Voyages à Terre Sainte - Passants, traces et boutiques

Atelier

d’écriture de l’UPTS

animé par Jocelyne Vignal

Voyages à Terre Sainte

5 – Passants, traces et boutiques

Mercredi 6 novembre 2013, à Terre Sainte

Photos de Cristine Marrec Mise en page de Robert Jeannard

SOMMAIRE Consignes d’écriture

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Auteurs Dominique Escande

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Marie Héry

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Cristine Marrec

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Rose-Marie Sérou

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Jocelyne Vignal

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Annexes George Perros : Écrire est un acte religieux…

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Georges Perros : Je m’souviens d’un coin de rue…

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Georges Perros : Je suis né rue Claude-Pouillet

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Patrick Pécherot : Je vous salis ma rue

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Patrick Pécherot : Au coin d’la rue là-bas

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Consignes d’écriture I A Déambulation, environ 1 h, 4 feuilles On note (sans interprétations) - des bribes de conversation entendues - les personnes assises, les passants On répertorie - les boutiques - les traces, les objets abandonnés B Écriture 1 Écrire un texte sur les boutiques et les traces 35mn C Écriture 2 On a découpé les différents portraits de passants et d'assis, les différentes prises de paroles puis on tire au sort dans ce qui a été mis dans le sac commun : un personnage ,quelques paroles. À partir de ces matériaux, on écrit un texte à la façon de Georges Perros sur un fragment de vie à Terre Sainte. On peut choisir pour incipit En fait je m'étonne qu'on m'aime assez pour m'attendre le soir... (texte donné en annexe)

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Dominique Escande I

Boutiques de Terre Sainte - Il y a une boutique, rue Lacaz, sur une petite butte, qui surplombe les autres, en léger retrait, mais que l’on remarque aussitôt. Ses bleus rafraîchissants enveloppent le bâtiment d’une ombre colorée. Deux pailles en queue peints sur le fronton semblent figés dans un éternel envol. Portes et volets beige un peu terne, couleur peau, en rapport direct et peut être inconscient avec l’endroit : « l’écrin de beauté » ! Pas de lambrequin ici, le toit est une terrasse de béton bleu, mais des barrières dentellières qui féminisent le lieu et soutiennent une porte pleine d’espoirs.

- Le minuscule restaurant au coin de la rue Lacaz abrite dans le renfoncement frais de sa terrasse couverte un grand surfer peint au pochoir en noir et blanc. Un peu plus grand que nature, l’homme peint se tient devant sa planche, droite comme un monolithe. Il est râblé, maillot noir, marcel noir, une barre sombre bloque son regard, les bras le long du corps, les poings serrés, juste une brute sur fond bleu blanc et rouge… Il garde farouchement les cuisines. Gare à celui qui franchira la porte ! On est prié d’apprécier le tartare de thon ou le burger maison, sinon… !

- Mais de quel ailleurs ont rêvé les Chinois qui tiennent la boutiquetraiteur-épicerie-boissons- pain-gaz-piles-et tout ce que tu veux, honorable client, quand ils sont arrivés ici à Terre Sainte ? Le bleu de cobalt dit bien l’océan, présent jusque dans la rouille salée qui ronge les ferrures des volets orange passé. Les Z des renforts sont eux aussi d’un beau bleu, foncé pour faire plus solide. Sur le côté, un mur peint a un jour été commis, à côté d’une pub Orangina délavée, peut être par le patron lui-même, en tout cas pas un artiste! Chichement du rouge a été étalé pour faire des rochers, ceux de Terre Sainte, sans doute, et un palmier triste, solitaire, si maigre, à droite, on imagine la pauvre ombre qu’il diffuse ; deux barques arrimées là,

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Dominique Escande celles de nos Chinois, enfin arrivés dans cet autre monde, et au loin, vers l’horizon, sur une mer bleu lavé, une île piton, si sombre, si épaisse, inhospitalière… Est-ce la Réunion, ou le souvenir de leur coin de Chine, délaissé, fui, aimé ou détesté ?

