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FONDATION MARTIN BODMER AUX ORIGINES DE L’ÉGYPTOMANIE
Aux origines de l’égyptomanie
par Nicolas Ducimetière Fondation Martin Bodmer
Représenté pour la première fois au Caire le 24 décembre 1871, dans le cadre des célébrations de l’ouverture du canal de Suez, l’opéra Aida de Verdi était une commande du Khédive (vice-roi) d’Égypte, Ismaïl Pacha. Le livret, mais aussi les costumes et les décors avaient été arrangés sous les conseils, voire la direction d’un très grand savant du moment, le Français Auguste Mariette (1821-1881), l’un des pères fondateurs de l’égyptologie. Premier fouilleur du Sérapeum de Memphis et de la nécropole de Saqqarah, il créa à la fois le Service des Antiquités d’Égypte et le Musée de Boulaq (1858), dont il devint le premier directeur. Grâce à ce chercheur émérite, les amateurs d’art lyrique purent découvrir une œuvre à la pointe des connaissances égyptologiques du moment, satisfaisant également leur goût pour l’histoire antique pharaonique. Depuis la fin du XVIII e siècle, l’«égyptomanie» battait en effet son plein. De marotte pour seuls «antiquaires» (ainsi nommait-on les historiens ou collectionneurs d’objets anciens), la civilisation des pharaons était peu à peu entrée dans tous les foyers cultivés, d’abord par les livres de voyageurs (comme le Voyage en Syrie et en Égypte du comte de Volney, paru en 1787), puis par les résultats de l’Expédition d’Égypte, lancée par Bonaparte entre 1798 et 1801. Le style «Retour d’Égypte» s’imposa dans les arts décoratifs tandis que les savants de l’Expédition publiaient leurs premiers compte rendus: Vivant Denont donne ainsi son Voyage dans la Basse- et la Haute-Égypte en 1802. Il fallut toutefois attendre 1822 pour que débute la publication de la monumentale Description de l’Égypte, un travail commandé à l’origine par l’empereur et qui marquera une étape décisive dans la connaissance de l’Égypte pharaonique.
Mais le tout premier ouvrage à livrer les beautés des bords du Nil à un public passionné vit le jour à Londres en 1801, grâce à l’artiste italo-allemand Luigi Mayer, un ancien élève de Piranèse. Son travail était connu et apprécié par un diplomate anglais, sir Robert, 1 er baronnet Ainslie, qui, nommé ambassadeur auprès de la Sublime Porte, l’engagea dans sa suite et lui passa commande de peintures et de
dessins. Durant la longue mission diplomatique de son protecteur (1776-1794), Mayer séjourna et voyagea ainsi à travers toutes les provinces de l’Empire ottoman, gagnant une solide réputation avec ses croquis et peintures de paysages panoramiques et de sites antiques, des Balkans aux îles grecques, en passant par la Turquie et l’Égypte.Au retour du diplomate en Angleterre, plusieurs œuvres de la collection Ainslie furent exposées au British Museum, offrant ainsi un aperçu précieux du MoyenOrient de cette période. Présentées dans un volume de grande taille, les Views in Egypt comportent plus de quarante planches gravées et aquarellées, des panoramas qui illustrent aussi bien les ruelles du Caire ottoman que certains des plus célèbres monuments de l’Égypte antique. Au nombre de ceux-ci se distinguent bien sûr le Sphinx et les pyramides de Guizèh (notamment une très célèbre et impressionnante vue en perspective de la Grande Galerie parcourue par des guides bédouins s’éclairant à la torche), mais aussi les nécropoles souterraines ptolémaïques d’Alexandrie. Des images, qui, en ce début de XIX e siècle, devaient marquer durablement les esprits et nourrir l’égyptomanie naissante (et aujourd’hui encore d’actualité).
Luigi Mayer (1755-1803) Views in Egypt, Londres, R. Bowyer (1801)