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Kokou Ferdinand Makouvia

Moulage, moulé, moulant

présenté au Musée de la Céramique de Rouen

au travers du regard de Zoé Monti

Empreinter le sensible, prière au toucher

Empreinter le sensible. Déjouer la présentation. Reprendre possession de l’espace.

Trinité immémoriale de la céramique, Moulage, moulé, moulant. À quels saints aujourd’hui te vouer? À quels sens encore te porter, te transférer, te transposer?

D’une époque à une autre, d’une technique, éthique, supplique, à un savoir et à un faire, sensuel et dévoué, actuel et affiné, des passeurs passent et veillent.

Kokou Ferdinand Makouvia est de ceux-là. Il est de ceux qui retiennent ces gestes aux précisions millénaires, les emplissent en délice, les grandissent en malice, les emmènent et les soutiennent jusqu’à leur forme nouvelle. Il est de ceux qui érigent à leur tour et pour des siècles des socles et des prières, inventant par la danse affolée de leur corps travaillé, travailleur, d’amples liturgies et de nouveaux lieux pour les contenir. Il est de ceux qui aux quatre vents s’affairent, face, genoux et pieds à l’envers, dans la poussière, dans la matière, exultant pour un avènement à nul autre pareil. Il est de ces sculpteurs qui aiment à regarder la terre sécher au soleil. L’œuvre moulant, moulage, moulé est à la réalité fidèle. La terre blanche et rouge est ardente, généreuse. Étendue et tendue vers sa cime la plus glorieuse. La céramique est découverte, sans couverte, ni vernis, ni émail, ni glaçure. Comme s’il avait fallu retenir quelque chose de la porosité brute du matériau, de sa ductilité première, de son humidité salutaire, de son amoureuse étreinte, de sa manière épousante, éprouvante, de toucher au monde. Les formes sont des caresses lisses, crénelées de frappes répétées et endurcies. Elles deviennent bordures molles de lèvres ensuées, aspirantes, absorbantes, entr’ouvertes, tantôt par un murmure chanté et fondant, tantôt par un souffle chantant et fondé.

À bien y regarder pourtant, à scruter la profondeur du reflet, sa transparence, sa surbrillance, à faire affleurer en creux ce qui le déborde et le réconforte,

les œuvres moulé, moulant, moulage sont au réel dissemblables.

Kokou Ferdinand Makouvia Azé zé 2019

Terre cuite, vernis à ongle Dior, robinet en laiton massif chromé, ficelle de jute 226 x 75 x 83 cm Collection de Ronan Grossiat Photographie de Grégory Copitet © Kokou Ferdinand Makouvia, ADAGP, Paris 2021

Déformées, défigurées, diffractées. Analogies vectorielles d’essences déplacées. Éloignées, exilées, expatriées. Savant puzzle articulé, souvenir en trois dimensions recomposé. Ce sont choisis d’abord pour la beauté hasardeuse de leur relief, des plaques de lieux qui se racontent, des surfaces d’objets qui se rencontrent, des instants d’histoire qui se répètent. Ce sont encore, le pli d’une rue anonyme et le sceau d’un caractère anodin, dans la promiscuité innée des morcellements à venir; le fossile d’une antienne et la cicatrice d’un trottoir, dans la compatibilité calculée des recompositions à tenir; la griffe d’un escalier et le passage d’un sorcier, dans la légitimité avouée des fragments à accueillir.

Empreinter le sensible. Le désorganiser. Emporter son souvenir. L’emprunter à d’autre. L’éparpiller. Déjouer la présentation. Dérouter la mimésis. Défaire les liens de toute ressemblance.

Reprendre possession de l’espace. Le déplacer. Se l’approprier. Pour de bon. Enfin. Pour de vrai? Allez savoir. Détourner les règles de ce que l’on appelle frontières. Les dé-limiter. Déverser un lieu dans un autre. Le renverser. L’inverser. Échanger un ici pour un ailleurs. Confondre un maintenant avec un plus tard. Aider à se répandre le limon d’un nouveau fertile. Une vision.

Exhorter les prouesses plastiques de la terre. S’en remettre à ses promesses. À ses possibles.

Kokou Ferdinand Makouvia Performance (Étude pour le moulage d’un pays) Paris, 26 mai 2019

Terre cuite blanche dimensions variables © Kokou Ferdinand Makouvia, ADAGP, Paris 2021 Kokou Ferdinand Makouvia Quatre-vingt titres – 21 2019

Terre cuite rouge 85 x 85 x 85 cm Courtesy Galerie Sator © Kokou Ferdinand Makouvia, ADAGP, Paris 2021