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La tendance de L'Eperon 382 de Septembre - Octobre - Novembre 2019


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L’EDITO
leperon.frde Sylvia Flahaut
ERIC KNOLL
Irréprochables
Les championnats, Jeux Olympiques
ou Jeux équestres mondiaux offrent incontestablement de beaux moments de sport et de l’émotion en barres. Rotterdam n’a pas dérogé à la règle : il n’y avait qu’à observer le menton tremblotant du vainqueur, pourtant habitué des podiums, au moment de son sacre...
Outre les larmes du Suisse, ce championnat a été marqué par un autre fait, moins sportif celui-là : alors qu’il déroulait son parcours dans la première manche de la finale en individuel, Marc Houtzager a vu surgir sur la piste plusieurs défenseurs des droits des animaux – nommons-les ainsi –, des messages explicites à l’encontre du sport équestre peints sur le torse.
Alors, fait anecdotique ou prémices d’un mouvement plus profond ? Certains y verront un acte isolé, l’œuvre sans conséquences de quelques extrémistes, peu connaisseurs de la filière cheval. D’autres se méfieront davantage, inscrivant cette initiative dans un contexte plus global, jalonné d’actions démonstratives. Il ne s’agit pas de juger les positions et sensibilités des uns et des autres, ni même les méthodes, mais plutôt de s’interroger sur les menaces qui pèsent sur notre filière et sur notre sport. Sontelles légitimes ? Faut-il repenser le statut de l’animal dans le cadre de l’activité que l’homme lui a imaginée, construite – de l’utilitaire au sport et au loisir –, année après année ? S’il a semblé pertinent de domestiquer l’animal et de lui offrir soins, gîte et couvert en contrepartie de services rendus, ce point de vue semble être remis en question aujourd’hui et la grande thématique du bien-être animal occupe le devant de la scène. La filière cheval est observée. Il ne s’agit pas de paranoïa, et une chose est sûre : l’heure doit être à l’irréprochabilité.
Si les opinions qui s’opposent peuvent appeler des arguments recevables, cette conduite irréprochable passe avant tout par le respect de l’animal.
Avant de faire de leur monture des poneys ou des chevaux “connectés” avec les derniers produits high-tech, certains devraient en premier lieu se (re)mettre à l’écoute de leur monture, reconsidérer le statut animal du cheval et ses conditions de vie. Finissons-en avec nos habitudes anthropomorphes et ne nous étonnons pas que Clooney, au lendemain de sa victoire, goûte aux joies de l’extérieur dans son paddock ! S’il n’est plus un animal sauvage, l’équidé a des besoins en termes de mouvement, de nutrition ou d’appartenance à un groupe qui ne se sont pas tant éloignés de ceux de ses congénères vivant en liberté. Côté pratique, une bouche de cheval ne se maltraite pas ! Les enrênements s’utilisent bien ajustés, d’abord avec l’œil avisé d’un professionnel. Un cheval de sport s’échauffe progressivement, se détend et a droit à une récupération en bonne et due forme.
Dans cette optique, les encadrants, dirigeants, professionnels de la filière et instances nationales et internationale ont un rôle à jouer et doivent faire preuve d’intransigeance. Enseigner les bons gestes à celui qui débute ou légiférer sur le dopage et l’utilisation des guêtres postérieures à haut niveau participe, chaque élément à son échelle, à l’amélioration constante des habitudes de pratique. Si c’est le propre du véritable homme de cheval que de respecter l’animal, des efforts sont encore à faire, des pistes de concours Club à celles de haut niveau, pour que toute suspicion sur le bienêtre animal dans notre filière ne trouve aucun écho. Cette irréprochabilité en va peut-être de la survie de nos métiers et de notre
passion. n
Septembre - Octobre - Novembre 2019•L’EPERON•3
CHAMPIONNATS D'EUROPE 2019

ERIC KNOLL
La France, nation équestre forte ?
Aux championnats d’Europe de Rotterdam, aucun Bleu n’est monté sur le podium. Les troupes tricolores ont laissé une impression d’ensemble en demi-teinte à leurs nombreux supporters qui, sur les réseaux sociaux, se sont interrogés : « Quand la France a-t-elle perdu son statut de nation équestre forte ? ».
