Athlétisme

La fantastique histoire des dieux du stade

La fantastique histoire des dieux du stade

La fantastique histoire des dieux du stade

Jean-Christophe Collin est grand reporter à L’Équipe et à L’Équipe magazine depuis 1997. À ce titre, il a parcouru la planète au rythme des pas des plus grands athlètes contemporains. Sur leurs terres, mais également lors des Championnats du monde et des Jeux olympiques. C’est fort de cette expérience qu’il nous raconte dans cet ouvrage, des petits et de grands moments de l’athlétisme. Des histoires de technique ou des récits au plus près de ce que sont ces immenses champions.

Ce livre est donc une balade au cœur de leurs exploits, mais aussi de leur intimité.

Hier et aujourd’hui. De l’affrontement entre Paavo Nurmi et Joseph Guillemot, jusqu’au seuil de la maison d’Usain Bolt à Trelawny, dans sa Jamaïque natale, en passant par la colline d’Entoto qui surplombe Addis-Abeba, lieu sacré des coureurs d’Abyssinie, jusqu’à la légende de Steve Prefontaine et l’affrontement Est-Ouest du temps de la guerre froide au gré des compétitions de saut en hauteur.

Une plongée de l’autre côté du miroir de ce sport unique et universel.

978-2-36602-566-8 39€

La fantastique histoire des dieux du stade

ATHLÉTISME La fantastique histoire des dieux du stade

La fantastique histoire des dieux du stade

ATHLÉTISME

COLLIN

ATHLéTISME

JEUX OLYMPIQUES (Photo de couverture) Usain Bolt aprés la finale victorieuse du 100 m à Beijing – 2008. Pressesport (Ci-contre) Colette Besson vient de gagner le titre olympique du 400 m à Mexico – 1968. Pressesport

ATHLéTISME JEAN-CHRISTOPHE COLLIN

Jean-Christophe

La fantastique histoire des dieux du stade

SOMMAIRE

Introduction

Au commencement était l’athlétisme

Page 7

Chapitre 001

Neuf centièmes pour une amitié

Page 10

Chapitre 002

Éternel javelot

Page 30

Chapitre 003

La voie des femmes

Page 38

Chapitre 004

Saut en hauteur, la guerre des styles

Page 80

Chapitre 005

Jazy, tendre ne fut pas la nuit

Page 112

Chapitre 006

Pérec, Arron et le coach

Page 124

Chapitre 007

Les passagers de l’orage

Page 144

Chapitre 008

Destins brisés

Page 166

Chapitre 009

Et Usain Bolt changea le monde…

Page 200

Chapitre 010

Une certaine idée du duel

Page 222

Chapitre 011

Bubka, le vent, l’histoire

Page 260

Chapitre 012

Les lieux sacrés de l’athlétisme

Page 278

Conclusion

Pour ce que valent les hommes

Page 302

JEUX OLYMPIQUES DE ROME Le marathonien Abebe Bikila – 1960.

Pressesports

(Page de droite) CHAMPIONNATS DU MONDE DE BEIJING Le Kényan Julius Yego remporte le concours de Javelot – 2015. Pressesports (Ci-dessous) PARIS Matti Järvinen explique sa technique du lancer aux jeunes athlètes de l’Institut national du sport – 1949. Insep iconothèque

Bien entendu, l’épreuve du javelot constitue le moment le plus attendu de ces Jeux par le public finlandais. 70 000 d’entre eux se pressent au stade olympique pour assister au triomphe de leurs champions. Hélas, c’est un jour noir pour la Finlande. Deux athlètes américains, Cyrus Young et William Miller, corpulents mais piètres techniciens l’emportent devant les Finlandais. C’est l’humiliation. Mais le pire est à venir. L’un des concurrents américains qui n’a terminé que neuvième, va pourtant porter un rude coup à la domination finlandaise. Non pas en raison de sa technique ni de sa constitution physique, qui sont l’une et l’autre très moyennes chez ce lanceur, mais grâce à son javelot. Cet étudiant en théologie du nom de Bud Held – il s’apprête à devenir pasteur – cherche, conformément à la réglementation non pas à changer la nature du javelot mais à en modifier la structure.

