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érie " Pourquoi? "


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dans l'image. Pourtant, je suis dans l'image, dans les gris, les noirs, les imperfections de l'argentique. Voilà, il va falloir aller vers la sensibilité.
Pourquoi l'argentique?
Je vais répondre en plusieurs temps. D'abord, justement, pour le temps. Ensuite, pour la matérialité, et pour finir pour les erreurs. Le temps parce que travailler en argentique, ça prends du temps. L'image fixée sur le film n'est pas visible de suite, il faut suivre une procédure, une discipline, avant d'obtenir le négatif, puis l'image tirée sur le papier A mes yeux, ce n'est pas linéaire, comme trajet. La matérialité parce qu'une image sur papier c'est organique, surtout en argentique. Je me place ici à côté du débat pour ou contre, argentique ou numérique. Je parle d'inscription chimique sur un support, d'impermanence, de hasard parfois. Les erreurs, parce que ça arrive, et c'est rassurant Une machine servile n'apporte rien, je préfère les surprises, celles de la chimie, d'un moment Les aléas m’intéressent, pas la pureté chirurgicale.
Deux expositions photographiques dont tu te souviennes?
Robert Adams "L'endroit où nous vivons" au Jeu de Paume en 2014: Je me souviens d'avoir la certitude que ce que je voyais était très important. Je connaissais ces images. Je les oppose à celle d'Ansel Adams. Ansel, c'est chirurgical, il a inventé le "zone system", qui est utile à connaître, et je n'y connais pas grand chose. Les photos de Ansel me laissent froid. Celles de Robert m'émeuvent J'y voit une affection, une profondeur, une mise en récit de notre chute Les paysages dégradés qu'il montre, nous les avons sous les yeux. C'est un précurseur; il ne magnifie pas le paysage, il donne à contempler sa dévastation. Je le rangé à côté de Lewis Baltz.
Denis Darzacq "Act" à la MEP en 2015. Un travail mené au contact de personnes en situation de handicap Des images en couleur, oniriques Mon métier est éducateur spécialisé, j'ai travaillé auprès de personnes en
S érie " Pourquoi? " situation de handicap. Je suis touché par la légèreté des images, les mouvements si particuliers et beaux qu'il représente. J'ai un peu ça dans le cœur, cette beauté non conventionnelle.


Je n'ai pas vu d'exposition de Miroslav Tichy, mais j’aimerais tant
Ton dernier livre lu? Ton livre photo? Celui auquel tu reviens?
"L'art subtil de s'en foutre" de Mark Manson. Un contre guide de développement personnel, donc une sorte de guide paradoxal Au delà de la posture, ce livre, un best seller, est une sorte de zad mentale, dans laquelle se remettre de ses émotions de construction béate et positive. Et puis ça se lit vite, c'est drôle.
Le dernier livre photo offert est celui de Sergio Larrain, "Londres 1959": une entrée en matière chez un poète de la photographie, ainsi qu'un véritable regard. Il faut voir ses images prises au ras du sol pour avoir envie de sortir de chez soi et tenter de reproduire la chose. Un vrai photographe humaniste, comme je l'aime, sans mièvrerie.
Le livre auquel je reviens est Don Quichotte Enfin, c'est lui qui revient à moi, par exemple dans les bras de Lydie Salvayre avec "Rêver debout" 2021. Un retour de Don Quichotte pour résoudre tous nos problèmes actuels, un homme du passé qui va rendre nos contemporains désuets. Rire de la vanité de nos efforts ne dispense pas d'en faire, c'est salutaire Et puis Don Quichotte était anarchiste, contestataire, pas si fou que cela Les fous quen osu avons au pouvoir se gargarisent de sérieux, de rationnel.
Une photo qui t'as marqué. Tu peux nous en parler?
Oui, je vais vous remettre sous les yeux un texte écrit il y'à quelques années.
En ce qui me concerne, c'est ceci; Raymond Depardon, San Clemente, 1979. Je l'ai vue il y'a longtemps, quand j'ai exercé le métier d'éducateur spécialisé auprès de personnes déficientes mentales, différentes. J'y voyais tellement de choses, en lien avec ma profession, et une certaine vision philosophique, et pratique, de la condition humaine. Cette image me poursuit, me hante, reviens parfois quand je ne l'attends pas. C'est une image fantôme, en quelque sorte, de celle qui s'inscrit en vous. Je pense que c'est important d'évoquer, en art, ce qui s'inscrit en nous, ce qui fini par nous constituer. Ce n'est pas binaire, l'oeuvre et nous, non, ça entre dans notre être, notre éthique, là, je dit n'importe quoi,je n'ai jamais compris ce mot. J'ai hésité avec Levis Baltz, Stephen Shore, mais