La France a pourtant bel et bien brillé tout l’été sur les
différents championnats d’Europe. En voltige, les Bleus ont remporté pas moins de trois médailles. En endurance, les Tricolores se sont réaffirmés comme une nation leader avec une excellente médaille d’argent, fruit d’un collectif plus soudé que jamais. En attelage, quel plaisir de voir la France enfin sur le podium ! Felix-Marie Brasseur, entraîneur national, s’applique depuis dix ans à rattraper le retard des meneurs français. Étape par étape, le Belge a su inculquer rigueur, technique et esprit d’équipe pour mener ses protégés jusqu’au podium européen, inespéré il y a encore quelques années. Le paradressage non plus n’a pas à rougir de ses performances : sur les trois couples envoyés à Rotterdam, un seul remplissait les critères de sélection annoncés par la Fédération française d’équitation. L’objectif était donc clair : confirmer la progression et prendre de l’expérience. Avec deux couples qualifiés pour l’épreuve libre en musique, dont une cinquième place de Cloé Mislin, et la démonstration d’une force de caractère aussi saisissante qu’émouvante de la part des cavaliers, le clan tricolore est loin d’avoir été ridicule ! En saut d’obstacles non plus, les Bleus n’ont pas démérité. La médaille s’est jouée à une barre…
Avec des couples en construction, ce quatre points de trop est-il vraiment imputable à un niveau en baisse, ou à un manque de réussite à l’instant T, indissociable de la performance ? L’équipe de France de concours complet, qui alignait des couples à l’expérience disparate, n’est pas non plus passée loin de l’exploit mais a dû faire face au forfait d’Alexis Goury pour l’hippique… Finalement, il n’y a guère qu’en reining, discipline dans laquelle la France a défendu ses chances à trois seulement – Margarita
Whiz, la jument de Quentin Gallière, n’a pas passé la visite –, que la France est réellement passée à côté de son championnat. Quant au dressage tricolore, il y a longtemps qu’il ne rêve plus de médaille. La Fédération espérait cette année une qualification olympique, mais les cavaliers n’auront finalement pas rendez-vous à Tokyo. Après l’absence d’un collectif aux Jeux mondiaux 2018, il était pourtant indispensable de présenter une équipe aux Pays-Bas : qui n’essaye pas ne progresse pas ! Charlotte Chalvignac, éliminée pour allures irrégulières de Lights, mise à part, les couples n’ont pas démérité et ont fait ce que le staff fédéral attendait d’eux : reproduire ce qu’ils font à l’année. Et pour la première fois depuis longtemps, les Bleus entrevoient peut-être une progression. En cheffe de file, Morgan Barbançon Mestre a choisi de s’entourer de Dorothee Schneider et mise pour l’avenir sur de nouveaux chevaux, plus brillants et démonstratifs. Bref, elle ne se morfond pas, rassemble son énergie et s’organise pour changer les choses. Regarder le passé pour en tirer des leçons est indispensable, mais se projeter en mettant en place des systèmes permettant l’évolution l’est encore plus. Ce n’est pas l’Irlande, qui qualifie pour la toute première fois une équipe de dressage aux Jeux Olympiques, ou les Belges, performants sur tous les CSI5* de la planète et qui glanaient à Rotterdam leur toute première médaille européenne par équipe, qui diront le contraire ! n Myriam Rousselle
26 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019



JESSICA RODRIGUES ET HIPPO FOTO / SHARON VANDEPUT
HIPPO FOTO / SHARON VANDEPUT
Martin Fuchs et Clooney, enfin !
« Clooney est l’un des meilleurs chevaux au monde. Il mérite sincèrement de recevoir l’or », répétait Martin Fuchs après ses deux deuxièmes places aux JEM de Tryon et en finale Coupe du Monde. Le Suisse a bel et bien pris sa revanche à Rotterdam en décrochant le titre de champion d’Europe. Au terme de la finale, il ne cachait pas ses larmes. Sa victoire, il l’a pleinement savourée aux côtés de sa famille, de son propriétaire Luigi Baleri, de son groom Sean Vard (cidessous) et bien évidemment de son cher Clooney (Cornet Obolensky). n C.M.
