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INTERVIEW DU MOIS - IDYL MOUSSA IYE - CHEFFE DE L’ANTENNE DE L’UNESCO À DJIBOUTI

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MAY BIO EXPRESS

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Djibouti

L’Antenne de l’UNESCO a réouvert à Djibouti après une période d’interruption de quelques années. Nous avons profité de l’occasion pour nous entretenir avec la nouvelle Cheffe de l’Antenne, Melle Idyl Mousse Iye.

L’UNESCO est de nouveau présent à Djibouti après une période d’éclipse. Voilà une nouvelle réjouissante ?

Vous savez, l'UNESCO n'a jamais vraiment quitté Djibouti. Même si l’antenne locale a été inactive pendant une période, notre engagement envers Djibouti est resté constant. Ce retour marque une nouvelle phase de la longue et fructueuse collaboration entre Djibouti et l'UNESCO qui dure depuis son adhésion en 1989. Nous avons mené de nombreuses initiatives conjointes dans tous les domaines de compétence : l'éducation, la culture, les sciences et la communication. Aujourd’hui, notre objectif est d’apporter l’expertise partager l'expertise acquise dans d'autres pays de la région et du monde, afin de renforcer les connaissances et les capacités des acteurs nationaux, qu'ils soient décideurs, chercheurs, enseignants, journalistes, membres de la société civile, jeunes ou femmes. Ce retour témoigne de notre engagement renouvelé et de cette dynamique commune visant à bâtir, ensemble, un avenir fondé sur la paix, la connaissance et la coopération internationale.

Depuis 2018, c’est la commission nationale de l’UNESCO présidée par le Ministère de l’Education

Nationale qui comblait le vide. Cela a créé une confusion sur le mandat de l’UNESCO.

Permettez‐moi de saisir cette occasion pour rappeler le rôle fondamental des Commissions nationales, qui ont été créées dès les débuts de l'UNESCO pour associer les intellectuels, les scientifiques, les éduca‐teurs et les créateurs aux processus décisionnels de l'Organisation. Elles sont nées d’un débat et d’un compromis fécond entre ceux qui voulaient une organisation strictement intergouvernementale et ceux qui plaidaient pour une approche plus ouverte, incluant les communautés savantes et la société civile. Cette spécificité confère à l’UNESCO une position unique au sein du système des Nations Unies, en permettant aux Commissions nationales de jouer un rôle crucial dans la mise en œuvre des programmes et la diffusion des valeurs de l'Organisation. Ces Commissions sont des ins‐titutions nationales à part entière, non des entités de l'UNESCO, et leur mission est de coordonner les efforts entre les différents ministères et institutions locales afin de définir les besoins et d'articuler la coopération avec l'Organisation. Pendant l'absence de l’antenne, la Commission nationale de Djibouti a assuré avec brio son rôle de facilitateur pour maintenir le lien avec l'UNESCO et veiller à ce que les programmes soient intégrés dans les priorités natio‐nales. Parallèlement, le bureau régional de l’UNESCO à Nairobi, soutenu par un réseau d'instituts spécialisés, a également poursuivi la mise en œuvre des projets. Aujourd'hui, notre antenne à Djibou ti renforce cet ancrage local et veille à adapter ses activités aux besoins spécifiques du pays, en collaboration étroite avec la Commission nationale.

L’objectif ultime de l’UNESCO est d’instaurer ou de pérenniser une culture de paix. Une ambition louable mais pas facile à concrétiser. La paix est comme une fleur dé‐licate qui se cultive patiemment, jour après jour, et l'UNESCO, avec la modestie d'un jardinier, sème des graines là où les conditions sont propices. La force de l'UNESCO réside dans son rôle de catalyseur, de laboratoire d'idées permettant aux acteurs locaux de partager et d'expérimenter des solutions durables. Dans les années 1990, l’organisation a d’ailleurs rompu avec l’idée de la paix comme simple absence de guerre, en élaborant le concept de "culture de la paix" : une démarche active et dynamique qui s’enracine dans l'éducation, le dialogue interculturel, la valorisation des patrimoines et le renforcement de la cohésion sociale. Ce programme vise à promouvoir le respect, la dignité humaine et la justice so‐ciale à travers l'éducation, la culture, les sciences et la communication. Les sciences humaines et sociales, qui constituent un secteur à part entière à l’UNESCO, jouent un rôle central dans cette démarche, en étudiant et mobilisant les principes, valeurs et pratiques des communautés pour renforcer le dialogue interculturel, l’inclusion et le respect mutuel.

