rapport entre le centre historique et le nouveau pôle d'affaires.

Tout d'abord, Lille est pour lui une ville classique dans laquelle la modernité n'a pas encore fait son apparition. C'est donc en premier lieu un bouleversement dans la culture de cette ville, le fait de devoir accepter un processus de modernisation qui semble désormais inévitable. « Lorsqu’on arrive par l’autoroute, la ville garde un certain mystère. On en décrypte des signes mais sans en percevoir véritablement la réalité.

Je connaissais cette ville en théorie mais pas réellement en profondeur.

En la visitant, j’ai été étonné de trouver une ville aussi intacte, aussi classique et aussi pure, presque sans aucun signe de modernité. »17

Ce sont des changements profonds qui arrivent dans le centre de Lille. Le site prévu pour recevoir la gare n'est cependant pas en plein centre, il est en périphérie, dans une zone militaire déclassée. C'est une nouvelle relation centre-périphérie que Koolhaas se propose de penser. « J’étais particulièrement frappé par la typologie très pure du centre-ville vis-à-vis de la périphérie. J’ai dit qu’un projet qui devait se trouver à cet endroit, sur une faille entre centre et périphérie, devait se définir en contribuant à la définition mutuelle des deux parties. J’ai aussi parlé de l’importance d’assumer l’inévitable : s’il devait arriver un véritable bouleversement dans la ville avec l’arrivée du TGV, ce serait un évènement que l’on ne pourrait jamais cacher ou faire entrer dans une enveloppe modeste. »18

Euralille se projette donc dans un nouveau Lille, en bordure du centre historique. Cela suppose également la transformation d'une ville 17 _N.C, Euralille:poser, exposer, Lille, Espace Croisé, 1995, P.51 18 _Idem, p.52

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par sa périphérie. Ce qui habituellement est une ville nouvelle devient une nouvelle ville dans la ville. Tout en assumant une évidente relation entre le centre historique et le nouveau pôle, Koolhaas évoque l'impossibilité de les confondre. Tout d'abord parce que le projet est trop ambitieux pour se cacher ou être caché mais aussi parce que la ville classique ne pourrait assumer entièrement la modernité apportée par le TGV. Il s'agit là de projeter l'image d'une nouvelle capitale tout en poursuivant le nécessaire développement de l'imaginaire Lillois.

1.1.b. Euralille, ville du globe captif ? « La ville du globe captif est un lieu tout entier consacré à la conception et à la maturation artificielles des théories, interprétations, constructions mentales et propositions, ainsi qu'à leur mise en application dans le monde. Dans cette capitale de l'ego, la science, l'art, la poésie et certaines formes de folie, placés dans des conditions idéales, rivalisent pour assurer la suprématie dans le processus d'invention, de destruction et de reconstruction du monde de la réalité phénoménale. »19

Laboratoire idéologique Impliqué dans un projet qui ne verra jamais le jour, Rem Koolhaas peut laisser libre cours au développement de ses théories. Coupé du centre ville, quasiment indépendant de ce qui l'entoure, le site apparaît comme un des socles en granit de la ville du globe captif. Quelle théorie va pouvoir mûrir dans ce nouveau laboratoire idéologique ? Des laboratoires qu'il décrit comme une première exploration intuitive de l'architecture Manhattanienne (1972, avant la publication de New York Délire-1978). Euralille pourrait-il alors être un lieu d'expérimentation, une 19 _KOOLHAAS, Rem, New York Délire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais, 1978), p.296

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La ville du globe captif

KOOLHAAS, Rem, New York DÊlire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais, 1978), p.295

forme de démonstration de ce qu'il a observé à Manhattan ? Les ambitions mégalomaniaques du projet et sa situation (le projet ne verra jamais le jour), posent des bases idéales pour une expérience architecturale et urbaine. La ville du globe captif se construit sur trois postulats, confortés par l'écriture de New York Délire : 1_La trame: « La trame, ou tout autre système de subdivision du terrain métropolitain fixant les limites maximales des îlots, définit un archipel de « villes dans la ville ». »

2_Les îles: « Plus chaque « île » exalte des valeurs spécifiques, plus l'unité de l'archipel comme système s'en trouve renforcée. Le fait que le « changement » soit circonscrit aux « îles » constitutives garantit l'immuabilité du système. »

3_Autonomie: « Au sein de l'archipel métropolitain, chaque gratte-ciel, en l'absence d'une véritable histoire, élabore son propre « folklore » instantané. La double déconnection de la lobotomie et du schisme, qui sépare architecture extérieure et intérieure, et transforme cette dernière en autant de parcelles autonomes, permet aux gratte-ciel d'être tout formalisme à l'extérieur et tout fonctionnalisme à l'intérieur. »20

Quelle en sera alors la trame, peut-on retrouver à Euralille un système capable de définir un ensemble d'îles? On se trouverait alors face à un archipel, avec de grandes pièces indépendantes les unes des autres.

Cette trame dépasse-t-elle le site? Il pourrait alors être vu comme une seule île, autonome, élaborant son propre folklore. Quel sont les éléments de cette vision intuitive de Manhattan que l'on pourra retrouver partiellement ou complètement à Euralille ?

Une mise en scène Koolhaas met en scène cette métropole à travers les théories Manhattaniennes mais également face aux temps de la ville. Il publie à la fin de la première phase d'Euralille un texte « What ever happened to Urbanism »en (1994) dans S, M, L, XL. On peut voir dans ce texte une 20 _KOOLHAAS, Rem, New York Délire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais, 1978), P.296

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forme de nouveau manifeste rétroactif. Il offre une vision de l'urbanisme, profession qu'il déclarait disparue auparavant, que l'on peut mettre en regard du projet Lillois. « L'architecture exploite et épuise les potentiels qui ne peuvent finalement être générés que par l'urbanisme et que seule l'imagination spécifique de l'urbanisme peut inventer et renouveler. »21

Il met ici directement en cause des systèmes d'opérations urbaines qui ne permettent pas de comprendre et d'entreprendre les métropoles actuelles mais, il évoque également, d'une certaine manière, sa façon de « faire la ville ». Inventer et renouveler, deux thèmes qui sont la nature même de la ville du globe captif et qu'il reprend ici comme les éléments générateurs d'un nouvel urbanisme. « S'il doit y avoir un « nouvel urbanisme », il ne reposera pas sur les fantasmes jumeaux d'ordre et d'omnipotence; il sera une mise en scène de l'incertitude ; il ne s'occupera plus d'agencer des objets plus ou moins permanents mais d'irriguer des territoires par du potentiel ; il ne visera plus des configurations stables mais la création de champs capables d’accueillir des processus qui refusent d'être cristallisés sous forme définitive ; il ne visera plus à définir précisément, à imposer des limites, mais à élargir des notions en niant les frontières .»22

La capacité d'Euralille à se renouveler fait écho aux propos d'Isabelle Menu qui décrit le projet comme un objet ouvert. Il semblerait donc aujourd'hui que l'incertitude soit un des thèmes du travail de Koolhaas à Lille. Cependant, on peut se demander ce qui a permis à cet objet de rester ouvert à d'autres formes urbaines. Euralille comme ville du globe captif prend ici tout son sens, il n'y a plus un système autoritaire mis en place mais une multitude « d'îles » capables de se renouveler. Reste alors à savoir quelle est la théorie qui s'est développée à l'intérieur du projet.

21 _KOOLHAAS, Rem et MAU, Bruce, S,M,L,XL, New York, The Monacelli Press, 1998 (réédition de 1995), “What ever happened to urbanism”, Traduit par Françoise Fromonot, dans Criticat, Paris, septembre 2011, n°8

22 _Idem

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Euralille, un territoire théorique Tout est ici réuni pour faire du projet d'Euralille une expérience théorique Koolhaassienne. Le projet défini par le programme cadre est celui d'une métropole virtuelle qui n'existe que par sa proximité avec de grandes capitales économiques et politiques d'Europe. Ce lieu est de fait l'espace d'extrapolations théoriques, il évoque la ville du globe captif et en retient un nombre significatif d'éléments pour permettre, en reprenant l'expression de Koolhaas, une éjaculation spéculative. Un premier postulat, le TGV redéfinit la hiérarchie entre les villes, qui en entraine un second, la ville étant placée entre de grandes capitales devient elle-même une capitale, qui en entraine un troisième, la ville devient le centre de l'Europe, et ainsi de suite. Cet ensemble d'extrapolations redéfinit le projet en permanence et lui demande alors une forme de souplesse qui doit être dès la base inscrite dans ses principes.

Ainsi, Euralille n'est pas seulement le théâtre d'une théorie Koolhaassienne, il est également la projection d'une nouvelle forme d'urbanisme intégrant l'incertitude dans son fonctionnement. La création de ce système libre suppose lui aussi l'implication d'une théorie sousjacente. La ville du globe captif est une exploration intuitive de l'architecture Manhattanienne. Placer Euralille face à cette exploration induit qu'un concept de New York Délire s'est immiscé dans le projet. Oui, mais lequel ?

Comment peut-on passer d'une ville de province à une grande capitale ? Cela veut dire que l'on amène un puissant levier capable de bouleverser une situation. La première donnée de ce levier est l'arrivée du TGV, il propose une transformation spatiale du territoire. La seconde est le point d'ancrage de ce TGV, il redéfinit l'ensemble des points selon sa position. La troisième est la mutation de cet ancrage en un point d'appui sur lequel le levier pourra se reposer. Ces trois données sont réunies à Lille, elles restent cependant une pure fiction tant que la ville n'a pas intégré ce passage comme élément fondateur d'une restructuration profonde.

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Tout cela vient confirmer l'existence d'une métropole qui n'existe pas encore. Quel est le concept qui a permis à Koolhaas de donner corps à ce qui n'existe pas et à ce qui n'existera probablement jamais ?

L'ensemble de ces villes formule ce qu'il nomme la congestion, une situation indissociable des métropoles, c'est pour lui ce qui les décrit et ce qui les constitue. Comment se sert-il de la congestion pour élever Lille au rang de métropole ?

1.1.c Le nœud Gordien, une complexité exacerbée Dénouer le noeud gordien de l'infrastructure! Comment résoudre ce qui paraît être un problème sans réponses? Deux grands réseaux, routiers et ferroviaires, se croisent sur le site de la nouvelle gare. Koolhaas voit en ce croisement trop de nuances et de complications et, en conclut qu'il faut alors déplacer soit l'autoroute, soit le tunnel. Les jeux et détournements de ces infrastructures engendre une complexité qui devient centralité, transformant et enrichissant le programme initial de la gare.