Septembre - Octobre - Novembre 2019•L’EPERON• 27
Cette année encore, les championnats de France Poney ont mis en avant la qualité et l’assurance de certains couples, parfois récemment formés. Les chevronnées Ilona Mezzadri, Enora de Vienne et Lisa Gualtieri ont su tirer leur épingle du jeu.
CHAMPIONNATS DE FRANCE PONEY : DES CHAMPIONNES ET DE BELLES HISTOIRES

Gagnante de l'As Élite Excellence et du Petit Grand Prix avec Callas Rezidal Z et Ken Van Orchid, Ilona Mezzadri signe un superbe doublé. Ph. P. Bernuchon
Poneys / Jeunes / Amateurs
Passionnant, vibrant, haletant, les championnats de France de Grand Prix ont encore offert un beau spectacle sportif ! Ilona Mezzadri remettait son titre en jeu et s’est offert le doublé avec sa formidable Callas Rezidal Z (Campione). Enora de Vienne a su créer en quelques mois un couple compétitif avec Swyn Barrade (Ceulan Nathan). La voilà championne de France en dressage pour sa première saison à poney. Lisa Gualtieri, forfait l’an passé, a pris une sacrée revanche et décroche une ultime médaille nationale avec
O Ma Doué Kersidal (Willoway All Gold).
DEUX MÉDAILLES D’OR ET HUIT SANS FAUTE POUR ILONA L’an passé, Ilona Mezzadri s’octroyait le titre de championne de France de la plus difficile catégorie du saut d’obstacles, l’As Élite Excellence et la médaille d’argent de l’As Élite, plus communément appelé le petit Grand Prix. Imaginer un an plus tard rééditer avec Callas Rezidal Z et faire encore mieux avec Ken Van Orchid
(Kanshebber) relevait d’un véritable défi. Le jour
de la finale, l’amazone avait déjà relevé le premier pari : l’or avec Ken, étalon néerlandais de grande qualité, hyper performant. Quatre tours et quatre clear rounds, exempts de barrage pour une victoire menée de main de maître. Dans l’As Excellence, la cavalière de quatorze ans a fait preuve d’un sang-froid déconcertant. Il est vrai que sa jument belge, capable de s’imposer dans les plus grands rendez-vous européens, dispose de qualités intrinsèques exceptionnelles pour le saut, couplées à un mental extraordinaire qui lui permet de se sortir de toutes les situations. Ilona et Callas forment un vrai couple, que soigne Eric Denarnaud, coach d’Ilona et dirigeant des Écuries de la Clémenterie dans les Yvelines. « Callas est très respectueuse, elle a de la force, du courage, c’est une championne ! Elle est restée fraîche et explosive durant tout le championnat. C’est une grande chance de pouvoir la monter », confiait la jeune fille, qui devrait conserver sa monture encore une saison tout en continuant à se préparer, à cheval, pour le circuit Junior. Le couple n’a rien lâché jusqu’au dernier obstacle de ce périple de quatre parcours, creusant l’écart sur Romane Orhant et son crack Quabar des
Monceaux (Nabor SL), sacrés comme en 2018 vice-champions. On attendait ces deux piliers de l’équipe de France aux premiers rôles : ils n’ont pas déçu. Bien au point et partie pour monter sur le podium, la toute jeune Lola Brionne sur le fils de Quabar, Valiant des Charmes, termine à la 4 e place, à un point du médaillé de bronze, Mathis Vallat associé à son inarrêtable
Udix d’Isky (Dexter Leam Pondi), que l’on n’attendait pas en si bonne position.