- Allée Nicole sur poteau pleure la rouille du temps passé.

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Panneau bleu, écriture blanche, à l’ancienne. Quatre rivets tentent d’empêcher l’évasion de la plaque émaillée qui glisse inexorablement vers le bas.

Béton projeté en caillots épais et rugueux d’un ogre-mur qui absorbe goulument l’ombre. Ondulations mécaniques : tôle verte et rouille.

Végétation qui tente, partout, dans chaque interstice, fente trou, de s’implanter et y réussit ! Goulets des ruelles, couloirs des vents, volets clos…

II

Matinée à Terre Sainte.

Eugène est assis au frais, sous les grands banians de Terre Sainte. Il repose son genou qu’il a goutteux, et en profite pour tailler une tite causette avec le Grondin, son dalon depuis toujours.

– « Ah ! On est misère, tiens ! Mais y’a plus misère que nous.

Comme à Cilaos, là c’est pire ! Mais ? Tu vois la femme là ? Ce ne serait pas les impôts, ça note tout on dirait bien ! Tu vas voir qu’elle va nous inspecter ! Elle va en avoir pour son carnet ! » La femme en effet s’avance mais Eugène devance toute approche : - « Moi créole, moi parle pas français ! » « Fin de l’épisode » ricane Grondin ! La femme s’éloigne, interloquée, tandis qu’un homme élégant traverse alors la rue Lacaz . Pantalon blanc, chapeau de paille, chemise écarlate. Eugène cligne de l’œil en direction de Grondin qui secoue la tête d’un air entendu. L’homme passé,

Dominique Escande ils restent tous deux muets, et attendent en se regardant furtivement de temps en temps.

Une femme enfin apparait au coin de la rue. Sous un parapluie noir, pour se protéger du soleil, elle est si pâle, elle avance lentement. Elle porte un corsage Panthère, échancré, très suggestif. Elle est maintenant de dos ; et se retourne plusieurs fois. Eugène fait signe à Grondin : l’homme au panama vient de réapparaitre comme par enchantement. Il marche avec vraiment beaucoup d’élégance, et sa chemise rouge se gonfle au vent de Terre sainte et claque comme un fouet. Il croise, juste devant Eugène et Grondin, qui ne respirent plus, la pâle et lente beauté créole. Il soulève son chapeau léger comme un souffle, et lui sourit. Eugène peut voir ce sourire, et il n’en revient pas.

Grondin l’a-t-il vu ce sourire d’ombre ? Et la femme ? Elle oui, surement, elle était en face. Tandis qu’ils s’éloignent, bras dessus bras dessous, Eugène reste figé. « Oh ! Grondin ! Tu l’as vu sa gueule ouverte ? » « Moi, non, l’Eugène « Ben moi si, et ce n’était pas beau à voir : l’ombre de la mort sur son visage, à l’Apollon, tu peux me croire… M’est avis que celle-ci, il la gardera, cette fois encore, pas longtemps. Allé, lé retourne, bonne journée, le Grondin »»

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Marie Héry I Les boutiques, les bars, les restaurants se suivent le long de la rue Amiral Lacaze.

Ils regardent toujours la mer et sont plus nombreux vers le pont de la Rivière d'Abord.

Certains sont anciens, d'autres plus récents ou rénovés, beaucoup sont fermés.

Il y a le bar Rita ou boutique chinoise tenue par une vieille Chinoise qui époussette son comptoir.

Côté bar et côté épicerie, personne. Il faut dire que tout est bien désuet et même un peu misérable.

Il y a le Marlin bleu, fermé. Pas de suggestion du chef affichée.

Un jeune assis en face se lève et s'avance vers moi, la cigarette à la main.

Koi fé Madame? Visiblement nous l'intriguons. Il me dit avoir vu deux autres dames qui écrivaient.

Je lui explique, il hoche la tête et repart en disant à ses dalons: Elle écrit un livre.