Une infrastructure malléable Pour sortir de ce noeud, Koolhaas propose d'exacerber la situation et ainsi de passer d'une situation compliquée, dont la lecture est difficile et problématique, à une situation complexe qui intègre l'ensemble des données comme autant de points d'étude. D'un ensemble sans grande lisibilité où se croisent les routes et les voies ferrées, il donne aux réseaux une autre dimension. Les données de chacun de ces éléments en portent d'autres, le tunnel amène une gare et l'autoroute un parking. Les infrastructures ainsi décryptées deviennent « malléables » et peuvent se croiser, s'accoler ou encore, se superposer. Si la complexité mise en jeu dans le projet vise à l'enrichir, c'est également une manière de le comprendre et d'éclaircir les situations.

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Un point central

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.67

Détournement du périphérique

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.59

Le noeud gordien

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.57

L'infrastructure devient une trame, un squelette permettant d'ancrer les programmes. L'intersection et la superposition des réseaux est pour l'OMA la base conceptuelle d' Euralille et l'architecture une condition presque secondaire. Si, selon Koolhaas, l'architecture épuise le potentiel et l'urbanisme le génère, ce sont alors les infrastructures qui ici vont être la source du projet. Cette base est exagérée dans ses impacts puisqu'elle met Lille au même rang que les autres capitales et, elle est exacerbée dans les rapports entre les différents éléments.

Cela clarifie les intentions du projet et donne une première indication quant à leur mise en forme. Les programmes qui s'installent par la suite deviennent tributaires des relations entre les infrastructures. La superposition théorique entre les voies ferrées et l'autoroute donne ainsi naissance à un socle, un point central (qui prendra une autre forme par la suite) où les premières liaisons entre la ville et la périphérie apparaissent.

Cette première approche conceptuelle de Koolhaas avec Euralille pourrait s'énoncer comme suit: rendre l'infrastructure malléable ou encore, complexifier pour éclaircir.

Centralité(s) Le déplacement de l'autoroute vers la gare et la mise en place du socle de parkings reformule le rapport entre les différents réseaux. Ce socle de parkings devient un lieu d'échanges puisqu'il permet de passer du train à la voiture, mais aussi une « rotule » puisqu'il articule le centre et sa périphérie. Plutôt que d'étaler ce programme en différents endroits, Koolhaas a préféré tout concentrer en un point, tout en se donnant l'opportunité de formaliser les premières articulations entre les différents éléments du projet et, entre le projet et ses alentours. D'abord entièrement souterrain, il s'est par la suite calé entre le périphérique et la gare, la nouvelle coupe du projet alterne alors vues sur la ville, la gare, les parkings et la route.

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Ce début de centre n'est pas uniquement une articulation entre les infrastructures et la ville, il est également le socle des bureaux que l'OMA doit placer sur le site. Il accumule les programmes, les superpose et concentre le maximum de fonctions. C'est ainsi que les tours vont apparaître, dans l'alignement des voies ferrées, au-dessus de la gare et des parkings. Le socle est donc un outil d'articulation à la fois horizontal (puisqu'il permet de passer d'un côté à l'autre de la ville) et vertical (puisqu'il permet de passer du sous-sol au «ciel »).

D'une base conceptuelle, Koolhaas fait des réseaux un centre d'activités programmatiques et un point d'articulation spatial. La fonction de rotule (spatiale et programmatique) qui se met en place par le jeu entre les infrastructures est ici évidente. En est-il de même en d'autres endroits?

L'infrastructure du programme Si le parking et la gare entre l'autoroute et le tunnel sont à voir comme des programmes centraux du projet, il faut aussi les voir comme une interruption du mouvement. En effet, la voiture et le train s'arrêtent! Le croisement des infrastructures est ici un point de transition entre l'arrêt et la reprise des mouvements. Le TGV ne s'arrête pas tous les cent mètres, ce qui n'est pas le cas de la voiture. Elle est beaucoup plus mobile et s'ancre sur un système aux ramifications multiples, qui va de l'autoroute au centre de la ville. Le socle est alors un point spécifique du projet. Les voies ferrées et routières se croisent également en amont de la gare, quel type d'intervention propose l'OMA dans cette autre situation?

Les infrastructures représentent la base conceptuelle du projet, elles sont également des grandes coupures entre le centre et la périphérie. Le socle résout un premier problème, celui de la transition entre

les

différents

mouvements

en

jeu,

un

second,

celui

du

franchissement de ces coupures n'est pas encore réglé. C'est le regroupement de deux grands programmes qui va apporter une première

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Premier congrexpo

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.223

solution. La question du franchissement associe ici directement les infrastructures au palais des congrès et au centre d'exposition. Le bâtiment devient un pont fédérant les fragments engendrés par le croisement des différentes voies, créant ainsi un nouveau point d'articulation. Le « congrexpo » est traversé par l'autoroute et passe audessus des voies ferrées, le flux ne s'arrête pas. Contrairement à la gare, ce n'est pas une articulation entre deux systèmes de circulation mais entre deux grandes zones, construisant ainsi une liaison aussi bien spatiale que programmatique. Cette proposition est abandonnée pour des raisons budgétaires, comment s'articulent le nord et le sud du site et que devient le congrexpo?

Tous les programmes de bureaux et la gare se trouvent entre deux parcs, il ne reste donc plus de place au nord des voies ferrées pour le palais des congrès et le centre d'expositions, ils seront donc déplacés au sud. La liaison s'effectue simplement par le maintien d'un boulevard Nord/Sud. L'OMA continue d'associer ces deux programmes et vient s'y ajouter un zénith. Cet ensemble prendra différentes formes mais c'est par l'accumulation de ces programmes qu'il prend toute sa dimension. C'est à ce moment-là que Koolhaas développe sa théorie de la Bigness. Ce bâtiment est par sa « masse critique » (le bâtiment devient un grand bâtiment) indépendant de ce qui l'entoure. Cette situation est renforcée par le fait qu'il se trouve en périphérie de la ville et d'Euralille et, en bordure des voies ferrées. Décalé par rapport au reste de la ville, le centre se retrouve dans la périphérie.

Intensifications et diversifications L'infrastructure est le cœur du projet, elle est un élément inévitable mais elle est également la source d'un nouvel urbanisme selon Koolhaas :

23

Intensifications et diversifications

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.187

« S'il doit il y avoir un « nouvel urbanisme »(...), il ne sera plus obsédé par la ville mais par la manipulation de l'infrastructure en vue d'une infinité d'intensifications et de diversifications, de raccourcis et de redistributions ; la réinvention de l'espace psychologique. »23

L'infrastructure

devient

malléable,

induisant

de

nouveaux

programmes ou de nouvelles situations pour ces programmes. La multiplication de leurs croisements reformule les relations établies entre les réseaux. Au-delà d'une simple formalisation, leur superposition est ici une mise en scène métropolitaine (les tours) ou, une nouvelle fonction (les parkings).

Si l'intensification des rapports entre les différents éléments du projet est d'abord un moyen de donner forme à la métropole, c'est aussi un moyen d'y introduire une diversité dont elle ne dispose pas encore. Un condensé

d'activité

amène

la

diversification

des

usages

et

réciproquement, on peut supposer qu'en avançant dans son élaboration, la métropole multiplie les activités différentes et devient plus intense.

Ce qui n'est au départ qu'un squelette sur lequel s'implante un nouveau projet, devient la structure d'accroche d'une métropole. La théorie servant au développement de la première phase détermine ainsi un objet libre qui, au fil du temps pourra se construire ou se reconstruire.

1.1.d. Pré-métropolisation Lilloise De son manifeste rétroactif pour Manhattan, Koolhaas développe une culture de la congestion, celle d'une superposition des fonctions, d'une forme d'excès dans l'accumulation de programmes et l'absorption des circulations. Pour lui, cette culture rend compte d'une condition métropolitaine qui n'est pas encore présente à Lille, qu'il voit comme une ville quasiment intacte, presque sans aucun signe de modernité. Il 23 _KOOLHAAS, Rem et MAU, Bruce, S,M,L,XL, New York, The Monacelli Press, 1998 (réédition de 1995), “What ever happened to urbanism”, Traduit par Françoise Fromonot, dans Criticat, Paris, septembre 2011, n°8

24

transforme cette culture de la congestion en théorie de la congestion. Cela suppose que le fait d'accumuler les activités en excès peut transformer une ville en métropole.

Culture et théorie Tout d'abord le programme et l'ambition qu'il affiche, celle de donner une dimension métropolitaine à une ville de province en crise. Une des leçons qu'il retient de Manhattan est qu'une métropole exige de rendre compte de cette congestion, d'en exploiter les possibilités. « Manhattan a engendré son urbanisme propre: la culture de la congestion. Plus indirectement, il révèle en filigrane une seconde thèse: la métropole exige et mérite une architecture spécifique, qui soit capable d'exploiter les possibilités offertes par la condition métropolitaine et de donner une nouvelle dimension à la tradition encore toute récente de la culture de la congestion. »24

Pour Rem Koolhaas, la congestion est une donnée, un fait encore peu admis mais présent dans les métropoles et qui, une fois mis en jeu dans les processus de conception urbaine permettrait de donner une nouvelle dimension autant à la métropole qu'aux différents éléments qui la composent. Lille n'est cependant pas Manhattan, ce n'est tout du moins pas encore une grande métropole. Si la métropole engendre son urbanisme propre qu'est la culture de la congestion, Rem Koolhaas avance ici l'hypothèse que cette culture de la congestion engendre son urbanisme propre, la métropole. D'une culture de la congestion il passe à une théorie de la congestion. Ainsi, pour transformer Lille, Euralille serait une forme de « pré-métropolisation », un élément générateur d'un nouvel urbanisme.

