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Billy Mills

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Bob Beamon

Bob Beamon

L’ h i s t o i r e des sportifs amérindiens s’est inscrite en lettres de mépris et de racisme au fil des siècles. La plupart des renseignements relatifs aux grands sportifs d’avant 1896, sont surtout basés sur des informations limitées ou des légendes.

Les pratiques sportives amérindiennes furent les plus actives dans les premières décennies du

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XXième siècle, particulièrement quand les équipes d’athlètes de

Carlisle, des années 1890 à 1918, et celles de Haskell dans les années 1920, dominaient le continent.

La suprématie des Indiens sur la scène sportive nationale s’expliquait par le regroupement de jeunes

Indiens venus d’horizons tribaux différents dans les pensionnats indiens. Elle s’exprimait aussi par l’union d’athlètes indiens au sein d’équipes communes concourant contre les Blancs. Enfin, l’intérêt initial des Amérindiens pour les jeux trouvait un écho particulier dans les nouveaux sports des Blancs. Cette réussite sportive - surtout au début de XXième siècle - ne fut malgré tout pas un critère de bonne santé.

Elle apparaissait n’être qu’une étape dans la volonté blanche de fondre les Amérindiens dans le moule de l’homo americanus. De nos jours, la participation indienne au plus haut niveau est très faible. Il serait inapproprié d’expliquer le manque de participation aux jeux Olympiques par de simples et sombres histoires de racisme ou d’acculturation. On peut, schématiquement certes, résumer cet état de fait par plusieurs critères. Le premier concerne les difficultés rencontrées par les natifs pour intégrer les voies officielles pour l’accession au haut niveau. Les universités américaines jouent en ce sens un rôle fondamental de

Billy Mills et la piste olympique indienne Les Indiens et le Nouveau monde sportif par Fabrice Delsahut détection or les Indiens peinent, dans leur grande majorité, à atteindre de tels niveaux d’étude. Un autre motif concerne des facteurs FONDRE LES AMERINDIENS DANS LE MOULE DE plus socioculturels, religieux et L’HOMO AMERICANUS psychologiques. Le tribalisme, l’impact des traditions et la notion peu développée d’affrontement, de compétition sont autant de facteurs limitatifs. Le métissage représente aussi un facteur limitatif. Durant les trois dernières décennies, les Indiens ont participé à une multitude de compétitions dans chaque région du pays, aussi bien en tant qu’amateurs que professionnels. Cependant, depuis quelques années, le problème majeur posé vis-à-vis de la performance sportive a été le manque de méthode systématique pour identifier les athlètes en tant qu’Indiens. Même si certains ont

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été identifiés ou reconnus comme des Indiens, d’autres ne le furent pas. Dans les temps anciens, il était relativement facile d’identifier un Amérindien. Aujourd’hui, le métissage des races rend cette identification de plus en plus difficile. Enfin, le dernier critère porte sur la loi du nombre. La devise de l’U.S.O.C. proclame fièrement que « Ce n’est pas l’Amérique qui envoie ses athlètes aux jeux Olympiques : ce sont les Américains ». C’est aussi ici que réside le problème : les Amérindiens représentent la minorité des minorités donc une entité négligeable sur ce vaste continent. La majorité des Américains fait peu de cas d’une minorité atomisée sur tout le territoire. Entre les pratiques traditionnelles perdues dans les réserves amérindiennes et les sports vecteurs d’assimilation des pensionnats, quelques Indiens - tels que Lewis Tewanima, Thomas Charles Longboat, James Francis Thorpe, Ellison Myers Brown, William M. Mills - obtinrent d’étonnants passe-droits pour les Jeux. En ce début de XXIième siècle, il ne reste que peu de traces de ces hommes qui se voulaient de simples conquérants de l’Olympe, et qui souvent ne furent que des porte-drapeaux malinches. Derrière l’image imposante d’un certain James Francis Thorpe, double héros des jeux olympiques de Stockholm en 1912, se cache un champion amérindien inconnu, William M. Mills.

L’IMAGE IMPOSANTE D’UN CERTAIN JAMES FRANCIS THORPE

“Qui êtes-vous?”