Il y a la bouquinerie l'Accent du Sud. J'entre, je salue. Une jeune femme choisit des livres, elle dit à sa fille: On reviendra souvent ma chérie. À une proposition que je n'entends pas, elle répond: Pour moi c'est plus pour les ados.

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Merie Héry Il y a la poissonnerie Au requin frétillant, installée sur une petite place où plusieurs hommes vautrés sur un banc somnolent.

Je m'approche de l'étal odorant et je regarde les tranches de thon, d'espadon, de marlin, les têtes aux yeux vitreux. J'écoute: Na un pti ninstan?

Non, non, je dois continuer, je n'ai pas terminé mes relevés.

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Évidemment cette question ne m'était pas destinée.

J'entends encore : Toi, c'est toi, moi c'est moi. Phrase pleine de bon sens.

Il y a un fruitier, une crèche où bourdonnent des cris de tout petits, un restaurant avec terrasse---Il y a des réclames sur les murs (Orangina, Pepsi),des dessins, des peintures, quelques graffitis---Il y a de la vie, mais tout est calme, comme ralenti. En avançant, on entend la mer, il y a peu de circulation.

Terre-Sainte, à deux pas de St-Pierre et de ses folles journées de braderie, est un lieu apaisant où il doit faire bon vivre, c'est encore un charmant petit village comme au temps lontan.

Marie Héry

II Un personnage:

short rouge, pataugas, béquille sur le banc.

Deux phrases : Si moi, il arrive un accident et Je me suis limitée.  - Vous m'avez vu? Peut-être pas. Et pourtant---Oui assis, je suis comme vous : je porte un short rouge, un t-shirt usé et des pataugas au pied.

Des pataugas direz-vous, en cette saison, bizarre non?

Il y a une raison, Ami à cette histoire de pataugas. Mais attends un peu----Avez-vous vu qu'il y avait une béquille sur le banc? Non? Les gens passent et ne voient pas.

Oui une béquille parce que je suis devenu unijambiste, comme disent les spécialistes, je n'ai plus qu'une jambe quoi.

Ah, je vous intéresse maintenant--Il y a plusieurs années, 10 ans je crois, il m'est arrivé un accident Certains disent que j'avais bu, mais non, quelques dodos seulement.

C'était là, en sortant de chez Rita, j'ai voulu rejoindre mes dalons pour aller fumer zamal.

J'ai traversé, la voiture m'a pas vu, pourtant la vitesse est limitée.

J'ai été renversé et c'est là qu'on m'a amené à l'hôpital. On a essayé de me soigner, mais ma jambe, elle a pourri. Ils ont été obligés de me la couper, amputer ils disent, sous le genou, ma jambe gauche.

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Merie Héry Je n'y tenais pas tellement à celle-là, le soir quand je rentrais à la caze elle se dérobait souvent. Mais maintenant elle me manque, quoique--Je me suis habitué, je reçois une pension, et je traîne avec les copains, on fume dos à la mer, on boit, on est tranquille.

Et le pataugas? Ah, oui j'allais oublier.

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Au début, c'était très dur de me déplacer, je glissais, je tombais--Une zoreille a eu pitié de moi. Mais ce n'était pas plus simple: habitué à la savate deux doigts, je souffrais dans ce godillot fermé. Mais maintenant, mi aim bien.

Et on ne m'appelle plus Payet, mi na qu'une patte, on me nomme Pataugasse---.

Cristine Marrec I Il y a ce matin bleu et chaud dans les rues de Terre Sainte, et cette déambulation, stylo en main, feuille blanche bien arrimée, l’œil attentif aux consignes données.

C’est le jour des encombrants, des rebuts, du désordre que l’on ose jeter : pyramides de la consommation à chaque coin de rue.

Là ce sont les boîtes en carton, vides, preuves de nouveaux achats, on vient de s’installer dans les lieux, on ne remplace donc pas, on investit : l’automatic rice cooker voisine avec le ventilateur en tour et les cylindres vides des images accrochées au mur, un jeune couple, probablement.