24 _KOOLHAAS, Rem, New York Délire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais, 1978), P.293

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Frénésie hystérique et épuisante Deuxièmement, le site proposé est en bordure de la ville, une faille entre le centre et la périphérie. C'est une friche quasiment vide et traversée par un ensemble d'infrastructures routières et ferroviaires. Pour Koolhaas cette frange doit se définir en contribuant à la définition mutuelle du centre et de la périphérie. Cette définition passe par une nouvelle image qui viendra renforcer et révéler les deux parties. Cette situation et la théorie de la congestion qu'il développe renvoient à son analyse du plan de Hood de 1930 qui projette le Manhattan de 1950: « La volonté paradoxale de résoudre le problème de la congestion par un surcroît de congestion suggère l'hypothèse théorique d'un mur de congestion. En instaurant un nouvel ordre du colossal, on franchirait ce mur pour émerger dans un univers parfaitement serein et silencieux, où toute la frénésie hystérique et épuisante qui régnait auparavant à l'extérieur... se trouverait désormais entièrement résorbée à l'intérieur des bâtiments eux-mêmes. La congestion a disparue des rues pour s'engloutir dans l'architecture. »25

Lille n'est pas Manhattan mais la congestion va faire son entrée en ville. On pourrait voir entre la frange et, le centre et sa périphérie, le même rapport qu'il évoque entre le mur et les rues. Euralille serait alors un mur de congestion où règne une « frénésie hystérique et épuisante » face au calme retrouvé en ses contours. Annoncé lors du concours, l'ensemble du programme ne pourra pas entrer dans une enveloppe modeste. C'est un nouvel ordre (colossal) architectural qui devrait bouleverser l'image et la pratique de la ville.

Une nouvelle adresse Koolhaas redéfinit Lille par sa situation en Europe, elle est ainsi un peu Londres, un peu Paris, un peu Bruxelles et surtout métropolitaine 25KOOLHAAS, Rem,

New York Délire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais,

1978), P.177

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Le mur de Hood

KOOLHAAS, Rem, New York Délire, Marseille, Editions Parenthèses, 2002 (Edition originale en anglais, 1978), p.176

Vue de la première esquisse

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.105

avant l'heure. Ce type de repositionnement n'est, dans les projets de Koolhaas, pas spécifique à Lille. On retrouve Euralille dans son projet du Sea Terminal à Zeebrugge à travers une carte qui rapproche et relie directement les deux villes au reste de l'Europe. Il construit une « communauté virtuelle » qui étaye sa théorie de la congestion. « Il existe une situation de congestion, une culture de la congestion, partiellement concrète et partiellement virtuelle, qui fait que Lille est connectée à Londres et Paris et que, même si Lille n'est pas congestionnée, on y est en contact direct avec la congestion générale. »26

L'ensemble de son discours tend à introduire la très grande échelle dans son projet, une dimension qui n'existe pas encore à Lille et qui lui est nécessaire pour assembler, empiler et accumuler les programmes, même si la congestion est ailleurs.

1.2_Le plaisir de la complexité 1.2.a. Une ville condensée Les premières approches théoriques du projet laissent entrevoir une formalisation spectaculaire, une mise en scène de la ville dans l'excès. Cela n'est pas sans rappeler un des projets de l'OMA de 1996, l'hyper building. Il propose ici de faire une ville verticale, où l'ensemble des programmes se superposent, une forme condensée de la métropole.

L'hyper-building (OMA-1996) Cette étude menée par l'OMA en 1996 se situe à Bangkok en Thaïlande. Il voit dans ce site, un territoire en crise, un terrain d'expérimentation. Les vertus de l'hyper-building seraient de pouvoir 26 _N.C, « Euralille », dans L'architecture d'aujourd'hui , Paris, avril 1992 n°280, p 93-161

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L’hyper-Building

Source internet, site de l’OMA

Une ville condensée

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.45

donner à une métropole une énorme masse contrôlable. En ce sens, rapprocher les lieux de travail, des lieux de vie et de loisirs. Ce bâtiment condensé est également une métaphore de la ville, les tours constituent des rues, les éléments horizontaux sont des parcs, les volumes des quartiers et les diagonales sont des boulevards.

La ville ainsi condensée permet de préserver l'environnement, en se développant verticalement, elle prend moins de place au sol, le laissant libre pour toute activité de loisirs ou de préservation. L'hyper-building propose des connections multiples avec ce qui l'entoure. Les tours se raccordent aux rues, des ascenseurs relient l'ensemble vertical au sol et une promenade part du sol pour rejoindre le sommet.

Le bâtiment peut se concevoir comme un ensemble urbain. Les différentes parties correspondant à des programmes divers forment un grand tout, une ville verticale. Un total de cinq millions de m2 pour cent vingt mille habitants devient un quartier urbain d'un nouveau genre.

Rapprochements théoriques Plusieurs éléments permettent de relier l'étude de l'hyper-building au projet d'Euralille. Tout d'abord, Koolhaas soutient que les avantages des structures hyper-concentrées sont plus évidents dans les sociétés subissant les bouleversements d'une modernisation forcenée. Depuis ses premières interventions au sujet de Lille, il insiste sur l'absence de modernité dans la ville et le bouleversement qu'occasionnera l'arrivée du TGV. Deuxièmement, la ville de Bangkok est congestionnée et il y a une politique de développement urbain hasardeuse. Cela fait d'elle une ville de la crise et, selon Koolhaas, un terrain d'expérimentation. Dans le cas d'Euralille, le projet vise à redresser la situation économique de toute une région en crise. La comparaison avec l'hyper-building vient renforcer l'idée d'une recherche expérimentale sur la ville pour l'OMA.

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Le projet de Bangkok, bien qu'étant un objet en dehors du reste de la ville, reste connecté par un ensemble de rues, de boulevards et de promenades. Ces accroches permettent de passer des programmes les plus éloignés du sol à la métropole. L'objet Euralille est quant à lui raccordé par le TGV aux métropoles et aux capitales des alentours. Ces raccords se font également avec la ville, les infrastructures font partie de l'objet et lui permettent d'être relié à la région et à Lille. Autant dans l'hyper-building qu'à Euralille, Koolhaas multiplie les liaisons courtes, d'un programme à un autre, et les liaisons longues, du sol au sommet, d'un quartier à la ville ou d'une métropole à l'autre.

Accumuler, superposer et condenser, tels pourraient être les grands mots des deux projets. Les programmes s'accumulent, ils reprennent ceux des métropoles, de l'habitat aux loisirs. Ils se superposent, les bureaux sont au-dessus d'une gare, d'autres se trouvent au-dessus des parkings et des logements sont posés sur le centre commercial. L'OMA condense et rassemble tous les éléments de la ville en un grand point. Les deux propositions ont également en commun qu'elles s'opposent à l'existant, théoriquement et formellement. Il se place en dehors de toutes conventions établies, en dehors de toutes références possibles. Ainsi le bâtiment hyper-building est un quartier urbain d'un nouveau genre, l'architecture fait ville. Si à Lille les éléments ne forment pas un seul bâtiment, on peut tout de même concevoir Euralille comme un quartier urbain (d'un nouveau genre) ancré dans une théorie expérimentale.

Rapprochements formels La notion de ville condensée est clairement formalisée dans l'étude de l'hyper-building, le schéma d'introduction montre une ville, une flèche et le résultat. A Euralille on peut retrouver un exemple similaire. Koolhaas pose, dès la première esquisse, l'ensemble des volumes correspondant aux programmes à plat. On retrouve une bande comparable au projet de

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Bangkok face au vide du site. Il ne manque plus (dans le schéma d'Euralille) qu'une flèche montrant la concentration du tout sur une petite surface.

Cette concentration mène à un développement uniquement vertical en Thaïlande quand à Lille il y a un rapport au sol plus direct. La verticalité dans l'hyper-building est une nouvelle façon de concevoir la ville, dense et entièrement superposée. A Euralille elle est une manière de proclamer la nouvelle métropole. Elle correspond à la fois à une mise en scène de la ville et à une esthétisation de l'arrêt, synonyme lui aussi du renouveau de Lille. L'image verticale entre les deux projets diffère cependant. L'une est celle d'une accumulation bâtie formant un seul objet, un tout indissociable.

L'autre est une question de répétition où les tours se suivent. Dans la première esquisse, ce sont ainsi six tours qui s'alignent au-dessus de la gare. On n'a pas, comme à Bangkok, une masse verticale mais un ensemble assez rapproché qui fait signe en un point de la ville. L'effet n'est pas le même mais la verticalité s'impose dans les deux cas, une mise en scène spectaculaire d'une nouvelle forme urbaine.

Les rapprochements formels ne sont pas les mêmes quand il s'agit du rapport au vide. Dans le cas de l'hyper-building le vide devient un élément à préserver, la ville condensée permet de laisser sous elle une partie « sauvegardée » de son environnement. A Lille, le vide est soit un programme comme un parc, soit un lieu laissé pour de futurs projets et qui sera investi ; deux choses qui seront développées par la suite. Le premier renforce l'idée d'un objet posé, en lien avec la métropole certes, mais immergé au-dessus de la « nature sauvage ». Il s'opère ici une seconde opposition (la première étant ville vs objet), la métropole face à la nature (préservée). Dans le cas d'Euralille, le vide est intégré comme un programme et fait partie des éléments composant la métropole.

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1.2.b. Interprétations du « Programme cadre » En septembre 1988, la société Euralille-Métropole achève le « Programme cadre », donnant ainsi les orientations et les éléments de cadrage pour le projet du centre des gares. Ce document servira de référence pour la consultation internationale et pour les premières esquisses du projet. Il présente les grandes lignes pour les programmes qui seront mis en place ainsi que les limites d'interventions pour l'architecte-urbaniste. Lorsque Koolhaas évoque sa première lecture, il dit clairement ne pas avoir compris immédiatement les enjeux qu'avait ce projet pour l'avenir de Lille. Les premières esquisses témoigneront d'ailleurs de l'interprétation qu'il fait du cadre qui lui est donné.

Relier Le programme cadre introduit le projet par ses liaisons avec le reste de l'Europe, Lille devient la place forte de la nouvelle communauté TGV. Ainsi, Lille au Sud de l'Europe du Nord et au Nord de l'Europe du Sud, est la capitale latine de l'Europe du Nord. Les liens internationaux sont donc les premiers des enjeux développés. Mais les orientations du projet ne s'arrêtent pas là, ils insistent également sur les liaisons entre les « visibles » et les « invisibles » et, entre les affaires et la ville.

