5 minute read

Écoles vertes « Ils sont là pour faire de l’argent avant tout »

Les établissements alliant business et écologie sont nombreux à avoir ouvert leurs portes ces dernières années. Les étudiants en tirent des avis contrastés et pointent souvent du doigt une formation « sans grand intérêt » au modèle « ultra-lucratif ».

Dans un bâtiment terne du XIème arrondissement de Paris, aux journées portes ouvertes du groupe d’écoles privées ESG, la table de l’ESG Act, « l’école de management du développement durable », est loin d’attirer les foules. Il faut dire que l’ESG Act n’accueillera sa première promotion qu’en septembre prochain, et l’école manque encore de visibilité, reconnaît sa future directrice, Nathalie Patrat. « On a plus d’étudiants à nos réunions d’information en ligne », veut-elle rassurer. Des écoles privées comme l’ESG Act, il en existe déjà plus d’une dizaine, pour beaucoup créées il y a seulement quelques années. Klima School, Green Management School, l’ESI Business School, toutes ces formations privées, aux noms souvent clinquants et jouant sur les préoccupations croissantes des jeunes autour de l’environnement, sont accessibles hors Parcoursup. Cela implique forcément de très importants frais de scolarité, s’élevant de 7 000 à 11 000 euros, selon les établissements. Leur promesse : former les « futurs managers de la transition écologique ». Pour cela, ces écoles mêlent dans leurs formations les enjeux environnementaux avec des enseignements d’école de commerce plus classiques (management, marketing, stratégie d’entreprise).

Advertisement

« J’avais peur que ce soit une école de greenwashing » Ce parti pris assumé d’allier business et écologie, de nombreux étudiants le redoutaient. « Avant d’entrer, j’avais peur que ce soit une école de greenwashing », reconnaît Maxime, élève en deuxième année de master à la Green Management School. Aujourd’hui, ce dernier s’estime finalement satisfait de sa formation. « Sur les questions envi- ronnementales, on a une bonne équipe pédagogique et des intervenants très intéressants. On rentre vraiment en détail sur les thématiques abordées, que ce soit la biodiversité, l’agroécologie, l’énergie. » Pour apparaître crédible sur ces sujets, cette école a misé sur un « comité scientifique », présidé par l’ex-journaliste Audrey Pulvar. Il y figure de nombreux noms de la Fondation pour la nature et l’environnement (ex-Fondation Nicolas Hulot), comme François Gemenne, chercheur en géopolitique de l’environnement et membre du Giec, ou Marie-Antoinette Mélières, docteure en sciences physiques et climatologue, qui donnent cours aux étudiants. Pour autant, dans la plupart des écoles, la formation scientifique reste souvent très limitée. A l’International Terra Institute, une autre formation privée à veut vraiment s’investir sur les enjeux environnementaux. Même sur les enseignements autour du développement durable, on reste vraiment plus focalisés sur la partie managériale et entreprise », regrette aujourd’hui Emma*.

« Un business qui leur permet d’être rentable »

« On s’est demandé ce qu’on avait vraiment appris depuis le début de l’année. Ça se compte sur les doigts de la main. »

Irène*, étudiante à l’International Terra Institute

Paris qui existe depuis plus de dix ans, beaucoup d’étudiants s’estiment déçus des connaissances environnementales que l’école leur apporte. « En discutant avec une fille de ma classe, on s’est demandé ce qu’on avait vraiment appris depuis le début de l’année. Ça se compte sur les doigts de la main » concède Irène*, élève en première année de master, qui songe à arrêter l’école.

Constat similaire à l’ESI Business School, où l’enseignement autour du commerce prend assez largement le dessus sur le reste. « Je ne recommanderais pas cette école à quelqu’un qui

Entre les objectifs vertueux brandis par ces écoles dans leur communication et la réalité ressentie par les étudiants, l’écart est parfois criant. Car derrière ces ambitions d’une formation plus vertueuse, toutes ces écoles restent des formations privées, à visée (très) lucratives. Pour beaucoup, elles font partie de grands groupes d’enseignement supérieur, où les logiques de rentabilité sont parfois poussées à l’extrême. Ainsi, l’ESG Act fait partie du géant Galileo Global Education, autoproclamé « leader mondial de l’enseignement supérieur indépendant ». Le groupe compte plus de 85 écoles et 200 000 étudiants dans le monde entier, et génèrerait plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires par an, selon Les Echos. Récemment, une enquête de Libération avait montré des pratiques douteuses au sein de la galaxie Galileo, où la quête de maximisation des profits se fait au détriment des conditions de travail des enseignants et de la qualité des cours.