Les jeux Olympiques de Tokyo, en 1964, ont, semble-t-il, contribuer à pérenniser le mépris à l’égard des sportifs nord-amérindiens. Le 30 juin 1938 à Pine Ridge, Dakota du Sud, naquit William M. « Billy » Mills, Sioux Oglala. Bien qu’il devint un coureur de fond exceptionnel, l’histoire de Mills aux jeux Olympiques de Tokyo reste un des renversements les plus étonnants dans l’histoire des sports modernes. Mills grandit dans la réserve indienne sioux et perdit ses parents à l’âge de 12 ans. A l’école indienne de Haskell Institute à Lawrence, Kansas, il fit ses premiers essais sur longue distance. Il commença par un programme de formation page

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rigoureux pour devenir boxeur. Il l’abandonna au profit de la course. Son talent et son travail acharné l’orientèrent naturellement sur les longues distances. A l’université du Kansas, il remporta plusieurs titres en cross-country et au deux miles (3,2 kilomètres). Il abandonna un temps la course pour servir en tant que lieutenant dans le corps des Marines. Durant cette période, il revint à la course et signa in extremis le temps qualificatif pour les jeux Olympiques de Tokyo.

Il se présenta pour la course du 10.000 mètres, une course qu’aucun Américain n’avait jamais gagné aux jeux Olympiques. Les médias ne lui accordèrent que peu d’importance. L’attention portait exclusivement sur l’Australien Ron Clarke qui détenait alors le record du monde de la distance. Le Tunisien Mohammad Gammoudi focalisa lui aussi l’attention par son statut de principal rival pour l’or. Le temps de qualification de Mills était supérieur de près d’une minute à celui de Clarke. Une telle performance ne laissait que peu d’espoir de médaille. La course débuta sur une piste humide. Il maintint l’allure sur les premiers tours avant d’être ralenti peu avant le dernier tour par un groupe de coureurs. Il dut fournir un effort important pour rejoindre Clark et Gammoudi. Sur les derniers cent mètres, Mills trouva une incroyable énergie pour dépasser en sprint ses deux adversaires. Devant l’étonnant spectacle se déroulant sous ses yeux, un commentateur d’une chaîne de télévision américaine s’exclama : « Oh mon Dieu, regardez Mills ! Il va gagner ! ». Mills raconta plus tard qu’il n’avait cessé tout au long de sa course de se convaincre encore et encore qu’il pouvait gagner. Il cassa la bande d’arrivée avec un nouveau record olympique de 28 minutes et 24 secondes. Il pulvérisa son record personnel de près d’une minute.

La foule assommée devant un tel spectacle ne pouvait croire ce qu’elle venait de voir. La notoriété de Mills était si basse qu’un des responsables se précipita vers lui pour lui demander: «Qui êtes-vous ?». Les organisateurs d’alors durent penser qu’il n’y a de meilleure joie que discrète et refusèrent au Sioux le droit légitime du tour d’honneur. Regrettant de ne pas avoir eu l’autorisation, Mills revint vingt années plus tard et fit symboliquement le tour du stade olympique sous les applaudissements d’une seule supportrice : sa femme. Après les jeux Olympiques, Mills battit plusieurs records du monde notamment celui du six-miles (9,6 kilomètres) en 1965. Il est aujourd’hui un membre actif des causes amérindiennes et milite pour faciliter l’accès aux sports pour les jeunes Amérindiens. A ce jour, aucun autre Américain n’a gagné une médaille d’or dans le 10.000 mètres.

MILLS BAT LE RECORD OLYMPIQUE DU 10.000 m et PULVERISE SON RECORD PERSONNEL

L’après Mills

La médaille d’or de Mills n’a pas vraiment oeuvré pour la cause olympique des Indiens. Depuis Thorpe et Mills, les Indiens d’Amérique ont été peu présents dans les compétitions olympiques, que ce soit en termes de représentations ou de résultats. Eagle Day attribue, en partie, cette

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période d’absence au stéréotype des athlètes amérindiens qui consiste «à se comporter comme des enfants qui ne sont pas sérieux.» Leur situation dans le monde sportif américain est aujourd’hui toujours aussi complexe. Elle tient compte des prérogatives sportives du pouvoir blanc et des restrictions fixées par les traditionalistes. En effet, en dehors de toute composante structurale, la complexité procède en premier lieu de l’hétérogénéité des pratiques tribales. D’une tribu à l’autre, le monde du sport prend un tout autre visage. Cette pratique reflète l’histoire des nations concernées. De leur degré d’acculturation et de leur désir ou non de s’accommoder au modèle dominant correspond une pratique sportive propre.