Les échanges matériels (visibles, les biens) et immatériels (invisibles, la matière grise) sont pour la société Euralille-Métropole une manière de refonder une place d'échanges. Cela induit pour Koolhaas une forme d'activité basée sur l'échange et la convergence des compétences.

Il y a la matière pour la théorie de la congestion. Comment se faire rencontrer des gens qui auront intérêt, pour eux et pour la ville, à se retrouver dans le nouveau pôle d'affaires ? Un nouveau programme ou une nouvelle organisation permettraient d'engager ces échanges. Il s'agit d'abord de rapprocher les centres tertiaires et de les rapprocher d'un

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centre des congrès ou d'une foire d'exposition. Pour Koolhaas, cela prendra la forme d'un bâtiment pont, à la fois intégré à la foire, grand lieu d'expositions, et au pôle d'affaires.

Les axes du projet stipulent qu'il devrait y avoir entre le pôle d'affaire et la ville historique une « symbiose », permettant aux différents modes de vie de coexister voire fusionner. Cependant, Koolhaas défend dès le début l'impossibilité au nouveau projet de se fondre dans le tissu existant. Il parle d'un bouleversement avec l'arrivée de la modernité en ville. Ce bouleversement induit un nouveau mode de vie, une nouvelle façon de vivre la ville et les activités qui y sont intégrées. Il dit également que les deux se définiront mutuellement, par leurs différences. Euralille sera donc radicalement opposé à Lille mais lui permettra de trouver dans la modernité un nouveau mode de vie qui, avec le temps viendra sans doute s'infiltrer dans le centre historique.

Programmer Afin de refonder une place d'échanges, le programme est clair, c'est un pôle international d'affaires qui s'installera à Lille. Cela veut également dire que ce centre devra être « à la pointe », capable de faire venir les investisseurs et les futurs acteurs de cette ville.

Les domaines d'avenir sont, selon la société Euralille: les transports, le négoce, les médias et la ville. La plus grande part est laissée au négoce, les médias n'ont d'ailleurs toujours pas fait leur entrée dans le projet. Quant à la ville, Koolhaas ambitionne bien entendu d'en faire un exemple de ce que sera la métropole de demain. Les limites proposées pour l'intervention reflètent trois grands secteurs, un pôle de services urbains, un secteur d'activités et d'équipements spécifiques et un pôle de service aux échanges.

La théorie de la congestion encourage l'accumulation et la superposition des activités. De fait, la logique de secteur ne peut que

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difficilement y répondre. Koolhaas opère une suite de glissements dans l'emplacement des programmes. Le centre commercial viendra se placer dans le pôle de services urbain mais y seront ajoutés un ensemble de logements ainsi qu'une école et une salle de spectacle. Quant à ce qui devait être des équipements y seront superposés des bureaux et, par la suite, des logements.

Cette liberté que se donne Koolhaas a pour but de servir sa théorie de la congestion. Les programmes ainsi glissés deviennent eux-mêmes un nouveau type de liaisons. Ce qui devait être un centre des congrès, une foire d'exposition et une salle de concert deviendra un seul bâtiment qui, en plus, fera la connexion entre le pôle d'affaires et la foire des expositions. Ainsi, ce qui était une coupure entre deux grandes zones, devient une « rotule » urbaine, intégrant toutes les infrastructures dans ses limites.

Rendre visible Le nouveau centre de Lille aura une gare du XXIème siècle, spectaculaire et intégrée à la ville. Telles sont les volontés de la société Euralille-Métropole. Le spectacle montre l'entrée en métropole de Lille.

L'intégration à la ville est cependant moins évidente.

Pour Koolhaas, c'est tout le projet qui devient un spectacle, une mise en scène métropolitaine. La gare y est un élément déclencheur mais il n'en est pas le seul. Il fait voir la nouvelle ville par l'assemblage des tours, lui donne une image. L'intégration à la ville est tout d'abord visuelle, la gare devient une fenêtre devant laquelle passent ou s'arrêtent les trains.

Les glissements de programmes en plan sont maintenant des glissements en coupes. Le train et les rails ne sont plus enterrés, ils sont les sols de référence.

Il y a donc une modification théorique dans la question de l'intégration. Ce qui suggère au départ un tissage entre l'existant et le

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nouveau n'est « plus qu'un » regard, un échange visuel entre les deux parties. Il dépasse les simples liaisons physiques entre éléments bâtis par l'introduction d'une fenêtre. Ainsi, le passager qui ne s'arrête pas à Lille sera tout de même sorti un instant du tunnel pour apercevoir la ville. Cela accentue les différences entre Euralille et la ville. Une distance s'installe, les deux se regardent mais ne se touchent pas. Comme si la modernité tardait à réellement faire son entrée.

1.2.c. Introduire la grande échelle La théorie de la congestion amène la ville condensée qui, avec l’interprétation du « programme cadre », introduit la grande échelle à Lille.

Tout d'abord, la forte valeur symbolique demandée par la société Euralille demande une image nouvelle pour la ville. L'ensemble des programmes rassemblés et déplacés par Koolhaas ne peuvent, comme il le dit luimême,

être

cachés.

Mais

l'approche

formelle

stipule

également

d'accompagner ce grand bouleversement, en introduisant quelque chose qui n'est pas encore présent.

Echanger Les liaisons et échanges demandés dans le programme cadre passent par une analyse et une modification des réseaux routiers et ferrés. La transformation des infrastructures en une structure malléable est synonyme de complexité chez Koolhaas. Cela suppose des approches croisées entre les différents acteurs du projet, l'échange n'est donc plus seulement une question urbaine, elle devient un processus de conception.

Pas encore de rapport avec la grande échelle, cependant, les déplacements de l'infrastructure entraînent un nouveau rapport entre la

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Echanger

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.169

ville et Euralille. Les points importants ne sont plus dans le cœur historique mais dans sa périphérie. Quelles vont-êtres les conséquences de la mise à distance entre les réseaux du centre et ceux du pôle d'affaire ? Cet écart ne sera pas uniquement entre les flux mais sera aussi un saut d'échelle.

En s'éloignant d'une situation « ordinaire » (le tissu Lillois), dans un des éléments du projet, l'infrastructure, l'échelle ou le programme, Koolhaas entraîne automatiquement les autres éléments du projet. Les liaisons concrètes ne sont alors que celles apportées par le train, celles d'une dimension métropolitaine et non attachées au tissu actuel.

La verticalité de l'hyper-building se retrouve dans la répétition des tours au-dessus de la gare. Cela fait écho aux autres pôles d'affaires (la Défense) mais également aux bâtiments de grande hauteur de Lille que sont les beffrois. On aperçoit d'ailleurs dans les coupes sur la gare, à travers la fenêtre du TGV, des schémas montrant au loin les beffrois. S’il y a des échanges entre le quartier d'affaires et le centre historique, ils ne sont au départ que visuels, des éléments qui se répondent à grande hauteur.

Accumuler L'accumulation et la superposition des programmes est évidente, autant dans l'hyper-building que dans les interprétations du programme cadre. Le déplacement des programmes en un point, au centre, renforce les liens entre eux et construit la ville dense et complexe. La ville complexe suppose des interactions entre les programmes et entre les réseaux. Dans l'excès de complexité elle devient une mise en scène de la frénésie métropolitaine.

Les allers-retours entre l'hyper-building, Euralille et le plan de Hood (le Manhattan de 1950 en 1930) permettent de comprendre ce que Koolhaas appelle le mur de Hood. Le mur serait un nouvel ordre colossal,

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un surcroît de congestion, un endroit hyper-dense, une concentration de la frénésie hystérique et épuisante, un condensé métropolitain. Cependant, en dehors de ce mur, le calme règne, l'architecture absorbe toutes les activités.

Ce mur est aussi synonyme de verticalité, de masse face au vide. A Lille, la série de tours fait face à un grand parc qui représente pour Koolhaas le calme face aux activités. Ce lieu est selon lui, une fois les bureaux fermés, sensé se remplir de tous les hommes d'affaires affairés et branchés regagnant leur domicile ou toute autre chose que la grande ville a à leur proposer. L'espace face au mur devient le théâtre vivant de la congestion. Ce n'est cependant pas le cas à la fin de la première phase et, ça ne l'est toujours pas vingt ans après.

Rompre En rupture avec la ville traditionnelle, Euralille se veut être un quartier d'un nouveau genre. L'écart avec le tissu ancien n'est pas uniquement une volonté de se différencier de l'existant, cela correspond aussi au bouleversement de la modernisation en train de se faire d'une ville de province. Mais Koolhaas accentue cette rupture sur plusieurs plans. Le premier, de l'ordre de la complexité introduit une nouvelle façon de voir les rapports entre chacun des programmes et les infrastructures.

Le second, formel, vient clairement se distinguer des différents tissus de la ville. Le troisième, plus intriguant, est la rupture d'échelle qui s'opère entre la ville et le projet mais également au cœur du projet. Que peut proposer cette rupture d'autre qu'une opposition d'échelle entre l'ancien et le nouveau ?

Koolhaas annonce que les très grands programmes ne pourront se cacher dans de petites enveloppes et, de fait, il y aura de grands bâtiments. Le programme qu'il y a dans les tours (ce qui correspond à la rupture d'échelle) n'est pas si important que ça. En comparaison, la tour

36

de Lille (de Portzamparc) développe 18 000 m2 de planchers et, pour une surface au sol identique, les bureaux Axe Europe (J-L.Mateo), en bordure du périphérique, développent 19 000m2 de planchers tout en étant plus de deux fois moins hauts que la tour. La hauteur n'est donc pas ce qui fabrique la densité. Qu'est-ce qui, en dehors du spectaculaire, pousse Koolhaas vers le ciel ?

Ce qui est reproché au projet, à sa sortie est, entre autre, son échelle hors références locales. Cette rupture suppose aussi que les projets suivants seront des projets entre-échelles. C'est à dire qu'ils devront correspondre à la fois à Euralille et à Lille. Comme dit Koolhaas : « Le nouvel urbanisme ne cherchera plus à séparer et à identifier des entités, mais à découvrir des hybrides innommables »27

Les entités sont identifiées, le centre et la périphérie, leurs composants sont radicalement différents et ce qui suivra le premier projet deviendra un hybride innommable, coincé entre deux échelles et typologies opposées. On peut déjà en voir un exemple dans la réalisation de Xavier de Geyter dans l'îlot Saint-Maurice qui vient faire le lien entre la banlieue Lilloise et Euralille.