À Djibouti, nous aimerions donc œuvrer à "cultiver la paix" à travers la transmission des savoirs oraux, la promotion des traditions, le dialogue interculturel et le soutien aux industries culturelles et créatives. Car, nous le savons, les contes et légendes, la poésie, le théâtre, les chansons, les œuvres d'art sont de puissants moyens de faire passer ces messages contribuant à l'édification de la paix.

L’UNESCO est reconnu à travers le monde pour la défense de la diversité culturelle. Comment maintenir cette exigence avec la mondialisation et ses corollaires, notamment l’uniformisation ?

La diversité culturelle est dans l'ADN de l'UNESCO depuis sa création en 1945, au cœur de grands programmes comme les Histoires générales, les Routes de la soie, ou le patrimoine culturel de l'Humanité. Ces ini tiatives visent à montrer les contributions des peuples au progrès de l’Humanité. Nous considérons que la diversité culturelle est aux sociétés humaines ce que la diversité biologique est à la nature : un moyen de survie, d’enrichissement et de durabilité. C’est une valeur universelle car toutes les sociétés humaines ont eu besoin de générer cette diversité, dans les langues, les pratiques, les habillements, la nourriture.

La mondialisation, malgré ses paradoxes, nous permet de prendre conscience de l'urgence de préserver cette richesse, aujourd'hui de plus en plus menacée. Djibouti, terre d’échange et de rencontre, en est un exemple concret. Le défi est de conserver cette diversité sans la figer. Ce n'est pas seulement une question de conservation, mais aussi d'innovation : un vivier de solutions nouvelles pour les défis d'aujourd'hui. En documentant les tradi tions orales des peuples nomades et en soutenant les jeunes créateurs via les industries culturelles et créatives, nous luttons contre l'uniformisation, l'oubli, et la perte de ces patrimoines. Ces industries créatives et culturelles (ICCs) représentent également un formidable levier de croissance économique, tout en offrant des espaces d'expression, de partage, et de cohésion sociale.

La culture Djiboutienne se manifeste surtout à travers l’oralité qui est une spécificité des populations nomades. Comment éviter sa déperdition qui va de pair avec la disparition biologique de ceux et celle qui en sont les dépositaires ? L'oralité est la mémoire vive des peuples nomades, la sève nourricière qui relie les générations et raconte le monde avec poésie et enchantement. Pour éviter sa déperdition, il est essentiel de l'inscrire dans le présent et dans la modernité. Cela passe d’abord par sa collecte rigoureuse, son archivage et surtout la valorisation de ces savoirs comme source de fierté et d'inspiration. Le musée national de Djibouti, projet chapeauté par l'ANPC, est un exemple des actions à engager dans ce sens. Il sera une vitrine vivante de la richesse de l’histoire du pays, des réalisations des diverses communautés qui la composent et de leur mémoire orale. Le programme Mémoire du Monde de l’UNESCO, encore méconnu, vise à préserver le patrimoine documentaire de l'humanité, y compris les traditions orales, pour les générations futures. Mais il ne s’agit pas uniquement de préserver : il faut aussi transmettre, faire vivre ces connaissances et pratiques. Il est essentiel de capter l’intérêt des jeunes, les inciter à devenir les nouveaux conteurs, ceux qui porteront l'héritage de leurs ancêtres tout en l'adaptant aux réalités contemporaines et en les réinventant. L'oralité ne doit pas se limiter à des archives figées, elle doit vivre sur scène, dans les écoles, dans les espaces publics, et faire partie intégrante de la dynamique culturelle actuelle. C’est ainsi que se construisent, jour après jour, l’identité nationale et la cohésion sociale.

