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EXECUTIVE SUMMARY

L’ÉLECTRIFICATION ATTEINT UN MOMENT CHARNIÈRE

La guerre entre la Russie et l’Ukraine et la crise énergétique ont cristallisé les bienfaits de l’accélération de la transition énergétique pour la communauté. L’électrification et l’accès aux énergies renouvelables sont bénéfiques pour le climat, permettent une stabilité des prix sur le long terme et protègent contre l’inflation sur les marchés du gaz et de l’électricité. De nouvelles mesures politiques visant à accélérer la transition énergétique sont récemment entrées en vigueur. L’élargissement attendu de l’électrification dans la société se produit à la fois plus tôt et plus rapidement que prévu. En effet, on en détecte déjà les premiers signes dans les secteurs de la mobilité, du chauffage et de l’industrie. Cependant, la vitesse à laquelle le changement se produit n’est pas la même dans tout le système électrique, ce qui crée une tension tant du côté de l’offre que de la demande. La présente étude expose que, à mesure que les besoins en électricité augmentent, un certain nombre de mesures structurelles seront nécessaires pour compléter le mécanisme de rémunération de la capacité (Capacity Remuneration Mechanism ou CRM) afin de maintenir la sécurité d’approvisionnement de la Belgique, et ce, de la façon la plus efficace et efficiente possible.

Lorsque la croissance accélère, l’adoption du marché de masse commence

Le cycle de vie d’adoption d’une nouvelle technologie suit généralement une courbe en S, étant donné qu’il implique trois phases de réaction du client utilisation, croissance et marché de masse.

Dès que l’adoption d’un produit atteint un certain point de bascule, son utilisation croît de façon exponentielle. Le secteur des télécommunications est passé par ce modèle de croissance. Le secteur des services énergétiques devrait suivre la même tendance au vu de l’utilisation actuelle des assets flexibles dans les secteurs de la mobilité, du chauffage et de l’industrie.

QUELLE EST LA DIFFÉRENCE ENTRE ADÉQUATION ET FLEXIBILITÉ ?

« Adéquation » et « flexibilité » sont deux éléments cruciaux qui permettent une bonne exploitation du système électrique : ils contribuent à maintenir la sécurité d’approvisionnement. Dans la présente étude, Elia quantifie les besoins en adéquation et en flexibilité de la Belgique pour la période 2024-2034.

L’ « adéquation » renvoie à la capacité du système à répondre à tout moment à la demande en électricité. L’objectif est d’assurer un approvisionnement électrique suffisant et équilibré pour répondre aux besoins des consommateurs, en tenant compte de facteurs comme l’électrification accrue, les variations saisonnières et les événements qui surviennent à l’étranger.

Le système électrique belge est dit « adéquat » si la norme de fiabilité nationale d’une probabilité de perte de charge (loss of load expectation ou LOLE) de moins de trois heures est respectée.

La « flexibilité » d’un système fait quant à elle référence à sa capacité à faire face aux fluctuations de production et de consommation, principalement causées par la variabilité croissante des sources d’énergie renouvelable (SER). À mesure que l’électrification s’étend dans les secteurs de la mobilité, du chauffage et de l’industrie, de nouvelles opportunités de consommation flexible voient le jour, contribuant à un système électrique abordable, durable et sûr.

CHANGEMENTS IMPORTANTS PAR RAPPORT À L’ÉTUDE PRÉCÉDENTE

Depuis la publication de notre dernière étude d’adéquation et de flexibilité en juin 2021, d’importantes évolutions politiques ont eu lieu en Belgique et en Europe. Les ambitions ont été précisées et traduites en objectifs détaillés et en plans concrets, déclenchant des changements fondamentaux dans le système électrique, tant du côté de l’offre que de la demande.

DU CÔTÉ DE L’OFFRE, LES ÉVOLUTIONS POLITIQUES SUIVANTES

ONT EU LIEU :

Au niveau européen :

• Publication du paquet « Fit for 55 » de la Commission européenne (juillet et décembre 2021), qui vise à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990.

• Publication du plan REPowerEU de la Commission européenne (2022), ayant pour but de réduire la dépendance de l’Europe aux combustibles fossiles en provenance de Russie. L’une des mesures qu’il inclut consiste à accélérer le déploiement des énergies renouvelables et des infrastructures associées.