Il faut donc voir la rupture non plus comme une façon de se distinguer mais surtout comme une façon de « potentialiser » les futurs projets. L'introduction d'un nouvel ordre (colossal) produira un ordre entredeux, une sorte de liaison formelle et scalaire. Ce qui, sans la grande échelle, aurait été une continuité de l'ancien, ou du moins quelque chose d'assez proche, se transforme en un laboratoire architectural et urbain. La très grande échelle proclame la métropole actuelle mais aussi, la métropole en attente qui n'est pas encore construite, mais qui sera un hybride entre le centre historique et le quartier d'un nouveau genre, une espèce de quartier d'un « nouveau genre ». Ce que Koolhaas appelle le plaisir de la complexité, le mélange infrastructurel et programmatique par l'introduction de la grande échelle, n'est autre qu'une forme de programmation de l'incertitude, un nouveau type d’urbanisme.

27 _KOOLHAAS, Rem et MAU, Bruce, S,M,L,XL, New York, The Monacelli Press, 1998 (réédition de 1995), “What ever happened to urbanism”, Traduit par Françoise Fromonot, dans Criticat, Paris, septembre 2011, n°8

37

2_Programmer l’incertitude

2.1_Désirs d’instabilité 2.1.a. Le plein est incontrôlable « Il est devenu plus facile de contrôler du vide que de jouer sur des pleins et sur des formes d'agglomération qui (sans que personne n'analyse bien pourquoi) sont devenues incontrôlables. Un constat, c'est que le vide, le paysage, l'espace -si l'on veut bien leur faire une placepeuvent être un terrain de bataille et susciter une adhésion très large. »28

Melun-Sénart (OMA-1987) Le site du concours pour le développement de la ville nouvelle de Melun-Sénart est un espace où l'urbanisation est beaucoup moins importante que dans d'autres villes nouvelles. La ville est située dans la région parisienne et seuls ses contours semblent être urbanisés. Cela interroge donc la relation que peut avoir une ville périphérique avec une grande capitale. Comme à Lille, on se retrouve avec un site quasiment vierge de toute construction, seules quelques fermes ou bouts de villages sont déjà présents. Ce qui fascine Koolhaas en premier lieu est cette absence bâtie et les grands vides qui en résultent.

Pour Koolhaas, le plein, le bâti est plongé dans une transformation perpétuelle, du fait des spéculations politiques et financières. Il est de fait incontrôlable. Ce qui l'intéresse alors est de voir ce qui est contrôlable et ce sur quoi il pourra agir pour enclencher un projet d'urbanisme. Il lui reste donc le vide comme moyen d’appréhender et de modifier un territoire. Il proposera pour le projet de la ville nouvelle de Melun-Sénart une stratégie de gestion du vide et de la relation qu'il peut avoir avec l'ensemble des programmes et des infrastructures présentes et à venir.

28N.C, « Interview de Rem Koolhaas » par Bruno Fortier, dans Architecture d'Aujourd'hui, Paris, avril 1989 n°262, p 90-93

38

La stratégie développée vise à rendre lisibles et compréhensibles un ensemble de systèmes qui, au départ, n'ont pas forcément de cohérence. En premier lieu et, comme souligné précédemment, le vide et le paysage vont former un système sur lequel un second, celui des programmes viendra se superposer. Les bandes ainsi créées permettent d'introduire une urbanisation du site mais également d'en révéler les potentiels. Cette seconde opération en introduit une troisième qui sera celle des entre-bandes. Cette multiplication d'opérations et de distinctions de programmes permettent de maintenir le paysage tout en lui offrant des possibilités de réorganisation. S’il s'agit d'abord d'une forme de sauvegarde du vide, ce projet est aussi un point d'impulsion pour l'introduction d'un urbanisme où, ville et paysage forment un système cohérent.

Imaginer le néant L'intérêt manifeste que porte Koolhaas pour le paysage dans le projet de Melun-Sénart est une sorte de fascination pour le vide qu'il voit comme une présence intimidante : « L'ampleur du paysage, la beauté des forêts et des bosquets, la sérénité des fermes ont une présence intimidante en principe hostile à toute idée de développement. »29

Le vide apparaît alors comme une matière indéformable et à laquelle on ne peut toucher sous peine de la perdre. Comment un projet peut-il alors s'y implanter sans que la beauté et la sérénité n'en disparaissent ? Il identifie les qualités de chacun des paysages présents sur le site et en sort un « logo » des espaces intouchables, des lieux sanctuarisés. La préservation devient le motif du projet et, le vide un outil pour l'urbanisation du site.

Dans cette forme de catalogue paysager qu'il fait du site, il retient des qualités propres à chacun des éléments sélectionnés. Il entame ainsi 29GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.91

39

des orientations diverses qui clarifient les approches et les lectures du vide. Le paysage n'est plus uniforme mais devient pluriel, multipliant les interactions possibles entre chaque partie.

Le vide devient un système cohérent qui permet d’accueillir un nouveau type d'urbanisme. La richesse du paysage alors révélée renforce le motif du projet et l'hypothèse d'une construction de la ville nouvelle par les espaces préservés. Tout comme l'opposition qu'il fait entre l'architecture qui épuise le potentiel et l'urbanisme qui le révèle, on peut voir ici le vide comme élément révélateur du plein et des possibles qu'il amène avec la ville. Tout cela vise à rendre une construction urbaine hétérogène cohérente par l'accumulation de vides formant système.

Le territoire est potentiellement urbain Le projet de Melun-Sénart n'a pas le même rapport au territoire que celui d'Euralille. Quand dans le premier le projet consiste essentiellement à investir le vide tout en le préservant, le second vise à ré-introduire le vide dans un lieu urbanisé. L'aspect de préservation de l'espace comme une nouvelle nécessité pour la ville fait écho dans les propos de Rem Koolhaas : « Notre proposition s’interroge sur l'hétérogénéité de la ville moderne et en profite pour affirmer le rôle déterminant du paysage dans une société où pratiquement tout le territoire est potentiellement urbain. »30

Si pratiquement tout le territoire est envahi par la ville, il lui appartient de redéfinir la notion de territoire et la notion de ville. Il a auparavant donné une nouvelle définition des rapports entre les métropoles, elles ne sont plus situées dans leur espace géographique mais temporel et ce qui fait la qualité d'un territoire est alors son réseau de transports. Pour la ville, c'est un nouveau rapport à son environnement dont il est question. Il s'agit de faire cohabiter la ville et le paysage et, en ce sens, le projet de MelunSénart vient nourrir celui d'Euralille.

30 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.121

40

En mettant Melun-Sénart et Euralille face à face on peut constater quelques similitudes dans le rapport au vide. Il est dans le premier l'élément générateur du projet quand dans le second il apparaît comme un résultat de l'urbanisation. Il y a cependant un point commun, la « sanctuarisation » du vide. « Le bâti, le plein, est désormais incontrôlable, livré tous azimuts à des forces politiques, financières, culturelles qui le plongent dans une transformation perpétuelle. On ne peut pas en dire de même du vide. Il est peut être le dernier sujet où les certitudes sont encore plausibles. »31

Les certitudes encore plausibles sont à Melun-Sénart celles de la préservation quand elles sont à Euralille celles d'un condensé de la vie métropolitaine. Tous deux fabriquent des

espaces

« interdits de

construction », des vides sanctuaires.

2.1.b Construire les sanctuaires « Nous proposons que le maximum des énergies indispensables au développement de Melun-Sénart soit consacré au maintien et à la protection de ces vides. »32

Le calme règne Tout

comme

le

mur

de

Hood ,

Euralille

développe,

par

l'accumulation des tours, un mur de congestion où s'active la frénésie métropolitaine. Cette épuisante activité retrouve son pendant, le vide, lieu où règne calme et sérénité. Bien qu'étant ainsi liés, autant à Melun-Sénart qu'à Euralille, c'est un système urbain et non l'architecture qui en définit les contours.

31 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.91 32 _Idem

41

« Notre thèse est que si ce système de bandes est retenu, les qualités de beauté, de sérénité, d'accès, de services urbains recherchés par la ville de Melun-Sénart seront garanties, quelles que soient les architectures à venir. »33

Le paysage est déjà présent à Melun-Sénart, ce qui n'est pas le cas à Lille. Il s'agit donc d'introduire beauté et sérénité, de construire une forme paysagère artificielle.

Fabrique d'une réserve Tout comme à Melun-Sénart, la construction du projet commence par la délimitation des grandes trames paysagères et bâties. Il en résulte alors de grandes masses pleines ou vides. L'identité de l'une permet de donner une consistance à l'autre. La skyline de la ville se trouve modifiée par le nouveau bâti et le parc est ainsi dessiné par les pleins qui l'entourent. Euralille reprend des images de grandes métropoles comme New York et le Central Park où, un paysage artificiel se retrouve au cœur d'une ville dominée par les tours.

Cependant, le parc n'est pas pour Koolhaas qu'un espace de contemplation et d'admiration de la nature. L'artifice en étant son essence, il devient l'occasion d'y introduire différents types de programmes. On peut pour cela se référer au projet du Parc de la Villette qui sera développé par la suite.

Délimité, construit et programmé, le vide devient le cœur d'un projet qui, au départ, était essentiellement un pôle d'affaires international.

Comment fabriquer, par le vide, un système venant se superposer au bâti ?

33 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.91

42

Planning vert

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.203

Activités programmées

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.207

Continuités d’un systéme vert

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.207

Continuités d'un système vert

Pour faire système, Koolhaas se réfère d'abord aux espaces « verts » existants. Il incorpore ainsi le cimetière et le parc des dondaines au futur réseau du vide. « Urbanisme vert à l'échelle de la ville, différentiation des espaces.

Incorporation du cimetière: pour le végétal aussi se pose la question : existant-nouveau, plein-vide, hard, pittoresque, etc... »34

Bien qu'étant fait d'espaces et de programmes différents, ce réseau repose sur une continuité de vides à grande échelle. Tout comme le plein et la répétition des tours, l'assemblage et la cohérence de ce système prend corps par l'accumulation d'identités similaires ; leur caractère étant le fait d'être non-bâties.