Le but est d’en améliorer la portance. Held va utiliser un javelot en bois creux et reculer le centre de gravité en raccourcissant sa pointe métallique. Ainsi, il vole davantage que les autres et pique moins à l’atterrissage. C’est fort de ce travail sur la structure de l’engin qu’il devient le premier homme à lancer à plus de 80 m, le 8 août 1953, à Pasadena. Lorsque la nouvelle parvient à Helsinki, à Tampere, à Lahti, dans les forêts enneigées, dans les fjords gelés, c’est la consternation. Le pays attendait tant ce moment où l’un de ses enfants dépasserait cette frontière symbolique.

Les Finlandais retrouveront le chemin de la victoire avec Pauli Nevala, champion olympique aux Jeux de Tokyo en 1964. Mais désormais, c’est le monde entier qui va s’approprier le lancer du javelot, l’Europe de l’Est, les Américains mais aussi les Japonais et désormais le Kenya, juste retour aux origines. Juste retour à l’universalité. Puisqu’il s’agit d’un geste originel, celui qui a permis à l’homme de devenir ce qu’il est. ●

36

CHAPITRE

LA VOIE DES FEMMES

003

(Ci-dessous) JEUX OLYMPIQUES DE LONDRES Podium du lancer du disque : La Marseillaise retentit pour Micheline Ostermeyer et Jacqueline Mazeas. L’Italienne Edera Cordiale (à gauche) est médaille d’argent - 1948. Rue des archives

Les athlètes américains reçoivent des rations via le pont aérien pour les troupes stationnées en Europe. Les Argentins sont venus avec leur viande, les Italiens ont apporté des pâtes. Les Français, moins bien organisés, ont vu leur lot de 1 700 kg de viande avariée par le trajet et la chaleur qui règne sur l’Angleterre cet été-là. Micheline Ostermeyer ne fait pas grand cas de ces problèmes de logistique. Elle est toute à sa joie d’être aux Jeux.

Le stade de Wembley où elle doit concourir accueillait des courses de lévriers jusqu’à la veille de la compétition. Les Anglais organisent les Jeux mais pour autant n’entendent pas renoncer à l’essentiel. Qu’importe, les stades sont pleins, les Londoniens, après tous ces mois sous les bombes aspirent à une autre vie et le sport est porteur de cette nouvelle espérance d’un monde meilleur. D’ailleurs, sur un immense panneau qui domine le stade de Wembley, on peut lire la devise de Coubertin en anglais : “The important thing in olympic games is not winning but taking part.

The essential thing in life is not conquering but fighting well.”(1) Ce sera la première grande épreuve internationale retransmise à la télévision, pour le peu de postes qui existent. Comme après la Première Guerre mondiale, le conflit a transformé la société dans son ensemble et il a forcément modifié le rôle des femmes qui ont pris en charge de nombreuses choses en l’absence des hommes. Nombre d’entre elles se sont illustrées durant la Résistance, et elles ont montré autant, sinon davantage de courage que lces derniers. Désormais rien ne sera plus comme avant en ce qui les concerne.

Le regard que la société a sur elles a changé et la vision qu’elles avaient d’elles-mêmes également. Une ordonnance du 21 avril 1944 prise par le gouvernement provisoire du général de Gaulle, à Alger stipule que : « Les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes. » Il était temps, l’Albanie avait déjà accordé le droit de vote aux femmes en 1920 et la Mongolie, en 1924.

LE REGARD DE LA SOCIÉTÉ SUR LES FEMMES A CHANGÉ ET LA VISION QU’ELLES AVAIENT D’ELLESMÊMES ÉGALEMENT.

Les Jeux de Londres vont marquer de manière symbolique cette avancée déterminante des femmes dans la représentation sociale. Ainsi, les grandes stars de ces Jeux seront des femmes.

