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02 • Que vaut une fille?
Au premier abord, sa confession paraît bien insuffisante. David semble faire l’impasse sur les conséquences de ses actes. Il réduit l’incident à un « problème spirituel » entre Dieu et lui. Il reste vague, comme s’il ne prenait pas la pleine mesure de ce qu’il a fait.
En réalité, c’est tout l’inverse. David se rend compte qu’en faisant du mal à Bath-Shéba, il a péché contre Dieu parce c’est Dieu qui a fait don à Bath-Shéba de son intégrité sexuelle. Le viol de Bath-Shéba n’est rien moins qu’une trahison contre Dieu. David est bien loin de sous-estimer la gravité de son péché envers elle et envers Urie. Au contraire, cette prière est une manière de reconnaître sa faute.
En d’autres termes, toute agression sexuelle est la violation d’un lieu sacré. Maltraiter un être humain, c’est maltraiter une créature de Dieu. L’autre n’est pas un tiers sans importance, c’est une personne que Dieu a voulue, qu’il a créée et qui compte énormément pour lui. Faire du mal à un autre être humain, c’est insulter son Créateur.
C’est cette conviction qui permet d’affirmer que la violence sexuelle est un mal objectif et universel, car cette approche en appelle au lien qui unit la victime à Dieu. Dieu l’a créée. Son intégrité personnelle et sexuelle compte pour lui. En m’en prenant à l’autre, c’est à Dieu que je m’attaque. C’est ce contre quoi Jésus nous met en garde dans son enseignement contre l’adultère.
Le choix de la personne avec qui nous avons des relations sexuelles n’est pas un choix anodin. Que ce soit en acte ou même en pensée. Nous avons de la valeur aux yeux de Dieu et c’est pourquoi il veut se mêler de notre sexualité. Elle est précieuse. La profaner est grave, comme nous allons le voir maintenant.
CHAPITRE DEUX
Que vaut une fille ?
Rachael Denhollander s’est fait connaître lors du procès de Larry Nassar. Ce dernier était devenu le médecin de l’équipe nationale américaine de gymnastique féminine, après avoir exercé comme ostéopathe à l’Université d’État du Michigan. Il a été jugé pour agression sexuelle sur des dizaines de jeunes femmes et de petites filles.
Lors du procès, Rachael Denhollander a prononcé une déclaration poignante qui a ensuite fait le tour d’internet. Dans son discours, elle adresse au juge une question essentielle: Que vaut une fille?
Je vous demande de prononcer une peine qui prouve que ce que nous avons subi est grave, que nous sommes entendues, que notre valeur compte plus que tout, que nous méritons toute la protection que la loi est en mesure d’offrir et que justice soit rendue à son maximum. À tous ceux qui nous regardent, je pose cette même question: que vaut une fille?
Elle termine ainsi:
Juge Aquilina, alors que vous allez délibérer sur la peine à infliger à Larry, je vous en prie, faites passer le message que
ces victimes valent plus que tout. Afin de satisfaire les deux objectifs de cette Cour, je vous en prie, condamnez-le à la peine maximale autorisée, car ces survivantes valent plus que tout au monde5 .
Que vaut une fille? Jésus répond à cette question sans aucune ambiguïté. Les petites filles sont précieuses. Plus que cela, les petites filles n’ont pas de prix. C’est la raison pour laquelle Dieu accorde une immense valeur à leur intégrité sexuelle. Dans le Sermon sur la montagne, Jésus ne rabaisse pas la sexualité, mais il la tient, au contraire, en très haute estime.
Beaucoup ont jugé que le christianisme n’était pas pertinent à cause de son prétendu excès de pudeur en matière de sexualité. Et si c’était le contraire? Si notre intégrité sexuelle était en fait bien plus précieuse que nous ne l’imaginons?
Un écrivain a comparé la vision que nous avons de la sexualité à la façon dont nous traitons notre voiture: plus notre voiture a de la valeur, plus nous en prenons soin6 .
Cette analogie me parle beaucoup. Il y a environ un an, j’ai été invité à enseigner pendant un semestre dans une université américaine et j’avais besoin d’un véhicule pour me déplacer pendant mon séjour. L’un de mes amis a alors eu la gentillesse de me proposer d’emprunter son vieux pick-up chaque fois que nécessaire. C’était une offre généreuse, bien qu’un
5 L’intégralité de la touchante déclaration de Rachael Denhollander est disponible en anglais sur CNN. URL: www.bit.ly/occasleep4 (consulté le 23/03/2021). Elle raconte, dans un livre, l’abus qu’elle a subi, son processus de guérison, ainsi que la longue bataille qu’elle a dû mener pour faire condamner
Larry Nassar. Voir Rachael Denhollander, Que vaut une fille?, Romanelsur-Lausanne: Ourania, 2020. 6 John Dickson, A Doubter’s guide to the Ten commandments [Le guide du sceptique: Les Dix commandements], Grand Rapids: Zondervan Academic, 2016, p. 135.
peu inconsciente. Je suis anglais et n’avais jamais conduit aux États-Unis: je pouvais à tout moment me retrouver par mégarde du mauvais côté de la route.
