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PAS DANS LE MÊME PANIER

À bientôt 40 ans, Mickaël Gelabale a écrit parmi les plus belles pages de l’équipe de France de basket, comme de celles des équipes pour lesquelles il a joué, en France, mais aussi en Espagne, en Croatie, en Russie et aux États-Unis. Une carrière de globe-trotteur qui a bien failli s’arrêter brutalement, mais qui continue aujourd’hui. Avec tout de même une petite idée pour lui trouver un après... en cuisine.

Texte F. Montfort, photos J.-P. Loyon

La résilience, un mot souvent employé pour parler des sportifs de haut niveau. Et pour cause, ils sont généralement faits d’un métal différent, plus dur, plus résistant. En 2006, quand Mickaël Gelabale débarque en NBA, le championnat américain de basket professionnel, les Supersonics de Seattle attendent beaucoup de lui. Il vient d’un des meilleurs clubs du Vieux Continent, le Real de Madrid, fait déjà le bonheur de l’équipe de France, qui a obtenu une breloque en bronze à la dernière coupe d’Europe, et débarque plein de fraîcheur et d’envie du haut de ses 23 ans. Après une première saison où il fera ses preuves pour trouver sa place au côté de Ray Allen, il entame sa seconde saison sur les chapeaux de roues, alors que débute dans son équipe la future star des parquets américains, l’ailier surdoué Kevin Durant. Mais au bout de quelques mois, sur une mauvaise réception, l’espoir français se déchire les ligaments croisés du genou droit. Sa saison est terminée, sa carrière aussi sans doute, avec au moins dix-huit mois d’arrêt et un contrat de deux années qui prend fin dans la foulée. Sans cette résilience, c’était plié, écrit, fini. Pourtant, quelques mois après, Mickaël reprendra le chemin des terrains, pour sentir de nouveau l’odeur des paniers et l’adrénaline des contre-pieds. Revenu de ce côté de l’Atlantique, il repassera par Cholet, son premier club en arrivant de sa Guadeloupe natale, retournera faire ses armes dans des clubs européens avant, en 2012, un peu plus de quatre ans plus tard, de faire le chemin inverse. De revenir sur le lieu du « crime » pour user une fois de plus ses semelles sur les parquets de la NBA. Pour l’équipe de Minnesota cette fois, tout simplement parce qu’il fallait y revenir pour boucler la boucle. Quand on regarde la carrière, toujours en cours, de Mickaël Gelabale, on y voit les pérégrinations d’un de ces globe-trotteurs du sport professionnel, une sorte de mercenaire des parquets au panier facile, qui a aussi bien joué en France qu’en Russie, ainsi qu’en Espagne et en Croatie. Une diversité qui, aussi étrange que cela puisse paraître, lui a permis de développer sa plus grande envie, cuisiner. Si bien qu’il a récemment entrepris, en parallèle des deux dernières saisons à l’Elan Chalon, en ligue 2 nationale, de suivre une formation de cuisinier à l’institut Bocuse, près de Lyon. Pas pour une reconversion. En tout cas, pas encore. Il nous a tout expliqué.

Entretien

Il ne vous reste qu’un seul module à valider pour votre formation de cuisinier à l’institut Paul Bocuse.

Après cela, vous arrêtez le basket et ouvrez votre restaurant ?

Surtout pas ! En tout cas, pas tout de suite, et pas comme cela. Cette formation, ce n’était pas une envie de reconversion.

C’était davantage pour acquérir les bases de la cuisine que j’aime et que je pratique depuis des années. En fait, depuis que je suis parti de Guadeloupe en 2001 pour arriver à Cholet, je n’ai jamais arrêté de cuisiner. Je pense que j’ai mangé chez moi dans 90 % des cas quand je n’étais pas en déplacement. C’est mon truc, encore plus depuis que j’ai des enfants. Mais il me fallait des bases solides car, après ma carrière pro, peut-être que je finirai en cuisine. Mais avant tout comme cuisinier, pas comme restaurateur. C’est un autre métier.

C’est important pour vous d’avoir les bases de la cuisine avant même d’envisager de vous reconvertir un jour ?

De faire les choses par étapes ?

Exactement, je dois avancer au fur et à mesure. Je ne l’ai pas toujours fait et, parfois, ça a été compliqué. Comme quand j’ai quitté la France en 2004. J’évoluais à Cholet, dans une équipe où je me sentais bien, ou je commençais vraiment à m’intégrer et à super bien jouer. Et puis j’ai eu cette proposition pour aller au Real de Madrid, à l’époque l’un des meilleurs clubs du monde. Ça ne se refuse pas, mais cela a été difficile au début. Je ne remercierai jamais assez Moustapha Sonko, mon coéquipier de l’époque au Real, qui m’a appris tellement de choses pour aider à m’intégrer. Peut-être n’étais-je pas prêt.

Vous êtes drafté en 2005 pour Seattle pour aller jouer en NBA, mais ne rejoignez la ligue américaine qu’en 2006. Après une seconde saison moyenne à Madrid. Pourquoi ? Je pensais qu’il fallait faire mes deux saisons en Espagne, pour achever ma formation. Mais le club savait que j’allais partir et ils ne m’ont pas laissé beaucoup de temps de jeu pour ma deuxième saison avec eux. D’un autre côté, ils n’allaient pas continuer de construire avec moi alors que j’étais sur le départ. Mais je suis arrivé aux États-Unis un peu court sans doute.