ENORA DE VIENNE ET SWYN BARRADE : UNE COMPLICITÉ TROUVÉE Sur le rectangle de dressage, un couple a dominé le championnat, s’offrant par la même occasion le Trophée des As, une ultime reprise facultative et en musique. Enora de Vienne et le Welsh Cob Swyn Barrade sont arrivés en Sologne prêts à en découdre. Ces deux-là se sont rencontrés en octobre dernier. L’amazone, qui s'entraîne aux écuries familiales situées à Saint-Benoît-sur-Loire dans le Loiret, sortait sur le circuit Children, catégorie dans laquelle elle a obtenu trois médailles par équipe aux championnats d’Europe. Le costaud bai était
72 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019
Destinés aux étudiants cavaliers, les championnats de France universitaires ont sacré une jeune étudiante en droit, Margaux Tonadre, en catégorie dressage. Une première pour cette Lyonnaise de dix-neuf ans qui a fait preuve d’une belle maîtrise tout au long de la compétition.
CHAMPIONNATS DE FRANCEUNIVERSITAIRES
: MARGAUX EN AVANT,CALME ET DANS LE DROIT !

Poneys / Jeunes / Amateurs
Avec une maman cavalière, Margaux Tonadre a découvert l’équitation très jeune. Dès l’âge de sept ans, elle est inscrite au club du Tournebride dans l’ouest lyonnais et fait rapidement ses premiers concours de saut d’obstacles. Mais très vite, elle se sent plus attirée par le travail sur le plat et avec son premier
poney, Qualibur du Butin (Toy du Lombron), un Connemara, elle évolue en dressage avec, en 2013, une 11 e place en Poney 2D Minimes au Generali Open de France. Depuis février 2017, elle est associée à Sapeur Neap Guite
(Neapolitano XI), Lipizzan de treize ans, qui tournait auparavant en catégorie Club. Elle a participé avec lui en 2018 aux championnats de France Jeunes en Amateur 3 au Mans et aborde l’Amateur 2 cette année. Basée aux Écuries de Grange Neuve, importante structure privée de l’ouest lyonnais, elle s'entraîne avec Nicolas Cogotzi, enseignant indépendant et cavalier de dressage. Après un baccalauréat scientifique, Margaux a choisi de s’inscrire en faculté de droit. « Je ne me voyais pas faire une école d’ingénieur et je me suis dirigée vers le droit, un choix que je ne regrette pas car c’est tout à fait ce qui me convient », explique la jeune femme. « À Lyon III, j’ai découvert le sport universitaire et je me suis inscrite dans la section équitation animée par Laurence Jal. C’est un système très intéressant et participer aux championnats de France constituait un objectif. Mais je ne m’attendais pas à revenir avec un titre, surtout que j’étais une des plus jeunes face à des cavaliers très expérimentés !»
S’ADAPTER À DES CHEVAUX INCONNUS Le système des championnats de France universitaires est basé sur la monte de chevaux confiés par les organisateurs aux participants. Près de Rennes (35), aux Écuries de Vayrie du 11 au 13 juin, Margaux Tonadre s’est merveilleusement accommodée de cet exercice délicat. « J’ai monté quatre chevaux très différents dans leurs allures », se remémore la cavalière. « Je les ai bien observés à la détente. Celui de la deuxième manche m’inquiétait car il paraissait avoir très peu de sang et avant moi, il avait un cavalier avec des longues jambes. Je me disais que je n’allais jamais parvenir à le mettre en avant ! Le troisième était un cheval de saut d’obstacles et c’était un vrai défi ! Les juges savaient qu’il n’était pas fait pour cela et je pense qu’ils ont apprécié ma façon de le monter. Il faut se mettre très vite avec et je n’ai pas cherché à faire de la technique, je voulais avoir un cheval réactif, bien dans le mouvement en avant. Et je me suis appliquée à être très précise sur les figures, c’est payant ! Je ne pensais pas être en finale
FAIRE DU SPORT EN POURSUIVANT SES ÉTUDES, C’EST POSSIBLE AVEC LA FFSU ---
La Fédération française du sport universitaire réunit pas moins de 118 000 licenciés, engagés dans des études supérieures et pratiquant une activité sportive en compétition. Cinquante-cinq disciplines y sont recensées, dont l’équitation. Les échéances se déclinent en championnats par académie (800) et nationaux (120). Pour les sports équestres, le programme comprend une série de dressage, une série de saut d’obstacles et un combiné, ainsi que le championnat par académie. En Auvergne-Rhône-Alpes, la commission équitation scolaire et universitaire animée depuis de nombreuses années par Laurence Jal, professeur de sport sur le campus scientifique de la Doua, à Villeurbanne, propose aux étudiants cavaliers un challenge tout au long de l’année, débouchant sur le championnat d’académie et les sélections pour les championnats de France. L’académie de Lyon revient de l’échéance nationale avec l’argent au global et, en plus du titre de Margaux Tonadre, une double médaille d’argent pour Apolline Forey, vicechampionne de France en saut d’obstacles et en combiné avec le 10 e rang en dressage. n J.A.
