Transformer l’héritage d'Ivry : La réhabilitation des friches industrielles en ferme urbaine

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École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris Val-de-Seine

Transformer l’héritage du passé d’Ivry-sur-Seine : La réhabilitation des friches industrielles en ferme urbaine

Paccioni Gabriel Mémoire de fin d’études 2020 - Master 2 M. Poirier Mario, enseignant tuteur.

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« Réécrire avec les mots d'hier l'histoire de demain » Paccioni Gabriel

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RÉSUMÉ

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Aujourd’hui, les villes doivent faire face à de nouveaux enjeux comme l’augmentation des îlots de chaleur urbains, les problèmes de pollution, le manque de biodiversité, l’augmentation de la population… Le modèle actuel commence à s’essouffler et il est important de trouver de nouvelles façons de concevoir la ville et de voir l’avenir. L’agriculture urbaine est une tendance qui se développe de plus en plus dans les grandes villes. Il s’agit de cultiver sur des surfaces inutilisées dans le but de raccourcir les circuits de distribution et de consommer ainsi les produits cultivés à proximité : l’agriculture urbaine est un moyen de répondre aux nombreuses problématiques de la ville. Parallèlement, les anciennes villes industrielles cherchent à valoriser leurs friches industrielles. Vient alors une supposition : si l’agriculture urbaine se développe un peu partout dans les grandes villes, pourquoi ne pas réhabiliter ces friches en ferme urbaine ? Ce mémoire tentera de soulever les faisabilités d’une telle démarche.

Today, cities have to face new challenges such as the increase in urban heat islands, pollution problems, lack of biodiversity, increase in population ... The current model is starting to run out of steam and it is important to find new ways of thinking about the city and seeing the future. Urban agriculture is a trend that is growing more and more in big cities. It is a question of cultivating on unused surfaces with the aim of shortening the distribution circuits and thus consuming the products cultivated nearby: urban agriculture is a means of responding to the many problems of the city. At the same time, the former industrial cities seek to enhance their brownfield sites. Then comes a supposition: if urban agriculture is developing everywhere in big cities, why not rehabilitate these wasteland on urban farms? This thesis will attempt to raise the feasibility of such an approach.

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REMERCIEMENTS

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La réalisation de ce mémoire a été possible grâce à l’investissement de plusieurs personnes à qui je voudrais témoigner toute ma gratitude. Je tenais tout d’abord à adresser ma reconnaissance à mon directeur de mémoire, M. Mario POIRIER, pour sa patience et ses judicieux conseils, qui ont contribué à alimenter ma réflexion. Je voudrais également remercier les différents intervenants, M. MONMORY, chargé d’opération à l’atelier d’urbanisme de la ville d’Ivry-sur-Seine et de la mise en œuvre de la ZAC Ivry Confluences. Mais également M. BRULARD, salarié au Conseil International Biodiversité et Immobilier, et enfin M. CORNILLE responsable d’opération à la SADEV 94 et de l’aménagement de la ZAC Ivry Confluences, pour avoir pris le temps de répondre à mes questions et m’avoir aidé à approfondir mes recherches. Un grand merci à Nina GOALARD pour ses conseils concernant mon style d’écriture, ils ont grandement facilité mon travail. Je voudrais exprimer ma reconnaissance envers ma famille et mes amis qui m’ont apporté leur soutien moral et intellectuel tout au long de ma démarche.

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AVAN T - PR O PO S

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Ce mémoire entre dans le cadre de l’obtention du diplôme de Master de l’école Nationale d’Architecture de Paris Val-de-Seine. Il étudiera la possibilité de réhabiliter les friches industrielles d’Ivry-sur-Seine en ferme urbaine, et les manières d’y parvenir. L’idée de ce mémoire de recherche est venue du constat que la population urbaine augmente de façon exponentielle alors que conjointement, nos terres agricoles diminuent considérablement. Parallèlement, la ville d’Ivry-sur-Seine se questionne quant à l’exploitation durable de ces anciens terrains industriels. Comment l’architecture peut-elle requalifier les anciens bâtiments industriels d’Ivry-sur-Seine pour en faire des outils de revitalisation urbaine par le biais de l’agriculture ? Comment l’architecture peut-elle faire de son passé industriel une ressource agricole d’avenir ? Vivant à Ivry-sur-Seine depuis mon arrivée à Paris en 2015, j’expérimente au quotidien cette ville. J’ai eu la possibilité de la voir évoluer de manière positive comme négative. Au cours de mes études, j’ai eu l’occasion d’étudier de nombreuses fois la ville d’Ivry-sur-Seine. C’est la raison pour laquelle je me suis tout particulièrement penché sur ce contexte urbain en pleine mutation. L’objectif, à travers ce mémoire, est de porter un regard nouveau sur ce qui est, pour l’instant, une démarche paraissant demeurer au stade de l’expérimentation. Les difficultés n’ont pas manqué. Cela fait encore partie d’un cadre utopique et c’est pourquoi il existe peu d’exemples concrets ou de démarches sur lesquelles s’appuyer. Mais ce sujet commence à prendre de l’ampleur.

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SOMMAIRE

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Résumé Remerciements Avant-propos Introduction I. États des lieux des friches industrielles d’Ivry-sur-Seine et enjeux de leurs réhabilitations.

p.4 p.6 p.8 p. 12

p.17 - 36

a) Le passé industriel d’Ivry, un patrimoine à conserver.

p.19

b) Principes et potentialités de l’architecture industrielle.

p.25

c) L’agriculture urbaine : une solution de réhabilitation pour la ville de demain.

p.31

II. Les friches industrielles, une opportunité de réintroduire l’agriculture au sein d’Ivry-sur-Seine.

p.37 - 61

a) Les fermes urbaines : une solution pour répondre aux enjeux sociétaux et urbains d’Ivry-sur-Seine.

p.39

b) Techniques constructives dans les bâtiments industriels pour faire de l’agriculture.

p.47

c) Développement d’une typologie : la ferme verticale.

p.55

III. L’agriculture en ville, un fantasme ?

p.63- 79

a) Les réhabilitations privilégient l’habitat.

p.65

b) La refonte du métier d’agriculteur.

p.71

c) Intégrer l’agriculture urbaine à la planification et l’aménagement urbain.

p.75

Conclusion Bibliographie Figures Annexes -

p.81 p.84 p.86 p.87

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INTRODUCTION

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La majeure partie des villes Européennes développées ont connu, au cours du XIXe siècle, une période industrielle. C’est le cas par exemple de la ville d’Ivry-SurSeine, commune de la proche banlieue parisienne. Cependant, à la fin du XXe, l’ère industrielle connaît un déclin et son essor prend fin. Victime de la décentralisation puis de la crise économique, les usines laissent, dernière elles, de nombreux terrains à l’abandon. Ces espaces déstructurés sont identifiés par le terme « friche industrielle ». De manière générale, une friche est un espace historiquement utilisé à des fins industrielles, mais qui est aujourd’hui abandonné et inutilisé. Le tissu urbain d’Ivry-sur-Seine n’est pas épargné. Aujourd’hui, il est constitué de pleins, mais aussi de vides, laissés par ces anciens sites qui n’ont pas trouvé de nouvel usage avec la fin de l’industrie de production. L'industrialisation a façonné le paysage d’Ivry-sur-Seine pendant presque un siècle. Ce patrimoine industriel est dès lors devenu une composante indissociable de cet environnement et participe aujourd’hui à son identité historique. On estime à 300 000 le nombre d'anciens sites industriels sur le territoire national1 et plus d’une dizaine rien que dans le quartier d’Ivry port2. Élus et architectes de la ville s’interrogent sur ces sites, héritage du passé. À l’heure actuelle, avec la transformation des villes, se pose la question du renouvellement urbain. Que vont donc devenir ces sites historiques laissés à l’abandon ? La ville d’Ivry s’est déjà positionnée sur la question. Un projet d’envergure commence à se dessiner : la ZAC Ivry Confluences. Ce gigantesque projet de reconversion urbaine de 145 hectares en bord de Seine vise « à transformer des friches industrielles et vieux quartiers d’habitation en pôle dynamique en termes de développement urbain, économique et culturel »3. Ce projet va modifier 80% du territoire d’Ivry port (figure1) et certains sites industriels emblématiques vont être détruits comme le CPCU4, qui laissera place à un nouveau parc.

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BASIAS - Base de données des Anciens Sites Industriels et Activités de Services Ivry port : plus grand quartier d’Ivry-sur-Seine https://www.ivry94.fr/164-21/fiche/ivry-confluences.htm Compagnie Parisienne de Chauffage Urbain - Ancienne usine électrique des années 1930

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Cependant, pourquoi faire table rase de ce passé industriel au profit de programmes neufs ? Ne pourrait-on pas dessiner un nouvel avenir en conservant cet héritage du passé ? Sachant que l’une des principales thématiques du réaménagement d’un site industriel est celle de la « réversibilité », comment les architectes peuvent-ils aborder la réhabilitation de ces sites afin qu’ils deviennent organiques et participent à l’émergence de la ville demain ? La ZAC Ivry Confluences a pour but de s’inscrire dans la perspective d’une ville tournée vers l’avenir en répondant à de nombreux enjeux urbains tels que la mixité d’usage, la redynamisation du quartier, la création d’espace vert, le développement des activités économiques, etc. Cependant, certaines thématiques urbaines ne sont pas prises en compte comme la question alimentaire par exemple. Or, selon L’INED5, près de 10 milliards d’humains peupleront la terre à l’horizon de 2050 et 80% de la population résidera dans les villes. Ne pourrait-on pas profiter de la transformation et de l’agrandissement de la ville pour garantir la sécurité alimentaire des citadins ? De prime abord, l’agriculture urbaine apparaîtrait comme une solution permettant de répondre à des enjeux alimentaires pouvant représenter une nécessité dans un futur proche. L’agriculture urbaine « regroupe l’ensemble des formes d’agriculture localisées en ville ou à leur périphérie, dont les produits et services sont majoritairement destinés aux villes »6 ce qui permet la mise en place d’un circuit court. Aujourd’hui l’agriculture urbaine connaît un engouement certain auprès des architectes, mais comment l’incluent-ils dans leur projet ? Comment peut-elle influer sur la dynamique de renouvellement urbain ? Pourrait-elle être une des solutions répondant à des enjeux de recyclage de friches? Développer l’agriculture en ville pourrait répondre à des attentes sociétales telles que l’amélioration du cadre de vie, améliorer la santé des populations et développer des activités économiques. Une orientation innovante, mais probablement source de nombreux défis techniques et environnementaux. 5 6

Institut National d’Etude Démographique « L’agriculture urbaine pourrait nourrir 10 % des populations des villes » - Julien FOSSE - Octobre 2018

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Les friches industrielles, de par leur implantation dans la ville et leurs qualités architecturales, posent question quant à leur réutilisation dans la ville d’aujourd’hui et de demain. Parallèlement, l’agriculture urbaine semble être une des solutions aux nombreuses problématiques de la ville notamment l’augmentation des îlots de chaleur urbains ou l’érosion de la biodiversité liée à l’artificialisation des sols. Comment l’architecture peut-elle requalifier les anciens bâtiments industriels d’Ivry-sur-Seine pour en faire des outils de revitalisation urbaine par le biais de l’agriculture ? Comment l’architecture peut-elle faire de son passé industriel une ressource agricole d’avenir ? Pour répondre à cette problématique, nous commencerons par faire un état des lieux des friches industrielles d’Ivry-sur-Seine ainsi que les enjeux de leur réhabilitation. Ensuite, nous essayerons de voir comment il est possible de réutiliser ces espaces pour y introduire de l’agriculture. Et enfin, nous analyserons sur les différents verrous à lever pour un tel projet.

Figure 1 - Projet de la ZAC Ivry Confluences - www.ivry94.fr

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I. Etats des lieux des friches industrielles d’Ivry-sur-Seine et enjeux de leurs rÊhabilitations.

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Ivry-sur-Seine est une commune française située dans le département du Val-deMarne en région Ile-de-France. Avec un peu plus de 60 000 habitants, elle est, en 2016, la 89e commune la plus peuplée de France7. La ville d’Ivry est bordée au nord par le 13e arrondissement de Paris, à l’est par Charenton-le-Pont et Alfortville, au sud par Vitry-sur-Seine, à l’ouest par Villejuif. Cette banlieue parisienne est constituée aujourd’hui de six quartiers : Petit-Ivry, Louis-Bertrand, Plateau-Monmousseau, Marat-Parmentier, le centre-ville et enfin Ivry-port (figure 2).

Figure 2 - Carte des quartiers d’Ivry-sur-Seine - www.ivry94.fr

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www.ivry94.fr

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a) Le passé industriel d’Ivry, un patrimoine à conserver. Au cours du XIXe siècle, la majeure partie des industries de la capitale parisienne sont chassées, par la bourgeoisie, hors de la ville pour leurs causes néfastes sur la santé et sur la qualité de vie des populations. Ces usines se sont exilées à Ivrysur-Seine, transformant le petit village agricole en ville moderne industrielle. En effet, cette ville, se situant à la périphérie directe de Paris et contiguë des grands fleuves, « constituait un avantage géographique d’implantation »8 pour ces usines. De plus, la voie ferrée Paris-Bâle qui traversait la ville, se trouvait être un autre un élément déclencheur de cette délocalisation massive à Ivry-Sur-Seine, favorisant les échanges commerciaux. Cela a engendré une implantation des nouvelles usines principalement dans le quartier d’Ivry port qui se situe entre la Seine et cette voie ferrée, les deux principaux réseaux d’échanges à cette époque. Cela a considérablement impacté la morphogenèse de la ville, scindant le paysage urbain en deux parties. : à l’est les habitations et à l’ouest les usines proches de la seine (figure 3). Le développement industriel s’intensifia à partir des années 1840-1850. Ainsi, on voyait à Ivry-sur-Seine, l’implantation d’une usine métallurgique en 1850 (figure 4). L’usine deviendra de plus en plus conséquente et sera perpétuellement transformée et modernisée. À première vue, sur la figure 4 on pourrait penser qu’il s’agit d’une ville Anglaise telle que Manchester au XIXe siècle : pas du tout, il s’agit bien d’Ivry-surSeine tournant à plein régime en 1882. Tanneurs, couteliers, blanchisseurs, garagistes, confectionneurs de produits métalliques, chimiques, électriques, fonderie, imprimerie…sont les activités principales passées qui ont alimenté l’histoire industrielle de la commune. Dès la fin du XIXe siècle, tous les secteurs inondables de la vallée de la Seine se sont tous recouverts d’établissements industriels : le paysage d’Ivry est parsemé de cheminées, fumées et autres engins métalliques de l’époque. « Partout se dressent les hautes cheminées, retentissent les bruits des machines, se répandent les odeurs parfois odieuses des fabriques de produits chimiques. Il serait fastidieux d’énumérer toutes les usines dans cette ville. »9

8 « Architectures d'usines en Val de Marne 1822-1939 », Belhoste Jean-Francois, Paris, Ministère de la Culture : Association pour le Patrimoine de l'Ile-de-France , 1988. 9 Exposition « INDUSTRIE EN BANLIEUE PARISIENNE (1840-1980) Architectures » - Regards d’artistes Vues du ciel - 2013

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Figure 3 - L’implantation des usines (en orange) dans Ivry-sur-Seine au XVIIIe siècle - Production personnelle

Figure 4 - Usine métallurgique dite Forges Coutant, Ivry-sur-Seine 1882 - inventaire.iledefrance.fr

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Un bâtiment typique de cette époque est sans doute l’usine d’épuration des eaux d’Ivry-sur-Seine (figure 5). Construite en 1881, elle a pour but de puiser l’eau du fleuve qu’elle achemine vers le réservoir de Villejuif. Ce bâtiment appartient aujourd’hui à la ville de Paris qui s’en sert comme lieu de stockage, en effet des sculptures y sont entreposées depuis 1974. Le bâtiment est fermé au public, mais il a conservé sa silhouette passée, avec ses pilastres et ses arcatures en briques rouges. Un autre bâtiment emblématique, témoin de cet âge industriel, est la centrale basse-pression construite en 1927 (figure 6). Elle est mise en service pour le compte de l’Électricité de la Seine. L’ensemble se compose de deux parties : à gauche la chaufferie et à droite la salle des machines. Le site a finalement cessé son activité en 1974 et est reconverti pour le compte du CPCU. Il sera finalement détruit dans la ZAC pour laisser place au grand parc des Confluences. L’activité industrielle a donc sculpté le paysage d’Ivry-sur-Seine au cours du XIXe et XXe siècle. Cette période est un témoin du quotidien des générations, « qui ont façonné l'identité de la commune en modelant son paysage, son économie et par ricochets sa représentation politique »10. Selon le premier article de la Charte de Nizhny Tagil pour le patrimoine industriel, publié en juillet 2003 à l’initiative du TICCIH (The International Committee for the Conservation of the Industrial Heritage), « le patrimoine industriel comprend les vestiges de la culture industrielle qui sont de valeur historique, sociale, architecturale ou scientifique. Ces vestiges englobent : des bâtiments et des machines, des ateliers, des moulins et des usines (…) des structures et infrastructures de transport aussi bien que des lieux utilisés pour des activités sociales en rapport avec l’industrie (habitations, lieux de culture ou d’éducation) ». Le patrimoine industriel d’Ivry, parce qu’il est encore debout, est sans doute plus que tout autre, le reflet de l’identité de ce territoire, accentué par son développement autour de l’activité de production. Les éléments du patrimoine industriel sont, par définition « constitutifs d’un héritage à transmettre aux prochaines générations »11.