Et justement, comment se passe l’intégration aux Supersonics, dans le championnat le plus relevé du monde ? Imaginez, vous débarquez dans une équipe ou certains de vos coéquipiers sont des All-Stars [une distinction pour les meilleurs joueurs de la NBA, NDLR], ils sont bien rodés, nous sommes quatre ailiers à nous partager le temps de jeu. C’est un peu compliqué au début, mais je le savais. Et puis Ray Allen s’est blessé, pour un mois d’arrêt. Et cela a été le tour de Rashard Lewis, avec le même temps de convalescence. Bref, j’ai eu deux mois pour exploser et faire mes preuves. C’est comme cela, la NBA. Rien n’est acquis, jamais.

Et vous vous blessez à votre tour, et grièvement cette fois, dès votre seconde saison. C’est cela qui vous a coûté votre place en NBA ?

J’avais un contrat de deux années avec Seattle. Avant ma blessure, j’avais joué en G-League pour eux, pour faire tourner l’effectif et sans doute parce que je n’avais pas été assez bon lors des premiers matchs de fin 2007. Si bien que quand je reviens, je n’ai pas eu beaucoup de temps de jeu pour montrer ce que je sais faire. Mais les quelques semaines avant la blessure, tout allait bien et je me disais que j’aurais sans doute le choix de prolonger avec les Supersonics ou d’aller dans une autre franchise de la ligue. Mais mon genou m’a lâché.

Vous avez fait preuve, dans votre carrière de basketteur, d’une motivation incroyable, surtout après votre blessure. Comment avez-vous réussi à revenir à votre meilleur niveau ? Je n’ai pas réussi. En fait, je n’ai jamais récupéré 100 % de ma jambe droite. Quand je cours, j’ai l’impression de boiter. Quand je saute, ce n’est jamais aussi haut qu’avant. Et je disais ça même en 2009 ou 2010, pas parce que j’ai bientôt 40 ans, en 2023. Il aura fallu que j’arrête de réfléchir pour retrouver un bon niveau, que j’arrête de me dire que je vais avoir mal. J’ai souvent mal, mais tant que la tête a envie, ça passe.

Après votre accident, vous avez repris le ballon en 2009 aux États-Unis, mais êtes revenu en France. Pourquoi ?

J’ai fait des tests en 2009, un peu plus d’un an après ma blessure. Entre autres des matches de G-League et un camp d’entraînement pour les Lakers de Los Angeles. Mais ils ne m’ont pas gardé, je n’étais pas assez remis, pas assez bon. Si bien que je suis revenu en France, à Cholet, mon premier club, pour me reconstruire. Et repartir de l’avant.

Vous allez rester à Cholet deux années, puis passer par l’ASVEL et retrouver un excellent niveau. Et même gagner des médailles d’argent et d’or avec la France. Mais ça ne vous suffisait pas ?

J’avais déjà gagné un titre en championnat, avec Madrid. J’en ai eu d’autres, avec Cholet puis Limoges. Avec l’équipe de France, on a eu l’argent en 2011, puis l’or en 2013. J’ai aussi joué les jeux Olympiques à Londres, où nous avions un collectif de fou, de vraies belles chances. Ça ne passe pas à un match. Mais je sais à quoi vous faites allusion, à la NBA. Oui, je voulais y retourner, pour boucler la boucle. Ne pas rester sur cette blessure. Après la France, je suis allé jouer en Russie et en Croatie, qui est une belle nation du basket, avant de retourner en Espagne à Valence. Et Minnesota m’a appelé.

Vous êtes reparti en NBA vous frotter aux tout meilleurs alors que vous y aviez laissé un genou plus de quatre ans plus tôt. Ça s’est passé comment ? Plutôt pas mal. J’avais un contrat de dix jours, mais j’ai joué plus longtemps, durant la seconde partie de la saison 20122013 avec eux. Mais je n’avais pas de contrat pour la suite et j’ai préféré resigner en Russie au lieu d’attendre une éventuelle proposition américaine. Peut-être aurais-je dû attendre, car Minnesota m’a rappelé après l’été, mais je m’étais engagé ailleurs. Avec le recul, c’était bien d’y retourner [il a joué en tout 145 matchs en NBA, NDLR], mais c’était aussi bien de rentrer. J’ai été champion avec Limoges après ça, on a repris quelques belles médailles avec l’équipe de France [cinq au total avec Mickaël, NDLR], je ne peux pas me plaindre.

Vous avez pris votre retraite de l’équipe de France en 2016, après un quart de finale perdu au Jeux de Rio face à l’Espagne. Et vous jouez à Chalon en ligue 2 depuis 2017. C’est quoi la suite ? Je me pose deux conditions pour continuer à jouer : que j’en ai envie, assez pour surmonter les douleurs que l’on a quand on joue à haut niveau depuis longtemps, et que l’équipe ait besoin de moi. C’est encore le cas. Après, quand l’une de ces deux conditions ne sera plus remplie, j’aimerais vraiment aller en cuisine, avec un chef comme Philippe Etchebest par exemple pour me mettre la pression et m’apprendre plein de choses. Et pourquoi pas, après, une fois ma formation véritablement achevée, ouvrir un restaurant. Qui sait ?

Mickaël Gelabale dans son autre rôle, celui qui devrait être le principal à la fin de sa carrière de basketteur professionnel : cuisinier. C’est pour cela qu’il a suivi la formation de l’institut Paul Bocuse, près de Lyon.

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