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Aurélien David

BeLeaf

présenté au Jardin des Plantes de Rouen

au travers du regard de Marc Lenot

Depuis toujours, les portraits veulent/ cherchent à transmettre à la postérité les traits, les émotions, le statut, la singularité de la personne représentée, que ce soit en peinture, en sculpture, en dessin ou en photographie. Portraits de l’être aimé (depuis la fille de Butadès), portraits du pouvoir (du roi en majesté au pape mélancolique, en passant par le président plein de morgue), des marges (des monomanes aux anthropométries de suspect), de l’ordinaire (des hommes du XXe siècle aux déclassés du New Deal), de l’exotisme (des putains de La Nouvelle-Orléans aux indigènes de la Terre de Feu), autoportraits (de l’artiste vieillissant aux artifices de photographe conceptuels), tous participent à cette immense galerie d’hommes et de femmes qui nous entourent, nous regardent et nous inspirent.

Les portraits photographiques d’Aurélien David s’inscrivent dans cette lignée: ils nous présentent des gens simples, pêcheurs, charpentiers de marine, navigateurs, gardiens de bateau, jardiniers, tanneurs, voyageurs, rencontrés au cours de ses pérégrinations de nomade hauturier sur son voilier d’acier Heoliañ (en breton « exposer au soleil », « insoler »). Des hommes pour la plupart, photographiés frontalement, neutralement, sans artifices, comme des portraits anthropologiques.

Mais ces visages apparaissent sur un fond vert, de feuilles ou d’herbes: l’image a été faite en utilisant les propriétés photosensibles de la chlorophylle (en référence aux anthotypes floraux de Herschel), et parfois d’autres produits (café, vin, cuir, pastis même). Chaque plante choisie fait écho au personnage représenté, métaphoriquement (des algues pour un Breton) ou directement (une plante cultivée par ce jardinier-ci). Il y a ainsi une double indexialité, celle, classique, de l’image-photographie comme index du sujet représenté, et celle, plus rare, de la matière photographie comme index du monde physique1 . Au temps des selfies et de l’amoncellement d’images, ces rares alchimies végétales nous relient à la nature.

Surtout, ces visages aujourd’hui quelque peu fantomatiques et évanescents vont devenir des fantômes, ces images vont pâlir et disparaître avec le temps, sous l’effet de la dégradation chimique naturelle et de la lumière: regarder l’image, c’est la tuer2. Alors que, depuis son invention, la chimie photographique tend à pérenniser l’image, alors qu’un portrait doit être éternel, Aurélien David, à contre-courant, nous offre une photographie précaire, sinon fugace, en tout cas mortelle, une photographie contemplative, de passage, qui, à sa manière, est un memento mori.

1 • Dans une veine similaire, on peut mentionner les travaux de Matthew Brandt.

2 • Tout comme les photographies sur herbe du couple Heather Ackroyd et Dan Harvey.

Aurélien David BeLeaf XXIII, Gilles Clément 2019

Impression jet d’encre sur dibond 100 x 75 cm

Aurélien David BeLeaf XX, Ismane 2019

Aurélien David BeLeaf XXVII, Aïcha 2020