10 « Mémoire industrielle en banlieue : constitution et exploitation » - Michèle Raul - 1995 - p. 16-20 11 « Patrimonialiser, revitaliser, habiter l’industrie en ville : une question politique et sociale vivante plus qu’une simple question de renouveau urbain » - Corinne Luxembourg – 2013

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Figure 5 - l’usine d’épuration des eaux d’Ivry-sur-Seine 2010 - patrimoines.iledefrance.fr

Figure 6 - Centrale basse-pression 1927 - A gauche la chaufferie, à droite la salle des machines - patrimoines.iledefrance.fr

Figure 7 - Station F, Paris 13 - stationf.co

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Cependant à la fin du XXe siècle, la ville d’Ivry connaît une importante désindustrialisation due à la délocalisation de ses activités dans d'autres pays, à la mondialisation, à la motorisation et l’automatisation de certaines fonctions, mais également à la pression foncière de plus en plus importante en périphérie de la capitale. Cela a entraîné la fermeture successive d’un grand nombre de fabriques qui ont été, par la suite, détruites ou laissées en ruine, laissant ainsi d’importantes friches au sein du tissu urbain, notamment dans le quartier d’Ivry port. Ces bâtiments et terrains abandonnés représentent dans la ville des espaces déstructurés, vides, à l'image de trous dans un morceau de fromage. Des années plus tard, les traces des activités passées autour de la Seine sont encore perceptibles. Aujourd’hui certains architectes perçoivent ces friches comme un poids pendant que d’autres réfléchissent au potentiel de réutilisation, de transformation et de mutations urbaines… une occasion pour répondre aux enjeux de la ville. De plus, ces sites abandonnés se situent généralement dans des zones urbaines de valeurs, à proximité du centre : il semblerait que cela constitue une réelle opportunité à saisir plutôt que de les détruire. De plus, leur transformation dépend grandement de la volonté des populations locales et de leurs élus. « Il s’agit de remettre en état plutôt que de démolir, de réutiliser plutôt que de pousser à la croissance urbaine en périphérie et de renforcer par tous les moyens possibles la cohésion sociale. »12 Ces projets de réhabilitation s’inscrivent dans la tendance actuelle du renouvellement de la ville. La réhabilitation de ces sites industriels paraît donc être une solution d’avenir avec un modèle d’aménagement sur le long terme, au service des territoires et de leur développement. Non seulement, d’un point de vue esthétique, le recyclage et la réutilisation de ces surfaces urbanisées, peuvent améliorer l’image d’une ville, à l’exemple de la Station F dans le 13e arrondissement de Paris (figure 7), mais surtout s’inscrire dans une logique « de gestion adéquate du sol, veillant à une consommation mesurée du sol et diminuant l’étalement urbain synonyme de périurbanisation et source de nombreux problèmes »13. À ce titre, les friches industrielles apparaissent comme une source d’opportunités pour le développement urbain et leur réhabilitation semble donc aujourd’hui comme un processus incontournable en urbanisme et devient presque vitale. 12 « La réhabilitation des friches industrielles : un pas vers la ville viable ? » - France Dumesnil et Claudie Ouellet - 2002 13 « LA RECONQUETE DES FRICHES INDUSTRIELLES » - Jacques BERTHELIN - Novembre 2016

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Du fait de l’extension de la ville à grande vitesse, ces sites laissés à l’abandon sont de plus en plus convoités pour des intérêts économiques. En effet les friches constituent un potentiel foncier important qui offrent de réelles opportunités d'aménagements et de reconversion de terrains, voire de quartiers entiers. Ces sites, appartenant autrefois à des industriels, sont aujourd’hui, pour la plupart, cédés aux villes. En l’absence de directives nationales et régionales bien claires, l’initiative revient aux collectivités locales, en l’occurrence la municipalité d’Ivry. En effet, comme nous l’a indiqué Monsieur Monmory (annexe 1), ces terrains appartiennent à la ville d’Ivry mais ont été rachetés par la SADEV 94 qui voit en ces terrains un potentiel urbain et économique. « Leur objectif est d’acheter ces terrains, les aménager (faire des réseaux, démolir, dépolluer, etc.) et les revendre ».

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b) Principes et potentialités de l’architecture industrielle. L’architecture industrielle a donc sculpté le paysage d’Ivry-sur-Seine. Ces bâtiments, parfois imposants, se dressent encore dans le paysage urbain. Juste en levant la tête et en observant ce type de bâtiment, on se rend compte de cette architecture singulière, associant divers matériaux tels que la brique, le métal, le béton armé et le verre. La tendance pour conserver ces édifices est un véritable sujet d’actualité. Cependant, pour tout éventuel réemploi, ces structures demandent une réflexion sur les techniques constructives utilisées à l’époque. Comment ces bâtiments ont-ils été construits ? Quelles sont leurs qualités communes permettant une potentielle réutilisation ? L’usine est un bâtiment « dont la condition première est l’utilité »14. D’après cette définition, l’architecture industrielle repose donc sur des principes constructifs qui privilégient les exigences fonctionnelles et économiques au profit du design esthétique, une manière de rationaliser les espaces. Volume, lumière, solidité et résistance de la structure sont donc les besoins élémentaires des édifices industriels, ce qui en fait leurs principales qualités. Penser la structure d’un bâtiment industriel demande des exigences techniques pour l’époque. Ingénieurs et architectes s’interrogent sur la question afin de développer des systèmes constructifs novateurs et des formes toujours plus appropriées à ces besoins, associant brique et fonte, verre et métal, jusqu’à l’apparition du béton armé du XXe siècle. La configuration est élémentaire avec, dans la plupart des cas, une enveloppe appuyée sur des portiques « qui libèrent l’espace »15. L’industrie s’est donc dotée peu à peu d’une expression et d’un vocabulaire spécifique à son architecture. Ainsi, elle constitue une architecture singulière et offre donc des bâtiments au design authentique, en adéquation avec la fonction de l’édifice. Afin de répondre à la mécanisation des systèmes de production, l’architecture industrielle a développé plusieurs typologies d’édifices aux caractères bien spécifiques. Ces types de bâtiments, aux morphologies différentes, s’adaptent plus ou moins bien, afin d’accueillir certains usages plutôt que d’autres. Quelques exemples :

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«Dictionnaire d’architecture » - Quatremère de Quincy -1832 Wikipédia - Définition de l’architecture industrielle

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Figure 8 - Manufacture des oeillets Extérieur, vers 1900 - patrimoines.iledefrance.fr http://cabinetdecuriosites.ivry94.fr/arkotheque/visionneuse/visionneuse.php?arko=YTo3OntzOjQ6ImRhdGUiO3M6MTA6IjIwMTktM...

Manufacture des oeillets - Visionneuse - Archives d'Ivry-sur-Seine

Manufacture des oeillets

texte

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Intérieur de la grande halle de la Manufacture française d'oeillets métalliques, vers 1900.

Figure 9 - Manufacture des oeillets Intérieur de la grande halle de la Manufacture française d'oeillets métalliques, vers 1900 patrimoines.iledefrance.fr

Figure 10 - Manufacture des oeillets Intérieur du projet 2017 15/11/2019 à 21:04

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Les usines de textiles Les manufactures et usines textiles sont souvent « des bâtiments monobloc composés de plusieurs étages et dotés de larges façades vitrées afin de récupérer un maximum de lumière naturelle »16. La morphologie est conditionnée par le type de matière première et les machines utilisées. Grâce à leur morphologie et leurs différentes qualités constructives, les usines textiles offrent donc un grand potentiel d’adaptation : hauteur sous plafond importante, plateaux libres, façades vitrées, solidité de la structure permettent de multiples aménagements. Un des exemples représentatifs de ce propos est la manufacture des Œillets. Ce bâtiment « américain »17, est édifié en 1913 en brique rouge, verre et acier (figure 8 et 9). La fonctionnalité des plans, les grands volumes, les larges ouvertures, la solidité de sa structure en béton armé et l’esthétisme des façades ont permis à l’architecte Paul Ravaux, du cabinet RRC architectes, d’opérer une reconversion (figure10). Il accueille désormais le Théâtre des Quartiers d’Ivry. Les centrales électriques L’arrivée de l’électricité marque un tournant majeur dans l’histoire de l’industrie. Symbole de la seconde révolution industrielle et du monde moderne au XXe siècle, elle est glorifiée et s’apparente même à quelque chose de sacré : « les premières centrales se présentent comme des halles monumentales portées par une ossature en métal ou en béton, sous lesquelles prennent place chaudières et machines. Certaines voient leur organisation spatiale s’ordonner sur un plan basilical ou octogonal emprunté à l’architecture religieuse. »18 Il ne paraît donc pas étrange que les centrales électriques soient associées à des usines-cathédrales, du fait de leur fonction et leur imposante structure. Un exemple pris plus haut : la centrale basse-pression de 1927 composée de deux halles parallèles (chaufferie et salle des machines). La chaufferie est un bâtiment d’une trentaine de mètres de haut, avec une structure en béton armé (figure 12). De l’autre côté, la salle des machines est recouverte d’une charpente métallique (figure 11). À l’heure actuelle, l’ancienne salle des machines a été détruite dans les années 1980, et seule l’ancienne chaufferie a été conservée. Elle accueille aujourd’hui les locaux du CPCU et a été recouverte d’un bardage métallique bleu et blanc, faisant disparaître sa forme native. (figure 13)

16 - 18 « Reconversions. L’architecture industrielle réinventée » - Emmanuelle Real - 2015 17 « Architectures d'usines en Val de Marne 1822-1939 », Belhoste Jean-Francois, Paris, Ministère de la Culture : Association pour le Patrimoine de l'Ile-de-France , 1988.

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Figure 11 - Intérieur de la salle des machines - 1927 - patrimoines.iledefrance.fr

Figure 12 - Intérieur de la chaufferie - 1927 patrimoines.iledefrance.fr

Figure 13 - Centrale électrique d’Ivry-sur-Seine 1927, a gauche la chaufferie et a droite la salle des machines - patrimoines.iledefrance.fr

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Grâce à ces deux exemples, et nous aurions pu en prendre bien d’autres, on se rend compte que plusieurs typologies de bâtiments industriels existent. Ces typologies varient en fonction de l’activité exercée au sein de l’usine et sont donc spécifiques au type de production de l’usine. Cependant, des qualités communes apparaissent dans la plupart des édifices de cette époque comme de grands espaces intérieurs. Ou encore de grandes portées et une ossature porteuse importante laissant un grand espace libre au centre : une structure simpliste, qui permet un changement d’usage assez simple à mettre en œuvre. De plus, ces friches constituent des secteurs urbains stratégiques à haute valeur foncière, car proches des centres-villes et, la plupart du temps, face à une étendue d’eau. Cependant, si ces sites possèdent un tel potentiel de réutilisation, pourquoi ne le sont-ils pas davantage ? Pourquoi préfère-t-on les raser plutôt que de les réhabiliter ? On voit alors apparaître certaines problématiques. Une des principales causes de la non-réutilisation de l’existant est sans doute la pollution des sols, qui a été engendrée par l’usine au cours de son activité d’antan. On peut supposer que les sites les plus contaminés engendreraient un coût exorbitant de dépollution. Et dans ce cas, la plupart des structures seront donc détruites au profit de programmes neufs. De plus, la réhabilitation des anciennes structures industrielles doit répondre aux normes de construction actuelles en termes de sécurité incendiaire, d’hygiène, d’isolation phonique et thermique, ainsi que d’accessibilité. Ces normes entraînent de lourds aménagements qui empêchent parfois un agencement adéquat : « Les exigences en matière de performance énergétique constituent, pour les édifices industriels, un véritable défi, car leur capacité d’isolation aux échanges thermiques est souvent quasi nulle. Leur adaptation s’avère d’autant plus difficile que, pour conserver la qualité des façades, une isolation par l’extérieur est impossible… » 19.

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« Les métamorphoses du patrimoine industriel » - Milena Chessa - Le moniteur - 2008

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Ces bâtiments industriels, aujourd’hui, sont devenus vieillissants et la reconversion entraîne nécessairement « la mise en place d’études préalables de faisabilité, réalisées par une équipe pluridisciplinaire de spécialistes qui serviront à la prise de décisions et à la conception du projet. »19, un diagnostic qui permettra de définir l’état du bâti existant, pour pouvoir imaginer le projet futur et son coût éventuel. C’est une étape nécéssaire dans le cas d’une réhabilitation car elle déterminera le meilleur compromis entre l’existant et le programme. Les sites et les bâtiments industriels, aujourd’hui désaffectés, représentent une opportunité de réhabilitation importante. En raison de leurs qualités architecturales et leur valeur foncière, ils possèdent un gros potentiel de réutilisation. Cependant, ce potentiel n’est pas toujours perçu et exploité. En effet, certaines contraintes, comme la pollution des sols ou encore les problèmes de remises en normes, viennent enrayer le projet. La remise en état doit être un tremplin à l’émergence de la ville de demain.