• Accent sur le développement rapide de la mer du Nord en tant que plus grande centrale électrique d’Europe, une thématique abordée lors des North Sea Summits internationaux organisés à Esbjerg (mai 2022) et Ostende (avril 2023).

• Diminution des marges d’adéquation dans les pays voisins, en raison d’une électrification plus rapide et de plans de sortie du charbon (Allemagne).

En Belgique :

• Deux nouvelles unités CCGT ont rejoint le CRM dans le cadre de l’enchère Y-4 pour l’hiver 2025-2026 (en octobre 2021). La capacité d’1,7 GW (100 % disponible) actuellement contractée (juin 2023) sera disponible pour l’hiver 2025-2026.

• Ambitions offshore revues à la hausse pour la zone belge Princesse Elisabeth (octobre 2021) (de +2,1 GW à +3,5 GW), en plus d’une révision du calendrier de mise en service (+0,7 GW en 2029 au lieu de 2026, et +2,8 GW en 2030 au lieu de +1,4 GW en 2028).

• En raison de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, et de la disponibilité réduite du parc nucléaire français, le gouvernement fédéral belge a décidé (en mars 2022) d’appliquer l’approche EU-SAFE lors de la définition du scénario CRM, et d’étendre de dix ans la durée de vie de deux réacteurs nucléaires afin de couvrir les besoins de capacité additionnelle et de renforcer l’indépendance du pays aux combustibles fossiles.

• Développement de Nautilus et TritonLink, deux interconnexions qui relieront la Belgique respectivement au Royaume-Uni et au Danemark, contribuant ainsi à un approvisionnement énergétique diversifié et à la prospérité socioéconomique de notre pays.

Messages Cl S

DU CÔTÉ DE LA DEMANDE, LES ÉVOLUTIONS POLITIQUES SUIVANTES ONT EU LIEU :

Au niveau européen :

• Présentation du plan industriel du pacte vert de la Commission européenne (février 2023), qui vise à fournir un environnement plus favorable pour le développement de la capacité de production de l’UE en matière de technologies et de produits neutres en carbone.

• Discussions sur l’impact de la récente crise énergétique ainsi que sur les évolutions possibles du marché de l’électricité.

• Implémentation de nouveaux plans d’action climatiques et industriels dans les pays limitrophes de la Belgique.

• La future interdiction au niveau de l’UE de la vente de voitures neuves à essence et diesel à partir de 2035.

En Belgique :

• Les nouveaux objectifs fixés par les pouvoirs publics fédéraux et régionaux en matière de véhicules électriques et de pompes à chaleur devraient mener à une croissance significative de l’électrification dans les secteurs du transport et du chauffage.

• Interdiction prévue des ventes de véhicules à carburant fossile d’ici 2029, tel que décidé par le gouvernement flamand.

• Diminution progressive de l’avantage fiscal pour les véhicules de société équipés d’un moteur à combustion interne à partir du 1er juillet 2023.

• Zone de basses émissions introduite à Bruxelles, qui interdira les voitures au diesel d’ici 2030 et celles à essence d’ici 2035.

• Interdiction de raccorder les nouvelles constructions au réseau de gaz naturel à partir de 2025 en Flandre.

• Suppression progressive des chaudières au mazout dans tout le pays, tel que prévu dans les mises à jour du Plan régional Énergie-Climat.

• La transition de l’industrie vers la neutralité carbone prépare son accélération la consommation électrique annuelle de l’industrie en Belgique devrait augmenter de 50 % d’ici 2032 (voir l’étude « Powering Industry towards Net Zero » publiée par Elia Group en 2022).

Au cours de la décennie à venir, l’électrification intensive modifiera la nature même du système électrique belge. Sur la base des nombreux calculs et des différents scénarios explorés par la présente étude, quatre messages clés se dégagent, comme repris ci-dessous. Sur cette base, des recommandations pour le court, moyen et long terme ont été formulées (voir chapitre suivant). La société belge a beaucoup à gagner en anticipant les changements à venir et en travaillant à des mesures structurelles. Nous nous assurerons ainsi que notre système énergétique est capable de tenir le rythme de l’électrification, et ce, de façon efficace et abordable.

1L’électrification de la société se produit à la fois plus tôt et plus rapidement que prévu. La guerre en Ukraine et la hausse des prix du gaz ont donné naissance à de nouveaux objectifs et plans d’action visant à garantir un système énergétique indépendant, résilient et climatiquement neutre. Cette ambition crée des besoins de capacité additionnelle, auxquels le CRM peut répondre.

