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IDRIS ELBA Un homme accompli

UN HOMME ACCOMPLI

Quoi qu’il fasse, tout semble facile à Idris Elba. Cette aisance apparente le rend irrésistiblement masculin. Doté de multiples talents, il est à la fois acteur, producteur, réalisateur, auteur, compositeur, ambassadeur à l’ONU, kick-boxeur, pilote automobile, rappeur, chanteur et DJ. Pour couronner le tout, il s’est donné pour mission de promouvoir la diversité culturelle. TEXTE : Christian Aust

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PHOTO : BBC

Idris Elba excelle dans le rôle de l’inspecteur John Luther dans la série policière de la BBC Luther.

Il n’y a pas si longtemps encore, les hommes pouvaient s’identifier à trois modèles de base faciles à comprendre : le macho, la mauviette ou monsieur tout le monde. Beaucoup regrettent cette ère de simplicité et de clarté dans les rapports sociaux, car tout est aujourd’hui tellement complexe, varié et éphémère que de nombreux hommes se demandent ce qu’ils doivent et peuvent encore représenter s’ils veulent faire bonne figure dans cette confusion généralisée. Même Hollywood est en désarroi : on y voit des héros joués par de grands garçons en lieu et place d’hommes adultes. Mais un être de lumière vient combler ce vide : Idris Elba.

PHOTO : AUSTIN HARGRAVE / AUGUST Enfant, on le taquinait pour son prénom Idrissa. Adolescent, il l’a raccourci d’une syllabe. Idris Elba était né.

Il occupe une place à part dans le show-biz : celle d’idole pour les adultes, tous sexes confondus. Celle d’un homme expérimenté qui sait être, à la fois, intransigeant et sensible. Il est aussi très agréable à écouter et chaleureux. Son style, son charme, son aisance et son humour font d’Idris Elba un ambassadeur idéal des îles Britanniques. On le connaît le plus souvent pour son rôle d’inspecteur-chef John Luther dans la série policière éponyme de la BBC, Luther, qui s’est produite sur cinq saisons. Le protagoniste est un enquêteur sombre qui dépasse les limites de la morale et de la loi, a tendance à se montrer violent, menace les suspects et balance des chaises contre les murs. Pour ce rôle, Idris Elba a reçu le Golden Globe du meilleur acteur principal en 2012, puis le SAG-Award et le Critics’ Choice Award. En ce moment, il tourne le film Luther pour le cinéma. Cet événement tant attendu met les fans en émoi.

Idris Elba est bien plus qu’un acteur. Il exprime sa créativité dans une série d’univers professionnels parallèles : producteur, réalisateur, auteur, compositeur, ambassadeur auprès de l’ONU, kick-boxeur, pilote de course automobile, rappeur, chanteur et DJ. Comme si tout cela n’était pas suffisant pour s’occuper 24 heures sur 24, le père de deux enfants se lance maintenant, à 48 ans, dans l’écriture de livres de jeunesse. Évidemment, un tel homme ne se contente pas d’écrire un seul livre, mais crée toute une série en collaboration avec l’auteure à succès britannique Robyn Charteris. Idris Elba aime faire équipe et s’entourer des bonnes personnes pour s’aventurer dans de nouvelles sphères professionnelles. Ses livres sortiront l’année prochaine. Que ses livres de jeunesse puissent être d’un genre qui ne correspond pas à un leading man lui est égal. Il décide librement de l’image qu’il véhicule et se réinvente sans arrêt.

Car à partir d’un certain niveau de budget, des lois tacites s’appliquent dans le cinéma. Comme ces actrices et acteurs qui ne mettent plus à l’épreuve leur talent dans une grande variété de personnages et se voient toujours attribuer un certain type de rôles. Cette règle ne vaut plus pour Idris Elba, qui, bien avant les campagnes comme #OscarSoWhite ou le débat sur la diversité à Hollywood, incarnait déjà des personnages pour lesquels il est très rare d’engager des acteurs «non-blancs». Dans l’adaptation cinématographique de la série de bandes dessinées Thor de Marvel, il représente un dieu de la mythologie nordique des Vikings et dans le Prometheus de Ridley Scott? Un astronaute. Sur grand écran, il apparaît tantôt brutal, tantôt doux, bon ou méchant, dans de gros blockbusters comme dans des productions ambitieuses à petit budget. Dans le drame La Montagne entre nous, il joue le héros romantique, un chirurgien, aux côtés de Kate Winslet. Le film de Netflix, Concrete Cowboy (pour lequel il a appris à monter à cheval malgré son allergie aux chevaux) le dévoile en cowboy urbain…