Durant les trois dernières décennies, les Amérindiens ont participé à une multitude de compétitions dans chaque région du pays, aussi bien en tant qu’amateurs que professionnels. Mais en dépit de l’évident enthousiasme de certaines communautés pour les équipes et vedettes locales, la représentation sportive amérindienne à l’échelon nationale ou internationale reste cependant faible. Pour Selena Roberts, « Au-delà des accomplissements de Jim Thorpe il y a presque un siècle au football, base-ball et décathlon, des actes de bravoure de Billy Mills au 10.000 mètres aux Jeux olympiques de 1964 et l’arrivée récente de Notah Begay III sur le circuit pro de golf, les athlètes amérindiens n’ont pas fait le saut vers le niveau le plus haut de sport américain. » Selon Richard C. King, ils sont près de 200 à avoir pratiqué au plus haut niveau au siècle dernier. D’après les chiffres de 1998-1999, seulement 310 étudiants amérindiens parmi les 70.856 athlètes de collège de division ont reçu une bourse sportive, soit 0,4% de boursiers alors que les Amérindiens représentent en 2000, 1% de l’ensemble de la population américaine.

DES DIFFICULTES EN

ESSAYANT D’ATTEINDRE

L’ELITE SPORTIVE

Selena Roberts résume la situation actuelle : « Les Indiens d’Amérique ont gagné moins de reconnaissance dans le sport que la plupart des autres groupes ethniques ou raciaux aux États-Unis. Ils n’ont pas trouvé leur niche parmi les millionnaires du sport ou servi de modèles sportifs pour les enfants dont l’estime de soi finit par se déliter. Les difficultés que les Indiens d’Amérique ont rencontrées en essayant d’atteindre l’élite sportive reflètent certaines des plus grandes forces sociales qui ont gêné leur accomplissement dans d’autres secteurs du mode de vie américain. » Les spécificités des cultures et modes de représentations des sociétés indiennes page

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sont peu compatibles avec le sport de haut niveau. A cela s’ajoutent le préjugé et l’incompréhension, le manque d’opportunité, les entraîneurs incapables de recruter des athlètes dans les réserves, l’isolement des communautés dans ces réserves, l’attachement des athlètes à la famille et à la communauté, le rejet ancestral de l’individualisme, la jalousie et les conflits au sein des communautés indigènes, et l’incapacité à s’adapter aux attentes et aux institutions blanches sont autant de facteurs qui limitent une possible insertion dans le monde sportif des Blancs. Reste à évaluer la réelle envie des Amérindiens à intégrer ce sport de haut niveau si représentatif de la culture nord-américaine.

Malgré tout, la contribution amérindienne sportive existe bel et bien. Selon Richard Kings, « Aujourd’hui, les athlètes indiens sont moins visibles qu’ils l’étaient il y a un siècle, mais ils continuent à faire des contributions notables dans le sport à tous les niveaux ; loin de la vue du grand public et bien souvent hors des discours populaires, les Indiens ont continué de réinventer le sport et la société. » Même très peu nombreux, les athlètes amérindiens professionnels existent. On peut ainsi citer de façon non exhaustive Notah Begay (golfeur navajo), Sam Bradford (quarterback cherokee des St. Louis Rams), Tahnee Robinson (première amérindienne draftée en WNBA), Justin Louis « Joba » Chamberlain (pitcher pour les New York Yankees, Detroit Tigers, Kansas City Royals et Cleveland Indians), Jacoby McCabe Ellsbury (voltigeur avec les Yankees de New York puis pour les Red Sox de Boston), Kassidy Dennison (professionnelle de barrel racer),...

Avant eux, deux athlètes mohawks ont brillé sur la scène internationale : Alwyn Morris, double médaillé d’or et bronze en kayak, et Waneek Horn-Miller, médaillée d’or aux Jeux panaméricains de Winnipeg en 1999 en water-polo, co-capitaine de la formation canadienne qui se classa cinquième aux Jeux olympiques de Sydney en 2000 et médaillée de bronze aux championnats du monde à Fukuoka, au Japon en 2001. Leur contribution sportive, aussi méritante soit-elle, réside davantage dans ce qui peut être qualifié d’« ethnocentrisme sportif » c’est à dire une pratique tribale des sports modernes.

Loin de tout individualisme forcené, de toute expression du plaisir égoïste, d’un olympisme planétaire, elle procède d’une volonté de renouer des liens relâchés, de retrouver une cohérence avec soi-même, avec le groupe, avec la nature. De cette pratique est née une indianité sportive blanche qui pourrait peut-être saper les bases de certaines forteresses institutionnelles à défaut de mettre à mal un système ultra commercial.

Fabrice Delsahut

MÊME TRES PEU NOMBREUX, LES ATHLETES AMERINDIENS PROFESSIONNELS EXISTENT

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