et je n’avais pas préparé de RLM (reprise libre en musique, ndlr) ! Heureusement le collectif du groupe a bien fonctionné, une cavalière m’a transmis sa reprise et j’ai préparé ça la veille ! Mais ça n’a pas manqué, je me suis trompée pendant le déroulé, alors j’ai improvisé et j’ai tout fait pour aller chercher des points avec un cheval de type ibérique, qui était comme une anguille et assez inconfortable. Mais ces championnats restent une expérience très intéressante et l’année prochaine, je tenterai peut-être de faire le combiné avec le saut d’obstacles. » n Jocelyne Alligier
Associée généralement à Sapeur Neap Guite, Margaux Tonadre a fait quelques infidélités à sa monture pour glaner la victoire dans le championnat de France universitaire, où des chevaux qu'elle ne connaissait pas lui ont été confiés. Ph.J.L.Perrier
80 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019
Des champions au naturel
Depuis cinq ans, le Haras de la Roque pointe en tête du palmarès général des élevages de chevaux de sport de haut niveau. Découverte d’un élevage atypique dont les produits s’illustrent régulièrement sur les plus belles pistes du monde.



90 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019

REPORTAGE
Michel Hécart découvre l’équitation suite à une balade à cheval sur la plage avec ses parents. C’est le déclic. À l’âge de seize ans, il débute sa carrière professionnelle en tant que stagiaire : « J’ai appris à monter à cheval tout en faisant les boxes », évoque Michel. À dix-huit ans, il réussit son monitorat en candidat libre, puis débute la compétition en Normandie. Suite à son service militaire au régiment du Train de Fontainebleau, puis à l’École militaire, il travaille dans diverses écuries et poursuit sa carrière de compétiteur, mais songe de plus en plus à s’installer à son compte. « Sans argent c’est un peu compliqué », confie Michel qui, en 1975, loue des boxes au centre équestre de Pince Vent à Chennevières-sur-Marne (94), avant de reprendre à son compte les cent boxes de la structure qui accueillent des propriétaires, un centre équestre et ses chevaux de haut niveau. « En 1992, j’ai eu la chance de revendre l’affaire dans de bonnes conditions au propriétaire qui a démoli les écuries pour construire une grande surface. J’ai acheté un terrain au Vaudoué, près de Fontainebleau et fait établir des plans de construction d’une écurie avec manège et carrière. » De son côté, Alexandrine est passionnée de chevaux depuis le jour où, enfant, elle fait son premier baptême poney sur un âne au Jardin du Ranelagh, avant de monter à cheval dans un club parisien. « J’étais mauvaise cavalière », confiet-elle. « Mais je ne pensais qu’à ça. Ma seule ambition dans la vie était de m’occuper de chevaux. » Sa mère, sans doute légèrement inquiète pour l’avenir de sa fille, lui oppose le traditionnel “Passe ton bac d’abord !”. Le précieux sésame en poche, la jeune fille, qui n’a pas changé d’avis, rejoint la famille Lefrant et ses employés de ferme à Gisors (27). « Ma mère m’y a déposée un dimanche soir de septembre », se rappelle Alexandrine. « Elle pensait que je l’appellerais en
larmes le mardi soir, mais pas du tout. Deux ans plus tard, j’y étais toujours, au paradis. Je faisais les boxes le matin, je montais à cheval l’après-midi. J’ai adoré cette période de ma vie. » De retour dans le giron familial parisien, Alexandrine fait une école d’attaché de presse pour rassurer ses parents. Sa mère, qui finit par accepter avec bienveillance la détermination de sa fille, lui achète un cheval avec lequel elle fait un peu de concours. « J’allais monter de bonne heure avant d’aller en cours, c’était mon élément, je suis née avec un cheval dans la tête. » La jeune fille se marie, donne naissance à son fils Augustin en 1993, puis reprend la compétition.