Pendant des années, le bruit a couru qu’Idris Elba prendrait la suite de Daniel Craig comme agent 007 pour devenir le premier «James Bond noir». Les fans et les journalistes ont été tellement enthousiasmés par cette rumeur que la question revient encore systématiquement dans toutes ses interviews. Ses agents de presse demandent désormais poliment de faire l’impasse sur le sujet, car l’acteur a clairement fait comprendre à quel point il aurait aimé ce rôle, mais n’en a jamais eu la proposition. Il y a deux ans, il a avoué au magazine américain Vanity Fair combien cela l’attristait : «C’est décevant quand la vieille garde te dit simplement “c’est impossible”. Et ce, uniquement à cause de la couleur de ma peau. Même si l’on me donnait le job et que cela ne marchait pas ou au contraire marchait très bien, ne serait-ce pas toujours à cause de ma couleur de peau?»

À présent, à presque 49 ans, il est probablement trop vieux pour jouer James Bond. Mais qui sait? Peut-être brisera-t-il aussi cette loi-là, car, avec Idris Elba, on n’est jamais à l’abri

d’une surprise! Un jour, alors que je l’interviewais à Cologne, en plein été, il a spontanément voulu quitter son hôtel cinq étoiles climatisé pour aller dans une guinguette au bord du Rhin. Nous nous sommes donc assis les pieds dans le sable, avec, devant nous, un seau rempli de bières et de sodas glacés. J’avais davantage l’impression d’être en vacances qu’au travail et Idris Elba, avec son bonnet beanie rouge sur la tête, me semblait être une vieille connaissance.

À cette occasion, je l’ai félicité pour son dernier tube, Boasty, une collaboration avec Sean Paul, Wiley et Stefflon Don qui cartonnait au hit-parade. Dès les premières semaines qui ont suivi sa sortie, la vidéo a été visionnée des millions de fois sur YouTube. Idris Elba en était ravi, ses succès en tant que musicien lui tiennent au moins autant à cœur que ceux en tant qu’acteur. Dès l’âge de 14 ans, il assistait son oncle qui était DJ. Ses premiers mix à lui étaient signés Little Driis. À 19 ans, il se produisait sous le nom de Big Driis dans les clubs londoniens puis new-yorkais. Depuis, il a travaillé avec de grands musiciens comme Jay-Z, Macklemore ou encore Taylor Swift. Il a aussi accompagné Madonna sur sa tournée mondiale «Rebel Heart Tour». Parmi ses performances les plus spectaculaires? Un DJ set au mariage du prince Harry et de Meghan Markle et un autre au légendaire festival Coachella. Son canal sur Spotify est écouté par près de 741000 personnes chaque mois…