L’électrification combinée au développement accéléré des électrons bas carbone sera l’un des principaux leviers pour décarboniser la société durant les 10 à 20 prochaines années. L’implémentation de ces deux mesures s’accélère dans trois secteurs clés la mobilité, le chauffage et l’industrie. Cela a un impact direct sur les besoins d’approvisionnement et d’adéquation du pays.

L’élargissement attendu de l’électrification de la société créera des manques de capacité supplémentaires à partir de 2027, auxquels pourra remédier le CRM belge. Les règles et les principes de ce mécanisme sont régis par des réglementations nationales et européennes et visent justement à éviter un approvisionnement excessif. Dans le contexte de l’électrification et de la hausse de la demande en électricité en belgique, le processus de CRM implique l’ajustement annuel des enchères et l’adjudication progressive des capacités nécessaires.

2La consommation flexible a le potentiel d’aplanir les pics de consommation et de gérer la variabilité des SER, contribuant ainsi directement à la sécurité d’approvisionnement. Il s’agit d’un levier important pour réduire les besoins de capacité liés à la hausse de la demande en électricité en Belgique.

Jusqu’à présent, la flexibilité a surtout été utilisée comme un service auxiliaire ponctuel qui aide les gestionnaires de réseau à répondre aux déséquilibres entre l’offre et la demande. Elle a par exemple été employée pour gérer les défis en matière de sécurité opérationnelle liés à la variabilité des SER et à la mise à l’arrêt d’unités de production à grande échelle.

À l’avenir, la flexibilité intrinsèque de nouveaux appareils électriques offrira de nouvelles opportunités aux utilisateurs finaux, sans pour autant nuire à leur niveau de confort. En veillant principalement à consommer et à stocker de l’électricité lorsqu’elle abonde et à la réinjecter dans le réseau lorsqu’on en a besoin, les consommateurs réduiront leur facture d’énergie tout en contribuant positivement au système dans son ensemble cela aplanira en effet les pics de consommation, et la flexibilité contribuera à l’adéquation. La flexibilité du consommateur final est donc un levier important en vue de rendre la transition énergétique plus efficace et plus abordable.

3L’électrification réduit les niveaux de consomation tout en maintenant le confort du consommateur. Cette amélioration significative de l’efficacité bénéficie donc largement à la réduction des émissions de CO2, un effet qui gagnera encore en importance à mesure que la part de renouvelable augmentera dans le mix énergétique. En plus de bienfaits importants pour le climat, l’électrification offre également des solutions aux défis économiques et géopolitiques que rencontre notre pays.

L’électrification, combinée à l’intégration accélérée des énergies renouvelables dans le système, offre l’opportunité de réduire la consommation de carburants fossiles, ce qui mène à son tour à une réduction significative des émissions de CO2 domestiques directes. En plus de ces bienfaits pour le climat, l’électrification s’accompagne également d’avantages économiques et géopolitiques.

L’industrie aura en effet accès à une électricité abordable et pourra donc s’ancrer en Europe, préservant ainsi des emplois. Par ailleurs, la transition vers un système énergétique riche en énergies renouvelables rendra ce dernier plus indépendant et plus résilient.

4Tout retard dans l’exploitation de la flexibilité ou la construction de l’infrastructure réseau entraînera des besoins de capacité additionnelle. Si l’on veut garantir la sécurité d’approvisionnement de la Belgique de la manière la plus (économiquement) efficace, les investissements dans l’accélération de la digitalisation sont aussi importants que ceux dans la construction, dans les temps, de l’infrastructure réseau.

L’accélération de la digitalisation et la construction, dans les temps, de l’infrastructure réseau auront un impact majeur sur le volume de nouvelles capacités devant être contractées lors de futures enchères CRM. Tout retard supplémentaire dans la réalisation de ces deux objectifs placera la politique électrique de la Belgique dans un état de gestion de crise constant.

Si la Belgique exploite pleinement la flexibilité industrielle et résidentielle et réalise les investissements réseau planifiés*, les besoins de capacité en 2034 diminueront de 3 000 MW par rapport à une situation où ces démarches clés seraient retardées. Voir le graphique en page 21.