UNE AUTRE DIMENSION C’est en 1993 que Michel et Alexandrine, qui s’étaient déjà croisés sur les terrains de concours, se rapprochent et s’engagent dans une relation. Alexandrine l’évoque, la première chose que lui a dite Michel lorsqu’elle l’a rencontré a été : « Ce que j’ai de mieux dans ma vie, c’est ma fille Marie », douze ans à cette époque, qui avait fait ses armes au poney club de Pince Vent et débutait en concours, notamment avec
Jean de la Tour (Roi d’Auge II). « Quelque temps plus tard, nous nous sommes installés ensemble », poursuit Alexandrine, vingt-sept ans à cette époque. « Michel avait trente-huit ans, il avait déjà été numéro un français, et avait déjà représenté la France en Coupe des Nations, notamment avec Pirate de Bray
(Count Ivor). Les gens qui pensent que sa vie a commencé le jour où il m’a rencontrée font erreur. Notre histoire a donné une autre dimension à sa vie comme à la mienne, mais il n’a eu besoin de moi ni pour exister ni pour réussir. » Michel et Alexandrine s’associent, finalisent le projet du Vaudoué et commencent à acheter des chevaux ensemble. « Il voulait une structure légère, uniquement des chevaux à lui, et ne voulait plus entendre parler de propriétaires, ni de clients », évoque Alexandrine.
Niché au cœur du pays d’Auge, le Haras de la Roque, à la recherche de l’excellence depuis 2001, pointe en tête des élevages de chevaux de sport de haut niveau depuis cinq ans, avec plus de quatre-vingts chevaux indicés, dont onze avec un ISO minimum de 150.
Complicité et complémentarité entre Alexandrine, Michel et leur fille Adeline. Photos : E. Knoll
Septembre - Octobre - Novembre 2019•L’EPERON•91

SOMMAIRE
Éleveurs, des coûts élevés P. 116 Une activité économique difficilement viable P. 117 Résultats économiques 2017
Centres équestres, des modèles multiples P. 121 La baisse des licences se poursuit P. 122 Trente-cinq ans de recul P. 122 Des modèles atypiques P. 123 Une rentabilité fragile
Cavalier, un métier ? P. 124 À haut niveau, entre gains et coaching P. 126 Côté complet et dressage P. 127 Conseils de pros et suggestions P. 128 Le commerce, un incontournable du sport
Conclusion P. 131 Le point de vue de Jean-Pierre Vogel
114 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019

LONG FORMAT
Peut-on vivredu cheval ?
La question est posée et, incontestablement, elle divise les acteurs de la filière. Celle-ci est en tout cas en mutation – c’est une certitude –, et s’efforce de s’adapter aux nouveaux modes de vie et aux récentes exigences des cavaliers. Le marché, dans ce sens, a également évolué et certains professionnels, installés depuis des décennies, revoient leur copie pour pérenniser leur activité professionnelle. Si la passion semble demeurer intacte dans la filière cheval, beaucoup déplorent la difficulté d’en vivre aujourd’hui. Qu’en est-il réellement ?