Ici, la deuxième pyramide mêle les déchets naturels puisque végétaux aux grilles rouillées d’un jardin d’autrefois, tandis que des sacs noirs aussi ventrus que des buveurs de bière aguerris, masquent en les muselant quelques déchets frivoles qui se feraient une joie de voler vers l’océan tout proche.

Plus loin, ce sont cinq poubelles jaunes et vertes, tels des fonctionnaires titulaires des déchets, elles attendent placidement, couvercle fermé, qu’on se donne la peine de les vider. Leur indifférence simulée au passant m’émeut, je sais leur crainte de ces affreux noctambules qui se font parfois une joie de les culbuter sur la chaussée ou par certaines nuits un peu froides de les embraser de feux éphémères. Elles, assermentées de la Civis, resteront muettes quant à leurs agresseurs, on a son honneur et sa fierté, rue Charles Prince, et puis d’être ainsi bousculées n’est pas sans leur déplaire.

Un sac plastique solitaire et tout noir se chauffe au soleil, assis en équilibre sur l’arête du trottoir. Il est lourd et plein, repu de déchets bien cachés, pas

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Cristine Marrec une ride sur son ventre, sagement il attend. Seule frémit dans la brise matinale, juste en haut de sa collerette de plastique orange, une petite tête toute fripée qui siffle un air révolutionnaire, où il est question d’ailleurs, de décharges et de déclassement. Mais lui, ne se laissera pas aller à rouler sur la chaussée, non, il résistera à ces airs de courant d’air qui lui traversent la tête.

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De profil, une vieille poubelle s’accroche au mur, telle une moule à un rocher, bouche ouverte, elle a trop fait la fête : elle régurgite discrètement plastiques et papiers, et malgré ses efforts, un peu de liquide gluant lui coule au coin de lèvres.

En face, le Marin Bleu est fermé et les suggestions du chef restent en suspension, le tableau vert est vierge. Les yeux clos, Le Marin Bleu dort dans la chaleur tropicale, se réveillera-t-il ce soir ou est-il en cure de sommeil sous perfusion bancaire et létale ?

L’Esprit Surf a pris la vague tôt ce matin, même pas peur des requins , celui-là, il offre tartans de poisson frais et beef burger, quel drôle d’esprit aujourd’hui chez les écumeurs des vagues! À la poissonnerie GIE, Léonce attend : espadons, thon, dorade, marlin, prêts à être vendus, mais les clients ? Ses deux dallons assis sur le rebord de l’étal n’osent lui en parler. Silence lourd. Léonce, dos à l’océan a le regard fixe, étonné ou désabusé ?

Le bar épicerie Seven Up à l’enseigne rasta verte et rouge affiche une publicité écaillée par le temps et les embruns, Pepsi est sans Cola, la rouille a clos les cinq portes en fer, le balcon en bois vermoulu attend silencieusement la chute : personne n’interviendra donc avant l’irréparable ?

Peut-être ces deux pailles en queue qui entourent l’Écrin de Beauté, épilation, soins du visage, manucure, maquillage, rêves affichés de façon scandaleuse ?

Cristine Marrec Juste après, la Terrasse est ouverte, sûre de la beauté de ses deux varangues, la rouge en profil, la boisée de face, vue imprenable sur l’horizon indien, prête à en découdre avec L’Escale Gourmande, cette nouvelle venue aux deux chapiteaux mobiles, qui avec son toit en tôle à quatre pentes et ses murs solides et lambrissés a l’outrecuidance de rêver lui prendre sa clientèle.

Il y eut ce matin bleu et chaud dans les rues de Terre Sainte et cette déambulation qui s’arrêta à la terrasse de l’Accent du Sud, boutique pleine des mots des autres et de rencontres improbables.