La digitalisation renvoie à la fois à l’infrastructure informatique nécessaire et à la connectivité totale entre les assets et les fournisseurs de services, qui sont liées à un design de marché adapté. La réalisation réussie de ces objectifs rendra le système plus résilient face à l’électrification et à l’intégration du renouvelable, aura un impact significatif sur la réduction des émissions de CO2 et permettra de maîtriser les coûts liés au système.

NOUVELLE CAPACITÉ NÉCESSAIRE* POUR GARANTIR LA SÉCURITÉ D’APPROVISIONNEMENT DE LA BELGIQUE APRÈS 2025

2025-2026

La présente étude confirme une nouvelle fois les conclusions de notre précédente étude qui portait sur les besoins d’adéquation à court terme de la Belgique pour les hivers 2025-2026 et 2026-2027.

Lors de la première enchère CRM Y-4 (organisée en octobre 2021) pour l’hiver 2025-2026, 1 700 MW (100 % disponibles) de nouvelles capacités ont été contractés, y compris deux nouvelles centrales au gaz à cycle combiné (CCGT). Pour cette période de fourniture, 2 GW de nouvelle capacité doivent encore être couverts, ce qui nécessite de prendre des mesures à court terme (voir les mesures à court terme à la page 14).

2030-2032

Entre 2030 et 2032, l’écart de capacité se stabilisera grâce au développement des SER et à la construction de nouvelles interconnexions hybrides qui relieront la Belgique au RoyaumeUni et au Danemark**.

En plus de la poursuite du développement des SER terrestres, la deuxième vague d’éolien offshore dans la zone belge Princesse Elisabeth sera réalisée. Par ailleurs, la construction de deux nouvelles interconnexions hybrides (Nautilus avec le Royaume-Uni et TritonLink avec le Danemark) est prévue environ au même moment**.

La contribution combinée des SER additionnelles et des raccordements directs aux pays partenaires qui disposent d’excédents de production renouvelable permettra la stabilisation de l’écart de capacité jusqu’en 2032. D’importantes mesures seront tout de même nécessaires durant cette période afin d’assurer le développement, dans les temps, des SER et de l’infrastructure réseau (voir les mesures à moyen terme à la page 15).

Le graphique ci-dessus illustre l’évolution des besoins de capacité de la Belgique au cours de la décennie à venir, parallèlement à des mesures qui pourraient être adoptées pour les atténuer. Ces besoins et les mesures associées peuvent être divisés en plusieurs phases, comme décrit en page 13.

EU-SAFE

Au vu de la dépendance élevée de la Belgique aux importations, tout événement qui survient à l’étranger aura un impact significatif sur les besoins d’adéquation de notre pays. Dans la présente étude, nous tenons donc compte de plusieurs sensibilités telles que la disponibilité réduite du parc nucléaire français, le déploiement potentiellement retardé de l’infrastructure réseau à l’étranger ou les risques de sécheresse qui pourraient mener à des niveaux faibles de production hydroélectrique en Europe.

Elia adopte une approche prudente et recommande d’utiliser le scénario EU-SAFE comme référence pour maintenir la sécurité d’approvisionnement de la Belgique. Ce scénario représente le cas de figure d’une disponibilité réduite du parc nucléaire français.

L’année passée, à la suite du début de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et de la crise énergétique, le gouvernement fédéral belge a décidé de suivre l’approche EU-SAFE dans la définition du scénario CRM le plus récent. Cette décision a débouché sur des besoins de capacité additionnelle à partir de 2025 (voir les mesures à court terme à la page 14).

Il est important de souligner que la présente étude d’adéquation et de flexibilité n’est pas un rapport de calibrage du CRM et n’a pas pour objectif de calculer les paramètres d’enchère futures.

2027-2029

À partir de 2027, l’élargissement attendu de l’électrification dans les secteurs de la mobilité, du chauffage et de l’industrie entraînera des besoins de capacité additionnelle auxquels le CRM existant répondra. Cet écart sera partiellement atténué par une hausse de la flexibilité dans le système.

Ces nouveaux besoins de capacité augmenteront de 700 MW sur base annuelle jusqu’en 2029, ce qui s’explique principalement par la poursuite de l’électrification du système énergétique.

De par la nature flexible de ces nouveaux appareils électriques, l’augmentation des besoins de capacité peut être partiellement atténuée, comme l’illustre le graphique. Des actions spécifiques à moyen terme seront cependant nécessaires pour permettre à l’offre de suivre le rythme de la demande en hausse et exploiter la flexibilité (voir les mesures à moyen terme à la page 15).

