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KOREAN THREAD
LEE HYUN JOUNG
SUNG-PIL CHAE
SEUNGSOO BAEK
SANGWOO KIM
Prendre le fil comme thème de cette exposition qui réunit Lee Hyun Joung, Sung-Pil Chae, Seungsoo Baek et Sangwoo Kim et pourrait laisser penser que leur rapprochement ne tient qu’à … un fil, justement. Or il n’en est rien et même si c’était le cas, ce fil est suffisamment directeur, solide et conducteur, tel celui d’Ariane, pour justifier la rencontre de ces quatre artistes et servir de … fil rouge pour tisser des liens entre leurs démarches respectives.
Pour Chae Sung-Pil, le fil est évidemment celui de l’eau avec la peinture bleue très liquide qu’il projette sur toile avec ses pinceaux fabriqués avec des plantes. Il répand ainsi des taches, des gouttes, des coulures dont il guide ensuite le mouvement, le flux, la cartographie chromatique en tenant sa toile à plat et en la penchant plus ou moins comme s’il s’agissait d’un tamis. L’eau devient image et manifestation de l’un des cinq éléments (avec le bois, le feu, le métal et la terre) caractéristiques des mouvements des rythmes naturels de la vie, dans la pensée taoïste chère à l’artiste.
Le fil de l’eau on le retrouve et on le suit dans les œuvres de Lee Hyun Joung qui peint, au pinceau et à l’encre, sur le traditionnel papier coréen Hanji (un papier mâché avec de l’eau, composé de fibres de mûrier) des successions de lignes qui ondulent et évoquent des vagues. Ou des coups de vent. Ou des lignes de crêtes. « Une ligne pour le plaisir d’être ligne, d’aller, ligne. Points. Poudre de points. Une ligne rêve. On n’avait jusque-là jamais laissé rêver une ligne » écrivait Henri Michaux. On aurait envie de rajouter qu’avant Lee Hyun Joung on n’avait peut-être jamais autant laissé une ligne divaguer. Au-delà même du tableau, comme si la ligne, les lignes continuaient hors de leur cadre à l’intérieur duquel elles sont une bribe de temps suspendu, le fragment d’un espace infini. Car le fil est aussi le fil du temps, qui découle, si l’on peut dire, de celui de l’eau. C’est le temps qui s’écoule sous nos yeux, qui défile, le temps qui prend la fuite, le présent qui s’efface. C’est le temps de Lee Hyun Joung, qu’elle ne voit pas passer tant elle est immergée dans ses lignes. C’est aussi celui, très long, passé comme hors du temps, par Kim Sangwoo pour atteindre ce polissage parfait de ses sculptures dont les surfaces érodées et adoucies, dialoguent avec leurs contours, arrondis comme des galets, qui dessinent des volumes et des formes au parfait équilibre, comme sur…un fil. Le temps c’est encore celui des reliefs en polystyrène peint en noir de Baek Seungsoo qui rythment frontalement l’espace et lui donnent du fil à retordre en proposant dans leurs interstices et arrières plans des effets de couleurs comme autant d’effets de contrepoints, de perspectives et de lumières possibles.
Le fil, bleu, noir ou gris est enfin celui qui relie ces artistes autour de la monochromie, du rapport à la nature, d’une culture taoïste, de leur attachement à la matière, au matériau, autant d’aspects qui en font les dignes héritiers du fameux mouvement du Dansaekwa, des années 60-70, qu’ils savent prolonger et réinventer. Une façon de ne pas couper le fil d’une histoire de l’art coréen. Une filiation en quelque sorte.
Henri-François Debailleux
Using thread as the theme of this exhibition, which brings together Lee Hyun Joung, Sung-Pil Chae, Seungsoo Baek, and Sangwoo Kim, might lead one to think that they are united by nothing more than ... a thread. But this is not the case, and even if it were, this thread is sufficiently direct, solid and conductive to justify the meeting of these four artists and to serve as ... a red thread to weave links between their respective approaches.
For Chae Sung-Pil, the thread is obviously that of water, with the very liquid blue paint that he sprays onto the canvas with his brushes made from plants. He then guides the movement, flow and chromatic cartography of the paint by holding his canvas flat and tilting it more or less as if it were a sieve. Water becomes the image and manifestation of one of the five elements (along with wood, fire, metal and earth) characteristic of the movements of the natural rhythms of life, in the Taoist thought dear to the artist.
The thread of water can be found and followed in the works of Lee Hyun Joung, who uses brush and ink to paint a succession of undulating lines on traditional Korean Hanji paper (papiermâché with water, made from mulberry fibres), evoking waves. Or gales. Or ridge lines. «A line for the pleasure of being line, of going, line. Stitches. Powder of dots. A dream line. Never before had a line been allowed to dream» wrote Henri Michaux. One might add that before Lee Hyun Joung, a line had perhaps never been allowed to ramble so much. Beyond the painting itself, as if the line, the lines, were continuing outside their frame, inside which they are a snippet of suspended time, a fragment of infinite space. For the thread is also the thread of time, flowing, as it were, from the thread of water. It is the time that flows before our eyes, that scrolls by, the time that flees, the present that fades. It’s Lee Hyun Joung’s time, which she can’t see passing because she’s so immersed in her lines. It’s also the time Kim Sangwoo spends, as if out of time, to achieve the perfect polish on his sculptures, which eroded, smoothed surfaces interact with their contours, rounded like pebbles, creating volumes and shapes that are perfectly balanced, as if on... a thread. Baek Seungsoo’s black-painted polystyrene reliefs give rhythm to the space from the front, giving it a hard time by offering colour effects in their interstices and backgrounds, like so many possible counterpoints, perspectives and lights.
Finally, the thread - blue, black or grey - is the one that links these artists around monochromy, their relationship with nature, their Taoist culture and their attachment to matter and materials - all aspects that make them worthy heirs of the famous Dansaekwa movement of the 60-70’s, which they know how to extend and reinvent. It’s a way of keeping in step with the history of Korean art. A filiation of sorts.
Henri-François Debailleux