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c) L’agriculture urbaine : une solution de réhabilitation pour la ville de demain Les friches industrielles d’Ivry sont donc des terrains à réinvestir, afin de redynamiser les quartiers touchés par la désindustrialisation, comme celui d’Ivry port. Comme vu précédemment, certains bâtiments, de par leurs anciennes fonctions, possèdent des qualités architecturales intéressantes, pouvant servir à la réhabilitation de ces structures, par exemple l’usine Blin et Blin à Elbeuf reconvertie en 2010 comme lieu d’exposition du musée du Territoire (figure14) ou encore l’usine la Foudre à PetitQuevilly reconvertie en pôle technologique (figure15). Il est possible d’implanter, dans ces espaces, des éléments manquant au tissu urbain comme des équipements, du logements, des commerces, des bureaux, des activités tertiaires, etc. Cela permettra de recréer une logique et une homogénéité au sein de la ville fragmentée par les friches. Mais une question apparaît : comment ces friches peuvent-elles devenir une ressource tournée vers l’avenir ? Aujourd’hui deux tendances se dégagent en matière d’urbanisme et d’extension de la ville : créer de nouvelles zones au détriment de l'environnement et parfois de la biodiversité, alors que l'artificialisation des sols approche déjà les 10% du territoire français20, soit reconvertir les friches industrielles existantes en zones d’activités. Cependant, si les anciens bâtiments industriels sont réutilisés, il semblerait pertinent que leur réhabilitation réponde aux problématiques urbaines des années à venir et, par conséquent, participer à l’émergence de la ville de demain. Ainsi, la requalification durable des friches est définie comme « la gestion, la réhabilitation et le retour à un usage bénéfique des ressources associées aux friches permettant de satisfaire les besoins humains des générations présentes et futures, dans un environnement qui ne se dégrade pas, de façon économiquement viable, institutionnellement robuste et socialement acceptable »21. Donc la requalification durable permet de redynamiser de façon pérenne des zones affectées par des activités industrielles passées. D’après cette définition, elle doit avoir des conséquences positives pour une ville, d’un point de vue économique, mais aussi d’un point de vue environnemental et social. 20 « Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d’action »
 - B. Béchet, Yves Le Bissonnais – Janvier 2018 21 « REQUALIFICATION DURABLE DES FRICHES INDUSTRIELLES » - D. Margot - 2015

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Figure 14 - Usine Blin et Blin à Elbeuf - 2010 - normandie.fr

Figure 15 - Projet sur l’sine la Foudre à Petit-Quevilly - actu.fr

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Les friches sont donc un atout foncier, car elles permettent de reconstruire la ville sur la ville, et évitent un étalement urbain de plus en plus problématique. L’attractivité des villes augmente et aujourd’hui près d’une personne sur deux vit dans une ville contre une sur dix en 1900 : l’homme des champs devient l’homme des villes. Cette tendance semble se prolonger puisqu’en 2050, 80% de la population résidera dans les villes22. Cette expansion démographique au sein de villes entraînera un étalement de plus en plus conséquent au profit des terres agricoles23. De plus, si le système de production reste tel qu’il est, pour répondre aux besoins alimentaires croissants liés à l’augmentation de la population, il faudrait plus d’un milliard d’hectares de cultures supplémentaires24. Parallèlement, la démographie mondiale ne cesse de prendre de l’importante puisque la population est passée de 1 milliard d’êtres humains en 1800, pour atteindre les 7,6 milliards aujourd’hui. Et selon les prévisions de L’INED, près de 10 milliards d’humains peupleront la terre à l’horizon de 2050. La question alimentaire deviendra probablement un enjeu primordial auquel il faudra absolument prêter attention. Par ailleurs, les enjeux environnementaux et alimentaires semblent étroitement liés : la disparition des espèces, le changement climatique etc, sont autant de paramètres qui rendent potentiellement très vulnérable notre système agroalimentaire, au point qu’une partie de la population s’inquiète très sérieusement d’une rupture dans la gestion alimentaire mondiale d’ici à 205025. L’agriculture urbaine pourrait être une des réponses aux problèmes exposés. Les villes sont confrontées à de grands défis environnementaux, comme la dégradation de la qualité de l’air, l’augmentation des îlots de chaleur urbaine ou l’érosion de la biodiversité liée à l’artificialisation des sols. Développer l’agriculture en ville, et voir apparaître des fermes urbaines, semblerait être un moyen de répondre à ces attentes sociétales et à la nécessaire transition des villes vers plus de viabilité. Selon la définition de la FAO26, « l’agriculture urbaine et périurbaine consiste à cultiver des plantes et à élever des animaux à l’intérieur et aux alentours des villes. Elle se caractérise par sa multifonctionnalité, dans le sens où elle vise à répondre conjointement à des enjeux sociaux, environnementaux, économiques et territoriaux. » Une sorte de ferme, mais à l’intérieur des villes.

22 « Des villes toujours plus grosses » - Laure Cailloce – 2017 23 « Les surfaces agricoles disparaissent sous le béton - Maylis Choné - 2017 (Chaque année, 5 à 10 millions d’hectares de terres agricoles disparaissent dans le monde) 24 ce qui représente la surface d’un pays comme les Etats-Unis. Or, de nos jours, près de 80% des terres cultivables sont déjà exploitées 25 « Nourrir la planète en 2050, un défi déjà d’actualité » - LeMonde - Clément Lacombe - 2009 26 Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture

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Une chose est sûre, l’agriculture urbaine prend de plus en plus d’ampleur dans les nouvelles constructions, jusqu’au cœur de nos villes. Les initiatives locales qui prennent cette direction peuvent d’ailleurs émaner de tous les acteurs urbains : entreprises, élus, associations, collectifs d’habitants, etc. Une exposition au pavillon de l’arsenal à même était organisé afin de sensibiliser les plus jeunes aux enjeux urbains et agricoles et à leur conséquence sur notre production alimentaire d’aujourd’hui. (figure 16) L’agriculture revient donc au goût du jour en ville. Certains citadins sont de plus en plus sensibles aux problèmes écologiques, ce qui démontre une volonté d’agir, à sa manière, en faveur de l’environnement. Cela permet non seulement de favoriser les productions et les échanges locaux, mais également d’enfiler les gants pour mettre directement la main à la terre, une manière aussi de garantir une certaine sécurité alimentaire. Une partie de la population prend donc conscience des enjeux environnementaux qui régissent le développement des villes. Les défis écologiques s’installent dans les modes de vie des citadins, et la volonté d’un retour à des modes de production plus proches se fait ressentir. Circuits courts, produits locaux, les exigences de la population s’orientent sur l’idée de réintégrer une part de rural en ville. Une vision écologique est, certes ce qui les motive, mais l’accès à une nourriture qui promet d’être plus saine et avec une meilleure traçabilité est également un élément déclencheur majeur. L’agriculture urbaine pourrait également permettre, à son niveau, de répondre à l’impérieux besoin de régulation thermique dans les villes face au changement climatique. En effet, une étude récente publiée par des chercheurs du CNRS, de Météo France et du Cerfacs27, montre que les températures en France pourraient dépasser 50°C d’ici à la fin du 20e siècle. Comme en témoigne la redondance des canicules de ces dernières années, qui serait donc qu’un avant-goût de ce qui nous attend à l’avenir. La ville est la première exposée puisque l’artificialisation, le manque de végétation, les émissions de CO2 et surtout la réflexion solaire sur les surfaces minérales, sont autant de facteurs qui augmentent sensiblement la température des villes28. Si cela s’avère être correct, ces phénomènes dits « d’îlots de chaleur urbains » rendront probablement ces zones urbaines difficilement vivables dans les prochaines années. L’agriculture urbaine constituerait donc l’un des outils pour faire face à ce défi, dans la mesure où les végétaux contribuent à rafraîchir l’air en milieu urbain. 27 28

Le Centre Européen de Recherche et de Formation Avancée en Calcul Scientifique Jusqu’à 10°C pour une agglomération comme Paris 34


À la suite des constats qui ont été faits, il est possible de suggérer que la ferme urbaine pourrait permettre un recyclage de friches, en répondant à des problématiques actuelles, qui s’intensifieraient dans un futur proche. L’idée est de penser une ville durable qui prend en compte l’environnement en réintroduisant la nature, et une ville dense qui mixe les usages. Plus qu’une opportunité foncière, environnementale et économique, la conservation et la réhabilitation de friches industrielles permet de ne pas oublier ce qui a contribué à former la ville dans laquelle nous vivons aujourd’hui. La distinction entre le monde urbain et le monde rural a toujours existé, mais les êtres hommes sont de plus en plus nombreux et de plus en plus citadins. Le contact avec l’alimentation en ville se fait essentiellement à travers le supermarché avec des produits qui viennent de plus en plus loin. Les citadins souhaitent donc revenir à une alimentation plus tracée. « Aujourd’hui, sur les terrains longtemps restés à l’état de friche, on constate le développement du végétal et d’un écosystème particulier qui sont des réservoirs de biodiversité. La présence de nature peut contribuer à valoriser l’image des friches afin de les intégrer au mieux dans le paysage urbain. La prise en compte de cet élément peut constituer un axe important de la requalification des friches » 29 Après tout ce constat nous pouvons désormais émettre l’hypothèse que la réhabilitation des friches industrielles, en espace à vocation agricole et plus précisément en ferme urbaine, tend à être une solution bénéfique pour la ville. Cependant, comment et par quels moyens, peut-on appliquer cette hypothèse à la ville d’Ivry-sur-Seine ?

29 Propos de Virginie Anquetil, doctorante en aménagement de l’espace et de l’urbanisme, Institut de Recherche en Sciences et Techniques de la Ville - 2017

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Figure 16 - Capital agricole, l’exposition qui cultive la ville - 2017 - http://www.parismomes.fr/

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II. Les friches industrielles, une opportunité de réintroduire l’agriculture au sein d’Ivry-sur-Seine

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a) Les fermes urbaines : une solution pour répondre aux enjeux sociétaux et urbains d’Ivry-sur-Seine Les banlieues parisiennes accueillent de plus en plus de monde, car elles représentent un intérêt financier pour un accès plus facile au logement, et doivent, par conséquent, contrôler leur urbanisation. Ivry, par exemple, fait l’objet d’une politique de renouvellement urbain qui a pour but « la reconquête des anciens quartiers dégradés et des centres-villes en manque d’attractivité pour créer de nouvelles activités »30 : l’idée est de construire la ville sur la ville afin d’améliorer son image. Ce renouvellement urbain fait partie du Plan Local d’Urbanisme d’Ivry-sur-Seine qui devra également tenir compte des évolutions du contexte francilien, avec la prise en compte de différentes politiques d’aménagements urbains : (détaillées en Annexe 4) - L’Opération d’intérêt national Orly-Rungis-Seine-Amont (OIN ORSA) - Le projet du Grand Paris express

- Le Schéma Directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) D’après ces différentes politiques urbaines, le renouvellement urbain d’Ivry a donc pour objectif la reconquête sociale et économique des quartiers. Puis, avec l’émergence des enjeux environnementaux, cette politique est devenue un moyen de limiter l’étalement urbain, notamment par la reconquête des friches et la densification des terrains. Le renouvellement urbain a donc évolué depuis sa mise en place et est désormais devenu un modèle d’urbanisation pour lutter contre différents enjeux sociétaux et urbains. Les friches industrielles, nombreuses dans le tissu urbain d’Ivry, sont les principaux lieux d’action du renouvellement urbain de la ville. En effet les différentes opérations urbaines, comme la ZAC Ivry confluence qui se focalise sur le quartier d’Ivry-port, ont pour objectifs « la redynamisation de la ville et la mise en place d’une mixité programmatique et sociale par la reconquête des anciens sites industriels »31, ce qui offre un potentiel de développement pour ces secteurs.

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Pan Local d’Urbanisme de la ville d’Ivry-sur-Seine - 2017 Propos de la SADEV 94, Aménageur principal de la ZAC Ivry Confluences

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Réinvestir les friches d’Ivry-sur-Seine en ferme urbaine pourrait permettre d’exploiter le potentiel de ces espaces laissés à l’abandon et s’inscrire dans les différentes politiques urbaines qui gèrent le territoire. Cependant, une exploitation agricole n’est pas réalisable sur n’importe quelles friches, car pour les réhabiliter , il faut prendre en compte les besoins du territoire qui l’entoure. En effet, si une friche est située en périphérie, écartée des transports en commun et que la population locale n’est pas sensible aux activités pédagogiques concernant le jardinage, le circuit court et l’alimentation plus saine, on peut supposer que le projet risque de ne pas aboutir. Un projet urbain comme celui-là doit donc être conçu « sur mesure » en fonction du site. De plus, la réhabilitation des friches industrielles d’Ivry-sur-Seine en espace agricole permettrait de répondre à plusieurs problématiques urbaines et sociales: Agir contre l’étalement urbain : Le développement des villes a entraîné un empiétement des espaces ruraux32. Le nombre de citadins augmente, mais nombreuses de ces personnes aspirent à une vie à la campagne afin de posséder un espace plus grand et de ne pas subir les inconvénients de la ville (prix des loyers, voisinage, bruit, pollution, etc.). Cependant, un grand nombre de ces personnes travaillent toujours en ville et passent donc une bonne partie de leur journée sur les routes ou dans les transports en commun. La réintroduction d’espaces verts en ville leur donnerait accès à un cadre de vie de meilleure qualité, tout en étant en ville. Cela pourrait inciter à se rapprocher de la ville et limiterait les trajets « domiciletravail ». Cette idée s’inscrit pleinement dans la politique de ZAC Ivry confluence qui a pour but d’améliorer la qualité de vie de sa population. Réintroduire la nature en ville : Les nouveaux projets urbains d’Ivry visent à réintroduire la nature en ville. Par exemple la ZAC Ivry Confluences a prévu l’aménagement d’un nouveau parc qui s’étend sur 4 hectares. Cependant on pourrait dire que dans ce cas là qu’il s’agit de créer des espaces verts pour « décorer » les centres-villes comme on peut le voir dans la plupart des métropoles. Or pourquoi ne pas créer une nouvelle vision de la végétation

32 « L’étude des espaces ruraux en France à travers trois quarts de siècle de recherche géographique » Thèse de doctorat d’Etat - Martine Berger - 2007

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en ville et rompre avec la différenciation brutale entre ville et campagne ? Ne peut-on pas rendre cette ambition de verdissement productive ? Ces espaces doivent devenir vivants afin d’être en interaction avec la population. C’est en cela qu’implanter de l’agriculture dans les friches industrielles pourrait être un outil cohérent de réintroduction d’une nature, productive en ville, mais également au service des Ivryens, et garantissant une sécurité alimentaire. Près de 45% des Français disposent d’un jardin ou d’un potager33 et au total, les jardins de France cumulent un million d’hectares34. À Ivry le nombre de ces jardins a considérablement augmenté ces dernières années, et témoigne donc des initiatives urbaines de réappropriation de la ville par les citoyens. Les jardins partagés fleurissent et invitent à redécouvrir les attraits de la culture de légumes et du bon goût. Plusieurs associations et collectifs proposent ce service comme Le Sentier des Vignes, Le Marat des bois, Jardin Solidaire d’Ivraie, La Fabrique à Petits Pois (figures17;18;19) et d’autres jardins sont en projets (Square Maria Merian le Square Toussaint Louverture). Ces nombreux espaces, ou pratiquer l’agriculture urbaine, dénotent une volonté, pour de nombreux Ivryens, d’être plus proche de la nature ainsi que de retrouver les joies du jardinage. Ils nous rappellent qu’aimer sa ville et son quartier, c’est aussi contribuer collectivement à son développement, son rayonnement et à son bien-être, et par la même occasion, nous interroger sur nos modes de vie : notre rapport à la nature, à la ville et à l’autre. Favoriser les circuits courts : Une ferme en ville permet la mise en place de circuits courts, car cela réduit les temps de transports. En effet, quelles que soient les formes d’agriculture urbaine, cultiver directement au cœur de la ville permet de limiter les circuits habituels de commercialisation. Le principe du circuit court « vise à supprimer les intermédiaires entre les producteurs et les consommateurs. Il vise également à proposer des produits locaux de qualité et de saison »35. Le concept de circuit court comprend également le principe de vente à la ferme, où l’acheteur est en contact direct avec le producteur, d’où la nécessité d’un lieu de production au cœur de la ville. Le groupement AMAP36 est un des acteurs des circuits courts qui se base sur l’engagement de coopération producteur/