Tout particulièrement l’athlète néerlandaise Francina Blankers-Koen, une mère de famille de 30 ans qui remporte quatre médailles d’or (100 m, 200 m, 80 m haies et relais 4 x 100 m).

Toutefois le machisme fait encore bonne garde. Ainsi Francina aurait pu ajouter des médailles en sauts (longueur et hauteur) si le règlement n’empêchait pas les femmes de prendre part à plus de trois épreuves individuelles. La Française Micheline Ostermeyer sera l’autre grand personnage de ces épreuves olympiques. Elle est alors inconnue du grand public. Car c’est avant tout une musicienne ; une très grande musicienne.

(1) « L’important dans la vie ce n’est pas le triomphe, mais le combat, l’essentiel ce n’est pas d’avoir vaincu mais de s’être bien battu »

(Ci-dessus et à gauche) Carte d’identité, écusson, épinglette et badge des Jeux olympiques de 1948.

Pressesports , Musée du basket, Collections Musée National du Sport, France

43

CHAPITRE

LA VOIE DES FEMMES

003

(Page de gauche) JEUX OLYMPIQUES DE MEXICO Incrédule, Colette Besson regarde le public - 1968.

Pressesports (Ci-dessous) Chaussures et maillot de Colette Besson - 1968. Collections Musée National du Sport, France

C’était un mercredi 16 octobre. Il était 17 h 20 au Mexique. Colette était dans le couloir 5. Le matin, il n’y a pas eu un article sur elle dans L’Équipe, tout juste a-t-on signalé sa présence en finale.

Lorsque Colette Besson prend position dans les starting-blocks de la piste du stade olympique pour cette finale du 400 m, elle n’est personne, juste une jeune athlète prometteuse, rien de plus.

Il est rare de changer d’existence en moins d’une minute. Elle n’a pas très bien dormi, l’angoisse inévitable du rendez-vous avec le destin. Pour se détendre, sur le stade d’échauffement, elle a joué au rami avec de Saint-Omer.

Les entraîneurs et les athlètes des clubs universitaires ne seront jamais vraiment comme les autres.

(Ci-contre) PODIUM OLYMPIQUE Les athlètes Colette Besson - Lillian Board (GB) et Natalia Pechenkina (URSS) - 1968. Coll. La Galcante

59

(En haut et ci-contre) 5 000 m, JEUX OLYMPIQUES DE PÉKIN. Tirunesh Dibaba (dossard no 1659) mène le train devant Meseret Defar (no 1665) - 2008. Pressesports

CHAPITRE

003

(Ci-contre) 5 000 m, JEUX OLYMPIQUES DE LONDRES Tirunesh Dibaba toujours à la lutte avec Meseret Defar. (En bas) Elles se congratulent devant les Kényanes dépitées - 2012. Pressesports

114

JAZY, TENDRE NE FUT PAS LA NUIT

CHAPITRE

005

Il demeure l’un des plus grands champions de l’athlétisme français et pourtant Michel Jazy ne fut jamais champion olympique.

Il avait tant plu cette nuit-là.

T

oute la France l’attend. Il le sait. Depuis des mois, il reçoit 80 lettres par jour. Il les gardera toutes. Et ce sommeil qui ne vient pas à cause de cette pluie violente qui cogne à la fenêtre. Demain, il a rendez-vous avec son histoire, demain Michel Jazy va être champion olympique. Il ne peut en être autrement, le général de Gaulle, Brigitte Bardot, tout un pays en est convaincu. Le Français est le meilleur coureur de demi-fond du moment.

Peter Snell, qui a assisté à l’un de ses entraînements ici à Tokyo, a fait savoir à ses coéquipiers que si Jazy venait à courir le 1 500 m, il ne s’alignerait pas sur cette course. Jazy entendait faire le doublé 1 500 m et 5 000 m, mais un changement de calendrier dans cette édition 1964 des Jeux olympiques l’en a empêché. Il a donc choisi le 5 000 m.

