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2_1_2_ L’ORANGERIE : IMMEUBLE DE BUREAUX EN PISE

© association 1000 & 1 choses

Figure 8 : l'Ilôt B2 vu du ciel, situation urbaine de l'Orangerie

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La stratégie structurelle adoptée dans chacun des cinq bâtiments répond aux défis de la possibilité de mutations des usages des bâtiment dans le temps. Leur structure se résume aux façades et aux noyaux, permettant une liberté d’aménagement des espaces. La façade, étant porteuse a une véritable épaisseur et s’exprime suivant différents principes dans les cinq immeubles. D’après ces principes, l’immeuble B03, par exemple, faisant face à l’esplanade François Mitterrand est conçu pour être réversible : avec une hauteur sous-plafond de 3,3 mètres, les plateaux peuvent accueillir aussi bien des bureaux que des logements.

PROGRAMME 181 logements, bureaux (2339 m²) commerces et crèche

SURFACE DE PLANCHER 12 040 m²

MONTANT DES TRAVAUX 20 600 000 € HT

Figure 9 : Tableau Ilot B2 en chiffre27

2_1_2 _ l’Orangerie : immeuble de bureaux en pisé

Les architectes ont choisi de développer une démarche d’éco-conception pour le bâtiment B05 donnant sur la rue Jacqueline et Rolland de Pury. Pour répondre au défi de la construction bas carbone, les architectes ont choisi de construire avec une structure en pisé et en bois. Leur but était, en travaillant avec la terre crue, de pousser la technique du pisé pour qu’elle s’exprime dans une architecture

27 Site web Clément Vergély Architectes, http://www.vergelyarchitectes.com/ilot-b2-lyon-confluence/ , consulté le 31/01/2021

contemporaine. Le projet fait honneur aux arches des orangeries du parc de la Tête d’Or et lui emprunte son nom. Les dessins, plans et élévations des architectes se trouvent en annexe.

Conception et matériaux Le volume est organisé en un rez-de-chaussée et deux niveaux. Les façades les plus longues sont percées par une répétition de 5 arches en pisé, chacune faisant 9 mètres de haut et ayant une portée de 4 mètres. Le pisé ne travaillant qu’en compression le dessin des arches a été étudié pour fonctionner structurellement comme des voûtes en encorbellement. Les façades reprennent les charges des planchers en bois. Le travail du bureau d’études structure Batiserf a permis de vérifier les performances de la structure.

Figure 8 : L'Orangerie, vue depuis le cœur d'ilot Pour minimiser l’empreinte carbone du bâtiment, les matériaux ont été choisis pour leur proximité. La terre en pied d’œuvre ne pouvait pas être utilisée pour le pisé car c’était une terre de remblai polluée. L’approvisionnement en terre s’est fait dans un rayon de 30 km. L’entreprise Le pisé a choisi d’utiliser la terre d’un terrassement d’un chantier à Saint-Quentin-Fallavier (Isère). Pour cela, la terre est testée d’abord par l’entreprise pour déterminer si elle est bonne à construire puis à nouveau vérifiée avec des tests en laboratoire à l’ENTPE. Le bois de sapin des planchers et des escaliers vient des forêts des Vosges

© Clément Vergély architectes Figure 9 : Arche en pisé, phase de chantier

à 300 km de Lyon. Aux deux matériaux principaux du bâtiment s’ajoutent le sous-bassement en pierre, provenant des carrière du plateau d’Hauteville dans l’Ain, les fondations en béton armé, les menuiseries en bois etc…

L’épaisseur des arches en pisé évolue suivant la hauteur : 80 cm au rez-de-chaussée, puis 65cm au 1er étage et enfin 50 cm au second(cf. annexe 3 : coupe schématique de la paroi en pisé). Les blocs de pisé servent d’appui au solivage du plancher. Ce principe constructif permet de simplifier la descente des charges ainsi que l’interface entre le mur et les planchers.