33 D’après les chiffres du gouvernement : http://www.gers.gouv.fr/layout/set/print/Politiques-publiques/ Environnement/Gestion-de-l-eau/Nitrates-et-phytosanitaires/Pesticides-Phytosanitaires/Jardiner-autrementsans-pesticides-pour-preserver-la-sante-l-eau-et-l-environnement 34 Soit autant que les réserves naturelles. 35 « Comment les consommateurs perçoivent-ils la proximité à l'égard d'un circuit court alimentaire ? » Catherine Hérault-Fournier - Dans Management & Avenir - 2013 (n°53) 36 Association pour le Maintien d’une Agriculture Paysanne

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Figure 17 - Association « la fabrique à petits pois- Jardin partagés à Ivry - https://www.facebook.com/lafabriqueapetitspois.fr/

Figure 18 - Association « la fabrique à petits pois- Jardin partagés à Ivry - https://www.facebook.com/lafabriqueapetitspois.fr/

Figure 19 - Association « la fabrique à petits pois- Jardin partagés à Ivry - https://www.facebook.com/lafabriqueapetitspois.fr/

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consommateur. Le réseau AMAP, dont l’un est situé place Voltaire à Ivry, est constitué de bénévoles, et accompagne les producteurs pour la communication et la distribution des récoltes et prend les inscriptions des consommateurs. Cela crée un lien et permet un échange direct entre l’acheteur et le vendeur donnant lieu à un nouveau type de consommation : le locavorisme37. Favoriser la mixité des programmes : La mixité fonctionnelle d’une ville regroupe l’habitat, les commerces, les bureaux, les transports doux, etc. La vente en direct pourrait permettre aux citadins d’effectuer des trajets moins longs et limiterait leur déplacement en voiture. Posséder un établissement qui fournit des fruits et légumes à côté de son lieu de travail, sa maison, ou des équipements publics, pourrait donc favoriser la mixité urbaine : tout se trouve à proximité de chez nous. Or dans la ZAC Ivry Confluences, la question alimentaire ne semble pas être au cœur des préoccupations. Introduire une ferme urbaine dans cette ZAC permettrait d’atteindre l’objectif de favoriser une ville dense qui prend en compte les besoins de sa population. Baisser les prix : Acheter des fruits et des légumes peut constituer une dépense importante pour certaines personnes. Pouvoir acheter des aliments locaux directement à côté de chez soi, sans les différents intermédiaires et sans payer les taxes de transports, peut constituer une solution, pour les populations les plus modestes, de retrouver une alimentation saine, équilibrée, variée et moins coûteuse. La ville d’Ivry-sur-Seine se prête bien à cet exemple puisque, selon l’Insee38, le revenu moyen d’un habitant d’Ivry est de 1 415 €/nets par mois en 2016 contre 2 457€ pour Charenton ou encore 1 644€ pour Alfortville. Elle est l’une des communes les plus pauvres de la région Ile-de-France. De plus le taux de pauvreté a atteint les 28% en 2017. Permettre aux Ivryens un accès direct à leur alimentation, tout réduisant les coûts des aliments, est un bon moyen qui pourrait répondre aux problématiques économiques et sociales de la population.

37 Consiste à ne s'alimenter que d'aliments locaux (dans un rayon de 160 km). 38 Institut national de la statistique et des études économiques est chargé de la production, de l'analyse et de la publication des statistiques officielles en France

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Lutter contre le réchauffement climatique et la pollution de l’air : Il paraît logique qu’implanter de l’agriculture en milieu urbain, contribue au développement de la faune et la flore. D’autant plus que cela améliore la qualité de l’air puisque les végétaux absorbent le dioxyde de carbone et rejettent de l’oxygène. Ce phénomène peut alors ralentir, à son niveau, le réchauffement climatique. En améliorant la qualité de l’air, l’agriculture urbaine peut également contribuer à diminuer les infections respiratoires liées à la pollution dans une agglomération où la question de l’air fait de plus en plus débat. En effet, la qualité de l’air de la région Parisienne se dégrade et les problèmes respiratoires augmentent. Le nombre de personnes atteintes par l’asthme n’a jamais été aussi important et l’augmentation des cancers peut également être en rapport avec la pollution de l’air. Selon plusieurs études, l’alimentation joue un rôle sur le développement de ces maladies. Il est donc essentiel de réapprendre à manger sainement et réintroduire un équilibre alimentaire. Développer le transport fluvial : La Seine n’a jamais cessé de constituer un axe majeur pour les échanges commerciaux. Le transport fluvial de marchandises pourrait donc faire office d’échanges entre les villes voisines d’Ivry afin de permettre un approvisionnement en aliments plus avantageux d’un point de vue économique et environnemental. En effet, chaque tonne transférée de la route à la voie d'eau permet de diviser par 4 les émissions de CO239. De plus, aujourd’hui, le transport fluvial coûte 3,7 fois moins cher que la route en termes d'équivalent pétrole à la tonne transportée40. Un autre avantage du transport fluvial, est de pouvoir distribuer les marchandises plus près des lieux de consommation et par conséquent, limiter le transport par camions. Le transport fluvial a donc vocation à devenir un axe principal de transport dans les années à venir et doit être valorisé. Dans une région où les routes sont saturées et la pollution augmente, les « bateaux-transports » se présentent comme une alternative au tout camion. Cependant, les réseaux et infrastructures doivent être davantage développés. Cela pourrait permettre une revalorisation des berges d’Ivry-sur-Seine, un des axes de la ZAC Ivry Confluences.

39 Portail dédié à la responsabilité sociale et environnementale - https://www.rsenews.com/public/secteurs/ transport-fluvial.php 40 RSENEWS - Le transport fluvial : un mode de transport compétitif à fort potentiel - 2016

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Développer l’emploi : Une des principales préoccupations sociétales aujourd’hui est l’augmentation du nombre de personnes se retrouvant au chômage. Ivry est une des villes de la région Ilede-France les plus touchées par le chômage. Le taux de chômage est de 18% alors que la moyenne nationale est de 11%41. Ivry est un territoire durement touché par le manque de travail et la qualité de vie des plus modestes se dégrade. La priorité est alors la création d’emplois durables et ancrés dans le territoire. L’agriculture urbaine peut être un secteur prometteur à plusieurs niveaux. En effet, les fermes urbaines peuvent être un moyen de réinsertion professionnelle et ainsi créer de l’emploi de manière pérenne.

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Source l’INSEE

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b) Techniques constructives dans les bâtiments industriels pour faire de l’agriculture. Tout projet urbain doit être adapté à son environnement. Chaque site est différent selon son histoire, son implantation, ses alentours, ses usages, sa population. Le projet se veut spécifique et doit répondre aux problématiques du territoire dans toutes ces thématiques. Pour un projet urbain sur une friche industrielle, l’adaptation au site est encore plus cruciale. L’un des critères principaux à examiner, sur une friche avant toute intervention, est le niveau de pollution. Le futur programme sera adapté au site en fonction de la pollution présente. Plus l’usage est sensible, plus la dépollution devra être importante. Les contraintes de pollution : La reconquête des friches industrielles par l’agriculture pose la question de la pollution des sols. Les sols d’Ivry, souvent pollués par les anciennes industries, doivent être analysés avec rigueur. Cependant d’après Monsieur Monmory (annexe1) « personne ne connaît exactement la pollution sur les sites. Néanmoins des bases de données d’état (BASOL et BASIAS) existent, mais elles sont incomplètes. Elles ne présentent que des suspicions de pollution. Il faut faire des diagnostics. On se rend donc compte des pollutions seulement au moment de l’acquisition du terrain en question. Il n’y a aucun document qui répertorie de manière exhaustive les pollutions des sites : c’est à l’acheteur à le faire. Aucun document fiable sur la pollution n’existe et c’est bien le problème ». La pollution pouvant émaner de la friche industrielle peut donc constituer l’une des principales limites au développement d’une activité agricole. Si la pollution est partout dans Ivry, elle n’est pas toujours incompatible avec des activités agricoles. Mais plusieurs experts en France, comme notamment le bureau d’études « les jardins de Gally » spécialisé dans l’aménagement d’agriculture urbaine, peuvent apporter, à chaque site, des réponses appropriées permettant de redonner un avenir agricole à ces sites contaminés. Les études devront donc être précises pour gérer au mieux la pollution. On imagine bien que pour un usage aussi sensible que celui de cultiver la terre, la gestion de la pollution devra être maximale, et par conséquent être parfois onéreuse.

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Cependant, même avec une gestion optimale de la pollution, certaines terres gardent toujours une trace, qui correspond à une pollution résiduelle. Pour éviter tout risque, il est alors préférable, d’importer de la terre saine. Néanmoins, une dépollution optimale est nécessaire en vue de l’utilisation du site par les usagers. Pour éviter tout risque de contamination, un principe de culture permettrait à l’aliment produit de ne pas être en contact direct avec le sol : il s’agit de la culture horssol. Certains bâtiments agricoles utilisent ce principe et quelques architectes, par exemple l’agence SOA, utilisent ce procédé dans plusieurs de leurs bâtiments à vocation productive. Il est alors possible que la culture hors-sol apparaisse comme une solution permettant d’intégrer de l’agriculture dans ces espaces pollués, sans pour autant que les cultures soient en contact direct avec le sol. La culture hors-sol : Comme vu dans la partie 1) b), les bâtiments industriels d’Ivry possèdent des qualités architecturales similaires : de grands espaces, des ouvertures zénithales, ossatures résistantes, etc. Comment peut-on réutiliser ces qualités architecturales pour y implanter de l’agriculture ? La mise en place d’une agriculture urbaine peut s’effectuer de deux façons : une agriculture de type plein sol ou hors-sol. Si une friche a été non industrialisée, alors il est tout à fait possible d’y mettre une agriculture de type plein sol. Ce modèle d’agriculture équivaut au modèle d’agriculture maraîchère. À l’inverse, si on a à faire à une friche anciennement industrialisée, la mise en place d’une agriculture hors-sol peut être une réponse plausible. Cependant, intégrer une agriculture hors-sol dans un ancien bâtiment industriel peut présenter des risques (effondrement de la structure, réseaux indisponibles, impossibilité de faire pousser, etc.) Pour répondre aux différentes contraintes d’un tel projet, il est préférable de consulter un bureau d’étude pour la conception et l’élaboration du projet à l’intérieur d’un bâtiment pareil. Selon Monsieur Brulard (annexe 3), qui travaille pour les jardins de Gally : « La culture hors-sol est un bon moyen pour répondre à l’infertilité du sol et à

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d’éventuelles anciennes pollutions. Le but est d’éviter tout problème sanitaire. Nous sommes à la fois agriculteurs et bureaux d’études, cette double casquette nous permet de mettre en place l’agriculture hors-sol que l’on veut. » De plus, une des qualités principales des bâtiments industriels pour faire de l’agriculture est sans doute l’avantage d’avoir de grands espaces, au centre du bâtiment, permettant un réaménagement assez simple. L’agriculture hors-sol apparaît alors comme une solution pouvant rentabiliser les mètres carrés, mais également les mètres cubes, car ce type de culture présente l’avantage d’avoir une faible emprise au sol. Cette agriculture permet de superposer plusieurs plateaux de cultures et donc d’obtenir des cultures suspendues (figure 20). C’est donc l’idée de cultiver des produits alimentaires dans la verticalité, au centre du bâtiment (figure21). Elle présente l’avantage de cultiver des plantes dans une terre comportant des attributs favorables à l’agriculture. Cela règle le problème de terre polluée fréquemment rencontré en ville. L’agriculture sur plateaux permet : - d’accélérer le processus de maturation de tous les végétaux

- de cultiver des végétaux dans des substrats autres que la terre de culture - d’irriguer par le seul biais de nutriments indispensables à la croissance des différents végétaux. 42 L’obligation d’avoir une densité des cultures, en corrélation avec une implantation en ville, permet de créer une architecture sur plusieurs étages. Mais lorsqu’on multiplie le nombre d’étages, le poids de la terre sur la structure devient très problématique. Il faudra donc peut-être imaginer une structure secondaire capable de soutenir ces plateaux ou alors utiliser des fines couches de terre « raising beds » compte tenu des contraintes structurelles des bâtiments industriels. De plus certaines techniques innovantes favorisent la mise en place d’une agriculture hors-sol. C’est le cas de l’hydroponie et l’aquaponie (figure 22 et 23). Ces méthodes « consistent à cultiver des produits en circuit fermé, afin de contrôler la qualité du produit. L’hydroponie utilise un substrat et l’aquaponie se sert des substances rejetées par les poissons qui sont ensuite transformées en nitrates qui alimentent les plantes. Quant à elles, les plantes purifient l’eau et le bassin d’élevage.

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« Friches urbaines : comment revaloriser les sols par les cultures ? » - IRD2 - 2016

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Figure 20 - Principe de l’agriculture hors-sol pour une exploitation de salades - https://www.lefigaro.fr

Figure 21 - Principe d’une culture hors-sol dans un bâtiment industriel - La Ferme verticale HRVST : Un produit de la gamme urbaine de Florentaise

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Figure 22 et 23 - Principe de l’aquaponie et de l’hydrologie - https://www.lautrecampagne.com

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C’est un cycle bénéfique et continu »43. Cependant ces cultures consomment encore beaucoup d’énergie et la production reste chère pour le consommateur. De plus, grâce à leurs sheds ou autres dispositifs zénithaux et latéraux, les structures industrielles pourraient utiliser ces dispositifs, afin de capter au mieux la lumière du soleil et ainsi éviter de dépenser des coûts énergétiques en apport lumineux artificiel. Le projet « Fermes en Villes », développé par l’entreprise Le Vivant et la Ville, située dans la commune de Saint-Cyr-l’École, en périphérie de la métropole parisienne, se revendique comme une solution adéquate pour revitaliser les espaces délaissés. C’est sur une ancienne décharge, près de l’autoroute A12, que cette l’initiative se déploie (figure 24). Le projet agricole est divisé en trois zones : - La première de plus d’un hectare est destinée à la production maraîchère avec des cultures hors-sol. En plus de revaloriser une ancienne décharge, cette ferme a un impact économique pour le territoire puisque trois exploitants agricoles ont été embauchés.

- La seconde zone est un espace pédagogique servant à donner de la visibilité au concept et mettant en avant les techniques d’agriculture hors-sol. Au total, une vingtaine de parcelles expérimentales sont cultivées. L’idée est également d’utiliser tous les déchets en provenance de la ville pour cultiver comme le béton cellulaire, les déchets alimentaires, les palettes, etc. « L’objectif est de montrer que la ville est capable de se renouveler en produisant ses propres substrats »44.

- Enfin, la troisième zone est un espace de location de jardins hors-sol. Ils sont destinés aux professionnels et aux amateurs, ce qui peut créer une relation entre les deux ou chacun échange et se transmet mutuellement ses connaissances. Ils deviennent alors créateurs de lien social.

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https://www.lautrecampagne.com lesfermesdegally.com

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Figure 24 - projet ÂŤ Fermes en Villes 2014 - lesfermesdegally.com

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c) Développement d’une typologie : la ferme verticale. La réhabilitation des friches industrielles en ferme urbaine serait non seulement une solution pour un recyclage de friches d’un point de vue écologique et social, mais également permettre à ces anciennes structures industrielles de devenir organiques et participer à l’émergence de la ville de demain. Cela en répondant à plusieurs problématiques de la ville, notamment la question alimentaire, afin de garantir une sécurité alimentaire aux citadins. Comme nous l’avons vu précédemment, pour introduire de l’agriculture dans les bâtiments industriels, il faut utiliser certaines méthodes de production et notamment la culture hors-sol afin de pallier et éviter tout risque de contamination pouvant être engendré par les anciennes pollutions. La réhabilitation des bâtiments industriels en espace à vocation agricole doit utiliser la culture hors-sol avec ses principes d’aquaponie, hydroponie, etc. L’agriculture sur plateaux qui cultive sur un principe de verticalité porte un nom : « la ferme verticale ». La ferme verticale « est un immeuble de plusieurs étages, qui permet la production de fruits et de légumes à grande échelle selon les techniques de maraîchage d’une serre »45 (figure25). Les cultures sont éclairées par des lampes LED plus puissantes et nutritives que les rayons du soleil, ou par éclairage naturel lorsque cela est possible. La ferme verticale apparaît donc comme la solution la plus productive d’une agriculture en ville, car elle permet d’obtenir des rendements plus élevés contrairement à une production standard, tout en préservant les ressources de la planète. La ferme allie productions alimentaires avec des technologies de pointe pour une gestion minutieuse des ressources en eau, en lumière, en énergie, une valorisation des déchets et un recours à des énergies renouvelables. Cela fonctionne sur le modèle d’un cycle ou rien ne se perd, et où tout se transforme.