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Cristine Marrec II Je suis cet homme qui porte un chapeau pour rêver et regarder en paix la ligne d’horizon où la réalité se noie, où le ciel tombe amoureusement dans l’Océan, 18

où un rayon vert parfois apparaît Je suis cet homme qui porte un chapeau pour ne plus voir qu’il a laissé passer sa chance, et que le Non, non et le Bonne Journée ne lui sont pas destinés, qu’il n’ira pas nager dans une heure car personne ne le lui a enseigné

Je suis cet homme qui porte un chapeau pour fuir le Je suis débordée de sa femme qui jadis l’a quittée qui depuis tourne en boucle dans sa tête

Je suis cet homme qui ne veut plus entendre le Allez ciao de ses amis à peine croisés et leurs rires de voir entre ses doigts le journal soigneusement plié alors que tout le monde dans ce quartier de Terre Sainte sait qu’il n’a jamais réussi à apprendre à lire

Rose-Marie Sérou I Rue Lacaz. Elle a perdu son titre d’amiral, m’est devenue familière depuis qu’elle accueille, au 67, notre atelier, quelques fidèles qui émaillent des feuilles blanches de textes comme une offrande.

Il y a des peintures sur les murs de la rue qui regarde la mer. Par ci par là, 19 des façades aux peintures grises comme un tison, ocres comme la terre battue. Des peintures délavées, parties. Là où elle tient encore la peinture est écaillée. Elle crie le désespoir de ce village de pêcheurs abandonné par ses pêcheurs. Couches sales et poussiéreuses des bazars désertés par les clients et contraints de fermer leurs portes. Seuls les chiens les reniflent avant de déverser leur jet ininterrompu d’urine ambre. « Le marin bleu » fermé, vide comme le tableau de suggestion du chef. Personne ne répond au 0262356165 ! Attention crotte fraîche devant le vieux portail gris rapiécé d’une bande de zinc. Ne pas marcher dedans. Fermée aussi la vieille case créole au visage clos, aux volets jadis terre brûlée, qui accueillait au rez-de-chaussée dans l’épicerie, les femmes du quartier qui achetaient le nécessaire pour faire le cari du soir; les enfants qui lorgnaient les bonbons ; dans le bar, autour du comptoir, les conversations des retours de pêche, les jurons des hommes éméchés. À l’étage, les portes et les fenêtres ne s’ouvrent plus sur la galerie de bois courant le long de la façade. Plus de vie, plus de rires, de cris d’enfants. L’abandon ! Pourtant ces cases fermées ont une mémoire qui ne demande qu’à s’écrire en histoires, des histoires qui renvoient au passé lontan, des parfums de café grillé, d’épices orientales, de poisson frais ou cuisiné. En se promenant on ne sent pas monter l’odeur de senteurs heureuses dont s’enveloppaient les jours d’antan. Pas de pêcheurs ravaudant leurs filets de pêche. Sur la grève pas de barques colorées. Juste sur un rocher plat, un gros tas d’hérissons de mer agitant leurs fines aiguilles noires aux reflets violets, récoltés sur le platier à marée basse. Et une famille, trois personnes, trois adultes, les

Rose-Marie Sérou pieds dans l’eau salée, assis sur de gros mamelons ronds cassent la coque des oursins avec un couteau grand comme un poignard pour prélever le précieux corail orangé disposé en étoile au fond, mets délicat qui se dégustera dans les restaurants fins.

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Dans ce bout de rue, de la place au début de la jetée jusqu’ à la poissonnerie c’est une oscillation, un balancement entre vie et abandon ; entre tradition et modernité ; entre cases ternes, fermées, qui baissent les épaules et constructions modernes, clinquantes, colorées, étincelantes comme l’institut de beauté qui propose des soins et du rêve. Maisons blanches habitées avec la radio à fond. Poubelles vertes aux casquettes jaunes trônent sur les trottoirs et recueillent les déchets de leur consommation. Au coin de la rue un amoncellement de débris végétaux qui ne sont plus verts, des palmes séchées, des rameaux cassés, des fleurs fanées, en vrac ou dans des sacs de riz débordants, encombre le trottoir.

Des voitures alignées à la queue-leu-leu sous les banians. Il y a aussi les jardins plantés d’arbres qui ont vu naître des générations, les varangues ombragées qui content la douceur de ce quartier.