L’année passée, il a reçu ce coup de pointe à l’entraînement et un médecin, qui a reconnu le champion, n’a pas voulu l’opérer. Il avait trop peur de ruiner les espoirs de tout un peuple en fragilisant le tendon blessé. Mais Michel Jazy a bien récupéré. Non, c’est cette fichue pluie qui n’en finit plus de tomber. Il n’a jamais aimé la pluie, elle alourdit les pistes cendrées et perturbe sa foulée aérienne. Il tourne et se retourne dans son lit. Repense à ce long chemin qui l’a mené jusqu’au Japon, à cette enfance dans le Nord qui ne le prédestinait pas à porter l’espoir de toute cette nation aux Jeux olympiques.

(Page de droite et ci-contre) L’athlète français Michel Jazy porte les espoirs de tout un peuple – 1964. Pressesports et Collections Musée National du Sport, France

Nous avions convié Michel Jazy à L’Équipe avec Olivier Margot, à l’occasion d’un numéro spécial de L’Équipe Magazine en 2014 sur le sport français des années 1950-1960. Il était arrivé de bonne heure, en forme, l’œil vif et l’esprit espiègle. On voulait qu’il nous raconte cette rude jeunesse à l’ombre des terrils, lors de la vague d’immigration polonaise. Nous avons passé de longues heures à dénouer les fils de ce passé.

Michel Jazy est un fils d’immigré polonais qui a décidé à 18 ans de prendre la nationalité française. Il a d’ailleurs connu les pires difficultés lorsqu’il lui a fallu, un jour, à la retraite, refaire son passeport. « La dame à l’administration me demande mon carnet militaire français, mon papier de naturalisation. Je lui dis : “Madame, j’ai battu des records du monde pour la France, j’ai représenté la France aux Jeux olympiques, j’ai porté le maillot de l’équipe de France partout dans le monde et vous me demandez de prouver que je suis français ?

Quand je battais des records du monde, on ne me demandait pas, à ce moment-là, mes papiers pour savoir si j’étais bien français !” Mes parents, eux n’ont jamais eu la nationalité française bien qu’ils soient arrivés en France à l’âge de trois ans. » Comme ils travaillent tous les deux, c’est sa grand-mère qui l’a élevé toute sa jeunesse. « Jusqu’à 14 ans je n’ai jamais entendu un mot de français à la maison. On ne parlait que polonais, on jouait aux cartes en polonais.

On vivait au milieu d’une communauté de Polonais. Quand l’instituteur passait dans la rue, on se demandait qui était cet étranger, qu’est-ce qu’il faisait là ! » La nuit de Tokyo est d’encre et silencieuse. Le bruit de l’averse résonne sur le toit. Et le souvenir de cet instituteur qui ne l’aimait pas. « Parce que je n’apprenais pas mes leçons ! dit-il. Mais en fait, c’était ma grand-mère qui m’obligeait le soir à jouer aux cartes au lieu de faire mes devoirs.

Mon repas, c’était un grand bol de café au lait, une tartine avec du saindoux et après, on jouait aux cartes. Je n’ai jamais fait un repas normal. Mais c’était une belle vie. »

IL N’A JAMAIS AIMÉ LA PLUIE, ELLE ALOURDIT LES PISTES CENDRÉES ET PERTURBE SA FOULÉE AÉRIENNE.

Durant ces heures d’insomnie, il repense à tout cela. À ce père qu’il a si peu connu, à cette grand-mère qu’il l’a élevé. « Mon père est mort à 43 ans silicosé à 100 %. Et mon grand-père à 56 ans. On habitait dans un coron, dans un petit appartement. En bas, cuisine, salle à manger, à côté la chambre, à l’étage deux chambres. Ma grand-mère pour subvenir à nos besoins louait à deux pensionnaires allemands qui allaient travailler à la mine. Ils ont vécu là dix ans.

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(Ci-contre et page de droite) JEUX OLYMPIQUES DE LOS ANGELES Pierre Quinon s’arrache du sol et passe la barre pour devenir champion olympique, grâce à son premier essai – 1984. Pressesports

(Ci-contre) JEUX OLYMPIQUES DE MEXICO Oui Colette ! Tu peux être heureuse, tu es championne Olympique - 1968. Pressesports

CHAPITRE

009

Le grand Jamaïcain a modifié les codes qui régentaient le sprint depuis plus d’un siècle. Histoire d’une révolution.

U

JEUX OLYMPIQUES DE LONDRES (Ci-dessous) Usain Bolt, quelques secondes avant le départ du 100 m – 5 août 2012. Pressesports

sain Bolt est une rupture avec l’ordre existant. Il introduit un changement de paradigme dans le sprint comme Einstein dans l’appréhension de l’espace-temps ou Kandinsky et Malevitch dans celle de l’abstraction. Dick Fosbury a lui aussi bouleversé les repères sur lesquels reposait le saut en hauteur, mais il a réalisé ce bouleversement conceptuel par l’invention d’une nouvelle technique. Usain Bolt, lui, change les données fondamentales communément admises du sprint, simplement par ce qu’il est Usain Bolt, 1,96 m, 94 kg, né le 21 août 1986 à Sherwood Content, sur l’île de la Jamaïque. C’est-à-dire qu’il va accomplir une prouesse biomécanique que l’on pensait irréalisable jusque-là et en même temps, il va faire voler en éclat la manière même de vivre un 100 m. Après Usain Bolt, on n’abordera plus jamais le sprint comme avant. Et cela a tellement frappé les imaginations que ce changement d’attitude s’étend au-delà de l’athlétisme. C’est en cela qu’il est un champion à nul autre pareil, parce qu’il a provoqué une double révolution dans la discipline la plus populaire de l’athlétisme, celle que tout un chacun sur cette terre a déjà pratiquée. Courir vite.

Le geste originel, salvateur de l’humanité. Celui de la fuite pour échapper au prédateur.

Usain Bolt est le premier homme. Il paraît aux yeux du monde au début de l’été 2008, lorsqu’il bat pour la première fois le record du monde du 100 m. Qu’un athlète établisse un record du monde alors que nul ne le connaît vraiment est une chose très rare. D’autant plus dans la discipline du sprint – c’est une performance qui, généralement, exige une certaine maturité.

Eh bien lui a battu le record du monde du 100 m à New York alors qu’il n’avait disputé jusque-là que quatre épreuves de 100 m dans sa vie ! C’est totalement inouï. On peut rapprocher cette performance de celle du rugbyman Jonah Lomu qui intègre les All Blacks en 1994 au poste d’ailier alors qu’il n’a joué que trois fois à ce poste auparavant.

JEUX OLYMPIQUES DE LONDRES (Page de droite) Usain Bolt mime le set d'un DJ avant la finale du 100 m olympique - 5 août 2012.

Pressesports

Il bat ce premier record le 31 mai 2008. Ses adversaires sont ahuris, ils se demandent comment il est possible de débarquer ainsi sur une discipline, et en quelques courses, dépasser les performances inscrites sur les tablettes de champions tels que Carl Lewis, Maurice Greene ou Asafa Powell qui détenait le record en 9�74, établi le 9 septembre 2007 à Rieti. Le phénomène n’a pas encore enflammé la planète. Ce sera l’histoire de quelques semaines, le temps d’arriver aux Jeux olympiques. Ils débutent à Beijing le 8 août 2008 par une cérémonie d’ouverture complètement incroyable, au sein du fameux stade en forme de nid construit par le cabinet d’architecture suisse Herzog & de Meuron. Cette enceinte participera à la magie des exploits de Bolt. À ce moment-là, celui-ci n’est pas encore accablé par le poids qui pèse sur ses épaules en tant que favori des épreuves de sprint. Il vit comme bon lui semble au village olympique, parmi les autres sportifs. Simple et naturel. D’ordinaire, les grands champions de sprint ont une assez haute opinion d’eux-mêmes et se mêlent rarement au commun des mortels. Carl Lewis, Linford Christie, Donovan Bailey ou Maurice Greene, tous affichaient du temps de leur grandeur une certaine condescendance vis-à-vis des autres athlètes. À l’approche du stade, à l’échauffement et avant l’épreuve, ils faisaient même preuve d’une véritable morgue à l’encontre de leurs adversaires. Jusque-là, lorsque tous les sprinteurs se retrouvaient dans la chambre d’appel, il régnait dans ce huis clos une tension extrême. Une forme de guerre psychologique se jouait entre les protagonistes, au terme de laquelle l’on ne gagnait pas la course mais où l’on pouvait la perdre. Certains essayaient de déstabiliser les coureurs avec des regards appuyés, des attitudes hostiles. Un 100 m, c’était une forme de combat de boxe. Jusqu’à Usain Bolt. Il va revisiter complètement cette approche de la course. Il rendra caduques les anciens préceptes.

IL VA REVISITER COMPLÈTEMENT CETTE APPROCHE DE LA COURSE.

202

CHAPITRE

010

Il arrive parfois que dans une discipline l’adversité se concentre entre deux personnes, que la compétition se réduise à leur seul affrontement. Comme si autour plus rien n’existait, exceptée cette unique volonté de battre cet autre soi-même.

Joseph Guillemot et Paavo Nurmi, un déjeuner qui ne passe pas

LA FINLANDE EST EN QUÊTE DE HÉROS.

Les Jeux olympiques initialement prévus à Berlin en 1916 ont été annulés en raison de la Première Guerre mondiale. La Belgique a beaucoup souffert lors de ce conflit, c’est pourquoi le Comité olympique a décidé que les Jeux olympiques de 1920 se dérouleront à Anvers, où sera hissé pour la première fois le drapeau olympique depuis les derniers Jeux en 1912, à Stockholm. Le 6 décembre 1917, la Finlande s’émancipe de la Russie. Elle profite à la fois des désordres occasionnés par la guerre de 1914-1918 et de la Révolution russe d’Octobre 1917 pour proclamer son indépendance. Ce jeune État est en quête de héros susceptibles d’incarner la nation et de la faire reconnaître sur le plan international. Ces Jeux olympiques où quelque 29 pays sont représentés constituent ainsi une formidable occasion d’exister aux yeux du monde. La délégation finlandaise place tous ses espoirs en un jeune coureur de 23 ans, venu de la ville de Turku où ses parents étaient de petits agriculteurs. En tant qu’aîné de cinq enfants, Paavo Nurmi a dû quitter l’école pour aller travailler à l’usine, afin de faire vivre ses frères, à la mort de son père. Il a aussi dû arrêter la course à pied qu’il avait découverte lors d’une kermesse à l’école. Mais les exploits de son compatriote Hannes Kolehmainen continuent de le faire rêver. Kolehmainen avait remporté le titre olympique du 10 000 m et celui du 5 000 m, au terme d’une course historique devant le Français Jean Bouin, aux Jeux de Stockholm de 1912. La Finlande, lors de ces Jeux, se trouvait encore sous le joug russe. Kolehmainen était également issu d’une famille de cinq enfants. Là aussi, le père de famille est mort prématurément et c’est leur mère, lavandière, qui a élevé seule ses enfants.

Les exploits de cet aîné, avec qui il a tant de points communs, donnent envie au jeune Nurmi de reprendre la course à pied. Il se lance alors dans un mode d’entraînement complètement révolutionnaire, dont les bases prévalent encore aujourd’hui. Nurmi est en vérité le père de la course de fond moderne. Il s’impose plusieurs sorties par jour durant lesquelles il travaille en fractionné. Il pratique ce qu’on appellera le fartlek – des parcours en pleine nature.

Il adopte un régime végétarien. Lors de son passage à l’armée, ses résultats lui permettent de bénéficier d’horaires aménagés, grâce auxquels il progresse considérablement. C’est ainsi que peu avant les Jeux d’Anvers, il établit son premier record de Finlande, 8’ 36’ 2, sur 3 000 m.

Joseph Guillemot est lui aussi d’une modeste famille d’agriculteurs limousins. Il a traversé par miracle la Première Guerre mondiale au sein du 16e bataillon de Chasseurs à pied. Il a participé à toutes les grandes campagnes du conflit, la bataille de la Somme, Verdun, les Ardennes. Il est vivant, mais il n’a pu échapper aux attaques du gaz moutarde qui lui ont rongé un poumon.

C’est dans des courses militaires qu’il se fait remarquer et qu’il se retrouve ainsi sélectionné pour les Jeux d’Anvers de 1920.

(Ci-dessus et page de droite) JEUX OLYMPIQUES D’ANVERS Le Finlandais Paavo Nurmi et Joseph Guillemot - 1920. Pressesports

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Les deux hommes s’alignent au départ du 5 000 m. Guillemot n’a rien changé à ses habitudes, il a déjeuné d’un steak, arrosé d’un quart de vin rouge. En termes de nutrition, Nurmi est en avance sur son temps et sur Guillemot. La performance de ce dernier n’en sera que plus remarquable.

Entoto, la montagne sacrée C’est à peine l’aurore. Des femmes couvertes d’un épais voile de lin affluent comme des nuées blanches à l’église orthodoxe Sainte-Marie. Elles ont marché des heures jusqu’à cette frêle bâtisse posée sur les hauteurs d’Entoto, montagne sacrée qui surplombe Addis-Abeba, à quelque 3 200 m d’altitude. Souvent, Meseret Defar, championne olympique du 5 000 m en 2004, se rend dans ce lieu de culte aux premières lueurs du jour pour faire une prière silencieuse. Puis elle ressort sur la pointe des pieds et gagne les chemins qui s’enfoncent un peu plus loin, dans la forêt d’eucalyptus.

(Ci-dessus) SANCTUAIRE D’ENTOTO Entrée de l’église orthodoxe Sainte-Marie – 2011.

Pressesports

286

Chaque dimanche, Meseret grimpe sur cette montagne avec deux « sparring-partners », qui vont l’accompagner et la mettre à l’épreuve lors de ce « morning run » son entraînement du matin. C’est un rite accompli par tous les coureurs d’Éthiopie. « Si un athlète ne vient pas au moins une fois par semaine s’entraîner en haut d’Entoto, alors nous ne le considérons pas comme un vrai coureur, explique le roi du fond, Hailé Gébrésélassié. Entoto est l’endroit absolu, le lieu majeur de nos entraînements, celui sans lequel nous ne serions pas ce que nous sommes. » Meseret effectue quelques étirements, regarde le soleil qui pointe vers la vallée de l’Awash, là où, le 30 novembre 1974, a été découverte Lucy, Australopithecus afarensis, premier hominidé à s’être mis debout. Puis à courir. C’est ainsi sur cette terre sèche et rude que l’homme a réalisé ses premières foulées. Dans l’aube naissante, Meseret s’élance pour 30 km de course infernale à travers ce haut plateau. « Depuis toujours, nos coureurs vont s’entraîner à Entoto, explique Yilma Berta, directeur technique national de l’athlétisme éthiopien. Abebe Bikila y a préparé sa première victoire olympique au marathon de Rome, en 1960, et aujourd’hui nous continuons. »

CHAPITRE

LES LIEUX SACRÉS DE L’ATHLÉTISME

Il convient de traverser Addis et ses mille échoppes chancelantes, de se frayer un chemin parmi les vendeurs de petits riens et de pointer vers le nord de la ville. Commence alors l’ascension. La route s’élève de manière assez abrupte. Et c’est là, au détour d’un virage, que l’on croise l’une de ces silhouettes hiératiques qui gravissent chaque jour la montagne, des femmes de 15 à 65 ans qui vont chercher l’eucalyptus et le redescendent sous forme de fagots de plus 40 kg pour les vendre à Addis comme bois de chauffe. « C’est dans la tradition éthiopienne que les femmes ramassent le bois, raconte le docteur Atsede Degu, responsable d’une association qui vient en aide à ces pauvres hères. Elles parcourent 30 km de 3 200 m à 2 400 m avec ce poids sur le dos pour vendre leur chargement entre 5 et 10 birrs, soit le prix d’une bouteille de Coca-Cola. » « Parfois, les larmes me viennent quand je les double en allant à l’entraînement, explique Tirunesh Dibaba, triple championne olympique et quintuple championne du monde sur 5 000 m et 10 000 m. Il m’arrive de m’arrêter… » Comme Meseret Defar, qui croise chaque dimanche ces femmes de douleur. Elles lui rappellent d’où elle vient.

Meseret garde ancré dans sa chair le souvenir du poids de l’eucalyptus pesant sur ses épaules.

Car elle aussi allait naguère chercher ce bois de souffrance pour gagner quelques birrs.

Lorsqu’elle parvient au sommet de la montagne, qu’elle gare sa voiture à l’orée des premiers arbres, elle sait pourquoi elle est ici. « Au plus dur de l’entraînement, j’ai conscience que cela ne sera jamais aussi douloureux que ce que j’ai connu, et surtout que ce que vivent ces femmes. » Alors, elle s’en va, le cœur intrépide, vers ce qui est le plus difficile de tous les entraînements du monde…

Mehdi Labzae, chercheur français un moment en poste à Addis-Abeba et par ailleurs bon coureur régional, en a fait la sévère expérience. « Le jour où j’ai atterri à Addis-Abeba, j’ai demandé où était Entoto. Pour moi, c’était un mythe, un rêve de courir en ce lieu. Le lendemain, en tenue, je suis monté. Mais, là, impossible de courir, j’avais le souffle coupé.

L’horreur. Il m’a fallu plusieurs semaines pour pouvoir y faire un footing… » Entoto est impitoyable avec les organismes. Elle ne s’offre pas au premier coureur venu. Elle se mérite, se conquiert. Au courage. « La première fois que je m’y suis entraînée, ça a été terrible, raconte Meseret Defar. Pourtant, elle faisait partie de ma vie : j’ai grandi à Addis, je la voyais depuis toujours. Elle domine la ville… J’avais 16 ans et j’avais rejoint l’équipe nationale. On est partis du stade national à 5 heures du matin avec le bus de la fédération et on est montés à Entoto. Ce jour-là, je n’ai pas pu courir plus de vingt minutes. J’ai presque voulu arrêter l’athlétisme. En fait, j’ai longtemps détesté cette montagne. » Tous les athlètes d’Éthiopie ont ce rapport d’amourhaine avec Entoto. Car nul ne parvient jamais à la dominer. Pas même la foulée légère de Tirunesh Dibaba. « La veille d’un entraînement là-bas, assure-t-elle, j’ai toujours la boule au ventre. Car je sais que cela va être dur, très dur. »

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JEUX OLYMPIQUES D’ATHÈNES Meseret Defar (future médaille d’or) pendant la finale du 5 000 m – 2004. Pressesports

TOUS LES ATHLÈTES D’ÉTHIOPIE ONT CE RAPPORT D’AMOURHAINE AVEC ENTOTO.

Le sommet d’Entoto est en fait un long plateau vallonné couvert d’une forêt d’eucalyptus. Les athlètes disposent ainsi d’un immense territoire à très haute altitude : des montées et des descentes qui brisent les jambes. Même celles des plus grands coureurs de l’histoire, comme Hailé Gébrésélassié. « On ne s’habitue jamais à Entoto, même après toutes ces années, raconte Hailé. On ne s’habitue ni à sa difficulté ni à sa beauté. J’y ai emmené les Premiers ministres espagnol et danois. Le ministre finlandais des Affaires étrangères, aussi. Chacun d’eux a été saisi par ce lieu. »

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