Comme quasiment toutes les stars vraiment cools de Grande-Bretagne, Idris Elba est lui aussi originaire de la classe ouvrière. C’est un point qu’il a en commun avec des icônes telles que Sean Connery ou Michael Caine qui, comme lui, représentent cet esprit british si terre à terre, profondément enraciné dans la culture pop du pays. Fils unique, il a grandi dans l’East End de Londres, à Hackney qui était à l’époque un quartier pauvre et un melting pot culturel avec de nombreuses familles d’immigrés. Son père, Winston, est originaire de la Sierra Leone, sa mère, Ève, du Ghana. Après leur mariage en Afrique de l’Ouest, le couple s’est installé à Londres et y a donné naissance, environ un an plus tard, à Idrissa Akuna Elba. Le jeune garçon a raccourci son prénom dès le collège pour couper court aux taquineries de ses camarades de classe. Son père travaillait dans l’usine Ford à Dagenham. Idris a fait ses premières expériences en tant que comédien dans les cours de théâtre de son école. Aujourd’hui encore, il évoque son ancienne professeure de théâtre avec beaucoup d’affection. Il a, en partie, évoqué ses souvenirs d’enfance et de jeunesse dans le premier film qu’il a réalisé, Yardie, pour lequel il a reçu le National Film Award du meilleur réalisateur. Il y met en images le roman éponyme de Victor Headley dont l’action se situe dans le milieu des gangsters londoniens des années 1980. «Cette histoire se déroule dans un contexte qui a fait partie de mon univers et que je connais bien. C’est pour cela que j’ai voulu porter ce livre à l’écran», avait-il expliqué dans une interview. Yardie est un peu pour lui ce que Les Affranchis a été pour Martin Scorsese. C’est dans le talkshow américain The View, et devant un public de femmes dans la fleur de l’âge se transformant, à sa vue, en une foule d’adolescentes glapissantes, qu’il exprimait ce lien : «Mes parents ont entretenu leur culture d’origine de la Sierra Leone et ont continué à la faire vivre à Londres». Car nous avons presque oublié de mentionner ce qui est une évidence : Idris Elba est aussi un sex-symbol au charme magique. Si même Whoopi Goldberg — qui ne se laisse pourtant pas impressionner facilement — dit que, malgré le fait qu’il soit trop jeune pour elle, elle ne le repousserait pas… c’est que l’homme possède vraiment ce qu’il faut pour séduire ! En 2018, le magazine américain People l’a nommé «Sexiest Man Alive».

Mais revenons au sujet de sa jeunesse : «Mes parents ont continué à parler la langue du pays, le krio, et à cuisiner à l’africaine. Vous connaissez le foufou? On le mange avec les doigts et on le trempe dans une sauce. C’est délicieux!» En janvier 2016, Idris Elba s’est présenté devant le parlement britannique. Selon ses propres propos, c’était le discours le plus important qu’il ait jamais tenu, car il traitait de la nécessité d’un changement radical dans l’industrie du film : celle de ne plus écarter les talents des personnes d’origines étrangères diverses. Et il évoquait toutes les portes closes auxquelles il avait dû se heurter avant de pouvoir briller enfin. «Je ne suis pas venu vous parler des noirs» a-t-il tenu à préciser. «Je suis venu vous parler de diversité. Aujourd’hui, cela implique bien plus que la couleur de la peau. Il s’agit de l’âge, des genres, des handicaps, de l’orientation sexuelle, des origines sociales et de ce qui me tient particulièrement à cœur : la diversité des idées.» Il dit aussi qu’il ne se voit pas comme un «acteur noir» : «Je suis comédien, pas un numéro.» Or, c’est exactement ce qu’il n’a pas pu montrer pendant des années, tellement les rôles qu’on lui proposait étaient univoques, à l’exemple du sempiternel chef de gang. «C’est pourquoi j’en appelle à l’industrie cinématographique pour penser au-delà des tiroirs.» Selon lui, le public ne veut pas voir des caricatures et cela demande aussi plus de diversité dans l’origine culturelle des décideurs. L’année dernière, il a reçu le prix d’honneur de la BAFTA pour son engagement en faveur de plus de diversité et son soutien aux jeunes talents.

Quelques mois plus tard, Idris Elba a été nommé en grande pompe officier de l’Ordre de l’Empire britannique («Officer of the Most Excellent Order of the British Empire», abré-

Dans La montagne entre nous, Idris Elba et Kate Winslet se rapprochent à la suite d’un crash aérien.

gé OBE). Sa mère était à ses côtés lorsque le prince William lui a remis l’ordre de chevalerie. «Aujourd’hui, je hisse le drapeau de l’East End au palais de Buckingham», s’est-il ensuite exclamé sur Twitter. Après l’école, il est parvenu à décrocher l’une des places très convoitées du National Youth Music Theatre. Dans ce cadre, il a bénéficié d’une bourse du Prince’s Trust, l’organisation caritative du prince Charles qui vise à faciliter l’insertion professionnelle et sociale des jeunes adultes issus de quartiers problématiques. Idris Elba est toujours très reconnaissant envers le Prince’s Trust. Le chemin a pourtant été long jusqu’à ce qu’il puisse vivre de ses premiers rôles dans des séries comme Inspecteur Wexford ou The Governor.