En fait, mon ami ne prenait pas un si grand risque. Non pas que mes talents de conducteur se soient avérés meilleurs que je ne l’aurais imaginé, mais plutôt à cause du pick-up en question. C’était une très, très vieille voiture qui aurait déjà dû finir à la casse depuis longtemps. L’état dans lequel je la ramènerais n’avait donc pas tellement d’importance. Elle ne valait pas grand-chose. J’aurais pu la conduire n’importe comment que cela n’aurait pas dérangé mon ami. Au point où elle en était, une éraflure, un morceau arraché ou un choc supplémentaire, cela n’aurait fait aucune différence.
Néanmoins, cela n’en rendait pas moins généreuse la proposition de mon ami et je lui en étais très reconnaissant. J’aurais d’ailleurs accepté avec joie s'il n'y avait eu une raison bien précise: un autre membre du personnel universitaire avait lui aussi proposé de me prêter sa voiture qui, elle, était une magnifique décapotable. J’ai eu de la peine à le croire. Autant dire qu’avec une voiture pareille, je ne pouvais vraiment pas me permettre de conduire n’importe comment. Elle avait bien plus de valeur que le pick-up. Elle était en parfait état et il aurait fallu que je la lui rende intacte. Cette voiture-là, je devrais en prendre grand soin.
Tout cela pour dire que nous traitons souvent les choses en fonction de la valeur que nous leur accordons. En tant que chrétien, je suis exigeant dans ma façon de traiter mon corps. Peut-être, pensez-vous, que c’est parce que je ne tiens pas l’intimité physique en très haute estime ou parce que je trouve cela dégoûtant ou honteux. Mais la vérité, c’est que je considère notre corps (le mien, le vôtre et celui de chacun) comme une décapotable, et non comme un pick-up en fin de vie.
Si je suis intraitable lorsqu’il s’agit d’intimité physique, ce n’est pas parce que je méprise la sexualité, mais, au contraire, c’est parce que je la chéris.
L’erreur de l’Église
Nous, chrétiens, n’avons pas toujours adopté une juste vision de la sexualité. Il est même arrivé que nous en répandions une mauvaise compréhension. Le cliché du croyant coincé qui désapprouve le sexe n’est pas sans fondement: certains chrétiens l’ont alimenté au fil du temps.
Au Moyen Âge, par exemple, l’Église avait interdit les relations sexuelles le jeudi (le jour de l’arrestation de Jésus), le vendredi (le jour de la mort de Jésus), le samedi (en l’honneur de la Vierge Marie) et le dimanche (en l’honneur des saints7). Difficile de ne pas en conclure que les autorités chrétiennes devaient avoir le sexe en horreur. Je les imagine bien se creuser la tête à la recherche d’une « bonne » raison d’interdire aussi les rapports sexuels le lundi, le mardi et le mercredi.
Peu de gens s’imposeraient de telles restrictions de nos jours. Pourtant, de nombreuses personnes, dans nos assemblées, croient encore que l’acte sexuel est quelque chose de mauvais, ce qui est tout simplement faux.
Il y a quelques temps, j’ai prêché sur un texte biblique qui parlait de sexualité. Après le culte, un membre de l’assemblée un peu préoccupé est venu me dire que, selon lui, le sexe n’était pas un sujet approprié pour une prédication du dimanche matin. Je lui ai alors fait remarquer que la Bible ellemême parle très souvent de sexualité. J’ai essayé de lui faire
7 Philip Yancey, Designer Sex [Le créateur du sexe], Downer Groves: InterVarsity
Press, 2003, p. 7.
comprendre que le passage sur lequel je venais d’enseigner (ainsi que toute la lettre d’où il était tiré) avait été lu à haute voix dans l’assemblée du premier siècle à laquelle son auteur le destinait. La Bible fait souvent preuve de moins de pudeur que ses lecteurs les plus fervents.
Malgré l’attitude de certains chrétiens aujourd’hui encore, la Bible ne condamne absolument pas les relations sexuelles… bien au contraire.
L’enseignement de l’apôtre Paul, qui a écrit une grande partie du Nouveau Testament, reflète bien la vision équilibrée de la Bible au sujet de la sexualité. Dans l’une de ses lettres adressées aux chrétiens de la ville de Thessalonique (située en Grèce actuelle), Paul insiste sur les conséquences de notre foi dans la vie quotidienne. Il commence par évoquer le sexe:
Ce que Dieu veut, c’est votre progression dans la sainteté: c’est que vous vous absteniez de l’immoralité sexuelle.
1 THESSALONICIENS 4:3
Ce verset résume à la perfection l’enseignement de la Bible sur la sexualité. Paul n’ordonne pas de nous abstenir de toute relation sexuelle comme si le sexe était un problème en soi et que les chrétiens devaient l’éviter.
C’est important! Cela signifie que les chrétiens jugent effectivement certains comportements sexuels mauvais (en fait, nous le faisons tous, ce que nous verrons bientôt). Mais il existe aussi une bonne sexualité que la Bible approuve pleinement. Mieux, les Écritures vont jusqu’à mettre à l’honneur ces formes d’intimité sexuelle. La Bible est loin d’être aussi prude que la représentation qu’on peut souvent s’en faire. Dans certains contextes, elle encourage même à en profiter