Après 2033

À partir de 2033, l’écart de capacité va de nouveau se creuser en raison de l’électrification continue du système. Heureusement, en agissant aujourd’hui, nous pouvons anticiper ces défis et y répondre (voir les mesures à long terme à la page 17).

LES MESURES À COURT, MOYEN ET LONG TERME DOIVENT FAIRE L’OBJET DE LA MÊME ATTENTION

Afin de s’assurer que la transition énergétique soit réalisée avec succès et de manière efficace, un certain nombre de mesures à court, moyen et long terme doivent être mises en place, comme exposé ci-après. Et il faut s’atteler à chacune d’entre elles simultanément : dans le cas contraire, la Belgique passera d’une période de crise à l’autre.

Mesures Court Terme

Une décision urgente doit être prise concernant le scénario flex-LTO pour deux réacteurs nucléaires belges

À la suite de la guerre entre la Russie et l’Ukraine et de la crise énergétique, le gouvernement fédéral belge a décidé d’adopter le scénario EU-SAFE comme référence pour maintenir la sécurité d’approvisionnement. Cela a débouché sur des besoins de capacité additionnelle à partir de 2025. Pour compenser le niveau plus faible de disponibilité du parc nucléaire français, le gouvernement belge a décidé en mars 2022 d’étendre de dix ans la durée de vie de deux réacteurs nucléaires belges.

Après la décision du gouvernement de passer au scénario EU-SAFE, l’idée de développer suffisamment de capacité disponible pour les hivers à partir de 2025-2026 n’était plus réaliste. Les dernières informations en matière de développement potentiel de nouvelles possibilités de gestion de la demande et de batteries à grande échelle indiquent que même en exploitant pleinement ces deux axes, un déficit significatif sera encore présent. Revenir en arrière quant à la fermeture annoncée des capacités au gaz existantes ne comblera pas non plus l’écart. Par ailleurs, il ne nous reste plus assez de temps d’ici 2025 pour construire de nouvelles unités de production.

Conclusion : l’enchère CRM Y-1 qui sera organisée en 2024 pour l’année de fourniture 2025-2026 ne parviendra très probablement pas à combler l’écart restant sans l’activation d’autres solutions. Pour maintenir la sécurité d’approvisionnement de la Belgique, la solution est donc la mise en place du scénario « Flex-LTO ».

Alors que les négociations actuellement en cours entre les pouvoirs publics belges et Engie se concentrent sur l’extension, pendant dix ans, de la durée de vie de deux réacteurs nucléaires (Tihange 3 et Doel 4) à partir de l’hiver 2026-2027, cette extension peut être implémentée de manière que les deux réacteurs nucléaires demeurent disponibles pendant les hivers à compter de 2025-2026 (Flex-LTO).

Si l’exploitation flexible à long terme (« Flex-LTO ») de deux réacteurs nucléaires belges ne se poursuit pas, des mesures exceptionnelles additionnelles devront être envisagées. Elles seront cependant insuffisantes, complexes et coûteuses et devraient donc être évitées.

Mesures Moyen Terme

Besoin de 2,9 GW d’ici 2029

Si l’on tient compte de l’extension de la durée de vie de Doel 4 et Tihange 3 et des nouvelles capacités contractées dans le cadre de la première enchère CRM Y-4, environ 2,9 GW de nouvelles capacités additionnelles seront nécessaires d’ici 2029 pour maintenir l’adéquation du système. Ce volume peut être comblé par différentes technologies comme des possibilités additionnelles de gestion de la demande (en plus de la flexibilité déjà prise en compte du côté de l’industrie et des utilisateurs finaux), des batteries à grande échelle ou d’autres capacités thermiques.

Le développement planifié des SER et de l’infrastructure associée contribuera à réduire le travail lié au développement d’axes d’approvisionnement alternatifs. Parmi les hypothèses de la présente étude, et conformément aux ambitions de la Belgique, on prévoit que le développement des énergies renouvelables va plus que doubler d’ici la fin de la période prise en compte. Cela couvre le développement, dans les temps, de la deuxième vague d’éolien offshore dans la zone Princesse Elisabeth, qui nécessitera l’achèvement de projets clés sur le backbone belge ainsi que d’autres projets comme Ventilus et la Boucle du Hainaut.