Rien de tel que les chiffres pour analyser la
santé économique d’un secteur. En 2017, toutes races confondues, l’annuaire ECUS, réalisé par l’Observatoire économique et social du cheval de l’Institut français du cheval et de l’équitation (IFCE), recensait 30 558 éleveurs d’équidés, dont 12 256 produisant des chevaux de selle et poneys, le reste des effectifs étant consacré aux chevaux de courses, ânes et chevaux de trait. Parmi ces éleveurs spécialisés, 80 % possèdent une à deux juments, soit une très large majorité ! On note également, entre 2007 et 2017, une baisse du nombre de propriétaires de juments saillies de 16 % pour les races françaises de selle, de 39 % pour les chevaux étrangers et de 23 % pour les poneys. La baisse générale toutes races confondues sur la période s’établit à 25 %. La branche élevage est donc clairement en phase de décroissance. L’Observatoire économique de l’IFCE le révèle, les deux-cent-trente élevages de chevaux de sport enquêtés ont généré en 2017 un produit de 82 180 euros en moyenne, pour un excédent brut d’exploitation (EBE) – soit le chiffre d’affaires moins les charges opérationnelles en alimentation, fourrage, paille, et de structure en électricité, eau, assurances… –, de 3 042 euros. Par ailleurs, près d’un élevage sur trois génère moins de 10 000 euros de produit pour un EBE très négatif (- 19 000 euros). À l’inverse, un peu plus d’un élevage sur dix se situe à plus de 150 000 euros de produit, avec un EBE susceptible de dégager un revenu. Moins de la moitié des élevages affiche des prélèvements privés positifs, les autres renflouent la trésorerie grâce à des apports extérieurs.
Côté centres équestres, en 2017-2018, selon l’IFCE, 5 446 centres équestres étaient adhérents à la Fédération français d’équitation (FFE), soit 56 % des 8 693 structures affiliées, les 44 % restant étant composés d’organisateurs et d’associations diverses. Côté licences, après plus de dix ans de croissance, la diminution amorcée depuis 2013 se confirme avec un total actuel de 644 568 licenciés contre 706 449 en 2012 et 663 194 en 2016. L’équitation, troisième sport français depuis plusieurs années, rétrograde en cinquième position, derrière le football, le tennis, le judo et le basketball. Par ailleurs, tandis que 83 % des licenciés sont des cavalières, les deux tiers sont âgés de moins de vingt-et-un ans. Le taux de pénétration dans la population s’établit à dix licenciés pour mille habitants. En parallèle, on observe une augmentation du nombre de centres équestres de 24 % sur les dix dernières années, dont 11 % de 2012 à 2017. n Textes
Béatrice Fletcher
LES GARENNES
Septembre - Octobre - Novembre 2019•L’EPERON• 115

DÉCOUVERTE
L’histoire du peuple marocain est fortement liée au cheval. Si l’art équestre est ancré dans la culture nationale depuis des siècles, les disciplines sportives et l’élevage y trouvent également aujourd’hui leur place et se développent.
La tbourida, discipline majeure
L
’équitation
marocaine brille sur son territoire à travers une discipline majeure : la tbourida. Cet art équestre, ancré dans la culture de tout un peuple, connaît un engouement qui ne se dément pas. À la moindre occasion, dans le cadre d’un spectacle ou d’un tournoi, nombreux sont les spectateurs qui viennent assister aux démonstrations. D’ailleurs, la tbourida a également son championnat : chaque année a lieu le tournoi Hassan II, où la troupe appelée Sorba, championne du Maroc, est désignée lors de la finale qui se dispute aussi au Royal Complexe Dar Es Salam à Rabat. Une véritable ambiance de stade de foot envahit alors le site qui voit s’affronter des équipes composées de quinze cavaliers. Ces derniers simulent un assaut militaire comme le veut la tradition. Tenue des cavaliers, habilité de maniement des fusils et synchronisation des tirs sont pris en considération pour l’évaluation des participants. Au Maroc, plus de 15 000 chevaux sont consacrés à la tbourida sur près de 17 000 affiliés à la FRMSE, un chiffre révélateur de l’importance de cet art face aux autres pratiques équestres, qui peinent encore à se développer. Pourtant, l’objectif premier de la fédération est de permettre à tous de pratiquer la discipline de son choix, que ce soit la tbourida, le saut d’obstacles, le polo, le dressage ou encore
l’endurance. n A.O.