Il y a la case bleue et blanche au jardinet délaissé, sans entretien, aux ouvertures closes, à la chaise en plastique blanc renversée, les pieds tendus vers le ciel, la table de jardin grisâtre qui cambre le dos et retient l’eau de pluie. Les lieux semblent privés d’occupants. Pourtant quelques guirlandes de piments sombres, de fleurs récoltées, de tiges cueillies sèchent sur la terrasse occultée par un rideau de bambou peint en blanc. La vie semble s’éteindre dans cette case. Plus joyeuse est la case du 53, toute fleurie d’un lambrequin d’un blanc étincelant, portes et fenêtres ouvertes pour laisser entrer le soleil et les hôtes. A l’angle de la ruelle Charles Prince, la Terrasse nous propose croque monsieur, smooties, tartes sucrées ou salées, jus de fruits frais, ti dej sous une toile flamboyante inondée de soleil.

Rose-Marie Sérou Sur mon trajet Daniel et Mica, intrigués par notre manège, m’interpellent et veulent savoir quel genre de notes nous prenons sur nos feuilles. Je leur parle de notre projet. Ils me parlent des temps qui sont durs, de la crise, de la misère du quartier. Néanmoins ils se trouvent moins miséreux qu’à Cilaos. Ils me demandent mon âge et pensent que je devrais « gagner » la retraite au lieu de travailler encore. Le poissonnier me dit qu’on ne peut plus vivre à Terre Sainte, qu’il n’y a plus de logement. Les pêcheurs sont 21 partis, les spéculateurs sont arrivés, transformant le village des pêcheurs en lieux de villégiatures et de placements productifs. Il n’y a plus de terrain.

Lui vit à Montvert !

II Histoire Lieu :Terrasse du café-au 16-.Personnage : un homme jeune, plutôt bel homme boit un café. Très brun. Il ne cesse de regarder furtivement à gauche, à droite. Un autre arrive avec une superbe moto, casque et bottes. Le premier se lève, rayonnant et vient l’embrasser. Ils s’étreignent.

Paroles : « résidence que l’on vend- que l’on cède- location, priorité à la location, je fais vente-location, location, tu gagnes tout de suite de l’argent » Terrasse du café, au 16. Un homme jeune, très brun, plutôt bel homme assis à une table. Il a commandé un café. Il ne cesse de regarder furtivement à gauche, à droite. Il met ses lunettes de soleil, les retire, les remet. Il attend quelqu’un. Il s’impatiente.

Soudain le vrombissement d’une moto dans la rue. Comme une lame de fond, une grosse moto noire s’arrête, rutilante sous la lumière dorée de Terre Sainte. Monture d’acier et de chrome, trésor de technologie et d’ingénierie, objet de luxe et de convoitise dans le quartier de Terre Sainte, ancien village de pêcheurs gardé par des banians centenaires déployant leur réseau de racines comme des filets de pêche aux gros maillages sombres et

Rose-Marie Sérou réveillé en sursaut d’une somnolence tranquille. Un vent léger apporte des odeurs de mer, de corail et des relents de fumée d’échappement.

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L’homme à la moto qui porte un casque et des bottes de moto, descend de son bolide, jette un regard autour de lui et s’assure qu’on l’a remarqué.

L’homme au café, assis devant sa tasse vide, se lève rayonnant, jette les bras au ciel et vient l’embrasser. Ils s’étreignent fraternellement. Ils dénotent un peu avec leurs effusions tapageuses dans ce quartier paisible, sans clinquant, aux cases qui s’affaissent sous le poids des ans, respirent l’air parfumé des jardins fleuris et se laissent bercer par le chuchotement des vaguelettes bleues.

Deux cafés fumant sur la table. Leur ombre sur la table. Bribes de conversation. Autour de cette table une discussion importante. On parle d’un marché juteux.