Quel que part en Louis iane

La mac hine à parc e que, quel que part en Lous iane non.

Pourquoi? Une image en noir et blanc, contrastée mais pas trop,avec un gros grain Je ne le savais pas à l'époque, quand je l'ai vue, mais maintenant, je suis tombé amoureux de ce grain, sûrement du Ilford 3200 iso. C'est cadré serré. C'est une image cadrée et hors cadre. Le sujet est dans le cadre mais il est hors cadre, c'est une allégorie de la rencontre impossible. Elle représente un patient d'un hôpital psychiatrique, en Italie, assis à une table, tout est familier, les tables, les nappes, sauf cette inquiétante étrangeté, un trou à la place de la tête, peut-être une évocation du trou, celui d'où nous sortons, celui où nous finirons. Tout est possible. Les mains sont cramponnées. J'aurais aimé avoir le courage de faire cette image, il faut une bonne dose de violence en soi pour aller dans ce genre d'endroits, se mettre en surplomb de la personne, peut-être de façon irrespectueuse, mais, comme en littérature, on en fait pas de bonne photographie avec de bons sentiments. Il faut aller en dehors de sécurité. Raymond Depardon est décrié, je m'en tamponne. Il a trouvé une approche, n'a jamais déviée, il est pudique impudique, pertinent et putassier parfois, qui peut juger de cela? Il est un transfuge, est né dans une ferme, je pense qu'on a dû lui faire payer sa volonté de devenir photographe. J'aime Raymond Depardon parce qu'il me pose des questions, et celle-là, elle mérite de s'y arrêter. Le sujet pris en photo, c'est nous tous, cet effroyable envie de vivre, et cette impénétrable pulsion de mort, dans tout, tout est contradiction, l'amour lui-même n'est qu'une dévoration Les gestes doux que nous échangeons ne sont jamais dénués d'ambivalence Cet homme, là, je me reconnais dedans, sous la veste, il faut savoir s'airmer, s'armer d'amour pour soi, pour savoir cela. Photographier est un vol, et ce jour là, Raymond Depardon, mû par des intentions peut-être pas totalement pures, à produit un chef d’œuvre, du genre le cri d'Edouard Munch, de Goya. Et puis, je les ai connu, ces gens là, cachés à l'époque, dans des institutions fermées dans la campagne, j'ai aimé, cela a été violent, j'ai eu peur, parfois, mais toujours je me demandais comment entrer en communication avec cet autre qui ne parle pas le même langage que moi. J'avais une vision romantique de la folie, j'ai vite ouvert les yeux sur autre chose
Peut être qu'un peu de joie, quand même, se dégage de cette image, peut être qu'il s'est agit d'un jeu entre le photographe et le sujet. Je n'ai jamais cherché à savoir. Mais je sens que cette image est juste, pour moi, pour ce que je pense de l'aliénation double, de l'impossibilité d'être vraiment, soi, et avec les autres, et que parfois, comme un psychotique, nous pouvons avoir envie de fermer le blouson, de se cloîtrer, se murer. Un psychiatre illustre dont je ne me souviens plus le nom fabriquait des armoires capitonnées et douces pour les enfants qui avaient besoin de se réfugier. Nous avons tous besoin de cet espace transitionnel.