Le pisé est laissé apparent à l’extérieur comme à l’intérieur, cela permet de profiter de son inertie thermique qui apporte un réel confort d’été grâce aux déphasages thermiques. Les parois en pisé ne sont pas isolées, cela permet également d’éviter les risques de condensation de la vapeur d’eau qui peuvent dégrader le pisé. Les pertes thermiques en hiver sont de l’ordre de 10 % et restent minimes comme l’indique l’architecte Stephan Jeske pour l’usage du bâtiment. Les atouts de la terre crue permettent donc que l’immeuble ne soit pas équipé de climatisation ni de système de ventilation à l’exception des brasseurs d’air.

Mise en œuvre et chantier La mise en œuvre du pisé a été dirigée par Nicolas Meunier de l’entreprise Le pisé. Les arches sont composées de blocs de pisé préfabriqués. La mise en œuvre a été aidée par la préparation d’une maquette au 1.20ème du bâtiment avec des blocs de terre cuite et une maquette numérique du bâtiment comportant les étapes du chantier et le dessin numérique de chaque bloc en 3D. L’entreprise a préfabriqué les blocs de pisés qui sont ensuite mis en œuvre sur chantier pour former les arches. Les blocs sont préfabriqués sur place à l’aide de la « station de préfabrication », machine mise au point par Nicolas Meunier et son entreprise qui permet de fabriquer les blocs de pisé au fur et à mesure sur chantier. Le processus est mécanisé pour réduire la pénibilité du travail des ouvriers comme l’explique Nicolas Meunier.

« Deux personnes travaillent en même temps à la station. La terre est amenée en grande quantité (6 m3) sur un tapis roulant motorisé. Elle est déposée dans le malaxeur où la teneur en eau est corrigée et ajustée. Des tiroirs sont remplis de la quantité exacte nécessaire à une couche de terre puis acheminés par l’un des ouvriers au niveau du coffrage. Là, le deuxième ouvrier s’occupe de diriger les masses qui compactent la terre : 4 poids, de 30 kg chacun, montent et descendent pour compacter les couches de terre. »28

« Nous fabriquons entre 2 et 5 blocs par jour, pas selon leur taille, mais par rapport à leur complexité (forme, positionnement de réservations, ou d’inclusions du genre appui de poutre ou autre. »29

Les blocs de pisé reprenant le plus de charges (ceux du rez-de-chaussée et des voûtes) ont dû être préfabriqués un an à l’avance pour leur permettre de sécher plus longtemps et être ainsi plus résistants. Ils ont donc été stocké sur une parcelle à côté du chantier, chaque bloc était surélevé du sol et protégé des intempéries.

28 MEUNIER (Nicolas), entretien, 20 janvier 2021, retranscrit en annexe 29 Ibid.

© Clément Vergély architectes

Figure 10 : Séchage des blocs de pisé préfabriqués

Après avoir mis en place les blocs ayant séché un an, les autres blocs de pisés étaient préparés et décoffrés juste après leur compactage puis levé et posé sur les murs. Pour assurer la jonction entre les blocs de pisé un mortier de terre de 1cm est déposé entre les blocs. Ce mortier est fait à partir de la même terre que celle des blocs de pisé mais celle-ci est tamisée pour enlever les grains les plus gros.30

© Amélie Luquain

Figure 11 : Positionnement d'un bloc de pisé sur le mur, sur un lit de mortier de terre

En plus, de la technicité de la mise en œuvre des blocs, la création des coffrages a également été un travail de précision. L’entreprise Le pisé a fait appel à un chaudronnier pour créer des coffrages en métal. Les coffrages devaient avoir des géométries très précises pour répondre aux dessins des blocs comportant une feuillure et permettre la superposition parfaite des blocs. Chaque pièce des coffrages a été découpée au millimètres près au jet d’eau ou au laser puis assemblée. Les 15 coffrages nécessaires

30 MEUNIER (Nicolas), entretien, 20 janvier 2021, retranscrit en annexe

à la réalisation d’une arche ont été réutilisés pour former les blocs de chacune des 14 arches. Au total, 286 blocs de pisés ont été préfabriqués sur le chantier.31