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« Agriculture urbaine : l'avenir de l'agriculture verticale en 5 questions » - Frédéric Brillet - 2015

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Figure 25 - Exemple d’une ferme verticale à Amsterdam - https://auclimate.wordpress.com/2018/04/05/vertical-farming-science-fictionor-the-future-of-agriculture/

Figure 26 - Tour Maraîchère de Romainville - www.ville-romainville.fr

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La notion de ferme verticale est prononcée la première fois au début des années 2000 par Dickson Despommier, professeur de santé publique et de santé environnementale à l’université de Columbia à New York. Depuis, cette nouvelle forme d’agriculture ne cesse de se faire remarquer dans les médias à travers le monde entier. Proche du consommateur et écologique, les cultures sont superposées dans ces structures, alimentées par un mélange d’eau et de nutriments. Il n’y a aucun gâchis et les besoins en eau peuvent être ajustés précisément, en fonction de la plante, « de quoi économiser jusqu'à 70 % d’eau par rapport aux méthodes agricoles classiques » selon Dickson Despommier. Quelle soit critiquée ou appréciée, la ferme verticale fait parler d’elle pour son caractère futuriste, révolutionnaire et innovant. Cette nouvelle forme commence à prendre de plus en plus d’ampleur compte tenu de son caractère futuriste et prospectif. Les images de fermes verticales se multiplient grâce à l’implication des architectes qui voient dans ce concept, une nouvelle typologie de bâti et un potentiel pour concevoir la ville de demain. Mais il existe à ce jour très peu de réalisations, seuls quelques projets sont en cours. En France, un des projets pionniers de ce concept est dans sans doute la tour maraîchère de Romainville (figure 26). Ce bâtiment, à l’aspect industriel, se compose de deux tours. Il a été conçu par l’agence Ilimelgo, et développe une surface d'exploitation de 1000 m² pour produire des fruits, légumes, champignons, plantes aromatiques, fleurs comestibles... « Cette serre verticale, multifonctionnelle et énergétiquement performante a pour vocation de mêler, dans un lieu unique, les multiples activités complémentaires »46. À travers cet exemple, on peut remarquer que cette symbiose entre architecture et agriculture productive peut aboutir à la réalisation d’un nouveau type de bâtiment à l’aspect futuriste. Un bâtiment moderne, tourné vers la ville de demain et qui tend à garantir la sécurité alimentaire des citadins. « Alors que les villes grandissent chaque jour un peu plus, l’agriculture urbaine pourrait jouer un rôle positif. »47 Une autre agence française exploite la possibilité de créer, à l’échelle d’une ville, une auto suffisance et une sécurité alimentaire. Il s’agit de SOA architectes. Cette agence, basée à Paris, compte plusieurs projets de fermes verticales. Composée d’une vingtaine d’architectes, celle-ci a livré des bâtiments dans différents secteurs tels que les logements, les équipements scolaires, culturels, etc. 46 www.ville-romainville.fr 47 « L’agriculture urbaine : un outil déterminant pour des villes durables » - Pascal Mayol et Étienne Gangneron - journal officiel de la république française - 2019 57


Figure 27 - Urbanana aux champs ElysĂŠe - archello.com

Figure 28 - Tour Vivante - https://soa.archi/fr/architecture

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SOA architectes est surtout une société pionnière de l’agriculture urbaine en France, et ses activités de recherches ont mené à la création en 2012 du Laboratoire d’Urbanisme agricole (LUA). À peine moins d’une dizaine de projets sont dans les tiroirs de ce cabinet, si bien que ceux-ci ne demandent qu’à voir le jour. En voici quelques-uns : - Urbanana est une ferme qui propose de cultiver une plus large variété de bananes, dont une partie est absente du marché français en raison des conditions de transports (figure27). Cultivant des espèces inexistantes en France, cette ferme se compose d’un centre de recherche et d’une salle d'exposition mettant en valeur ce produit. La ferme utilise un éclairage de croissance. Son insertion urbaine est peu contraignante et peut se faire plus discrète en adoptant le gabarit du tissu urbain dans lequel elle s'implante. Nichée entre des bâtiments d'habitation, c'est avant tout un projet de façade48. - D'une hauteur de 115 m, la Tour vivante se compose de 30 étages. Elle est constituée de pleins et de vides (figure28) : les pleins accueillent les logements et les bureaux, tandis que les vides abritent les espaces de productions agricoles. La conception de la structure est fortement associée au parti architectural de la tour48. Ces projets peuvent donc aboutir à de véritables objets architecturaux au sein même de la ville, remettant en question l’intégration d’une nature productive au sein des métropoles. Ces projets, aux proportions parfois vertigineuses, ne sont pas uniquement des structures servant à abriter une activité de production alimentaire, mais sont de véritables objets symboliques redéfinissant le paysage urbain. La hauteur de ces fermes permet, en premier lieu, la libération du sol, par la superposition des cultures comme la Tour vivant de SOA qui mesure plus de 100m de haut. Cette hauteur, qui est donc d’abord fonctionnelle, semble prendre un autre sens dans ces architectures. « Les bâtiments sont représentés comme des formes imposantes allant jusqu’à changer les caractéristiques des paysages urbains ou ils s’insèrent »49. Cette visibilité est essentielle dans le dessin du projet Urbanana. Lorsqu’on aperçoit cette forme intégralement vitrée, qui projette de la lumière depuis ses façades vitrées, c’est un tout autre programme qui semble s’adresser à nous. Ainsi, la ferme se dévoile à nous tel un objet rayonnant sur la ville par un jeu de transparence. La ferme verticale doit assumer son rôle : elle est porteuse d’un nouveau dynamisme, puisqu’elle est au cœur d’une révolution agricole, écologique et urbaine. 48 https://soa.archi/fr/architecture 49 « Ferme verticale : entre utopie et réalité, quelles sont les conditions d’émergence » ? Stephanie Ravillon - 2015 59


Elle renverse les codes d’une agriculture qui s’essouffle. Une nouvelle époque s’ouvre à nous. Une époque qui reconsidère la nature et ou la nouvelle génération se questionne sur ses fondamentaux, sa manière d’habiter, de construire, de consommer. La ferme est à l’image de cette époque et de ses enjeux, elle est le symbole d’une nouvelle ère, le symbole du retour de la nature en ville, de la libération des sols de l’activité humaine et du retour d’une agriculture plus saine et plus locale. Certaines fermes verticales imaginées aujourd’hui n’échappent pas à la conception de cette architecture symbolique. Certains architectes cherchent l’extrême de cette pensée. Vincent Callebaut, architecte futuriste, a imaginé une tour à New York permettant une autosuffisance alimentaire des New Yorkais. L’architecte belge a situé sa tour bionique de 600m de haut en plein centre-ville (figure29). Il a mis l’accent sur la recherche de l’autosuffisance alimentaire et énergétique, pour faire de sa structure « un Central Park nourricier cultivé à la verticale »50. La ferme est constituée d’une superposition de plusieurs étages. Ces derniers accueillent des logements, des bureaux, mais aussi des espaces réservés à l’élevage ou à l’exploitation des sols agricoles. Les fermes verticales, forme la plus aboutie de l’agriculture urbaine, apparaissent aujourd’hui dans un entre-deux, à la fois très utopique, à l’instar des projets de Vincent Callebaut, mais également des projets bien concrets comme la tour Maraîchère de Romainville. Elles forment une nouvelle typologie architecturale réutilisant parfois certaines structures déjà existantes, et mixant production alimentaire et usage quotidien, en apportant une nouvelle vision de la production agricole au cœur des villes. La pérennité d’un projet qui bouscule les codes se trouve dans les nouveautés qu’il est capable d’apporter au cours du temps. Les projets d’agriculture urbaine connaissent les prémices de leur développement et tendent à continuer leur progression. Cependant, à ce jour, très peu de projets sont sortis de terre, sûrement à cause de la barrière qui existe entre le monde agricole et le monde urbain. C’est au travers de ce nouveau type d’agriculture, que le clivage pourra se refermer et notamment par l’intégration d’une dimension de production animale. La conception de ce type de projet redonne un dynamisme aux villes, et permet de pallier en partie le phénomène d’étalement urbain et d'empiétement des terrains agricoles. Cependant, ce type de projet doit faire face à certaines limites notamment aux types de productions agricoles qui peuvent être implantées en ville, la rentabilité et le retour sur investissement du projet. 50

Propos tenu par Vincent CALLEBAUT lors d’une conférence à Paris en 2016 60


Figure 29 - Dragonfly de Vincent Callebaut Ă New York - http://vincent.callebaut.org

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III. L’agriculture en ville, un fantasme ?

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a) Les réhabilitations privilégient l’habitat. Comme nous l’avons vu précédemment, la réhabilitation d’une friche industrielle doit être spécifique dans l’environnement dans lequel elle s’insère. Aujourd’hui, dans la plupart des grandes villes, les « faiseurs de villes »51 sont dans une impasse, car nous constatons, autour de nous, que le manque de logement se faire sentir : il ne s’agit pas d’un problème nouveau. Toujours plus de citadins, mais passez de logements pour pallier à la demande. La France fait face à une crise du logement de plus en plus problématique. L’actualité de ces dernières années nous montre que davantage de personnes n’arrivent pas, ou ont du mal, à trouver un logement, cela concerne aussi bien les ménages modestes, que les étudiants ou encore les personnes âgées. En effet, selon le rapport annuel de la Fondation Abbé-Pierre (FAP), publié en 2017, on estime que 4 millions de personnes sont « mal-logées » et plus de 12 millions en situation de fragilité par rapport au logement. Une augmentation de 3% en l’espace de 4 ans. En France, la crise du logement n’est pas résolue et nous faisons face à une situation de déficit de logements depuis l’après-Seconde Guerre mondiale. À l’évidence, cette situation critique s’est accentuée par les successives et perpétuelles crises économiques depuis la fin des années 2000. La mise en chantier de logement est en baisse ces dernières années52 et les ménages sont confrontés à des difficultés d’accès et de pérennisation au logement. Cependant, ni les architectes ni les urbanistes ne pourront répondre seuls à cette problématique. C’est pourquoi l’État a mis en place une politique volontariste dans la construction de logements qui va définir des obligations. En effet, depuis quelques années, l’État s’engage à construire 100 000 nouveaux logements sociaux sur un an53. De plus, l’article 55 de la loi SRU 2000 oblige les communes (de plus de 3500 habitants) à compter dans leur parc d’habitation au moins 20% de logements sociaux pour toutes nouvelles constructions sous peine d’amendes. Dans le périmètre de la ZAC Ivry Confluence, ce sont environ 5 500 logements qui seront créés, ce qui fera évoluer la population du quartier, passant de 10 000 à 16 000 habitants à l’horizon 2025. Parmi l’ensemble des logements construits, la moitié des surfaces seront des logements sociaux, répondant ainsi aux besoins des Ivryens. On se rend donc compte de l’importance et de la place du logement social dans ce secteur. 51 Terme employé par Thierry Paquot pour définir les concepteurs de villes, urbanistes, aménageurs, architectes 52 « La construction de logements baisse encore en France » - Par LEXPRESS.fr avec AFP - Janvier 2019 53 https://www.gouvernement.fr/action/la-construction-de-logements

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Nature du réaménagement

Logements de tout type

Activités économiques et équipements publics

Espaces verts

Pourcentage des friches réaménagées

40 %

50 %

10 %

Figure 30 - graphique répertoriant le pourcentage des friches reconverties selon le type d’aménagement futur dans la ZAC Ivry Confluences - Production personnelle

Figure 31 - Nouveau pôle tertiaire d’Ivry - 94.citoyens.com

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La ville exerçant une pression foncière de plus en plus importante, l’utilisation du foncier des friches, en vue de construire du logement, est probablement une des solutions pour lutter contre la crise du logement. Ces dernières représentent une aubaine pour les municipalités du fait, souvent, de leur implantation stratégique dans la ville. Grâce aux différents éléments recueillis auprès de la municipalité d’Ivry et en analysant l’emplacement des futurs projets dans la ZAC, il est possible de conjecturer un tableau répertoriant le pourcentage des friches reconverties selon le type d’aménagement futur (figure 30) . Par ce tableau, nous pouvons voir que les principales réhabilitations de friches concernent soit la création de logements ou bien le développement d’activités économiques, tandis que la part d’espaces verts est très faible. La reconversion des friches en logement est une tendance qui séduit de plus en plus les villes en quête de recyclage de friche. L’orientation des communes est alors bien définie : on privilégie la construction du logement sur les anciens sites industriels, comme par exemple dans la ZAC où l’ancien site automobile Madza va être rasé au profit de nouveaux logements. Cela démontre une volonté politique de trouver des solutions quant aux problèmes de l’accès au logement, surtout dans une ville comme Ivry-sur-Seine. Bien que le logement soit prépondérant pour cette reconversion, les projets d’activités et d’équipements publics prennent aussi une place importante. En effet, la volonté est sans doute de constituer un ensemble urbain dense qui mixe les fonctions, d’où le besoin de concevoir des projets associant habitat, commerces, bureaux et équipements. Un des exemples est l’ancien site du BHV, situé Boulevard Paul Vaillant Couturier, qui va accueillir un pôle tertiaire conséquent avec 100 000m2 de bureaux. (figure 31) Le logement ainsi que les activités économiques semblent prédominer sur tout autre aménagement possible. Comme nous l’a indiqué M. CORNILLE, « il semblerait difficile, aujourd’hui, de convaincre une municipalité de créer uniquement un projet qui produirait des denrées alimentaires, même si cela est intéressant, au profit de logements. Tout simplement pour des questions économiques ».

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La question de la rentabilité du projet reste alors primordiale : il ne semble pas concevable de fonder l’intégralité d’un projet agricole sur des suppositions économiques. Le manque de projet concret sur le sujet est sans doute un frein au développement de la pratique. Cependant, l’agriculture urbaine ne peut-elle pas avoir un impact économique positif en produisant et en vendant les récoltes ? Voir plus important qu’un projet de logements ? L’agriculture urbaine à vocation marchande se caractérise par « sa finalité commerciale et sa recherche de productivité puisque ses productions sont destinées à être vendues »54. La rentabilité économique de ces infrastructures est une condition indispensable pour assurer leur pérennité. Cependant, d’après, Christine Aubry, directrice de l'équipe de recherches agricultures urbaines à l'INRA-AgroParisTech, « Il n'y a pas de modèle économique totalement établi pour le moment, ni en France ni dans d'autres pays qui tentent l'expérience »55. Il est donc difficile d’évaluer à 100% la viabilité d’un projet agricole comme celui-ci. Le modèle économique des fermes urbaines est différent des modèles agricoles classiques où les revenus proviennent principalement de la vente d’aliments. Pour se prémunir contre des pertes économiques, les entreprises misent sur deux procédés : certaines basent leur modèle économique sur la vente de la production et ont su s’adapter au marché pour fournir une production de qualité, ou bien celles qui misent sur un modèle économique à double vitesse basé sur la vente, mais aussi, et surtout sur d'autres sources de revenus valorisant les attentes urbaines. En effet, selon l’enquête effectuée par l’entreprise Construction 21 en 2017, « 76% des fermes urbaines développent un modèle de pluriactivités entre production-vente de biens (alimentaires ou équipements agricoles) et de services tels que l’installation, l’entretien de fermes urbaines, la formation aux nouvelles pratiques agricoles ou au jardinage au sein des entreprises ou dans les quartiers, l’animation d’ateliers pédagogiques pour les enfants et/ou thérapeutiques, l’entretien des espaces verts. » Certaines entreprises sont donc contraintes de proposer des services annexes, comme des conseils ou encore de la formation, pour bénéficier de revenus complémentaires. C'est un nouveau paradigme de l’agriculture en ville qui apparaît : une agriculture qui n'est plus seulement pourvoyeuse d'aliments, mais aussi productrice de services.

