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Bazoum face au casse-tête sahélien

Critique à l’égard de ses voisins maliens, préoccupé par la transition burkinabè, opposé à l’idée d’une rupture avec la France, le dernier président civil des pays du G5 Sahel fait figure d’exception dans la région.

MATHIEU OLIVIER, ENVOYÉ SPÉCIAL

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Dans les sommets de l’Union africaine (UA), la photographie des chefs d’État fait partie du rituel. On attend les retardataires, on échange quelques banalités, puis on se place, par ordre d’importance Chacun connaît son rang, comme à Niamey ce 25 novembre 2022, à l’occasion du rendez-vous consacré à l’industrialisation et à la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf). Mohamed Bazoum, qui accueille ses pairs, trône au centre. Le président nigérien est encadré du Mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani et du Rwandais Paul Kagame

Non loin, le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, est lui aussi en bonne place, mais à distance respectable d’un autre Tchadien, le général Mahamat Idriss Déby Itno. Les deux hommes sont en délicatesse

– un euphémisme – depuis le décès d’Idriss Déby Itno, en avril 2021, et l’arrivée au pouvoir de son fils. Dans le hall du centre de conférences Mahatma- Gandhi de Niamey, aucune trace, en revanche, des chefs des transitions malienne et burkinabè. Assimi Goïta et Ibrahim Traoré n’ont pas fait le court voyage. Et pour cause, les deux hommes sont persona non grata. Non désirés.

La relation entre Niamey et Bamako est aujourd’hui exécrable

Déjà en froid avec la junte dirigée par Assimi Goïta, Mohamed Bazoum n’a pas oublié la diatribe lancée à son encontre le 24 septembre dernier par le Premier ministre malien par intérim, Abdoulaye Maïga, à la tribune des Nations unies. Dans un discours d’une rare violence, ce dernier avait notamment qualifié le président d’« étranger qui se réclame du Niger », réactivant au passage la polémique au sujet de la nationalité du chef de l’État nigérien. « C’est quelque chose qu’il n’a pas oublié. Cela rend les relations avec Bamako d’autant plus compliquées », assure un conseiller du président Bazoum.

Fossé entre Bamako et Niamey

Les relations seraient plus inexistantes que « compliquées ». Ces derniers mois, la coopération militaire est en effet à l’arrêt, alors même que le Niger réclame que son armée puisse pénétrer occasionnellement en territoire malien afin d’y poursuivre les groupes jihadistes. « Nous ne pouvons pas rétablir la sécurité sur notre territoire si les terroristes ont la possibilité de se replier au Mali sans être inquiétés », déplore Kalla Moutari, ancien ministre de la Défense. « L’armée malienne ne contrôle pas son côté de la frontière et elle nous empêche de poursuivre nos opérations. Cela rend une partie de notre action inopérante », ajoute une source sécuritaire.

« Il y a des années que le fossé se creuse entre Bamako et Niamey, même si l’entente entre Mahamadou Issoufou et Ibrahim Boubacar Keïta cachait le problème, explique encore l’ex-ministre Kalla Moutari. Beaucoup de gradés maliens ont développé un ressentiment à l’encontre de la France, qui ne leur accordait, selon eux, pas assez d’aides financières. Et ce sentiment s’est étendu au Niger » En 2019, la nomination à la primature malienne de Boubou Cissé, proche des Français et des Nigériens, aurait achevé de faire monter la tension.

« Ce que rejettent les putschistes maliens, c’est aussi l’axe ParisNiamey », résume une source diplomatique ouest-africaine

La relation avec le Burkina Faso est-elle plus prometteuse ? Si la coopération n’est actuellement pas beaucoup plus efficace, l’heure n’est pas (encore) à la rupture. Mais les inquiétudes sont bien présentes, quelques mois après l’arrivée au pouvoir à Ouagadougou d’Ibrahim Traoré et le renversement de Paul-Henri Sandaogo Damiba, avec lequel Mohamed Bazoum avait tenté de nouer de bonnes relations « Nous sommes dans une phase d’attente, explique notre source sécuritaire. Nous subissons les aléas des putschs, qui sont un frein à une bonne collaboration. »

« Ce que Bazoum redoute – et les Français avec lui –, c’est l’établissement d’une relation privilégiée entre Assimi Goïta et Ibrahim Traoré, avec les Russes de Wagner en arrière-plan », confirme notre diplomate. Les premiers pas du capitaine Ibrahim Traoré à la tête de la transition burkinabè sont en effet particulièrement scrutés depuis les capitales sahéliennes et jusqu’à Nouakchott, d’où Mohamed l’année 2023, au plus tôt. Mais certains de ses contours sont d’ores et déjà connus. Mohamed Bazoum a en effet fermé la porte à un déploiement massif de soldats étrangers sur son sol, autant qu’à la construction à grande échelle de bases En revanche, il a fait de la rapidité d’intervention au plus près des zones frontalières, de la reconnaissance aérienne et du partage du renseignement les principaux points à améliorer. « Ces besoins existaient déjà sous Mahamadou Issoufou, mais les Nigériens n’avaient pas obtenu gain de cause. Mohamed Bazoum est peut-être davantage en position de force », affirme un ambassadeur à Niamey.

Tirer profit de Paris…

« C’est au Niger de piloter », met cependant en garde un conseiller du président nigérien. « Il doit à tout prix éviter d’apparaître dépendant de Paris. Aujourd’hui, tout le monde paie les erreurs et l’arrogance d’Emmanuel Macron, comme lorsqu’il avait “convoqué” les chefs du G5 Sahel à Pau », explique un ancien membre du gouvernement qui estime que les faux pas du président français ont « réduit à néant le capital de la France au Sahel ». « Aujourd’hui, si quelqu’un voit un accident de la route à Niamey, il est capable de dire que c’est la faute des Français… », résume Ali Idrissa, cadre de la société civile

Ould Cheikh El Ghazouani tente, en temps qu’actuel président de l’organisation, de relancer un G5 Sahel en état de coma profond depuis le retrait du Mali, en mai 2022.

Dernier chef d’État civil du Sahel – où Ghazouani, Goïta, Traoré et Déby Itno sont issus des rangs de l’armée –, Bazoum peut-il résoudre le casse-tête sahélien ? Il a en tout cas misé sur une stratégie d’alliance militaire avec la France et a accepté d’accueillir au Niger une partie des ex-moyens militaires de l’opération Barkhane, qui a pris fin au début du mois de novembre dernier. Ce dispositif à venir est encore au cœur des discussions entre les états-majors français et nigérien, et ne devrait pas être opérationnel avant le milieu de

S’il est moins fort qu’à Ouagadougou ou à Bamako, le rejet de l’ex-colon n’a en effet pas épargné Niamey, où une partie de l’opposition n’hésite pas à s’en saisir Au point d’anéantir la stratégie de Mohamed Bazoum, décidé à s’ériger en patron d’une coopération régionale à consonance française ? Le président considère que le sentiment antifrançais est marginal dans l’opinion nigérienne. Mais il ne le surveille pas moins comme le lait sur le feu et ne se prive pas de nouer d’autres partenariats, comme avec la Turquie « L’idée, c’est de tirer profit de Paris sans avoir à en payer les conséquences, glisse l’un de ses proches. Il faut faire de la politique pour gagner une guerre. »