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Le Bleu Guimet
Le bleu, la couleur préférée des français
Si la peinture et l’amour d’une femme furent à l’origine de la découverte du bleu d’outremer artifi ciel, l’azurage des papiers de qualité, puis surtout l’azurage du linge fi rent l’immense succès international de cette entreprise de Fleurieu pendant 150 ans.
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Le bleu d’outremer qui possède des tons si riches et si recherchés, était autrefois extrait exclusivement, du lapis-lazuli, pierre semiprécieuse utilisée par les anciens en bijouterie et ornementation. Le lapis-lazuli, provenant principalement d’Afghanistan, atteignait jadis le prix de 2 000 Francs la livre, voisin de celui de l’or. Ce n’est qu’à la fi n du moyen-âge que l’on découvrit le moyen d’extraire la couleur bleue de cette pierre et d’utiliser le pigment ainsi
obtenu en peinture artistique. Ce bleu d’outremer, qui ne s’altérait pas avec le temps, était réservé à du lapis-lazuli, pierre semi- la robe de la Vierge Marie précieuse utilisée par les et aux toges des rois tant cette couleur était cher. La production d’un outremer artifi ciel constituait donc un problème des plus intéressants. de celui de l’or. Ce n’est
La découverte de l’outremer artifi ciel l’outremer artifi ciel
C’est ainsi qu’en 1824, la Société d’Encouragement pour l’Industrie Nationale off re un prix de 6 000 Francs Or pour la découverte d’un procédé économique de fabrication de l’outremer.

Jean-Baptiste Guimet voit le jour à Voiron (Isère) en 1795. Polytechnicien en 1816, il intègre le Service des Poudres et Salpêtres de l’Arsenal de Paris en 1817. Il épouse Rosalie Bidauld, fi lle du peintre JeanPierre Xavier Bidauld. Peintre de
talent elle-même, elle pousse son mari, éminent chimiste, à concourir au prix lancé en 1824 par la Société d’Encouragement pour la découverte d’un procédé de fabrication de synthèse du bleu outremer de qualité équivalente à celle provenant du lapis-lazuli et d’un prix bien moindre. Jean-Baptiste Guimet obtient les résultats recherchés dès le mois de Juillet 1826. Plusieurs artistes en font l’essai, dont Ingres, dans sa fresque de l’Apothéose d’Homère pour peindre la draperie de l’une des principales fi gures ; la couleur de cette draperie fait l’admiration de tous. Le prix lui est décerné le 3 décembre 1828.
Il multiplie ses essais et arrive à préparer l’outremer d’une manière industrielle en trouvant très vite d’autres applications, comme l’azurage. En 1831, Jean-Baptiste Guimet crée à Fleurieu-sur-Saône, sa première fabrique de bleu d’outremer. La réputation de l’outremer Guimet se répand non seulement en Europe, mais dans le monde entier.
En 1834, il obtient la médaille d’or à l’exposition de Paris. D’autres médailles d’or lui sont décernées, en 1849, en 1851 à l’exposition universelle de Londres, en 1853 à New-York et en 1855 à Paris, où il obtient la grande médaille d’honneur et la croix de la légion d’honneur.
Fabrication de l’outremer artifi ciel
Un mélange de matières premières est mis en pots de terre : kaolin, carbonate de soude, soufre, sulfate de soude et un réducteur, le charbon de bois. Il est ensuite chauff é dans d’immenses fours, d’une façon graduelle pour permettre aux diff érentes réactions de se produire. La phase de cuisson et de refroidissement dure un mois environ, pour une production, en une seule chauff e, de trois tonnes par four. La marche de la coloration suit celle de l’oxydation. Suivront ensuite les phases de broyage, lavage, décantation, séchage. Le bleu est conditionné soit en poudre, soit aggloméré en boules, en cubes ou en rectangles. L’outremer a toujours été considéré comme un pigment parfaitement sûr et inoff ensif pour l’organisme. L’utilisation suivie et universelle de l’outremer, dans la coloration ou l’azurage de certains aliments (sucre, cosmétiques et produits pharmaceutiques) prouve l’innocuité de l’outremer.
Les domaines d’application du Bleu Guimet
L’outremer a été utilisé en grande quantité dans les peintures, mais surtout pour l’azurage du papier puis l’azurage du linge. Les poudres à laver contenant de l’outremer permettaient aux ménagères d’obtenir un blanc éclatant et durable en azurant le linge. Le bleu d’outremer a également été utilisé dans la fabrication de nombreux produits : les papiers peints, les encres d’imprimerie, les cuirs, les revêtements de sols, les ciments, les caoutchoucs, les matières plastiques, les savons, les apprêts, les cachets et onguents contre les aff ections respiratoires et toutes couleurs pour artistes.


Les générations Guimet
Depuis 1828, quatre générations se sont succédé dans la fabrication du « Bleu Guimet ».
Jean-Baptiste Guimet (1795-1871), l’inventeur, est également conseiller municipal de Lyon pendant vingt ans. En 1855, génie de l’industrie, il créé et fi nance la Compagnie des Produits Chimiques d’Alais et de la Camargue (PCAC, connue aujourd’hui sous le nom de Péchiney), dont il est le premier président jusqu’à sa mort en 1871. Son fi ls, Émile Guimet (1836-1918) marque l’histoire de Lyon, tout autant que son père. Dès 1860 il prend la succession de son père à la tête des usines de bleu outremer. Plus tard, il préside aux destinées de Péchiney de 1887 à 1918. Péchiney deviendra leader européen de la production d’aluminium. L’entreprise du Bleu Guimet aura été leader sur son marché pendant près d’un siècle.
Entrée de l’ancien musée Guimet, boulevard des Belges à Lyon
En 1900 Émile Guimet cède la direction du « Bleu Guimet » à son fi ls Jean qui développe considérablement l’entreprise sur les marchés étrangers. Il décède accidentellement en 1920. L’entreprise compte alors 120 représentants sur tous les continents du monde. Jacques Guimet n’a que 12 ans lors de l’accident de son père, il maintient l’activité de l’entreprise jusqu’en 1967, date à laquelle il vend le « Bleu Guimet » à la société Reckitt et Colman. Le bleu d’outremer est maintenant fabriqué par la société Hollidays-Pigments SA à Comines dans le Nord. Les anciennes usines de Fleurieu sont transformées en centre artisanal.


L’entreprise et le mécénat d’Émile Guimet
En dehors de la direction de l’usine, Émile Guimet se sentant responsable du bien être et de la culture de ses ouvriers, déploie ses énergies dans de multiples activités : musique, théâtre, voyage et archéologie, sans oublier les questions sur la politique sociale de l’entreprise qui l’occuperont toute sa vie. Il créa ainsi des écoles, des mutuelles, des fanfares. En 1900, celle de Fleurieu-sur-Saône défi le même sur les Champs-Elysées pour l’Exposition Universelle de Paris. Émile Guimet prendra toute sa dimension en faisant don à l’État (contenant et contenu) de son vivant, du Musée Guimet qu’il construisit à Paris en 1889. Le Musée de Lyon renaîtra à l’instigation d’Édouard Herriot en 1913, les collections d’arts égyptiens et asiatiques cohabitant avec celles d’histoire naturelle. Elles intègrent maintenant le Musée des Confl uences.
Si la riche histoire du « Bleu Guimet » est liée à 150 ans d’histoire industrielle de la France, elle est également le fondement d’une histoire culturelle qui donnera naissance au Musée Guimet de Paris (l’un des plus grands Musée d’arts asiatiques du monde) et au Musée des Confl uences de Lyon.