54 « Plan d’action Métropolitain en faveur de l’agriculture urbaine » - Métropole Aix-Marseille-Provence 2017 55 https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/le-modele-economique-des-fermesurbaines-nest-pas-totalement-etabli-136111

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Malgré l’engouement autour de l'agriculture urbaine, il semblerait donc qu’elle peine encore à trouver un modèle économique équilibré. Il existe peu d’exemples de fermes urbaines qui parviennent à s’auto suffire uniquement grâce aux revenus de la vente de leurs produits. Un des exemples les plus connus à ce jour est les « Fermes Lufa » situés dans la ville de Montréal au Québec (figure 32). D’après leur site internet « 2 500kg de légumes et herbes fraîches sont consommés quotidiennement par quelque dizaine de milliers d’urbains »56. Un espace ou la rentabilité détermine les cultures et les techniques utilisées. Un autre exemple, celui de la « Ferme Abattoir » à Bruxelles, la plus grande ferme aquaponique du monde (figure 33). En mélangeant des cultures de végétaux horssol avec un élevage animal en milieu aquatique, elle devrait produire chaque année « 35 tonnes de bars rayés, 15 tonnes de tomates, 120.000 barquettes de micropousses et 140.000 pots de plantes aromatiques, pour des magasins ou des restaurateurs locaux. »57 Le fondateur du projet Steven Beckers, espère amortir les 3 millions d'euros investis dans son projet, en moins de sept ans. Il mise sur la spécificité du projet et sa démarche d'économie circulaire. « L’architecture du projet permet une parfaite intégration au bâtiment, permettant d'économiser l'énergie et les matières premières utilisées, d'autre part grâce à des prix majorés au nom du caractère local et zéro déchet des produits », expliquait-il lors d'une conférence en janvier 2018.

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https://montreal.lufa.com/fr « Quel modèle économique pour l'agriculture urbaine ? » - Giulietta Gamberini - Juillet 2018

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Figure 32 - Lufa farm à Montréal - macadam-gardens.fr

Figure 33 - Ferme abattoir à Bruxelles - https://www.quefaire.be/visite-de-la-ferme-urbaine-945033.shtml

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b) La refonte du métier d’agriculteur. Avec l’apparition des nouvelles pratiques agricoles urbaines, le référentiel de l’agriculture traditionnelle, que constitue le champ de nos jours, change et se transforme. Il peut prendre plusieurs aspects, à diverses échelles, investissant des balcons, des toits, des friches, des hangars ou encore des conteneurs. En effet, avec l’engouement autour des projets d'agriculture urbaine, il est désormais possible de cultiver des fruits et des légumes au cœur des métropoles. De ces nouvelles formes d’agricultures, devront découler probablement des adaptations de la part des nouveaux agriculteurs face à ces nouvelles technologies et aux nouveaux moyens de production qu’elles engendreront. Ces agriculteurs seront-ils obligés de connaître les mécanismes de cette nouvelle façon de faire de l’agriculture ? Il faudra donc, peut-être, un autre type de personnel, plus qualifié et adapté à cette nouvelle production alimentaire, loin des méthodes actuelles des agriculteurs. Mais ce nouveau moyen de production alimentaire urbain ne serait-il pas en contradiction avec l’agriculture plus traditionnelle ? Cultiver en ville ne deviendrait-il pas un nouveau métier ? Que fait-on des agriculteurs « traditionnels » non qualifiés pour ces tâches ? Ne va-t-on recruter uniquement des spécialistes de ces nouvelles technologies et non plus des agriculteurs ? Lorsque l’on fait référence aux métiers de demain, ceux qui n'existent pas encore, on songe aux nouvelles technologies, voire à l'intelligence artificielle. Par ces nouvelles formes d’agriculture émerge un nouveau métier qui se développe avec vélocité : celui de cultivateur urbain. Des paysans dans les villes, il y en a déjà. Selon l’AFAUP58, il y en aurait 1 600 s’étalant sur plus de 45 hectares en milieu urbain et leur nombre ne fait qu’augmenter, ce qui démontre un intérêt certain pour cette initiative. Ces chiffres prennent en compte tous types de structures au sein desquelles une activité agricole est mise en place : associations, entreprises, start-ups, etc. On retrouve également toutes formes de culture comme des bacs, de la pleine terre, des conteneurs ou encore sur les toits. Le mouvement ne devrait pas s’essouffler avec la multiplication des idées pour revégétaliser les villes françaises. Une des entreprises pionnières est la start-up Agricool créée en 2015, qui est un exemple d'agriculture urbaine parmi de nombreuses autres. Son principe est simple : cultiver des fraises dans des conteneurs (figure 34). Une performance qui allie 58

Association Française Agriculture Urbaine Professionnelle

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Figure 34 - Star-up Agricool - agricool.co

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technologie et savoir-faire, permettant de produire autant de fraises dans 35 mètres carrés de container que dans 4 000 mètres carrés de pleine terre59. Elle utilise des « cooltivateurs » afin de gérer ses containers et la start-up cherche à en embaucher. Ces cooltivateurs sont la clé de voûte du projet puisque c’est grâce à eux que l’entreprise fonctionne. On peut donc supposer que, si cette entreprise continue son développement, elle devra recruter à ce poste. Un domaine qui est donc innovant, mais également créateur d’emplois. Ces fermes demandent une technologie spécifique, car cultiver en ville ce n’est pas la même pratique que cultiver à la campagne. D’après les informations disponibles sur le site internet de la start-up, on utilise, dans ces fermes, des lampes LED, et l’outil informatique régule seul les conteneurs informant les agriculteurs via une application mobile. En effet, ces conteneurs sont autonomes et contrôlent la gestion de l’humidité, le taux de dioxyde de carbone, l’éclairage, etc. Il semblerait donc que l’entreprise travaille rigoureusement avec des développeurs et des ingénieurs permettant d’atteindre une telle performance technique. De plus, il semblerait que ce nouveau métier soit accessible à tous, même sans avoir un bac+5 en agro-ingénierie, comme l’explique Guillaume Fourdinier cofondateur d’Agricool au journal franceinfo : "On amène de la technologie dans la ferme pour permettre à n'importe qui de devenir un super producteur, qui va pouvoir diffuser des fruits et légumes exceptionnels autour de lui. Ce sont des gens qui vont planter les fraisiers, les récolter, les distribuer. Ce sont des profils très variés et tout le monde peut devenir cooltivateur aujourd'hui." De plus, comme l’explique Anne-Cécile Daniel, coordinatrice nationale de l’Afaup, « Il y a beaucoup de jeunes entre 25-35 ans qui sortent d'une école à bac+5, pas forcément d'une école d'agronomie d'ailleurs, mais aussi d'école de commerce ou d'urbanisme avec des personnes issues d’écoles d’agronomie et d’agriculture, mais surtout des gens en reconversion professionnelle". On retrouve donc une grande diversité de profil dans ces nouveaux fermiers. Une volonté de la nouvelle génération de faire partie de ceux qui cherchent et innovent pour trouver des solutions d’avenir. À priori ce nouveau métier se veut accessible à tous, ne demandant ni diplôme spécialisé ni d’avoir exercé dix ans le métier d’agriculteur. D’après Christine Aubry ingénieure de recherche à l'INRA60 "On recense trois types d'emplois en agriculture urbaine : les concepteurs/ingénieurs, les chefs de culture qui vont diriger une petite exploitation et l'équivalent des ouvriers agricoles." 59 « L'agriculture en ville se développe et cherche des cultivateurs urbains » - francetvinfo.fr – Philippe DUPORT - Avril 2019 60 Institut national de la recherche agronomique 73


Les employés des exploitations urbaines ont habituellement beaucoup de missions à effectuer comme la fertilisation, l’irrigation, la récolte, etc. La pédagogie et la communication auprès des habitants du quartier font partie intégrante de cette nouvelle forme d’agriculture. Dans ces fermes d’un nouveau genre, on distingue donc principalement deux types de personnes pouvant représenter le profil idéal : des ingénieurs pour développer la technologie et des exploitants. Cependant, malgré enthousiasme de ces entreprises innovantes, la contrainte économique reste un élément majeur. Les différents reportages télévisés mettent en lumière la difficulté du métier d’agriculteur de campagne : un métier de passion, mais souvent entaché par les difficultés financières rencontrées. Produire au milieu du béton peut engendrer d’autres contraintes comme les petites surfaces d’exploitations et donc une économie limitée. Peut-on néanmoins envisager le métier d’agriculteur urbain comme un métier d'avenir ? Cela est sans conteste selon Guillaume Fourdinier : "C’est un métier de demain, il va falloir nourrir des villes et produire localement. C'est un métier qui n'est plus du tout une utopie et qui va continuer à se déployer". Selon l’AFAUP, on comptera en 2020 plus de 30 hectares d'agriculture urbaine à Paris. De quoi faire émerger ce nouveau métier. Transdisciplinarité,

diversification,

travail

de

la

terre,

technologie…,

l'agriculture urbaine a de quoi susciter de l’intérêt notamment auprès des jeunes. Va-telle pour autant concurrencer l'agriculture traditionnelle ? Jeanne Crombez, adjointe d'exploitation sur la ferme urbaine de Saint-Denis, prône la transmission du métier d’agriculteur urbain sous toutes les formes qu’il peut prendre : « On veut montrer que toutes les agricultures ne sont pas en conflit, au contraire, et qu'on peut cultiver que ce soit avec les manières des maraîchers du XVIIIe, comme les maraîchers d'aujourd'hui, comme les maraîchers en permaculture, comme l'agriculture hors-sol... Il y a énormément de techniques. »61. Il semblerait que cette nouvelle agriculture cherche la complémentarité en s’inspirant du modèle de la campagne. Il faut que les modèles avancent ensemble dans la transition agricole et non en concurrence afin que chacun puisse en tirer parti. Des formations en agriculture urbaine commencent ainsi à être mises en place, d’autant plus important pour appréhender la réalité du métier. D’autre part, le métier d’agriculteur est déjà lui-même en pleine mutation de son côté puisque le rendement demandé par l’industrie oblige les agriculteurs à apprendre le fonctionnement de nouvelles machines et donc d’adapter leur métier actuel à l’intelligence artificielle. 61 « La ferme urbaine de Saint-Denis ouvre ses portes ce week-end » - francetvinfo - Anne Laure Barral 2019

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c) Intégrer l’agriculture urbaine à la planification et à l’aménagement urbain. Comme tout ce qui émane de notre civilisation, l’architecture, elle aussi, est en perpétuelle évolution. En ce début de siècle, des enjeux menacent l’architecture comme ils menacent globalement toute notre société : le réchauffement de la planète, la croissance de la population, la diminution des ressources naturelles sont des problèmes que ni l’architecture ni l’urbanisme ne pourront régler seuls. Tous ces changements conduisent à une remise en question de la part des architectes et de leur façon de faire et de concevoir l’architecture. En effet, on ne conçoit plus l’architecture comme dans les années 1950, et cela ne cesse de changer puisque de nouveaux enjeux apparaissent. Aujourd’hui l’agriculture urbaine apparaîtrait comme une solution permettant, à son niveau, d’avoir un impact positif sur ces enjeux : réduction des îlots de chaleur urbaine, bien-être, alliage de verdissement des bâtiments, production et sécurité alimentaire, réduction de la pollution, etc. Mais ne pourrait-on pas aller encore plus loin ? Si l’agriculture urbaine se présente comme une solution bénéfique à long terme, pourquoi ne pas l’intégrer aux différents éléments d’urbanismes ? Pourquoi l’agriculture urbaine ne pourrait-elle pas devenir un élément fort et crédible des nouveaux PLU ? Longtemps reléguée au domaine du loisir, la tendance autour de l’agriculture urbaine est aujourd’hui devenue un enjeu, aussi bien sur le plan environnemental, économique et social, grâce aux différentes initiatives citoyennes et aux actions politiques. L’agriculture urbaine est une vision commune appelant à des aspirations diverses comme la pluralité des formes et des usages, des acteurs, etc. Ce mouvement préconise la vision d’une ville renouvelée, peut-être même d’un nouveau récit urbain, qui tourne le dos à l’urbanisme du XXe siècle où le minéral l’emportait inéluctablement sur le végétal. La volonté d’une nature en ville coïncide aujourd’hui avec la nécessité de rendre nos villes résilientes, capables de résister et de faire face aux chocs climatiques, énergétiques et sociaux, en étant plus autonomes sur le plan alimentaire et plus favorable à la biodiversité. Cette vision, faite d’opportunités et d’impératifs, est au cœur de cette démarche. Cependant, l’agriculture urbaine a besoin d’aide pour de se développer et insuffler une dynamique plus importante. Des mesures sont donc à mettre en place pour

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créer des conditions propices au développement de l’agriculture urbaine et permettre à la ville du XXIe siècle de se reconnecter à son territoire, ses habitants et son environnement. Le Pan Local d’Urbanisme permet de définir « les grandes orientations d'aménagement du territoire et d'utilisation des sols d'une commune ou d'un groupement de communes, dans un projet global d'urbanisme »62, il paraît donc nécessaire d’apporter des modifications ou des suggestions à ce document, pour favoriser l’implantation de l’agriculture urbaine dans les constructions. Selon le rapport d’étude Le Paris de l’agriculture urbaine63, la prise en compte de l’agriculture urbaine au sein du Plan Local d’Urbanisme « apparaît comme une triple nécessité : celle de la construction d’une ville plus durable et résiliente, celle d’une adaptation de son cadre réglementaire aux initiatives portées par ses habitants, celle d’une réponse aux trop nombreuses difficultés et incohérences qui empêchent les innovations urbaines et sociales. » L’agriculture urbaine est donc un concept qui regroupe plusieurs thématiques : la sécurité alimentaire, l’environnement, les usages, etc. De plus, selon les chercheurs Paula Nahmias et Yvon Le Caro, il est important d’inclure la notion de territoire et la pluralité des formes d’agricultures : « L’agriculture pratiquée et vécue dans une agglomération par des agriculteurs et des habitants aux échelles de la vie quotidienne et du territoire d’application de la régulation urbaine. Dans cet espace, les agricultures - professionnelles ou non - entretiennent des liens fonctionnels réciproques avec la ville (alimentation, paysage, récréation, écologie) donnant lieu à une diversité de formes agri-urbaines observables dans le ou les noyaux urbains, les quartiers périphériques, la frange urbaine et l’espace périurbain. »64 L’agriculture urbaine se veut être une activité d’intérêt collectif comme le montre sa pluralité écosystémique (sociale, économique, environnementale, etc.). Elle est également propice à la diminution des déchets, à la lutte contre le réchauffement climatique par les îlots de fraîcheur urbaine, etc. Tous ces enjeux apparaissent comme suffisamment importants pour justifier un statut spécifique dans les directives d’aménagement du Plan Local d’Urbanisme. Le Plan Local d’Urbanisme de la ville de Paris « dispose, au sein des articles 13, relatifs aux plantations et aux espaces verts, un outil appelé le coefficient de biotope afin de différencier les techniques de végétalisation d’une parcelle ou d’un bâtiment en