Un regard politique pourrait être possible, le renoncement à montrer son visage est un geste politique Dans l'espace public, dans les espaces numériques, c'est une sorte d'avant anonymous, en quelque sorte, mais je ne pense pas que ce soit le propos principal.
Une dernière chose, le titre évoque de façon lointaine le concert que Johnny Cash a donné dans une prison des USA, San Quentin pour en finir avec la photographie humaniste et sociale
Cette image de Raymond Depardon est celle que j'apporterai sur une île vierge de tout, elle est principale.
Est-ce que tu as une prise de position forte à évoquer?
Oui, et je vais ici vous remettre sous les yeux un texte écrit l'année dernière, critiquable, excessif, mais que j'assume.
1 : Si les images de Lewis Hines (conditions de travail des enfants dans l’industrie du textile aux USA) on pu faire évoluer la situation, depuis, le bilan est maigre. Plus d’images, toujours plus, mais moins d’impact. L’image du petit Aylan, enfant mort noyé sur une plage, alors que lui et ses parents tentaient d’émigrer n’a suscité qu’une moue attristée
2 : Le photographe social, altruiste, engagé, humaniste, enferme trop souvent dans son appareil photo et ses images quelque chose comme l’âme de Bertillon. Personnage qui emploie la photographie de façon systématique pour saisir les visages des marges de la société, afin de les classer, et de créer l’illusion d’une vision panoptique de la réalité. Le photographe social, altruiste, engagé, humaniste, armé de son appareil et de son dispositif tue l’individu, soit disant pour être égalitaire. Mais au bout du compte, ça classe, ça range.
3 : Le photographe humaniste, social, altruiste, engagé, ne produit que peu, à ce que je sache, d’images de dominants. Là où l’on voit que produire un discours sur l’autre c’est s’attribuer un pouvoir. Concernant les images des gens de pouvoir, c’est plus compliqué, même si cela existe. Nous pouvons noter que le journal Libération renouvelle l’imagerie du politique en ayant recours à des photographes créatifs.
4 : Dans le fond, souvent, le photographe social, humaniste, altruiste et engagé est financé par la classe dominante via une logique de prix, de bourses. C’est la classe dominante, écrasante, qui permet la production d’images des classes populaires, parce que l’on ne dit plus séditieuses, mais on commence à dire séparatiste. C’est la classe dominante qui organise la mise au pas des hordes, les exploite et finance la production d’images. A souligner une campagne d’affichage dans le métro, par une société proposant du personnel pour effectuer le ménage. Pour réaliser les images, Harcourt est appelé. L’intention semble de montrer que ce travail est beau, et que ceux et celles qui le font sont des êtres humains, visibles, montrables dans l’espace public. Et bien là encore, domination, systématisme, et visages et corps usés, sûrement pas par les congés payés mais par le travail. On peut se demander, quand même, quelle est l’intention précise de cette campagne ? D’humilier le personnel en lui renvoyant son image de prolétaire au corps usé par le travail ? De nous donner envie de travailler pour eux ? De recourir à leurs services, pour avoir un peu de Harcourt chez soi ?

5 : Dans le fond la production de discours sur autrui est un champ de mines, les écueils sont nombreux, et la plaine de Gettysburg constellée de boulets de canons Au son du boulet de canon, l’acmé arrive avec le Brésilien Sebastia Salgado. Ses images maîtrisées techniquement, servies avec un discours lénifiant, sans jamais remettre en cause quoique ce soit. En d’autres termes, Tina, « there is no alternative ».
La photographie ne peut et ne doit pas changer le monde, elle ne peut pas faire l’objet d’un marché lucratif au détriment des classes laborieuses. La photographie n’est pas de l’entomologie.
6 : La mode la plus récente est celle de la babouchka à la peau ridée, en robe à fleurs usée sortant des décombres en Ukraine
7 : La photographie humaniste, sociale, engagée, propre sur elle et le doigt sur la couture du pantalon fait fi de l’individu photographe. Je veux dire, je ne peux pas m’ériger en donneur de bonne conscience .Car, je n’ai pas bonne conscience. Je suis un citoyen moyen, gérant ses contradictions Je hurle contre des exploitations en utilisant mon smartphone éthique, je me fourvoie dans la technologie qui rapproche les humains, je fais le jeu des tyrans que nous avons accepté, je produis des données pour les algorithmes. Je ne peux parler pour dire ce qui bon, souhaitable, enviable. Je ne peux prendre position, je suis un salaud, comme les autres







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