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pour s’inscrire dans la durée
Le télétravail est parti pour s’inscrire dans la durée
La tendance est planétaire : le travail à domicile, imposé de facto par la pandémie de coronavirus, est aujourd’hui plébiscité au point que de nombreuses entreprises envisagent de le pérenniser à travers le monde. En Suisse, aussi, l’engouement est réel. Perspectives.
De nombreuses études l’attestent: le télétravail a le vent en poupe depuis la pandémie. Selon le « Steiner Office-Barometer », étude menée outre-Sarine et en Suisse romande ce printemps auprès de plus de 1000 personnes actives, neuf répondants sur dix – pour qui le home office est praticable – souhaiteraient continuer à travailler depuis la maison à l’avenir, même si beaucoup d’entre eux indiquent regretter les interactions sociales du bureau. L’enquête révèle qu’une offre de télétravail pourrait même s’avérer un avantage clé en matière de recrutement dans la mesure où les jeunes souhaitent de plus en plus travailler depuis leur domicile. BRÈCHE OUVERTE
Credit Suisse a en quelque sorte ouvert la brèche cet été en communiquant que ses employés actifs dans le pays pourront travailler à l’avenir depuis chez eux. Une étude menée à l’interne auprès de 3800 collaborateurs l’automne dernier montre que le home office a été littéralement plébiscité. En Suisse romande, la grande banque s’attend à ce que les employés travaillent à 40% depuis la maison et à 60 % au bureau. André Helfenstein, CEO de Credit Suisse (Suisse) SA, explique en ces termes la démarche: «Alors que nous nous préparons à un monde post-pandémique, nous voulons gagner en flexibilité et en agilité dans notre façon de travailler. ‹The Way We Work› est notre modèle de travail tourné vers l’avenir, qui offre à nos collaboratrices et collaborateurs une plus grande flexibilité et plus de choix dans l’aménagement de leur temps de travail individuel. En même temps, en tant qu’employeur moderne, nous voulons contribuer à un équilibre encore meilleur entre la vie professionnelle et la vie privée de nos collaborateurs.» Ce nouveau modèle de travail sera mis en œuvre progressivement en Suisse
Corollaire de cet engouement, certains employeurs pourraient songer à recruter du personnel sous d’autres cieux moins onéreux. Ce scénario, inspiré par la pandémie de Covid, est esquissé par un institut anglais dans une étude rapportée dans « 24 heures ». Selon le Tony Blair Institute for Global Change, en Grande-Bretagne, un emploi sur cinq risquerait d’être délocalisé. Parmi les jobs susceptibles de migrer vers des contrées aux salaires moins élevés, l’institut de l’ex-premier ministre pointe tous ceux dont les tâches sont effectuées via un ordinateur. FLOU JURIDIQUE
Au niveau légal, en Suisse, l’activité professionnelle que représente le télétravail n’est réglée explicitement ni par le Code des obligations ni par la loi sur le travail. C’est pourquoi les dispositions en vigueur de ces deux textes s’appliquent par analogie au travail chez soi. Dans une brochure éditée sur cette thématique, le Secrétariat d’Etat à l’économie souligne qu’il n’existe encore que peu de jurisprudence sur ce thème. Mais les choses bougent sur le front législatif (voir ci-contre).
Au plan vaudois, les résultats de notre enquête conjoncturelle de l’automne dernier montrent que le home office procure certains avantages. Parmi eux figurent la réduction du stress lié aux déplacements (pour 66% des sondés), un meilleur équilibre entre vie privée et professionnelle, ainsi qu’une augmentation de la satisfaction des employés (59%). Notre enquête montre aussi que ce mode de fonctionnement confronte les firmes à de nombreuses difficultés : la communication avec les employés (51 %), la protection des données et la cybersécurité (42 %), ainsi que le contrôle du respect des horaires de travail (30 %). La mise en place de l’infrastructure nécessaire constitue également un challenge pour un tiers des entreprises sondées.
Le télétravail est donc parti pour devenir un outil permanent, puisque seules 17% des entreprises que nous avons sondées prévoient de ne plus y avoir recours une fois la crise passée. Dans ces conditions, il paraît indispensable de porter une vraie réflexion sur un phénomène appelé à durer.

« Nous sommes à l’aube d’une petite révolution »
Marco Taddei, responsable de l’antenne romande de l’Union patronale suisse (UPS), tire un bilan plutôt positif de cette période de télétravail, contrainte en raison de la pandémie. « Du point de vue macroéconomique, se réjouit-il, le recours au home office a permis d’éviter une vague de licenciements. » Il concède que cette forme de travail a entraîné des contraintes pour les PME en termes d’organisation, de communication et de protection des données, mais il estime que les avantages l’ont emporté sur les inconvénients. « Les employés ont gagné en autonomie, en flexibilité et en responsabilisation. Des études attestent même que la productivité des travailleurs s’est accrue, ce dont les entreprises ont pu bénéficier par ricochet. Employés et employeurs souhaitent poursuivre dans ce sens. Il y a un avant et un après : il s’agit d’un vrai changement de paradigme. »
Marco Taddei est d’avis que cette transformation profonde du monde du travail va s’inscrire dans la durée. La grande différence par rapport à la période pandémique, c’est qu’il n’y aura pas de contrainte. Pour lui, la confiance entre employeur et employé constituera la base de ce nouveau contexte professionnel. « Il faudra trouver un juste milieu entre activités sur le lieu de travail et à domicile, assure-t-il. Une approche pragmatique, propre aux spécificités de chaque entreprise, devra être de mise. Le savant équilibre se situe entre 2 et 3 jours par semaine, mais assurément pas 5. »
A ce propos, son responsable romand rappelle que l’UPS et les Chambres de commerce, dont la CVCI, ont fait œuvre de pionnier l’automne dernier en élaborant un modèle de convention de télétravail de base, adaptable en fonction de chaque cas particulier. Les entreprises ont très bien accueilli cette initiative, car le home office n’est pas réglementé dans la loi. Ce protocole comble, en quelque sorte, le flou existant et évite des litiges. «Le travail à domicile soulève de nombreuses questions : horaires, pauses, frais, protection des données, etc. Cette première expérience est très concluante. Ce modèle reste adapté et d’une brûlante actualité. Nous l’avons même traduit en anglais à la demande de grandes entreprises. »
Les lacunes juridiques du télétravail suscitent des velléités au Parlement fédéral. Une motion socialiste, déposée cet été, vise à cadrer ce mode de travail, à travers des modifications de la loi sur le travail, d’une ordonnance relative à la protection de la santé et du Code des obligations. A première vue – sa position n’est pas encore tranchée à ce jour –, l’UPS est d’avis qu’une réglementation n’est pas nécessaire dans la mesure où la convention qu’elle propose constitue une réponse adaptée.
Marco Taddei constate, enfin, que l’émergence du télétravail «est le reflet d’une accélération de la numérisation du monde professionnel. Nous sommes vraiment à l’aube d’une petite révolution, qui ne se limitera pas au travail: il s’agit d’un changement plus large qui est susceptible de bouleverser nos sociétés au niveau de la mobilité, de la famille, de l’énergie, ainsi qu’au niveau immobilier. Le visage des centres urbains va s’en trouver modifié.»