La principale opposition entre le vide et le plein est qu'il est une surface et non un volume. Il se différencie alors par ses textures minérales ou végétales. Les répétitions et distinctions entre ces surfaces forment ce que Koolhaas nomme un « planning vert ». Selon lui, ce planning permet de renforcer ou de contredire l'identité des secteurs bâtis. Le travail entrepris sur la complexité des réseaux est aussi un moyen de comprendre et de superposer différents systèmes qui fonctionnent au départ indépendamment. Si la congestion est d'abord une question de programmation des pleins, elle développe également une relation interactive avec les vides qui l'entourent. La continuité verte ainsi formée prépare la congestion d'espaces encore non-bâtis.

34 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d'architecture, 1990, p.205

43

2.1.c. Congestion sans matière « La permanence inhérente à toute architecture, même la plus frivole, ne peut pas être compatible avec l'instabilité de la métropole. De cet affrontement, la métropole sortira toujours gagnante ; dans sa réalisation omniprésente, l'architecture devient un jouet et n'est tolérée qu'en tant que décor fugace de l'histoire et de la mémoire. »35

Parc de la Villette (OMA-1982) Le projet du Parc de la Villette de Koolhaas reprend l'expérience de la métropole qu'il a rencontrée à New York. En cela, c'est une forme de congestion du paysage qu'il expérimente. Il y met en œuvre une libération conceptuelle et formelle de la notion de Parc. « Si l'essence de New York en délire se trouvait dans la coupe du Down Town Athletic Club_la superposition turbulente de la vie métropolitaine selon des configurations sans cesse changeantes_une machine offrant la rédemption par un excès d'hédonisme, un gratte-ciel conventionnel, à la rigueur banal, et le programme le plus extravagant imaginé au XXème siècle. La Villette pourrait être encore plus radicale en supprimant presque entièrement l'effet à trois dimensions et en le remplaçant par un champ programmatique de pure forme, libéré de toute entrave. »36

Si ce projet est l'explosion d'un gratte-ciel à l'horizontale on peut aussi le voir comme la mise en scène des loisirs métropolitains. Cette expérience permet de comprendre Euralille dans sa gestion des pleins et des vides et, leur rapport au temps et à l'incertitude. « Ce que suggérait la Villette, c'était en fait l'exploitation pure de la condition métropolitaine : densité sans architecture, culture de la congestion invisible. »37

Il met dans ce projet des éléments de nature complètement opposés. Le fond lui sert de décor « mouvant », où la trame (les étages du gratte-ciel) est un guide pour le développement de programmes évolutifs.

35 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.19 36 _Idem, p.21 37 _Idem

44

Sur cela il dépose les « objets importants », introduisant la grande échelle et une forme de stabilité au site. La complexité à Euralille se traduit par la superposition

et

l'interaction

des

systèmes

infrastructurels,

programmatiques et verts. A la Villette, ce sont des couches qui, les unes posées au-dessus des autres construisent une congestion horizontale, un Condensateur Social.

Un décor fugace La constance de la trame est une forme d'ouverture aux possibles, un cadre dans lequel se déploient programmes et Nature. « S'il est certain que le programme subira des changements radicaux, il est également prévisible qu'il sera constamment révisé et ajusté au cours de la durée d'existence du Parc. En fonction de la constance de ces remaniements, il s'agit moins de penser en termes de « design » que de proposer une méthode combinant à la fois la spécificité architecturale et l'indétermination programmatique. »38

L'indétermination comme constance du projet amène une autre vision de la ville. Le paysage est ainsi plus ou moins variable. On peut le comparer à Melun-Sénart où le déplacement en voiture fait défiler des décors changeants. Il met en scène la métropole dans ce qu'elle a de plus instable, c'est une retranscription par l'élément Nature de la frénésie générale. Les apparitions soudaines d'images peuvent être comparées à l'expérience d'un trajet routier ou, comme à Euralille, au passage d'un train. La ville est alors le théâtre des activités les plus diverses, elle est reprise à Lille dans sa dimension la plus spectaculaire. « Manhattan résout ce paradoxe avec éclat : une architecture mutante réunit l'aura de la monumentalité à la réalité de l'instabilité. Ses intérieurs accommodent des « compositions » de programmes et d'activités qui changent constamment, indépendamment les unes des autres, mais sans jamais affecter ce que l'on appelle avec une occasionnelle justesse, l'enveloppe. »39 38 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.27 39 _Idem, p.19

45

Un dĂŠcor fugace

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.57

Euralille met Lille dans un spectacle métropolitain où, au départ, seule la monumentalité apparaît. On peut cependant émettre l'hypothèse d'une programmation de l'incertitude. Cette capacité à évoluer et à se reconstruire est mise en évidence par les études récentes de densification.

La dimension de l'aventure Les projets de Melun-Sénart, du Parc de la Villette et d'Euralille ont en commun la dimension expérimentale et la recherche d'un nouvel urbanisme. Cette forme d'aventure l'est à la fois dans le processus de conception comme dans les découvertes qui en résultent. A Melun-Sénart, c'est le paysage qui se trouve être le lieu d'expérience. Il en ressort un concept de bandes et surtout d'interfaces, c'est à dire une incertitude quant à la formalisation des zones entre les bandes et entre les interbandes.

«A

la

base

du

concept

formel,

le

principe

d'indétermination

programmatique autorise toute forme de mutation, de modification ou de substitution, sans nuire pour autant à l'hypothèse de départ. Forme d'investissement la plus économique de l’intelligence, le concours revient essentiellement à orchestrer sur le terrain métropolitain la coexistence dynamique d'activités x, y et z, et à provoquer une réaction en chaîne d'évènements sans précédent, en faisant interagir ces activités. »40

On retrouve cette notion d'interface dans le projet du Parc de la Villette où la multiplication des bandes développe un linéaire d'interfaces propice aux interactions entre les programmes. C'est dans les limites entre chacun des éléments que Koolhaas espère voir apparaître de nouvelles formes et activités. Si la bande n'est pas apparente à Euralille, la question des limites, et donc des interfaces, se pose quand-même.

Quels sont les éléments à Euralille, susceptibles de construire de nouvelles formes urbaines ? On est là à la recherche d'une trame qui, comme à la Villette ou à Melun-Sénart, permettrait de programmer 40 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.27

46

l'incertitude. La grille sous-jacente au projet est la découpe formée par les infrastructures routières et ferroviaires. Ce tracé construit de grands blocs, les pièces urbaines, comparables aux îles de la ville du globe captif.

2.1.d. Les pièces urbaines « Entre gare existante et tunnel TGV un terrain triangulaire, interface entre ville et projet, élément régulateur des liaisons mais aussi de l'opposition conceptuelle Histoire-Futur. Donc Forum de deux modes de vie urbaines: activités publiques et commerciales. »41

L'unité de mesure Pour comprendre les dimensions du site et l'intervention qu'il aura à faire, Koolhaas utilise des outils de mesure. Tout d'abord en le comparant au projet de la Défense, il en conclut que ce n'est pas un projet de province (et donc bien un projet de capitale). Ensuite, il place une trame, une grille de cent mètres par cent. On se rend cependant assez vite compte que l'unité de mesure (la trame) est définie par les grandes infrastructures.

Ce sont en fait des programmes uniques qui viendront se glisser dans cette trame. En effet, le premier redécoupage du programme coïncide avec les limites des infrastructures. Le projet est maintenant composé de grands secteurs qui, par la suite, ne pourront être remis en cause. Ainsi, le centre commercial se cale entre les voies ferrées existantes et celles à venir et, le Grand Palais longe le périphérique et les lignes TGV. Cette situation est déterminante autant pour la première esquisse que pour les projets à venir. La première lecture des programmes par la 41 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d'architecture, 1990, p.121

47

L’unité de mesure

GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d’architecture, 1990, p.47

théorie de la congestion formalise de grands bâtiments. La trame et cette théorie font entrer la grande échelle dans le projet. Tout cela donne une nouvelle unité de mesure au site, le Big.

Les îlots et l'archipel Dans cette trame imposée par les conditions du site, il semble il y avoir peu d'espaces de liberté pour un projet. Cette structure stricte révèle cependant des possibilités de développement et des ouvertures dans la constitution urbaine. Avec le Big comme unité de mesure, le site prend une toute autre dimension. On peut comparer les vides laissés par les infrastructures à un archipel composé d'îles indépendantes. Tout comme pour le projet de Melun-Sénart, l'indépendance de chacun des îlots autorise de grandes variations typologiques. « Chacun de ces îlots peut être développé dans une indépendance presque totale. Ils pourraient constituer une anthologie des projets du concours. Le modèle « archipel » fait que leur individualité extrême renforce finalement la cohérence du système. »42

En reprenant (à Euralille et à Melun-Sénart) des bases théoriques communes à la Ville du globe captif, Koolhaas place ses projets dans les conditions d'un urbanisme en reconstruction permanente. Comme à Manhattan, les blocs sont autonomes et ouverts, dans le sens qu'ils ne sont plus dépendants les uns des autres mais que leur accumulation forme un ensemble hétérogène et cohérent.

On peut cependant se demander comment la mesure du Big s'accorde à l'archipel ainsi formé ? Bien qu'étant au départ strictement circonscrit aux limites de la trame, un élément (le congrexpo) va tenter de rompre ce nouvel ordre. Ainsi, un système de mesure délimité par les infrastructures vient s'y superposer tout en interrogeant l'immuabilité de l'archipel.

42 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.93

48

La cohérence des systèmes Le premier système, celui des infrastructures, détermine la base d'un archipel d'îles indépendantes. D'autres systèmes vont alors s'y superposer. Comme précédemment exposé, celui des pleins, formalise la congestion naissante d'une métropole internationale et celui des vides constitue une surface verte continue. La complexité permet d'agir de façon indépendante sur chacun des systèmes tout en maintenant une cohérence générale. « En dehors d'une mise en œuvre régulière des espaces disponibles, il semble important que la structure urbaine déjà réalisée puisse accepter de nouveaux programmes susceptibles d'enrichir et de requalifier le tissu urbain existant. »43

Qu'est-ce que les interactions entre ces différents systèmes peuvent proposer de nouveau? Une des hypothèses développées par la suite est que cela permet d'élargir le champ des possibles et en cela, une forme de programmation de l'incertitude.