62 Définition du Plan Local d’Urbanisme - www.collectivites-locales.gouv.fr 63 Mémoire collectif déposé dans le cadre de l’enquête publique 9 juin - 10 juillet 2015 64 « Pour une définition de l’agriculture urbaine : réciprocité fonctionnelle et diversité des formes spatiales » - Paula Nahmias and Yvon Le Caro - 2012

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fonction de leur intérêt écologique. La végétalisation comestible n’y est pas valorisée alors qu’elle joue, notamment, un rôle majeur en termes de biodiversité »63. Il serait donc peut-être intéressant d’apporter des compléments à la rédaction de ce coefficient de biotope pour qu’il puisse servir au développement de l’agriculture en ville. L’agriculture urbaine pourrait s’intégrer dans la plupart des espaces verts de Paris ou dans les espaces inutilisés, toitures, friches, etc. Par cette hypothèse, le coefficient de biotope pourra avoir un impact positif sur la biodiversité et la perméabilisation des sols. De plus, l’agriculture urbaine sonne aujourd’hui comme une excellente solution pour répondre à l’inutilisation et l’inoccupation de la cinquième façade d’un bâtiment. En effet, grâce notamment aux différentes mesures mises en place comme « le Plan Parispluie », où la végétalisation des toits, dans le cadre des réhabilitations et des nouvelles constructions, est encouragée pour limiter les déperditions d’énergie et réduire les rejets dans le réseau d’assainissement saturé. Pour cultiver sur les toits, des impératifs sont à prévoir, à la fois pour les nouvelles constructions ainsi que pour les reconversions. Par exemple, pour les nouvelles constructions, il serait possible d’envisager, pour les toits plats, des éléments avec des portances bien précises pour supporter le poids des cultures et des usagers, et avoir un accès à l’eau. Ces petites mesures, seulement hypothétiques, pourraient favoriser et permettre l’implantation d’une agriculture sur les bâtiments. Attention, il ne s’agit pas là de contraindre les architectes et les urbanistes , mais plutôt de favoriser et d’encourager le développement de cette pratique afin de prévoir une éventuelle installation de ce système, qui prend de plus en plus d’importance. Il ne faut pas prendre en otage les architectes, déjà pas mal contraints dans les différentes normes et règles dans leur projet, mais simplement les encourager pour qu’ils mettent à disposition des espaces de plantations en amont de leur réflexion de projet. Concernant les bâtiments existants, il est possible d’envisager une étude du potentiel d’implantation de l’agriculture urbaine ou d’autres usages multifonctionnels sur les toitures adéquates. À Paris, le PLU modifié en 2016, oblige les constructions neuves « à végétaliser les toits-terrasses de plus de 100 m2, encourage les retraits d'alignement des immeubles pour enraciner des plantes grimpantes, et facilite la création de serres agricoles en étage ». Alors si on végétalise les toits, pourquoi ne pas y intégrer la notion de végétation comestible ?

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L’agriculture urbaine a donc un rôle important à jouer dans l’élaboration du nouvel urbanisme et il est de la responsabilité de la ville de mettre en œuvre des actions concrètes pour en faire la promotion. L’agriculture urbaine est une solution alternative au tout béton dans les villes, et elle donne la possibilité aux citoyens de se réapproprier l’espace. Néanmoins, des actions à court terme pourraient être menées en matière de verdissement, comme c’est le cas pour les grandes villes et notamment Paris. Mais accroître le développement des pratiques déjà en place et améliorer la considération de l’agriculture urbaine dans ce processus de végétalisation, permettra probablement d’avancer de manière progressive, mais de manière plus pérenne. Les métropoles sont engagées dans un processus de renouvellement en matière de planification urbaine. Cela pourrait être l’occasion rêvée pour reconnaître plus formellement l’agriculture urbaine et avoir des objectifs concrets à plus long terme.

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CONCLUSION

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Les friches industrielles d’Ivry-sur-Seine constituent un potentiel de réutilisation et de transformation à l’inverse de ce qui était considéré auparavant, inutilisables et insalubres, on préférait raser ces sites. Quant à présent, les habitants et élus locaux d’Ivry-sur-Seine préconisent la conservation de ce patrimoine de la ville, vu comme un élément symbolique et unique, véhiculant un message de mémoire et marqueur de l’identité de la ville. Ainsi, dans le contexte du renouvellement urbain et de la densification de la ville, la réhabilitation de ce patrimoine industriel prend une place majeure notamment grâce à sa position stratégique dans la ville. Cet intérêt place ainsi la réhabilitation de ces sites au centre de questions beaucoup plus vastes que la simple conservation du bâtiment, puisqu’aujourd’hui la ville doit faire face à de nouveaux enjeux. En effet, l’échelle de l’édifice devient l’échelle du territoire avec une volonté d’une recomposition globale du tissu urbain et de tous les enjeux engendrés (sociaux, économiques, culturels, écologiques). C’est l’opportunité de créer un urbanisme de qualité, associant conservation du patrimoine et constructions neuves afin d’impulser une nouvelle dynamique dans des espaces abandonnés. Concomitamment, il est impératif de revoir les modes d’urbanisation actuels : les problèmes liés au réchauffement climatique, à l’étalement urbain et à l’insécurité alimentaire ne pourront pas être résolus avec le système actuel. L’agriculture urbaine se présente à nous comme un des outils pouvant amener à un modèle plus respectueux de l’environnement, plus collectif, en concordance avec l’évolution des mœurs, et garantissant une sécurité alimentaire stable. Les friches industrielles sont propices au développement de cette pratique notamment grâce à leur qualités spatiales et architecturales. Ces grands espaces possèdent un potentiel de renouvellement urbain car ils peuvent améliorer le paysage urbain et permettre de recréer une cohésion au sein de la ville et de porter des projets innovants favorisant le territoire. Tous ces facteurs permettent l’accroissement de l’agriculture en ville et sont un argument en faveur de son application sur les friches industrielles de la ville d’Ivry-surSeine : une possibilité qui permet non seulement de conserver le patrimoine industriel de la ville mais permet également, de faire de ces espaces, une ressource d’avenir. Cependant le manque d’exemples concrets est un frein au développement de cette pratique. L’aspect financier est un obstacle, car une ferme doit produire en abondance pour être indépendante et s’auto suffire, ce qui freine beaucoup d’actionnaires. La solution est peut-être de créer un bâtiment regroupant des programmes mixtes : la ferme n’est plus un élément indépendant, mais ensemble comprenant productions agricoles, logements, commerces, etc.

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Cette solution d’utilisation de friche à des fins agricoles a comme idée de s’introduire dans le cadre de problématiques spécifiques de la ville d’Ivry-sur-Seine. Cependant, elle pourrait s’étendre à un contexte plus large, à savoir des villes de plus en plus sujettes à une population de masse. Ne pourrait-on pas étendre la démarche de réflexion à d’autres ouvrages et pas uniquement à la question de la friche industrielle ? Dans plusieurs communes, des lieux, des bâtiments, des complexes, sont abandonnés. Pourtant ils peuvent offrir des alternatives nouvelles en amenant, par exemple, des projets d’agriculture urbaine s’inscrivant ainsi dans un processus de revalorisation de la ville de demain. En effet, au cœur des grandes villes, se trouvent d’autres espaces délaissés ou abandonnés. Ces sites n’ont longtemps présenté que peu d’intérêt alors pourquoi ne pas y intégrer des espaces de cultures ? D’autres sont le résultat de l’évolution des mœurs. Par exemple, l’usage de la voiture dans les centres-ville a tendance à diminuer. Il est peut-être amené à disparaître à terme. Que va-t-on faire des parkings souterrains ? Une agriculture en sous-sol est désormais possible grâce à l’utilisation de lumière artificielle. Tout ceci nous amènera à repenser totalement l’espace urbain dans l’avenir. Nous pourrions imaginer un tout autre schéma directeur. De tout temps l’architecture ne témoigne-t-elle pas d’une mouvance avant-gardiste ? Nos habitudes sociétales semblent parfaitement à revoir avec les nouveaux enjeux auxquels nous devons faire face. Quelle ville pour demain ? Par une solution architecturale permettant un aménagement adéquat, la ferme urbaine se veut être une solution répondant à des problématiques spécifiques aux contextes urbains dans lesquels elle s’insère. Cette solution ne pourrait-elle pas répondre à d’autres problématiques contextuelles comme la faim dans le monde pour les pays d’Afrique ? Pourrait-on arriver à pallier tous les problèmes de récoltes liés aux catastrophes naturelles, aux épidémies et au réchauffement climatique que subissent les pays du sud-est ? C’est une démarche englobante, qui a encore beaucoup à offrir …

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BIBLIOGRAPHIE 1.

Ouvrages

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- « Mémoire industrielle en banlieue : constitution et exploitation » - Michèle Raul - 1995 p. 16-20

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- « La réhabilitation des friches industrielles : un pas vers la ville viable ? » - France Dumesnil et Claudie Ouellet - 2002

- « LA RECONQUETE DES FRICHES INDUSTRIELLES » - Jacques BERTHELIN Novembre 2016

- « Reconversions. L’architecture industrielle réinventée » - Emmanuelle Real - 2015 - « Les métamorphoses du patrimoine industriel » - Milena Chessa - Le moniteur - 2008 - « Sols artificialisés et processus d’artificialisation des sols : déterminants, impacts et leviers d’action » - B. Béchet, Yves Le Bissonnais – Janvier 2018

- « REQUALIFICATION DURABLE DES FRICHES INDUSTRIELLES » - D. Margot - 2015 - « Des villes toujours plus grosses » - Laure Cailloce – 2017 - « Les surfaces agricoles disparaissent sous le béton - Maylis Choné - 2017 (Chaque année, 5 à 10 millions d’hectares de terres agricoles disparaissent dans le monde)

- « Nourrir la planète en 2050, un défi déjà d’actualité » - LeMonde - Clément Lacombe 2009

- « L’étude des espaces ruraux en France à travers trois quarts de siècle de recherche géographique » - Thèse de doctorat d’Etat - Martine Berger - 2007

- « Comment les consommateurs perçoivent-ils la proximité à l'égard d'un circuit court alimentaire ? » - Catherine Hérault-Fournier - Dans Management & Avenir - 2013 (n°53)

- « Friches urbaines : comment revaloriser les sols par les cultures ? » - IRD2 - 2016 - « Agriculture urbaine : l'avenir de l'agriculture verticale en 5 questions » - Frédéric Brillet 2015

- « L’agriculture urbaine : un outil déterminant pour des villes durables » - Pascal Mayol et Étienne Gangneron - journal officiel de la république française - 2019

- « Ferme verticale : entre utopie et réalité, quelles sont les conditions d’émergence » ? Stephanie Ravillon - 2015

- « La construction de logements baisse encore en France » - Par LEXPRESS.fr avec AFP Janvier 2019

- « La ferme urbaine de Saint-Denis ouvre ses portes ce week-end » - francetvinfo - Anne Laure Barral 2019

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« Architectures d'usines en Val de Marne 1822-1939 », Belhoste Jean-Francois, Paris, Ministère de la Culture : Association pour le Patrimoine de l'Ile-de-France , 1988.

- «Dictionnaire d’architecture » - Quatremère de Quincy -1832 84


2.

Sites internet

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-

https://soa.archi/fr/architecture https://www.gouvernement.fr/action/la-construction-de-logements https://www.lesechos.fr/industrie-services/conso-distribution/le-modeleeconomique-des-fermes-urbaines-nest-pas-totalement-etabli-136111

-

https://www.insee.fr/fr/accueil

3.

ConfĂŠrences

-

Vincent Callebaut : Durable et vivable : une autre ville est possible. - 2015

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FIGURES -

Figure 1 - Projet de la ZAC Ivry Confluences - www.ivry94.fr Figure 2 - Carte des quartiers d’Ivry-sur-Seine - www.ivry94.fr Figure 3 - L’implantation des usines (en orange) dans Ivry-sur-Seine au XVIIIe siècle - Production personnelle Figure 4 - Usine métallurgique dite Forges Coutant, Ivry-sur-Seine 1882 - inventaire.iledefrance.fr Figure 5 - l’usine d’épuration des eaux d’Ivry-sur-Seine 2010 - patrimoines.iledefrance.fr Figure 6 - Centrale basse-pression 1927 - A gauche la chaufferie, à droite la salle des machines patrimoines.iledefrance.fr

- Figure 7 - Station F, Paris 13 - stationf.co - Figure 8 - Manufacture des oeillets Extérieur, vers 1900 - patrimoines.iledefrance.fr - Figure 9 - Manufacture des oeillets Intérieur de la grande halle de la Manufacture française d'oeillets métalliques, vers 1900 - patrimoines.iledefrance.fr

-

Figure 10 - Manufacture des oeillets Intérieur du projet 2017 - lefigaro.fr Figure 11 - Intérieur de la salle des machines - 1927 - patrimoines.iledefrance.fr Figure 12 - Intérieur de la chaufferie - 1927 - patrimoines.iledefrance.fr Figure 13 - Centrale électrique d’Ivyr-sur-Seine 1927, a gauche la chaufferie et a droite la salle des machines patrimoines.iledefrance.fr

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Figure 14 - Usine Blin et Blin à Elbeuf - 2010 - normandie.fr Figure 15 - Projet sur l’sine la Foudre à Petit-Quevilly - actu.fr Figure 16 - Capital agricole, l’exposition qui cultive la ville - 2017 - http://www.parismomes.fr/ Figure 17/18/19 - Association « la fabrique à petits pois- Jardin partagés à Ivry - https://www.facebook.com/ lafabriqueapetitspois.fr/

- Figure 20 - Principe de l’agriculture hors-sol pour une exploitation de salades - https://www.lefigaro.fr - Figure 21 - Principe d’une culture hors-sol dans un bâtiment industriel - La Ferme verticale HRVST : Un produit de la gamme urbaine de Florentaise

- Figure 22 et 23 - Principe de l’aquaponie et de l’hydrologie - https://www.lautrecampagne.com - Figure 24 - projet « Fermes en Villes 2014 - lesfermesdegally.com - Figure 25 - Exemple d’une ferme verticale à Amsterdam - https://auclimate.wordpress.com/2018/04/05/verticalfarming-science-fiction-or-the-future-of-agriculture/

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Figure 26 - Tour Maraîchère de Romainville - www.ville-romainville.fr Figure 27 - Urbanana aux champs Elysée - archello.com Figure 28 - Tour Vivante - https://soa.archi/fr/architecture Figure 29 - Dragonfly de Vincent Callebaut à New York - http://vincent.callebaut.org Figure 30 - graphique répertoriant le pourcentage des friches reconverties selon le type d’aménagement futur dans la ZAC Ivry Confluences - Production personnelle

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Figure 31 - Nouveau pôle tertiaire d’Ivry - 94.citoyens.com Figure 32 - Lufa farm à Montréal - macadam-gardens.fr Figure 33 - Ferme abattoir à Bruxelles - https://www.quefaire.be/visite-de-la-ferme-urbaine-945033.shtml Figure 34 - Star-up Agricool - agricool.co