Cela ne suffira cependant pas à assurer la sécurité d’approvisionnement du pays. Les simulations reprises dans la présente étude démontrent que le besoin de capacité additionnelle va croître de façon régulière d’ici 2029, même si des capacités fossiles existantes restent actives dans le système. Bien que ce besoin croissant apparaissait déjà dans notre précédente étude, sur la base des objectifs d’électrification revus à la hausse, ce besoin se concrétise cinq ans plus tôt que prévu.

Exploiter de nouvelles sources de flexibilité

Faciliter et exploiter la flexibilité du côté de l’utilisateur final pourrait générer des économies de plus de €200 millions (liés aux coûts d’adéquation et d’achat de capacité d’équilibrage) par an d’ici 2034.

De nouvelles sources de flexibilité, comme la gestion de la demande, doivent être exploitées pleinement et au plus vite afin de garantir une transition énergétique efficace. Elles permettront en effet de réduire les besoins de capacité additionnelle liés à la demande d’électricité en hausse. Par ailleurs, la flexibilité réduira aussi le besoin de capacité d’équilibrage coûteuse pour gérer les variations fortuites liées à la production éolienne et photovoltaïque.

Pour exploiter pleinement les avantages d’une société électrifiée, des leviers doivent être rapidement activés. En plus de mettre en place un nouveau cadre et d’impliquer les consommateurs, des mesures supplémentaires sont nécessaires pour le déploiement de l’infrastructure de comptage, la standardisation des protocoles de communication, l’optimisation des appareils (y compris la possibilité d’y accéder à distance) et l’interopérabilité des équipements provenant de différents fournisseurs. Elia étudie les obstacles qui se dressent ainsi que les solutions pour les surmonter et les exposera dans sa prochaine note de vision, qui sera publiée en novembre 2023.

Un éventuel retard dans le déploiement de ces leviers réduira le volume d’appareils adéquats et viables pouvant être vendus sur le marché. Cela mènera ensuite à un besoin accru de modernisation ultérieure, une opération généralement très longue et coûteuse.

L’électrification des processus industriels pourrait également offrir d’importantes opportunités en matière de flexibilité, plus spécialement en périodes de pénurie.

Sur la base de longues discussions avec l’industrie, des hypothèses spécifiques concernant la flexibilité potentielle de différents types de processus et d’appareils nouvellement électrifiés ont été prises comme point de départ pour la présente étude. Les bénéfices qui en résultent en termes de réduction du besoin de nouvelle capacité dans le système belge sont très significatifs.

L’implémentation de cette flexibilité s’accompagnera cependant de plusieurs défis. Il est dès lors essentiel de mettre en place un dialogue avec tous les partenaires impliqués afin d’évaluer les incidences, les avantages et les obstacles de l’exploitation de cette flexibilité dans le secteur industriel.

Construction rapide de l’infrastructure réseau

La mise en service, dans les temps, de la zone Princesse Elisabeth et des interconnexions supplémentaires comme Nautilus (entre la Belgique et le Royaume-Uni) et TritonLink (entre la Belgique et le Danemark) garantira la stabilité du besoin de capacité de la Belgique entre 2029 et 2033 alors que le niveau de consommation augmentera. Si ces projets sont retardés, le besoin de nouvelle capacité du pays continuera à augmenter après 2029, ce qui nécessitera des investissements supplémentaires dans des installations de production.

L’électrification accrue de la demande requiert un renforcement et une extension des réseaux de distribution et de transport. Cela doit être planifié bien à l’avance, étant donné que les délais de développement de l’infrastructure sont bien plus longs que ceux des projets industriels.

La réalisation, dans les temps, des renforcements HTLS (renforcement du backbone belge) et des projets Ventilus et Boucle du Hainaut est une condition sine qua non pour mettre en place une électrification à grande échelle de l’industrie en Belgique, ainsi que pour créer une capacité d’accueil sur le réseau pour les besoins locaux. Par ailleurs, Ventilus et la Boucle du Hainaut sont essentiels pour transporter l’énergie renouvelable produite en mer vers les consommateurs belges situés sur la terre ferme.

Le mécanisme CRM doit être davantage développé afin de gérer les défis à venir

En plus d’exploiter la flexibilité et de développer les SER et l’infrastructure réseau associée, le CRM a été mis en place par le gouvernement pour garantir l’adéquation du système belge. Il vise à fournir un cadre d’investissement stable afin de s’assurer la disponibilité d’une capacité suffisante pour le système, et ce, au bon moment.