Le Maroc, terre de cheval



RB PRESSE / PASCAL RENAULDON
ERIC KNOLL
154 •L’EPERON•Septembre - Octobre - Novembre 2019

DÉCOUVERTE
Dans ce pays du Maghreb, posséder un cheval est
une grande fierté et l’amour porté à l’animal est si fort qu’il en devient un membre de la famille. Il s’agit là d’un héritage historique, transmis par les cavaliers berbères qui montaient des chevaux de races du pays : Barbe et Arabe-barbe. À l’époque, les tribus locales s’affrontaient à cheval, dans le cadre d’une lutte armée appelée tbourida (voir encadré), discipline aujourd’hui la plus courante et la plus populaire de l’équitation marocaine. Cet art équestre est devenu une tradition et une activité largement pratiquée dans tout le pays, que ce soit pour le spectacle, ou lors de compétitions réunissant un grand nombre d’adeptes. L’engouement autour du cheval a perduré et se manifeste aujourd’hui dans le pays par l’élevage, la pratique et les performances à haut niveau des cavaliers marocains. La Fédération royale marocaine des sports équestres agit activement pour développer et faire grandir les différentes disciplines qu’elle encadre et accompagne. Un développement porté par son président, Charif Moulay Abdellah Alaoui, homme de cheval et véritable locomotive dans l’évolution de l’équitation au Maroc. De la tbourida au saut d’obstacles, la fédération organise et met en place différents événements à travers le pays pour permettre aux Marocains de mieux connaître et de partager l’art équestre et l’équitation sous toutes ses formes. Bien sûr, les courses font également partie intégrante de la culture du pays, une discipline moteur de l’élevage : les Haras nationaux prennent part à ce mouvement et concourent à produire les meilleurs chevaux de race possible.
UNE FÉDÉRATION ACTIVE ET MODERNE Pour découvrir la Fédération royale marocaine des sports équestres (FRMSE), il faut se rendre à Rabat, capitale administrative du Maroc et cité du Palais Royal. Bien loin de la Médina, la FRMSE se situe au bout de l’avenue Mohammed VI, grande
artère de plus de dix kilomètres qui traverse le quartier des ambassades et des résidences vastes et modernes. Derrière le golf, en pleine forêt, le plus grand centre équestre marocain accueille le siège de la fédération et, en ce mois de juillet, la semaine du cheval, qui se déroulait du 15 au 21. Parking VIP au milieu des arbres, navettes à disposition pour le public, entrée libre : rien n’est laissé au hasard pour permettre au plus grand nombre de profiter de l’événement. Lors de cette semaine se déroulent les championnats du Maroc de saut d’obstacles : sept jours de compétition lors desquels se réunissent tous les meilleurs cavaliers du pays, sélectionnés selon un mode de qualification très précis. Et le public est au rendez-vous pour encourager les deux-cent-quatre-vingts cavaliers, aspirants à l’obtention du titre national. L’ambiance, dans le complexe, est très familiale : les enfants évoluent au sein d’un village dédié pendant que les parents regardent la compétition et se
promènent entre les différents paddocks et les écuries. Tout l’espace est ouvert au public. Autour de la carrière de concours, les gradins sont presque remplis et les parcelles de pelouse sont envahies par les familles qui s’installent à l’ombre des arbres. Foodtrucks, restaurant, espace VIP, tribune fermée pour le jury, épreuves nocturnes… Dans ces infrastructures modernes, l’organisation est digne d’un concours international. Quelques mètres plus loin, se dressent les bureaux de la fédération. Le directeur, Badre Fakir, surveille que la diffusion en streaming de l’événement ne souffre d’aucune interruption sur le site internet de la FRMSE. « Nous avons une équipe de production qui retransmet en direct sur notre site toutes les compétitions qui ont lieu ici. Nous mettons également
La Tbourida est un véritable spectacle mêlant les coutumes du Maroc et le sport. Un art équestre qui impressionne, autant par ses parures traditionnelles que par le bruit provoqué par les coups de feu ! Photos : Coll
« Ce n’est pas que la fédération, c’est le Maroc tout entier qui attend avec impatience le MRT »
Septembre - Octobre - Novembre 2019•L’EPERON•155