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ANNEXE1 Entretien avec M. Monmory Chargé d’opération à l’atelier d’urbanisme de la ville d’Ivry-sur-Seine et s’occupe de l’opération de la ZAC Ivry confluence. Extraits de l’entretien effectué en personne Date : 3 décembre 2019 Qui gère aujourd’hui ces friches industrielles ? Ces terrains laissés à l’abandon ? « Alors la notion de friches. Il faut se méfier de la notion de friches, car il n’y a pas vraiment de friches. Il y a des terrains en mutation, mêmes au moment de la désindustrialisation, il n’y a jamais eu de friches. En effet les terrains ont un tel potentiel qu’il y a toujours eu quelqu’un pour combler le vide. Il n’y a jamais vraiment eu un terrain nu, vide. La notion de friches est un peu à manier avec précaution, car lorsque les entreprises sont parties dans les années 80, d’autres sont venues dernières pour occuper les terrains. Après on est en ZAC dont l’aménageur est la SADEV 94. Leurs objectifs sont d’acheter des terrains, les aménager (faire des réseaux, démolir, dépolluer, etc.) et les revendre. Lorsque l’on voit les terrains du BHV, total, etc., on a tendance à se dire « tient une friche », mais c’est plus un projet foncier. Le terrain est démantelé, et il est souvent en promesse de vente à un promoteur ou pour un projet, mais il est dans l’attente d’un permis de construire, d’autorisations, etc. Des fois cela peut prendre du temps comme le site du BHV ou cela traîne depuis 10ans. Ces terrains n’ont jamais été réellement abandonnés. Ces espaces sont inconditionnellement sous-utilisés voir dégradés. Mais aujourd’hui ces terrains sont en mutation. »

Mais ces terrains-là, appartiennent-ils à la mairie ? « Ils sont achetés par la mairie. Une ZAC c’est une opération d’aménagement, avec un aménageur (SADEV 94) qui, pour le compte de la mairie, achète les terrains. Donc oui c’est une opération publique, et par conséquent cela appartient d’une certaine façon à la mairie. Mais on crée une opération d’aménagement avec son budget propre et c’est cette opération d’aménagement qui gère les terrains. Le propriétaire sur le papier ce n’est pas la ville, c’est la SADEV à qui on a délégué le droit de préemption et le droit d’expropriation. Mais la SADEV le fait pour le compte de la ville. »

Du fait de l’ancienne activité industrielle, beaucoup de ces terrains sont pollués, avez-vous un document d’urbanisme ou autre qui gère les sites pollués ? « C’est une bonne question ! Évidemment, non. Personne ne connaît exactement la pollution sur les sites. Néanmoins des bases de données d’état (BASOL et BASIAS) existent, mais elles sont incomplètes. Elles ne présentent que des suspicions de pollution. Mais pour avoir connaissance d’une pollution, il faut faire des diagnostics. Donc tant qu’on n’est pas propriétaire du terrain, on ne sait pas la pollution exacte. On se rend donc compte des pollutions seulement au moment de l’acquisition du terrain en question. Bien sûr les anciens propriétaires sont censés informer des pollutions. Mais bon soit ils n’en ont pas connaissance, soit ils le cachent. Ou encore on peut avoir des pollutions pouvant être plus anciennes. En ce moment, les services de l’état confectionnent une base de données, mais ils regroupent des informations très brèves avec des suspicions de pollution, mais il n’y a aucun document qui répertorie de manière exhaustive les pollutions des sites : c’est à l’acheteur à le faire. Néanmoins, les sites industriels récents sont suivis, mais les sites anciens présentent des complications comme le nouveau collège de la ZAC ou une pollution au mercure est présente et la date de pollution est difficile à estimer. Il est difficile de trouver le coupable de cette pollution. Donc non ces documents sur la pollution n’existent pas et c’est bien le problème. » 87


Justement vous me parler de la ZAC Ivry confluence, ne pensez-vous pas que la ZAC à fait table rase du passé industriel d’Ivry et donc indirectement de son identité ? « Oui. Cependant, on se situe dans une zone à forte dominante d’activités. Introduire de la mixité dégrade le potentiel d’activité du site. La ZAC essaie d’effectuer un compromis. S’il n’y a pas d’opération publique, c’est 100% d’activités qui partent c’est-à-dire qu’il n’y a aucune valeur des terrains qui permet de faire de l’activité et donc ça ferait que logement. Si c’était la promotion immobilière qui s’occupait de la mutation alors on ouvrirait le droit à construire pour du logement. Sans faire d’opération, il n’y aurait plus aucune activité. Donc cette ZAC cherche a réguler avec 50% d’activité et 50% de logements pour trouver équilibre. Mais sans cette ZAC, cela ferait 100% logements. C’est un défi complexe, mais tel est l’objectif à atteindre. C’est un compromis. »

Aujourd’hui mon travail s’oriente sur la réhabilitation des bâtiments industriels en fermes urbaine donc en espace à vocation agricole. Que pensez-vous si l’on réhabilitait les anciennes friches industrielles, comme le CPCU, en espace à vocation agricole ? Cela est-il possible selon vous ? Une sorte de ferme verticale à l’intérieur de la ville. « En parlant du CPCU, c’est un bâtiment magique, avec un énorme squelette en béton. Dans la ZAC ce bâtiment est démoli. Mais l’idée mûrie de ne pas démolir. L’idée serait d’enlever tout le bardage bleu autour afin de révéler la structure intérieure. Il faut éviter de faire dans ce bâtiment, un équipement culturel (théâtre ou autre), car cela créerait une énorme boîte fermée, au milieu du parc. Il faut à la fois sauver ce bâtiment pour lui trouver un usage, et en même temps faire en sorte qu’il ne soit pas un masque pour le parc. Il faut éviter les fausses bonnes idées, c’est-à-dire un équipement qu’il faut plonger dans le noir et qui ne nécessite pas de lumière naturelle. Doit-on laisser la structure vivre avec son temps et s’adapter au site avec de la végétation qui grimpe dessus, etc. au milieu du parc. Cependant je pense qu’en effet, quelque chose autour de l’agriculture urbaine est intéressant à approfondir. On se situe dans un parc pas encore dessiné aujourd’hui. Cela peut devenir un parc avec une vocation productive et pédagogique autour d’une ferme urbaine. Cette halle pourra avoir cette vocation. Personnellement je préfère cette idée plutôt que de venir cloisonner et fermer le bâtiment et créer une verrue. »

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ANNEXE2 Entretien avec M. Cornille Responsable d’opération à la SADEV 94 et sur la ZAC Ivry Confluence Extraits de l’entretien téléphonique Date : 10 décembre 2019 Pouvez-vous nous rappeler les grandes lignes d’interventions de la ZAC Ivry Confluences ? « Les enjeux de la ZAC concernent la transformation de ce qu’on appelle anciennement le quartier d’Ivry-port qui s’étend sur 145 hectares. L’axe d’intervention se localise sur tout l’ancien quartier industriel d’Ivry-surSeine. À proximité de la confluence, entre la Seine et la Marne, avec une grosse emprise industrielle comme les locaux du BHV, le dépôt pétrolier total, l’usine des eaux de la ville de Paris. Tout un tas d’anciennes grosses entreprises industrielles. Du coup un projet ZAC est né en 2007, nommé à l’origine ZAC avenir Gambetta puis a été élargie en 2011 et englobe tout Ivry-port pour être finalement appelé « Ivry confluence » qui s’étale sur un périmètre de 145 hectares. Un territoire marqué par de grosses emprises industrielles, avec un tissu faubourien. »

Justement dans la ZAC d’Ivry confluence vous intervenez beaucoup sur des sites industriels parfois pollués. Comment avez-vous fait pour intervenir sur ces sites pollués ? « Des bases de données, disponibles en préfectures, permettent de connaître les installations classées. On a tout une série d’éléments relatés dans les actes notariés. Néanmoins avant de commencer le projet, nous sommes obligés de faire un certain nombre de sondages environnementaux au moment de l’acquisition des parcelles puisque forcement le surcoût lié à une éventuellement dépollution des terrains est toujours un peu dur à estimer avant l’acquisition. On peut tomber sur des surprises. »

Et coup cela vous a contraint dans l’aménagement général par rapport au PLU ? « Certains sites sont classés ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement). La spécificité dans cette ZAC est qu’elle se situe sur le territoire de L’OIN (Opération d’Intérêt National). Et donc tous les permis de construire dans cette zone sont délivrés par l’état et non pas par la commune. Lors de l’instruction des permis de construire, c’est donc l’état qui vérifie la compatibilité avec l’usage proposé. Au préalable, l’industriel est censé réaliser une dépollution au moins pour un usage industriel. Ensuite, nous devons réaliser une dépollution complémentaire pour un usage de logement, équipement, etc. Et forcement en fonction des sites plus ou moins affectés par la pollution, on adapte et on ajuste le type de programme en fonction de leur sensibilité et de la pollution présente. La problématique pollution est très longue à détailler, mais c’est assez prenant. Elle ne définit pas le schéma urbain, mais elle est à prendre en compte. »

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Connaissez la politique d’Ivry sur ses friches urbaines ? Est-ce qu’on vous a demandé « conserver des friches ou des éléments du patrimoine industriel » ? « Alors oui des éléments du patrimoine industriels ont été identifiés dès le démarrage de l’opération d’aménagement, aussi bien par la ville que par l’agence d’architecte urbanisme de l’époque, avec un patrimoine industriel identifié et à conserver comme indiqué dans le PLU. Il y a cette volonté de ne pas faire table rase du passé industriel, mais essayer de jouer avec cet héritage industriel. Pour ce qui concerne les friches, il n’y pas a eu de demande de conservation les friches industrielles. En effet, l’urbanisme fait qu’il subsiste des trous dans le tissu urbain d’Ivry en attendant un projet, et des occupations temporaires sont envisagées. »

Dans la ZAC vous créez beaucoup de logements, d’activées, bureaux, etc.. Ne pensez-vous pas que la question alimentaire peut et doit devenir un axe d’intervention dans les nouveaux projets de cette envergure ? On parle de plus en plus de la notion d’agriculture urbaine, les fermes en ville, etc. Ne pensez-vous pas qu’il faut intégrer ses nouveaux programmes à la conception ? « Alors effectivement, dans l’entreprise nous réfléchissons à ces questions-là. Cependant, ces territoires sont souvent pollués et cela rend plus complexe la mise en place d’une agriculture urbaine. On peut penser à de la culture d’agrément alors ou alors il faut au moins l’envisager hors sol. Nous avons des programmes de logements ou certains architectes intègrent des zones d’agriculture à destination des habitants en toiture ou en partie commune. Cependant, pour l’instant, nous n’avons pas de grands terrains destinés à cela. »

Voyez-vous le CPCU, ce bâtiment industriel qui se trouve à la confluence de la Marne et de la Seine, auriez-vous pu envisager de réhabiliter ce bâtiment pour en faire une ferme urbaine ? « Cela peut être une idée. Pour l’instant ce bâtiment est encore utilisé pour l’activité de chauffage. Il pourrait être démantelé aux alentours de 2025. Tout a été envisagé comme un équipement public. En tous cas cela peut faire partie des axes de réflexion. Cependant, dans le contexte économique de la ZAC, on préféra sûrement aménager, sur un ancien site industriel avec un fort potentiel foncier, du logement ou des bureaux. Alors, pourquoi garder cette logique d’espace agricole, mais dans ce cas là, mixer les deux. Mais je pense qu’aujourd’hui, il serait difficile de convaincre une municipalité de créer uniquement un projet qui produirait des denrées alimentaires, même si cela est intéressant, au profit de logements, tout simplement pour des questions économiques ».

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ANNEXE3 Entretient avec M. Nicolas BRULARD Salarié au Conseil International Biodiversité et Immobilier, et travaille sur toutes les thématiques autour de l’agriculture urbaine Extraits de l’entretien effectué par téléphone Date : 15 décembre 2019 Premièrement, pour vous, quel est l’intérêt majeur de produire au coeur des villes ? « Je pense qu’un des intérêts est celui de rapprocher le consommateur, du producteur, mais également de diminuer l’impact carbone en créant du circuit court et d’apporter des usages aux végétales en ville et créer un cycle ou l’eau de pluie serait réutiliser, etc. »

Un des projets qui m’a interpellé est celui sur la commune de St-Cyr-l’Ecole ou vous avez réinvesti un ancien terrain industriel en ferme urbaine. Comment avez-vous fait pour introduire un usage à vocation agricole ? Avez-vous eu des contraintes ? « Il y a eu beaucoup de contraintes, mais en partant sur ce genre de site, on a conscience de l’enjeu derrière. L’idée c’est d’arriver à trouver les bonnes synergies entre les différents acteurs et secteurs d’activités, créer des partenariats localement pour créer de l’économie circulaire et pour créer de l’activité la ou il n’y avait pas de modèle économique à premier vu. »

Vous créer de l’agriculture urbaine sur ce terrain-là, mais n’avez-vous pas rencontré des problèmes liés à la pollution que pouvait engendre ce type de site ? « L’avantage dans notre système ce que nous faisons exclusivement de la culture hors-sol. L’infertilité de sol et l’ancienne pollution nous ont décidés à installer des cultures hors-sol afin d’éviter tout problème sanitaire. Nous sommes à la fois agriculteurs et bureaux d’études, nous avons la chance d’avoir cette double casquette ce qui nous permet de mettre en place l’agriculture hors-sol que l’on veut. »

Est-ce qu’on n’a pas essayé de faire obstacle au projet, en préférant réaménager ce terrain pour du logement plutôt que pour de l’agriculture urbaine par exemple ? « Ce terrain n’est pas situé en ville, mais en périurbain et de plus il est en zone inconstructible, donc cela rend les choses beaucoup plus simples »

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ANNEXE4 Extrait du Plan Local d’Urbanisme de la ville d’Ivry-su-Seine - L’Opération d’intérêt national Orly-Rungis-Seine-Amont (OIN ORSA) : Créer en 2007 et regroupe 12 communes. Monsieur Cornille nous explique que certains sites sont classés ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement) et comme Ivry fait partie de cette opération alors c'est l'État et non la commune qui délivre les autorisations d'occupation des sols et en particulier les permis de construire. De même, c'est le préfet et non la commune qui décide de la création d'une zone d'aménagement concerté (ZAC) à l'intérieur d'une OIN. Lors de l’instruction des permis de construire, c’est donc l’état qui vérifie la compatibilité avec l’usage proposé. d’après le PLU, cette opération a pour objectif « d’accroître la visibilité de ce territoire stratégique pour l’Île-de-France, et impulser sa redynamisation économique et urbaine en liant le développement et la promotion sociale des habitants tout en profitant des opportunités foncières exceptionnelles disponibles sur le territoire (délaissés urbains, zones industrielles et friches industrielles et ferroviaires ...) » tel est l’objectif de la ZAC Ivry Confluences. - Le projet du Grand Paris Express : Le Grand Paris est un projet urbain, social et économique d'intérêt national qui unit les grands territoires stratégiques de la région d'Île-de- France, au premier rang desquels Paris et le cœur de l'agglomération parisienne prônent le développement économique durable, solidaire et créateur d'emplois de la région capitale.
 - Le Schéma Directeur de la Région Île-de-France (SDRIF) a pour objet la définition d’une vision globale et à long terme de l’aménagement du territoire francilien (figure16). Le PADD (Le Projet d'Aménagement et de Développement Durables) du projet de SDRIF, intitulé « Défis, projet spatial régional et objectif » classe comme territoire d’intérêt métropolitain le secteur Grand Orly, Seine-Amont et Plaine centrale du Val-de-Marne. D’après le PLU, les principaux objectifs pour ce territoire sont « de concilier renouvellement urbain, développement des secteurs innovants et maintien d’un tissu industriel et productif, améliorer la qualité de vie à travers la valorisation de la Seine et le maintien des espaces ouverts, etc. » Positionnement dans le projet de SDRIF de 2013 Positionnement dans le projet de SDRIF de 2013

IF 2008

IF 2008

92 Ville d’Ivry-sur-Seine - Citadia Conseil / Even Conseil - - Diagnostic

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Ville d’Ivry-sur-Seine - Citadia Conseil / Even Conseil - PLU approuvé - PADD

21

Ville d’Ivry-sur-Seine - Citadia Conseil / Even Conseil - PLU approuvé - PADD

14

93


GP 94


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