Le CRM est un mécanisme qui a pour objectif, à travers les enchères Y-4 et Y-1, de permettre de contracter le volume de capacité nécessaire pour une année de fourniture spécifique. Le processus de calibrage, intégralement encadré par des réglementations nationales et européennes, implique la fixation du volume des enchères CRM (dimensionnement du

Mesures Long Terme

système) sur la base d’un scénario de « référence » sélectionné. Le mécanisme CRM doit donc permettre les changements de cap, au vu de l’évolution rapide du contexte.

L’électrification de la société se produit à la fois plus tôt et plus rapidement que prévu. Par conséquent, des niveaux croissants de nouvelle capacité (gestion de la demande, stockage, batteries ou production) doivent être développés dans le système, et ce, à un rythme (plus) rapide. Les délais de développement de ces nouvelles capacités sont souvent supérieurs à un an. Dans un contexte si dynamique et volatil, il est important de développer davantage le cadre CRM afin qu’il puisse s’adapter à de nouvelles circonstances, fournir un niveau suffisant de certitude (bien à l’avance) quant à la fourniture, dans les temps, de nouvelles capacités et renforcer l’équité entre les différentes technologies.

Gérer les périodes d’excédent d’énergie

Il faudra également davantage travailler sur la gestion des périodes d’excédent de SER, soit en diminuant la production, soit en augmentant la consommation (flexibilité à la baisse). L’exploitation flexible de l’éolien et du photovoltaïque fait partie de la solution.

Le développement du stockage et la mise en place d’un design de marché amélioré, qui stimule le côté demande à consommer davantage durant les périodes d’injection élevée d’énergie renouvelable et donc de profiter de prix de l’électricité bas voire négatifs, sont des éléments importants pour s’assurer que la production renouvelable soit utilisée de la façon la plus efficace.

Cependant, au vu des ambitions en matière de SER, il y aura de plus en plus de périodes durant lesquelles l’injection d’énergie renouvelable dépassera la demande, ce qui pourrait mener à des difficultés dans la gestion des déséquilibres positifs dans le système. Ces difficultés seront particulièrement aiguës au printemps et en été, lorsque les niveaux de production photovoltaïque sont élevés en Belgique et chez ses voisins, rendant difficile l’« exportation » d’énergie excédentaire. Il est dès lors important d’explorer les pistes permettant de s’assurer que la capacité de production photovoltaïque (nouvellement installée) puisse réduire son injection dans de telles situations (en réagissant à des signaux de prix par exemple).

Les plus grands changements requis pour parvenir à un système énergétique neutre en carbone en Belgique restent cependant à venir. La mise en place d’objectifs ambitieux est nécessaire mais ne suffit pas à rallier toutes les parties impliquées derrière un but commun. Ces objectifs devraient aller de pair avec des plans d’action concrets, qui nécessiteront à leur tour une coopération entre tous les niveaux de pouvoir et les régions.

La réalisation des ambitions en matière d’éolien offshore en mer du nord bénéficiera grandement à la Belgique

Il est clair que les ressources domestiques terrestres et offshore de la Belgique devraient d’abord être utilisées au maximum. Les projets visant à étendre la capacité éolienne offshore du pays pour atteindre 5,8 GW avancent bien. Par ailleurs, au cours des prochaines années, il faudra travailler intensément à la planification et au design afin de s’assurer de pouvoir installer jusqu’à 8 GW de capacité en mer du Nord belge. Elia s’engage à atteindre cet objectif avec toutes les parties impliquées.

Cependant, exploiter uniquement les SER de notre pays ne suffira pas. La Belgique doit établir des partenariats avec des pays disposant d’un excédent de potentiel renouvelable, ce qui renforcera son accès aux énergies renouvelables. Ces cadres de coopération ont été lancés par le gouvernement belge au cours des derniers mois via des accords conclus avec d’autres pays. En tant que GRT, Elia continuera à travailler sur des études de faisabilité technique et économique avec ses homologues étrangers, soutenant ainsi la future prise de décisions éclairées. Elia attend du gouvernement belge qu’il poursuive ce travail au niveau politique.