Une résidence que l’on vend, qu’on loue, qu’on cède. En tout cas il est question d’une maison qui change de main, de propriétaires. Des familles qui s’en vont, des gens qui déménagent, des histoires qui s’effacent, de souvenirs qui meurent, des secrets qui se perdent. Mais ce n’est pas ce qui les trouble. Ils parlent du temps de vacation, du manque à gagner, de la priorité à la location, à la rentabilité, de l’argent qui se gagne tout de suite, vite et beaucoup. Ils se comprennent bien. Affaire conclue. Ils se lèvent, s’étreignent, tournoient et repartent tous les deux sur la moto qui disparaît au bout de la rue comme un boulet de canon.

Et le quartier retombe dans une somnolence tranquille

Jocelyne Vignal I J’ai choisi l’incipit : En fait je m’étonne assez qu’on se souvienne de moi….

J’ai perdu les éléments donnés, mais je me souviens qu’il s’agissait d’un monsieur propret, âgé ,avec un sac plastique vert à la main Paroles Le matin, le soir , j’attrape tout tout de suite.

Je veux bien aussi de la glace… Je n’ai gardé que l’idée de gourmandise » Si tu l’écoutes, il a tout fait…….J’ai gardé l’idée des émotions  En fait je m’étonne assez qu’on se souvienne de moi pour m’attendre le soir.

De ma vie il ne me reste que la dentelle de ma mémoire. J’entends qu’il est indispensable d’oublier ; moi je voudrais me souvenir de tout : de l’odeur des nuits au large quand épuisé je restais dans l’espoir des filets lourds de poissons, du visage radieux de mes fils enfants quand j’avais gagné quelque monnaie et que j’allais leur acheter un ballon, leur petite main tiède confiée à mes mains râpeuses Je ne peux pas sentir un parfum qui n’est pas là, je ne peux réentendre la voix de Marthe, mais parfois une inflexion de mon ainée et Marthe m’arrive avec sa joie. Certains soirs de journées chaudes une odeur de transpiration et de sel me saute au cœur : c’est la fin du travail après une bonne pêche, le bar, les voix fortes des copains, le rhum, le regret d’avoir tout dépensé.

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Jocelyne Vignal Les visages, les silhouettes je peux encore les revoir comme dans un miroir terni, comme une image trop fugace pour être caressée.

Je ne contrôle rien, je ne saisis rien à le garder. Le matin, le soir, j’attrape tout tout de suite, et j’ouvre les mains aussitôt.

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On me dit réservé, je suis gourmand de silence, de soleil, d’ombre, du temps qui passe lentement, de la peau des jeunes femmes qui rient en passant. Mon corps s’émeut encore parfois.

Dans le silence de ma solitude au bout de la jetée mes pensées flottent du passé au futur. Mon avenir est dans chaque minute du présent.

J’aime regarder les émotions emplir les êtres, les faire autres, et leur reflux les laisser plus humains.

C’est le temps de me nourrir des autres quand ma vie fait semblant de s’amenuiser.

Ma vie enfle de ce bonheur qui reçoit de l’autre sans en attendre rien.

Puis je rentre dans la douceur du soir, le soleil s’est couché derrière la jetée.

Je suis étonné que l’on me sourie même si je n’ai participé à rien, si dans mon petit sac en plastique vert j’ai bien rapporté quelques chouchous mais oublié le pain. On me tend l’assiette on me propose la Dodo. On attend mes histoires, mes rencontres, ma tendresse.

II BOUTIQUES et TRACES Une rue que borde l’Océan indien avec ses glissements de vagues conduit de notre lieu d’écriture, la Case 67 rue Amiral Lacaze à la place de la liberté, entrée de Terre Sainte en venant de St Pierre De vieux banians aux noueuses et blanches racines aériennes ombragent de leur épais feuillage les passants ,les assis et les voitures garées là en file indienne.

Jocelyne Vignal Il y a des hommes au repos, peut- être est-il même caché celui dont le T shirt laisse entendre qu’il devrait travailler à la propreté, les bras sont étalés sur le dossier des bancs de béton ,ils sont là pour longtemps. De l’autre côté au ras des maisons basses des femmes marchent vite.