43 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas:six projets, Paris, Carte Segrete, 1990, p.135

49

2.2_Accentuer les symboles

2.2.a. De loin en proche « La ville intense concentre de très hauts degrés d'énergie. L'intensité ne se décrète pas a priori, elle se crée au fil du temps. Les pôles de réseaux d'infrastructures

construisent

des

lignes

de

force

multiples

et

hétérogènes qui, en se croisant, en s’entrechoquant, dans un mouvement ininterrompu, donnent à la ville sa force vitale. »44

Superposition des réseaux A l'origine, Koolhaas définit le projet d'Euralille comme un élément déclencheur du repositionnement de la ville de Lille dans l'Europe. Le temps entre chacune des métropoles devient sa nouvelle adresse. Cela provoque une mise à niveau directe, la ville de province est alors une capitale. Cependant, le temps démontre que l'on ne peut décréter une telle position. Lille n'est toujours pas Londres, Paris ou Bruxelles. Sa situation économique a bien évidemment évolué, mais on ne note pas encore d'implantation de groupe à dimension internationale au sein du pôle d'affaires. C'est donc en tant que « point » situé entre ces capitales et, non en tant que capitale même, qu'elle a pris de l'importance.

L'arrivée des réseaux internationaux n'a pas encore l'influence espérée mais a permis de développer d'autres structures. Ainsi, au métro et au tram, vient s'ajouter un nouveau projet, celui du tram-train. Prévu pour 2017, celui-ci vient se superposer au système de transports existant.

Euralille était déjà un centre de communication et devient maintenant un Hub, un grand pôle d'échanges.

Le réseau des bus vient s'ajouter à ces voies ferrées, complétant ainsi l'offre de transports. De plus, les V'lille ont fait leur récente apparition dans la ville, imitant d'autres métropoles déjà équipées d’engins similaires.

44 _Dossier Euralille+++, p.3, cf annexes

50

Toute cette agitation pouvait au départ se lire dans l'espace Piranésien. Il s'avère qu'aujourd'hui les transports ne se réunissent plus en un seul point mais viennent prendre place dans l’ensemble du site d'Euralille.

Reformuler les déplacements Le Hub ne se définit plus comme un seul point symbolique, celui de la gare superposée à la station de métro et aux parkings, mais il est élargi et n'est plus lisible comme tel. D'un pôle principalement ferroviaire, on est arrivé à un ensemble de points d'échanges. Ainsi étendu, on pourrait voir Euralille comme une grande plateforme multimodale. Cela n'est pas le cas mais ça a pour effet d'étendre l'emprise du site aux bordures de la ville.

Le pôle gare, longtemps décrit comme une « soucoupe volante », commence à atterrir. Ce n'est donc pas seulement par les limites bâties du site que l'on peut voir son étendue. Les différents systèmes (infrastructure, vide et pleins) précédemment évoqués continuent aujourd'hui à se développer de façon indépendante tout en affirmant une cohérence générale.

La multiplication des points d'échanges stipule une nouvelle formulation des déplacements. Le piéton qui n'avait au départ qu'à rester dans un seul grand bâtiment, peut aujourd'hui avoir accès à d'autres structures. La superposition des systèmes pleins, vides et infrastructures se trouve maintenant complété par l'arrivée du piéton. Cela interroge les circulations et les voiries et, on assiste à un retour de la rue dans un projet qui en était dépourvu.

Eloge de la rue Pour Koolhaas, la frénésie métropolitaine transparaît dans les grands vides laissés par les pleins. La rue n'est aucunement évoquée, ce

51

Eloge de la rue

Dossier Euralille 3000

qui représente alors pour les critiques un manque d'urbanité. On peut cependant voir dans la récente étude d'Isabelle Menu qu'elle devient un outil de requalification du projet. Comment un élément de la ville classique vient il se greffer à Euralille ?

Si

les circulations piétonnes apparaissent délaissées dans

l'esquisse de Koolhaas, ce serait dû à un refus d'introduire dans un urbanisme contemporain un élément se référant à la ville classique mais aussi par souci des priorités. Premièrement, le côté provocateur (quasi systématique) des projets Koolhaassiens autorise à penser qu'il met la nouvelle métropole en complète opposition avec le tissu historique et, en retire alors un de ses éléments de base. Deuxièmement, on constate que l'image donnée par la première esquisse est beaucoup plus importante (autant dans la demande que dans le projet) que le « confort » en résultant.

Pour simplifier, on fait des tours « sympas », un urbanisme séduisant et après on voit ce qui se passe. Le temps prend donc toute son importance puisqu'il agit au départ sur les grandes lignes, la priorité est au train. Viennent ensuite les premières circulations, il faut pouvoir passer aisément d'un lieu à un autre, la voiture fait son entrée. Et, finalement, le piéton trouve sa place. Les temps de la ville se superposent à ceux de sa construction. Puisque cet urbanisme nouveau autorise un perpétuel changement, il paraît normal que les déplacements évoluent au fur et à mesure de ses transformations. Ainsi, la métropole moderne se trouve rattrapée par la base de la ville classique.

La rue n'est pas pour Isabelle Menu un retour au classique mais bien un élément de démonstration des capacités de cet urbanisme à se renouveler. Cette nouvelle intervention peut se voir comme un éloge de la métropole en mutation. Cette entité hétérogène se nourrit de tout ce qui l'entoure, à la fois formellement, programmatiquement et historiquement.

Quel en est l'impact sur les autres systèmes ? Fonctionnent-ils toujours en superposition de façon indépendante et, la cohérence générale est-elle encore là?

52

2.2.b. Intensifier les activités « Dans le monde contemporain, les programmes deviennent abstraits en ce sens qu'ils ne sont désormais plus liés à un endroit ou à une ville spécifique : ils flottent et gravitent de manière opportuniste autour du lieu qui offre le maximum de connexions. »45

Activer le passage L'apparition d'une rue dans le projet se fait de plus en plus claire. Il s'agit en fait d'une transformation des voiries existantes. A ce qui est d'abord une route longeant le parc vers la gare s'ajoutent des places de parkings puis un trottoir. Bien qu'étant déjà présente au début du projet, cette voie se transforme au fur et à mesure de l'arrivée de nouveaux programmes. Ainsi, aux activités supplémentaires programmées par Isabelle Menu s'ajoutent des commerces qui prendront place en rez-dechaussée.

La voie de desserte de la gare, en bordure du périphérique se transforme en rue commerçante. Cette adjonction enrichit la diversité des espaces extérieurs tout en maintenant la structure viaire existante. Une fois de plus, c'est le jeu des programmes qui donne corps au projet. Cette modification n'est possible que grâce à la structure ouverte de la première esquisse.

Avec les tours placées au-dessus de la gare, Koolhaas avait émis l'hypothèse d'une disparition du rez-de-chaussée. On voit qu'avec le temps, le bâti vient atterrir sur les voies. La question de l'interface qui était posée entre les vides et les pleins trouve ici une réponse programmatique.

En effet, l'essence de chacun des éléments est conservée et un nouveau programme naît de leur rencontre.

45 _GOULET, Patrice, OMA Rem Koolhaas: Lille, Paris, Institut Français d'architecture, 1990, p.15

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Mixités programmatiques L'intention d'Euralille était de

constituer un pôle d'affaires

international. Aujourd'hui, il s'agit plus de « faire la ville ». Dans un centre tertiaire comme celui-là, il n'y a qu'un seul programme (les bureaux). Cela n'occupe l'espace que le temps de la journée puisqu'une fois terminée, le quartier se retrouve entièrement vide : « Atteindre la masse critique nécessaire aux programmes de bureaux pour être compétitif et attractif dans la mise en concurrence des villes nationales et Européennes. »46

En ce sens, la première opération est une réussite puisqu'elle a su créer une part de l'effervescence attendue, le centre d'affaire d'Euralille étant le troisième en France derrière La Défense et Lyon. On se trouve maintenant à un tournant dans les objectifs d'urbanisation de ce pôle. On ne cherche plus à développer un seul programme mais à l'utiliser comme un levier pour enclencher un nouveau départ.

Il s'agit donc d'utiliser les activités actuelles pour intensifier la ville.

L'intensification passe par l'occupation quasi permanente de l'espace. On a vu qu'une fois les bureaux vidés le quartier l'est aussi. Il faut donc trouver des programmes capables de poursuivre dans le temps une forme d'activité au sein de la ville. Tout naturellement ce sont des logements qui vont venir s'y insérer. On commence à apporter une mixité dans la programmation et dans l'appropriation des espaces.

Pour constituer ce qu'Isabelle Menu appel un Hyper-quartier, il est également indispensable de penser aux activités de loisirs et à l'apport d'équipements. Laurent Théry prend une approche plus sociale dans l'utilisation de la ville : « C'est à dire, ne pas simplement prévoir des fonctions spécialisées et permanentes mais prendre en compte de plus en plus que les gens heureusement, ont du temps disponible, du temps pour eux-mêmes. A travers cela, on peut repenser les espaces publics, les places, le commerce et les activités culturelles. »47 46 _Dossier Euralille+++, p.3, cf annexes 47 _Entretien avec Laurent Théry, cf annexes

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MixitĂŠs programmatiques

Ainsi, le temps des affaires vient s'ajouter aux temps des logements et à ceux des loisirs. On constate notamment que les loisirs prennent dans la ville une place de plus en plus importante, tant temporellement que spatialement. On a alors à Euralille de grands points de repères que sont le Casino, mais aussi le Grand Palais et bientôt, de nouveaux édifices.

Ancrages thématiques Le Grand Palais est l'alliance entre un Palais des congrès, un centre d'exposition et un Zénith. Il a été dès le départ un point de référence dans le site, en introduisant la grande échelle. Une grande échelle formelle mais également programmatique. Ainsi, les grands programmes de loisirs ont fait leur entrée dans Euralille. Cela a été par la suite un Casino, qui lui aussi, devrait entrainer un nouvel équipement.

On peut voir ces édifices comme des points d'ancrage en formalisant des repères dans la ville. La multiplication de grands bâtiments est le début d'une série, constituant ainsi un nouveau réseau. La répétition du Big est une nouvelle couche, venant se superposer aux autres et formant un nouveau système. On peut comparer cela à la répétition des tours au-dessus de la gare qui, même au nombre de deux, par leur alignement, construisent les suivantes.

On peut donc noter que la grande échelle a su prendre différentes formes et, par la répétition, a constitué une suite d'ancrages thématiques.