Entre ses premiers petits rôles, il gagnait son pain en tant que monteur de pneus ou paqueteur dans une boutique de diététique. Pendant deux ans, il a travaillé comme son père, dans l’usine Ford, de nuit.

Il a fini par percer en 2002 avec son rôle de Russell «Stringer» Bell dans la série Sur écoute. Huit ans plus tard, Luther a donné le coup d’envoi à sa carrière internationale. Le personnage de l’enquêteur sensible et agressif à la fois, qui enfreint la loi pour combattre le mal, lui va à merveille. À cette époque, Idris Elba avait déjà 37 ans.

Il y a huit ans, il a incarné le prix Nobel de la paix, Nelson Mandela. C’était pour lui, à la fois, une affaire de cœur et un message fort à faire passer. Il n’a jamais perdu le lien avec ses racines et le pays natal de ses parents. Au contraire, il l’a cultivé : pour BBC Radio 2, il a produit une émission dans laquelle il présentait une grande variété de musiques africaines. Depuis le début de sa carrière, il s’engage pour des organisations humanitaires comme ONE qui lutte contre la pauvreté et le sida.

Depuis l’année dernière, Idris Elba et sa femme sont également ambassadeurs du Fonds international de développement agricole (IFAD) des Nations Unies. Dans le cadre de cette mission, ils ont déjà collecté 40 millions de dollars pour des familles de paysans africains touchés par la pandémie. Au quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung, Idris Elba a déclaré : «J’ai compris que ma notoriété pouvait attirer l’attention sur la région du monde dont je suis originaire. C’est pour cela que je souhaite être un représentant de ce continent.» L’Afrique a, selon lui, un potentiel et une richesse culturelle énormes et le reste du monde est en train d’en prendre conscience. «Cela me rend heureux de pouvoir y contribuer.»

Depuis 2019, Idris Elba est marié en troisièmes noces à Sabrina Dhowre, top-modèle somalien et canadien. Le couple vit entre Londres et Los Angeles et possède également des biens immobiliers à New York et Atlanta. Le clip intitulé Sabrina & Idris Elba Play Mr & Mrs, publié par Vogue UK, permet de se rendre compte de la dynamique du couple. Les jeunes mariés ont récemment lancé un podcast sur les relations amoureuses, dans lequel ils discutent du mariage et du couple avec des célébrités. En collaboration avec Christian Louboutin, ils sortent la collection de chaussures Walk a Mile in My Shoes, dont les bénéfices seront entièrement reversés à des causes caritatives.

On peine à le croire, mais entre tout cela, Idris Elba trouve encore l’énergie et le temps de relever d’autres défis. En 2015, à tout de même déjà 42 ans, il a entamé un entraînement de kick-boxing et d’arts martiaux de douze mois. Avec le coach de boxe thaï Kieran Keddle, il s’est préparé à affronter le combattant plus jeune et plus expérimenté Lionel Graves dans le York Hall à Londres. Il en est ressorti vainqueur par knock-out dans la première reprise.

Et puis, il y a les voitures qui sont bien plus qu’une passion pour lui. Elles s’inscrivent dans sa philosophie de vie. En 2015, il a battu le record de vitesse Flying Mile avec une Bentley Continental GT. Dans la série télévisée Elba vs. Block, Idris Elba et le célèbre cascadeur Ken Block se défient dans des manœuvres risquées. «L’enjeu est de se confronter à ses propres peurs», a-t-il déclaré un jour. «La peur domine une grande part de notre vie. Je ne veux pas prendre mes décisions par peur de l’inconnu, je veux tenter des choses.» Aujourd’hui, plusieurs années après la fin tant déplorée de la série, on nous annonce le grand final de Luther au cinéma : un héros complexe pour une époque complexe. Idris Elba sera aussi le producteur exécutif du film. Sa date de sortie n’a pas encore été fixée, mais nous savons déjà que nous sommes impatients de le voir.