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Etat d’urgence et réalités socio-économiques par Elimane Haby KANE - #Citizenlegs

Elimane Haby KANE

Depuis l’internationalisation de la Covid-19 à partir de la ville de Wuhan, en Chine, le monde est proie à une crise multidimensionnelle sans précédent. Les stratégies de riposte face à ce mystérieux virus varient selon le contexte et les priorités de chaque Etat. Au Sénégal, la mesure phare prise par les pouvoirs publics pour juguler la pandémie est relative à l’instauration de l’état d’urgence qui s’est très tôt heurté aux réalités socio-économiques du pays.

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Analyse de la gouvernance globale du Covid-19

La gestion des épidémies réunit trois éléments fondamentaux que sont la limitation de la mobilité ; la distanciation physique que le conférencier a substituée à la « distance sociale » pour mettre en relief la nécessité impérieuse d’une solidarité au sein de la société en temps de crise ; et, enfin, les pratiques d’hygiènes corporelle et environnementale visant à se préserver et à préserver les autres. La gestion globale de la Covid-19 se caractérise particulièrement par une centralisation de la prise de décision et de la communication au niveau de la sphère étatique. Mesures exceptionnelles, dépistage sélectif privilégié dans certains pays et à grande échelle dans d’autres, port des masques (sélectif au tout début mais de plus en plus généralisé), confinement : telles sont les pratiques les mieux partagées dans le monde. Au sujet du confinement, on en relève différentes formes, allant du « zero confinement » qui s’est avéré jusque-là efficace dans certains pays, au confinement général, en passant par le confinement partiel, le couvre-feu général, la stratégie mixte et la stratégie dubitative souvent liée à des contingences socio-économiques et culturelles. Au Sénégal, c’est cette dernière stratégie qui a été déployée par l’Etat. Les mesures prises dans ce sens se rapportent à l’interdiction des rassemblements publics, la fermeture des établissements scolaires, universitaires et religieux, la fermeture des frontières et l’instauration de l’état d’urgence et du couvre-feu.

Réalités socio-économiques

Le contexte socio-économique sénégalais se particularise par une structure économique extravertie et la prédominance du secteur informel qui polarise 97% des entreprises et représente 46% du PIB, selon l’agence nationale des statistiques et de la démographie (ANSD). Sur les 16 millions de sénégalais, environs 500 000 seulement sont salariés. Avec un taux de 36% d’extrême pauvreté et près de 80% de pauvreté multidimensionnelle, un million de ménages (soit 8 million d’habitants) ont besoin d’aide sociale, selon les estimations de l’Etat. Il apparait, en effet, des facteurs contingents de “précariat”¹ aussi bien en ville qu’en monde rural. Il s’agit essentiellement de l’absence de liquidité, de réserves financières des ménages (les activités informelles) et de protection sociale en raison de de l’absence de couverture ou d’assurance chômage.

1. J’emprunte ce terme au Pr Alioune de l’institut des Futurs africains qui est un néologisme né de la contraction des termes prolétariat et précarité

Parallèlement à cette précarité économique des plus vulnérables, l’habitus social des sénégalais s’avère très propice à la propagation du virus. Il se traduit par des écarts comportementaux qui s’expliquent d’abord par la pluralité de comportements antagonistes et populistes résultant de la transition entre tradition et modernité. Dans une société d’accaparement et d’autoflagellation, une certaine éthique ceddo guide la conduite égoïste des élites qui piétinent continuellement l’intérêt collectif. Les initiatives de solidarité déjà lancées ne sont en réalité que trop opportunistes car profondément enchâssées dans une culture de l’apparence. Quant à la crise des valeurs qui sévit dans la société sénégalaise, elle n’est plus à constater. Mais l’euphorie est de plus en plus grandissante, lorsqu’on observe l’émergence accrue à la base de solidarités citoyennes mues par la cause sociale. Face à cette situation de crise, un certain nombre de mesures ont été initiées, notamment la mise en place de Fonds de riposte et de solidarité contre les effets de la Covid-19 (1367 milliards), alimenté en partie par une contribution externe des institutions financières internationales et des banques (437,07 milliards), la participation de quelques entreprises et bailleurs endogènes, le Programme de Résilience Economique et Sociale, un guichet d’urgences et un guichet d’interventions. Si ces différentes initiatives sont à saluer, il reste toutefois des défis urgents à relever. Le premier est d’ordre comportemental : l’éducation à la citoyenneté solidaire. Ensuite, l’accroissement de la production locale et la sécurisation des circuits d’approvisionnement, la logistique du transport et ses conséquences sur la mobilité des travailleurs et, enfin, la structure économique moins dépendante.

Conclusion

Le continent africain est certes moins préparé au confinement – et ce pour des raisons objectives – mais il semble disposer d’atouts liés à son expérience empirique des maladies infectieuses. Pour une position souveraine et adaptée de gestion de la Covid-19, Monsieur KANE préconise : ▪ au-delà de la prévention par les gestes barrières, privilégier le traitement par les molécules antibiotiques afin d’éviter le confinement qui comporte des risques humanitaires ; ▪ l’orientation des dépenses du Fonds sur les interventions médicales vers des tests généralisés et le traitement aux solutions locales, notamment travers la réquisition ou la nationalisation du MEDIS ; ▪ l’investissement durable rapide dans le secteur de l’agriculture familiale pour l’autosuffisance des ménages ; ▪ l’élargissement de l’appui des entreprises formelles aux entreprises et start-up du secteur informel.

06/04/2020

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