Ces accroches dans le site sont formelles (les tours) et programmatiques (les loisirs). Il est donc tout naturel de voir aujourd'hui se projeter de nouvelles tours dans le ciel de Lille. Elles répondent tout autant à la continuité de systèmes mis en place qu'à la poursuite d'une image métropolitaine.

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2.2.c. L'épaisseur du contour « la vitalité du projet s'exprime dans cette capacité intrinsèque à transformer les modalités de son fonctionnement devant le mouvement naturel de sa propre croissance. »48

La masse critique « Au-delà d'une certaine masse critique, un bâtiment devient un Grand Bâtiment. »49

Pour simplifier, la masse critique est un point de changement entre un état et un autre. Il est chez Koolhaas déterminant puisqu'il lui permet d'introduire ce qu'il appelle la Bigness et avec, un changement de paradigme urbain. Mais la question de la masse critique n'est pas seulement applicable à une volumétrie. Elle porte aussi sur tous les types d'accumulation. On peut ainsi parler, comme Isabelle Menu, de masse critique pour des programmes. C'est alors un ensemble de programmes nécessaires à la transformation d'une ville en une métropole.

Quel est le rapport entre la notion de masse critique et les structures urbaines instaurées par Koolhaas ? On a vu que le Big avait commencé plusieurs systèmes, les équipements de loisirs et les tours.

Aujourd’hui, la masse critique pourrait se poser en ces termes : comment Euralille peut-il atteindre un nouvel état ? Autrement dit, il s'agit de trouver l'ensemble des éléments qui permettront de passer d'un pôle d'affaire international à un Hyper-quartier.

La réponse passe par la poursuite des systèmes existants. Il s'agit de les amplifier et de confirmer les premiers gestes. Le système infrastructurel est ré-interrogé, certaines coupures sont effacées (le périphérique), laissant ainsi la place au nouveau réseau piéton. Les Bigs se poursuivent, affirmant la position des tours dans la ville. Les vides 48 _Dossier Euralille+++, p.1, cf annexes 49 _KOOLHAAS, Rem, Junkspace, Paris, Editions Manuels Payot, Paris, 2011, p.32

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s'étendent pour former un réseau plus complet. L'image d'Euralille se renouvelle ainsi sur les bases qui lui ont donné forme, leur donnant plus d'épaisseur et de consistance.

Surfaces continues En surlignant la skyline actuelle, le parc trouve une forme plus précise et plus intense. Cela répond à des besoins de clarté dans la lecture des espaces mais aussi à une continuité théorique de la pensée Koolhaassienne. « La spécificité d'Euralille, initiée dès la naissance du projet, est que ces espaces que nous considérons d'habitude comme des espaces d'arrêt, des temps de pause, adoptent ici un rôle encore plus important : - Celui de distribuer et de combiner autant de passages, de chemins, de sentes, escaliers qui permettent de pratiquer cette « ville particulière » - Leur rôle est donc moins de ponctuer les flux que de les nouer ensemble sans véritablement créer de réels espaces urbains.

- Cependant, on ne peut se contenter de « traverser », « passer » ou « rejoindre » et ces ponctuations doivent apporter la part de plaisir que nécessite une ville.

- C'est aussi par là que l'on accrochera véritablement Euralille à sa ville matrice ».50

Tout en affirmant le dessin des vides actuels, Isabelle Menu propose de les poursuivre. Le parc traverse ainsi le viaduc et une place se libère au-dessus du périphérique. Ces vides formant un réseau, il lui est ajouté un nouveau jardin (le jardin des géants). Le système se confirme, il est enrichi par de nouvelles données et les surfaces trouvent de nouvelles textures.

On voit bien ici comment un système (les pleins) en complète un autre (les vides) et, comment les deux interagissent. Cela permet un renouvellement du projet sur lui-même et confirme la re-construction perpétuelle de ce type d'urbanisme.

50 _Dossier Euralille+++, p.3, cf annexes

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Images dĂŠlires

Surfaces continues

Images Délires « Perpétuer la « présence » de tours qui porte l'image de « générateur urbain » à l'échelle de l'Eurorégion. »51

On a constaté précédemment la disparition d'un symbole Koolhaassien, l'espace Piranésien. Il est aussi à voir comme l'amplification d'un autre symbole, celui des tours. On a alors une ré-impression de l'image qu'avait laissée la première esquisse, celle de tours flottant devant un parc au-dessus de la gare. Lille prend de plus en plus l'image de New York et de son parc encadré par les gratte-ciels.

La métropole virtuelle incarnée par le TGV a engendré une forme d'instabilité urbaine qui se traduit aujourd'hui par une capacité de renouvellement de la ville sur elle-même. Basée sur l'imbrication et la superposition de systèmes complexes, elle laisse aujourd'hui place à leur répétition et à leur affirmation. S’il est clair que la congestion a servi de levier théorique, il y a aussi d'autres éléments qui ont permis de construire un objet ouvert.

On peut ainsi penser que l'incertitude qu'évoque Koolhaas au sujet du développement des villes, fait aussi partie d'une forme de programmation inhérente à ce type d'urbanisme. Il s'agit donc de voir comment l'image d'une Ville Délire a été la conséquence d'une programmation de l'incertitude.

51 _Dossier Euralille+++, p.3, cf annexes

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Conclusion

Je pense avoir apporté plusieurs réponses à la problématique que j'avais développée. La question principale était de savoir quels ont été les éléments qui ont permis, lors de la phase de conception, de construire ce qu'Isabelle Menu nomme un « Objet ouvert ». J'ai ainsi pu retracer une partie des notions théoriques que Rem Koolhaas a mises en pratique dans le projet d'Euralille ; la principale étant celle de la congestion.

Concernant la théorie de la congestion, il s'est avéré qu'elle a pu servir de levier conceptuel pour la construction du projet. Ce n'est cependant pas quelque chose qui a pu se vérifier au fil du temps. En effet, il a été démontré que les bases de cette culture ne sont que des apports lointains d'un manifeste sur New York. C'est donc bien une notion abstraite qui est venue s'infiltrer dans le discours Koolhaassien, permettant ainsi de formaliser l'image d'une nouvelle métropole. Il serait d'ailleurs intéressant de poursuivre l'étude de la congestion au travers d'autres projets de l'OMA. Cette notion étant récurrente, elle doit avoir des répercutions différentes selon les projets et les villes dans lesquelles ils sont implantés.

Il s'est avéré que les méthodes de conception de l'OMA proposaient une nouvelle approche du projet. La complexité en est une des clés, ce qui a pour effet de dissocier un ensemble de systèmes pour leur donner une cohérence générale. Le vide, le plein et l'infrastructure en étant les principaux, ils mériteraient à eux seuls de faire l'objet d'une étude.

Le vide, essence de l'étude pour la ville nouvelle de Melun-Sénart a été mis face au projet d'Euralille. Pour en comprendre plus précisément son implication, on pourrait alors retracer la généalogie du vide dans les travaux de l'OMA. De même, ce système développe à lui seul des notions aux conséquences multiples à Euralille. La poursuite de ce mémoire pourrait donc porter sur sa structure, sa cohérence et son évolution.

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On a également vu que les rapports entre les différents éléments pleins construisaient un système venant se superposer aux autres. A travers les tours se développe la notion de série et de répétition. Le Big en est encore une autre. Tout cela peut être vu indépendamment. On pourrait donc, pour poursuivre le mémoire, s'attacher à analyser le réseau que forment les grands bâtiments au sein d'Euralille. Cela viendrait conforter l'hypothèse selon laquelle la rupture d'échelle a contribué à la constitution d'un nouveau type d'urbanisme.

La rupture est un des maîtres-mots du projet. Les liaisons en est un autre qui n'a pas encore été abordé. Les programmes jouent un grand rôle dans l'élaboration du projet mais leurs implantations et les rapports qu'ils développent les uns avec les autres n'ont pas été suffisamment approfondis. L'accroche programmatique qui se fait à la fin de la première phase pourrait donc être un autre sujet d'étude pour l'enrichissement de ce mémoire. Cela permettrait d'introduire la petite échelle et les liens (programmatiques) qui se sont créés avec la ville historique.

L'infrastructure est le système de base, il est à la fois le prétexte du projet (arrivée du TGV) et son fil conducteur (indissociable du site). Je pense qu'il a été suffisamment abordé mais on pourrait, tout comme le vide, retracer la généalogie du rapport aux infrastructures dans les projets de l'OMA. Ce qui a permis de constituer un « Objet ouvert » est aussi la vision de la ville qu'a Rem Koolhaas. Il est à la recherche permanente d'un nouveau type d'urbanisme et l'on constate que ses projets font souvent office de manifeste. A Euralille, comme à Melun-Sénart et à La Villette, il proclame une forme de « fin de la ville » (comme on l'entend aujourd'hui) ce qui l'autorise à réinventer la métropole. Cela passe par la notion d'incertitude que j'ai commencée à développer ici. Il serait sans doute pertinent d'y accorder plus de place, notamment en retraçant plus précisément ses fondements théoriques. Ce que j'ai appelé « désirs d'instabilité » permet d'ouvrir les recherches sur les temps qui construisent la ville.

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Cette notion d'instabilité et d'incertitude se répète-elle dans d'autres travaux de l'OMA ? Pour y répondre on pourrait comparer Euralille avec leurs autres études. Cela permettrait de voir si « l'objet ouvert » est une constante Koolhaassienne ou si c'est uniquement à Euralille, à MelunSénart ou encore à La Villette qu'elle apparaît.

D'autres que Rem Koolhaas ont-ils abordé la ville de cette manière ? On peut penser à Colin Rowe et son ouvrage « Collage City » mais aussi à « Patchwork Metropolis » de Willem Jan Neutelings. Ces écrits et ces projets sont sans doute des pistes pour comprendre ce qui constitue la ville d'aujourd'hui. On pourrait donc supposer que « l'objet ouvert » n'est pas le seul fait d'Euralille mais que d'autres métropoles se sont construites sur cette notion.

Le mémoire m'a d'abord permis de comprendre ce qu'était le projet d'Euralille mais également de structurer une pensée sur la ville. Cela a été pour moi l'occasion de redécouvrir Lille et le projet de Rem Koolhaas sous un nouvel angle. Cette réflexion approfondie a par ailleurs dégagé de multiples pistes pour la poursuite de ce mémoire.

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Bibliographie

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