À côté du géant Galileo, les 73 millions d’euros de chiffre d’affaires du groupe Mediaschool, auquel appartient la Green Management School, font presque pâle figure. Cet établissement, comme d’autres, a misé sur un enseignement quasiment intégralement en distance. Les professeurs enregistrent leurs cours à l’avance, puis proposent une session de questions-réponses à la fin du module. Officiellement, une méthode pédagogique d’apprentissage plus flexible. Mais difficile de ne pas y voir une ambition de l’école de réduire ses coûts, en ne rémunérant qu’un seul enseignant, quel que soit le nombre d’étudiants et en n’ayant pas besoin de proposer des locaux ux étudiants. « Ils ont un business-model ultra-lucratif, qui leur permet d’être très entable », constate Maxime, étudiant à la Green Management School.

L’alternance au cœur du projet

Car au vu des frais de scolarité très importants, le moindre élève supplémentaire dans une promotion représente un petit pactole pour ces écoles. Pourtant, presque aucun de ces étudiants ne paie finalement ces montants. Toutes ces nouvelles formations construisent en effet leur pédagogie autour de l’alternance, permettant à leurs élèves d’être en entreprise de trois à quatre jours par semaine, selon les écoles. Dans ce système, c’est en principe l’employeur qui prend en charge les frais de scolarité des étudiants. Pour ces derniers, cette professionnalisation était d’ailleurs la vraie motivation à rejoindre ces formations. « On est quasiment tous entrés ici pour l’alternance. Sans, la formation n’a pas trop d’intérêt. Tout ce que j’ai appris de vraiment concret, c’était dans mon entreprise », reconnaît sans sourciller

Emma*, de l’ESI Business School. Si ce système peut paraître vertueux, la réalité est plus contrastée. Car celui qui met finalement la main à la poche pour financer ces écoles presque fantômes est… l’Etat. Depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron, une politique de subvention massive à l’alternance a été lancée par le gouvernement. Il y a déjà la prime à l’embauche d’un alternant pour les entreprises, aujourd’hui de 6 000 euros par contrat. Mais les enreprises se voient aussi rembourser par les pouvoirs publics la quasi-totalité des frais d’inscription dans les écoles. Un système très coûteux pour l’Etat, qui en vient donc à payer les 7 000 à 11 000 euros de frais de scolarité de ces établissements. Des dépenses massives qui ont poussé le Conseil d’Etat à tirer la sonnette d’alarme. Dans un rapport à l’été 2022, ce dernier a alerté sur la situation financière « préoccupante » de l’organisme France Compétences, en charge du financement de l’apprentissage, au déficit de près de 5,9 milliards d’euros en 2021.

« Il faut une cohérence »

Même au niveau du contenu des alternances, les pratiques de certaines écoles divisent. Certaines n’hésitent pas à envoyer leurs étudiants dans des entreprises semblant loin d’incarner la transition écologique. L’International Terra Institute revendique par exemple sur son site internet des par- tenariats avec des entreprises telles que la BNP Paribas ou TotalEnergies, deux géants pourtant empêtrés dans des procès pour manquements à leurs engagements pour l’environnement. « Ils prennent vraiment toutes sortes de contrat d’alternance, même des postes qui sont en décalage complet avec ce qu’on est censé étudier », regrette Irène, dont l’une des camarades de classe est actuellement en alternance au service communication de TotalEnergies. « Pour moi, c’est du greenwashing complet. Et l’école n’a jamais semblé vraiment se questionner sur ça », ajoute-t-elle, désabusée. Evoquer ce genre de contrats d’alternance suffit à la faire sortir Nathalie Patrat, de l’ESG Act, de ses gonds. « Ce n’est pas possible, il faut de la cohérence. J’ai dressé une blacklist à mes supérieurs, sur laquelle on trouve notamment certaines banques, des compagnies pétrolières ou aériennes, ou encore Amazon ». Les prochaines années viendront confirmer si la future directrice joindra les actes à la parole, et ne contribuera pas à former les managers du greenwashing de demain.

TimoThée Barnaud

*Les prénoms ont été modifiés. Contactées par Cosmos, l’ESI Business School, la Green Management School et l’International Terra Institute n’ont pas souhaité répondre à nos questions.

This article is from: