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ISABELLE SCHYNS
Pour ma mère, avec tout mon amour
Chapitre 1
L’Ombre de la nuit
Emma d’Aléas fixait le plafond. Il était presque minuit, mais elle n’avait pas sommeil. Elle n’avait jamais sommeil dans ce cachot lugubre. Elle avait pourtant son lit confortable et les meubles de sa propre chambre envoyés par le duc Philippe d’Orléans pour soulager sa détention.
« Comme si un matelas de plumes, un fauteuil, une table, des tableaux et un miroir pouvaient me faire oublier que je suis enfermée à la Bastille, songea amèrement Emma en se levant d’un bond. Que j’ai tout perdu, et surtout ma liberté, par la faute même de ce duc d’Orléans qui prétend agir dans mon intérêt. Comment oublier qu’à cause de lui, je suis réduite à la plus noire des misères ? »
Ses yeux s’étaient habitués à la pénombre qui régnait dans son cachot même en plein jour. Un rayon de lune filtrant à travers les barreaux d’une étroite lucarne lui suffisait pour voir dans la nuit aussi bien qu’un chat. Elle examina son reflet dans le miroir. Ses cheveux dorés, autrefois toujours bien coiffés, tombaient tristement, crasseux et plats. Sa robe, qu’elle portait le jour de son arrestation des mois plus tôt, était sale et déchirée en plusieurs endroits. Le bleu de ses yeux avait perdu de son éclat. À quinze ans, Emma n’était plus que l’ombre d’elle-même. Elle lança un regard sombre aux meubles et se mit à leur parler comme à des personnes.
Je n’aurais jamais dû vous accepter, fulmina-t-elle. J’ai refusé durant des mois l’aide du duc d’Orléans, et puis dormir sur une paillasse infestée de puces m’a paru soudain si insupportable que j’ai eu la faiblesse de dire oui. Non seulement votre présence ne soulage nullement ma peine mais elle me rappelle sans cesse ce que j’ai perdu. Et toi, le secrétaire que je n’ai jamais vu, ajouta-t-elle à l’adresse d’un joli petit meuble d’écriture, d’Orléans t’a-t-il joint aux autres pour que je lui écrive ? Il peut toujours attendre.
Elle avisa au-dessus de la cheminée le portrait d’un vieil homme au visage maussade, vêtu d’un bel uniforme et portant une longue perruque grise et bouclée.
Mon père, a-t-on idée de mourir subitement quand on est veuf et que l’on n’a qu’une fille pour seule héritière ? demandat-elle au portrait.
Le vieil homme continua de fixer le vide de son regard mauvais dans une totale indifférence. Aucun feu ne brûlait dans