Étudier les interconnexions supplémentaires avec des pays disposant d’un excédent de production décorrélé

En plus de l’intégration des marchés énergétiques européens, la Belgique doit étudier le développement d’accords et d’interconnexions avec des pays qui produisent un excédent d’électricité et ont un approvisionnement électrique décorrélé. Cela offrirait à la Belgique un complément efficace en termes de coûts à la construction d’assets de production neutres en carbone et viendrait compléter son potentiel de SER domestiques limité, créant ainsi des opportunités d’augmenter sur le long terme la part d’électricité produite par les SER dans le mix belge.

Anticiper l’évolution future du parc de production

Pour préparer la Belgique à l’après-2035, des mesures à long terme de politique énergétique concrètes et intégrées devraient être mises en place tant du côté de l’offre que de la demande.

Il est important de noter que les calculs des besoins de capacité additionnelle en Belgique repris dans la présente étude partent du principe que l’ensemble des capacités actuellement existantes en Belgique resteront actives. Étant donné que ces assets vieillissent, et que certains devront bientôt être modernisés, d’importants investissements seront nécessaires pour continuer à les faire fonctionner ou les remplacer. Le CRM garantira la viabilité économique des investissements requis. Parallèlement, l’amorce d’une tendance baissière des niveaux d’émission de CO2 entraînera la mise à l’arrêt des unités les plus polluantes du système belge. Cependant, il convient d’agir avec prudence lors de la fixation de ces niveaux afin de permettre à la capacité de remplacement de suivre le rythme des changements. Il serait opportun pour le système belge de disposer de règles qui autorisent toujours l’utilisation (exclusive) de technologies plus anciennes en périodes de quasi pénurie, en particulier durant

CHIFFRES REFLÉTANT LES PRINCIPALES HYPOTHÈSES ET LES RÉSULTATS CLÉS DE L’ÉTUDE

1. ÉLECTRICITÉ EN BELGIQUE : CONSOMMATION ANNUELLE HISTORIQUE

2. ADOPTION DES VÉHICULES ÉLECTRIQUES ET DES POMPES À CHALEUR : PLUS TÔT ET PLUS VITE

Amount of electric passenger cars (EV+PEVH) (thousands)

Equivalent amount of hydronic heat pumps (thousands)

L’électrification et le développement accéléré des électrons bas carbone représenteront le principal levier de décarbonisation de la société durant les 10 à 20 prochaines années. Le premier de ces deux axes s’accélère dans trois secteurs clés (la mobilité, le chauffage et l’industrie), ce qui se reflète dans la hausse projetée de la demande en électricité en Belgique durant la décennie à venir.

Cette évolution ne se limite cependant pas à la Belgique une hausse similaire de la demande en électricité est prévue chez ses voisins (voir cadre ci-dessous).

▶ Pour plus d’informations, rendez-vous à la Section 3.3 de la présente étude.

AdeqFlex’21 AdeqFlex’23 Historical

In addition to passenger cars, e-trucks, busses and vans are also accounted for (was not the case in AdeqFlex’21) Recent sales (beginning of 2023) confirm the uptake and go beyond the value assumed for 2023 if extrapolated for the rest of the year.

+50% sales between 2021 and 2022

+80% sales expected in 2023

Depuis la publication de notre précédente étude, les pouvoirs publics belges à l’échelon fédéral et régional ont fixé de nouveaux objectifs pour les véhicules électriques et les pompes à chaleur. La pénétration de ce type d’assets devrait augmenter environ deux ans (pour les véhicules électriques) et dix ans (pour les pompes à chaleur) plus tôt que prévu, ce qui aura un impact significatif sur les modèles de consommation nationaux, en particulier si la consommation n’est pas gérée de manière efficace.

In addition to hydronic HP, air-to-air HP sales and penetration has increased but they have a lower contribution to heating demand. Recent sales (beginning of 2023) confirm the uptake and go beyond the value assumed for 2023 if extrapolated for the rest of the year.

+ 60% sales between 2021 and 2022

+ 90% sales expected in 2023

Dans le secteur de la mobilité, les politiques fiscales relatives aux véhicules de société en Belgique devraient avoir un impact majeur sur l’adoption généralisée des véhicules électriques dans les années à venir. En outre, l’électrification du secteur des transports ira au-delà des voitures personnelles et portera sur tout un ensemble de véhicules parmi lesquels les utilitaires légers (vans) et lourds (camions) ou encore les bus.

▶ Pour plus d’informations, rendez-vous aux Sections 3.3.3 et 3.3.4 de la présente étude.