Il y a entre deux portes rouillées sur un fond bleu délavé une pelure d’orange qui vante la marque Orangina Il y a une boutique chinoise qui propose sans attrait dans une tour de verres deux baguettes de pain, deux croissants et un pain au raisin. Rien ne tente.

Il y a sur un mur entre Fuck et NiK la police quelqu’un qui a écrit en épaisses lettres noires »Mi M A CJ »CJ cajolée ? cajolant ?n’oublie pas » le bonheur est dans le pré. Cours -y vite » Il y a un numéro 13, tout neuf sur son émail bleu, vissé sur les planches d’une maison abandonnée.

Il y a au bout de la rue Lacaze une place depuis peu fleurie et ordonnée.

D’un côté le gros arbre, ses bancs et ses assis, les trois poissonneries où des mouches cherchent à se poser sur les têtes argentées et aiguës des thons bananes ; en face, de l’autre côté c’est le Terre Sainte nouveau, celui des cases chères, avec la librairie d’occasion en vert foncé, la boutique de vêtements branchés en violet sombre, une petite maison pimpante aux volets blancs et bleus, un restaurant qui propose des tartares de poisson.

Un petit garçon est assis devant, sur le sol, dos au mur, genoux relevés au menton, exactement au-dessus de lui on peut lire : à emporter..

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Annexes

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Annexes Georges Perros

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Georges Perros Je suis né rue Claude-Pouillet Je ne sais pas qui fut cet homme mais il est courant que l'on donne un nom obscur aux rues Ainsi suffit-il d'habiter village ou d'être maire châtelain magistrat héros sous-marin pour qu'après la vie on devienne par correspondance quelqu'un (Ce doit être bien émouvant de recevoir paquets et lettres quand on est veuve d'un mari qui fut célèbre de son temps Ainsi Madame Valéry reçoit des enveloppes qui s'adressent rue Paul-Valéry et si elle prend l'autobus peu probable vu son grand âge elle monte à la station Paul Valéry Que devient-on ?)

En Amérique on numérote et j'ai souvent rêvé de loin aux grands chiffres illuminés que le néon de Broadway passe en revue Ce n'est qu'un rêve car je ne suis pas près de voir les hommes voués à la statue.

Au bout de l'Ouest européen j'en devine la multitude mais c'est plutôt vers l'est disons vers Moscou que mon œil chemine

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Annexes ou vers la Chine et ce n'est point idéologique on dit bien idéologique à propos de cette triste vérité qui nous veut prendre par la main pour nous donner plus d'existence sous prétexte qu'on meurt au loin mais on meurt partout Et je sais pour les avoir vus en privé à quel point se bichonnent ceux que le sort invisible d'un dont ils se foutent c'est peu dire met dans tous leurs états L'Empire d'Alexandre ou Napoléon serait trop petit pour sécher leurs larmes un rien crocodiles.

Annexes Mon père parfois un peu tard retour des hauteurs d'Épernay et trop chauffé par le Champagne comment faisait-il pour conduire était on ne peut mieux reçu Je l'avais pourtant suppliée ma mère de laisser tranquille cet homme rouge qui disait dès que porte ouverte Je suis saoul je suis n'est-ce pas madame va dire encor que je suis saoul Et c'était alors la bataille des cris des gestes des fureurs Je séparais les combattants du haut de mes douze ou treize ans. Étincelait dans le couloir un poignard que mon oncle avait ramené du Cameroun où il se faisait pas mal d'argent nous racontant — j'entendais tout quoique jeune — qu'il baisait bien les négresses et tapait de même les hommes de sombre couleur Mais nous sommes fâchés depuis Il est vieillard dans un asile à Montreuil-sur-Mer près Boulogne.

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Patrick Pécherot, Petit éloge des coins de rue, Folio.

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Annexes

Patrick Pécherot, Petit éloge des coins de rue, Folio

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C’est là que ça s’écrit, au 67 La Caz,

à Terre Sainte.

Université Pour Tous dans le Sud Saint Pierre de La Réunion