Une des priorités de l’UNESCO c’est l’Afrique. Comment votre institution compte promouvoir et mettre en valeur notre continent ?

L'Afrique est certes une priorité stratégique de l'UNESCO, notamment depuis les «Assises de l’Afrique» en 1995, qui ont permis de définir les besoins et les attentes des pays africains envers l'UNESCO. Mais l’Afrique est aussi une source d'inspiration, car c’est un continent dont la diversité et la créativité peuvent contribuer à l’élaboration de solutions globales. L'ancien Directeur général de l'UNESCO, Makhtar Mbow, qui nous a quitté il y quelques semaines, fut le premier Africain à diriger une organisation internationale de cette envergure. Il a joué un rôle fondamental l'émancipation intellectuelle et culturelle de l'Afrique à travers toire dans les curriculums scolaires. Cette démarche vise à fournir aux jeunes Africains une meilleure connaissance de leurs racines et des contributions de leurs peuples à la civilisation humaine. L'objectif est de renforcer leur estime de soi et leur autonomie de pensée, tout en renouant avec la créativité de leurs ancêtres.

À Djibouti, nous travaillons actuellement, en collaboration avec la Commission Nationale et le ministère de l’Éducation Nationale et de la Formation Professionnelle, à intégrer les acquis de cette histoire dans les curricula. Pour soutenir cette initiave

Ne pensez-vous pas qu’à des projets monumentaux comme l’Histoire générale de l’Afrique. Ce projet, que vous connaissez bien, est un des témoignages les plus emblématiques de l’apport de l’Afrique à l’Humanité. Ce fut une aventure scientifique et intellectuelle qui avait permis de redonner la parole aux Africains sur leur propre histoire, de reconstituer une mémoire collective qui a souvent été fragmentée. Aujourd'hui, l'un des grands défis pour les pays africains est d'intégrer cette histoire promue par l'Union africaine, l'UNESCO a élaboré des contenus pédagogiques et des guides destinés aux enseignants, facilitant ainsi l'intégration de ces connaissances dans les systèmes éducatifs africains. Nous soutenons également des programmes du ministère de la Jeunesse et de la Culture sur les industries culturelles et créatives pour stimuler l'innovation et la création d'emplois pour les jeunes, tout en célébrant l'identité africaine sous toutes ses formes.

Djibouti il y a des sites qui méritent d’être répertoriés comme patrimoine mondial ?

Absolument, Djibouti recèle des trésors encore méconnus. L’UNESCO est bien sûr, disposée à soutenir la mise en lumière de la richesse des innombrables sites uniques du pays : des paysages majestueux du Lac Assal ‐un des points les plus bas du continent africain et un paysage d'une beauté saisissante ; aux peintures rupestres d'Abourma ‐qui témoignent de la riche his ‐toire préhistorique de la région ; sans oublier les panoramas spectaculaires du Lac Abbé. Djibouti possède un patrimoine culturel et naturel exceptionnel qui mérite d’être mieux connu et reconnu pour figurer sur la liste du patrimoine mondial.

Le potentiel de valeur universelle exceptionnelle est bien présent, et c'est à travers un travail collectif, impliquant les communautés locales et les experts, que nous pourrons identifier et inscrire les sites les plus emblématiques. Ces sites, une fois inscrits, ne seront pas seulement des témoignages du passé, mais aussi des leviers pour l'avenir en tant que sources de fierté, moteurs de développement touris‐tique durable, et symboles renforçant l'identité nationale et continentale. L'UNESCO est déterminé à accompagner la République de Djibou ti dans ses démarches pour la reconnaissance et la valorisation de ces patrimoines.

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