Pour la réalisation de la structure, l’entreprise du gros œuvre en pisé et celle de charpenterie ont travaillé simultanément. La mise en œuvre des murs et celle de la pose des solives, des planchers étaient coordonnées. Nicolas Meunier, témoigne d’une « bonne entente entre les entreprise,s ce qui est important pour le bon déroulé du chantier »32. En effet, la mise en œuvre des blocs de pisé d’un étage sur un côté du bâtiment était suivie par le charpentier, qui posait les poutres du plancher et couvrait le haut des blocs de pisé pour les protéger des intempéries. La mise en œuvre a été organisée en segments de bâtiment et en alternant la pose des blocs de pisé et de la charpente. D’abord le centre du bâtiment : les blocs de pisé du RDC sont mis en place puis pendant que le charpentier couvre les murs et fait le solivage du centre, les blocs de pisé du RDC de la partie gauche sont mis en place, puis le charpentier vient travailler sur cette partie gauche du bâtiment etc. Les deux équipes travaillaient donc en même temps en continu mais pas au même endroit du chantier.

Au final, le coût de construction de l’Orangerie est de 2100 € par m² pour une surface de 1000 m² ce qui est plus élevé que le prix moyen pour un bâtiment de bureau. 33

Jeu d’acteurs La réalisation d’un projet architectural fait appel à de nombreux acteurs et corps de métiers. Les trois grandes catégories d’acteurs sont : la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’œuvre et les constructeurs.34 Dans le cadre du projet urbain de Lyon Confluence, la SPL (société publique locale) Lyon Confluence est l’aménageur. Il a pour rôle de choisir le maître d’ouvrage et veille à ce que l’amménagement corresponde aux orientations générales du projet urbain. Le maître d’ouvrage, OGIC est un promotteur imobilier. Il paie et fait construire le projet. Il a donc un lien contractuel avec chacun des autres acteurs. Dans le cas de l’Orangerie on retrouve les mêmes acteurs principaux que pour n’importe quel autres projet en marché public. Cependant pour la construction en terre crue et la technique du pisé il n’existe pas de texte réglementaire et de règles de calcul pour évaluer la structure. Les architectes ont donc été épaulés d’experts de la construction en pisé pour mener à bien le projet. Le bureau d’étude structure Batiserf a notamment travaillé sur tous les calculs de structure des arches en blocs de pisé préfabriqués. Le bureau d’étude HQE (haute qualité environnementale) a étudié le confort thermique et hygrométrique du bâtiment dû aux propriétés de la terre crue. Les tests en laboratoire de la terre crue ont fait intervenir des chercheurs notamment Antonin Fabbri et Jean Claude Morel. L’appel à ce type d’acteurs pour la réalisation d’un projet est très rare, comme l’indique Nicolas Meunier, dont tous les autres projets réalisés en pisé porteur se sont déroulés sans le travail de scientifiques.

31 MEUNIER (Nicolas), entretien, 20 janvier 2021, retranscrit en annexe 32 Ibid. 33 JESKE (Stefan), entretien, 14 décembre 2020, retranscrit en annexe 34 DEHAN (Philippe), Acteurs & déroulement d’un projet architectural ou urbain, UR 04 –A16

Pour que le projet se déroule au mieux et que la réalisation aboutisse dans les meilleures conditions les relations entre tous ces différents acteurs sont très importantes. Réaliser un projet architectural est un travail d’équipe et « il est nécessaire que l’ensemble des acteurs d’un projet intégrant de la terre crue soient informés et travaillent en collaboration étroite dès la conception du projet »35 d’après les architectes chercheurs de l’association Amàco.

Figure 12 : Organigramme des acteurs pour réaliser l'Orangerie

Réception médiatique du projet Le projet de l’Orangerie a fait l’objet de nombreux articles dans les revues d’architectures et dans la presse. Le travail des architectes et des entreprises a été félicité pour la modernité de l’utilisation du pisé dans la forme innovante des arches et pour les techniques de préfabrication et de mise en œuvre. Les publications permettent de visibiliser la construction en pisé et, avec ce projet de l’Orangerie, de renouveler son image.

35 AMACO, Une équipe projet engagée, Cours, Construire en terre crue aujourd’hui, , 2020, FUN MOOC