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Être accusée de sorcellerie : le cas d’Emelyne à Bangui

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Contexte RCA

Contexte RCA

Dans le cadre de la présente étude, nous avons eu l’occasion de rencontrer Emelyne, 52 ans, ménagère, veuve et mère de 4 enfants. Elle a été accusée de PCS par un militaire de son entourage et condamnée à un an de prison. Son histoire est illustrative du traitement des cas de PCS en RCA, notamment au regard des acteurs qui sont intervenus, des stratégies déployées face aux systèmes d’accusation ainsi que des modes de preuve retenus.

Emelyne a été accusée de sorcellerie par un ancien militaire de son entourage, à Bimbo, localité proche de Bangui : « Tout a commencé avec l’accusation portée par une petite fille, c’est la petite fille de ma grande sœur. Son oncle l’a accusée de l’avoir ensorcelé et qu’il était malade à cause d’elle, que c’est par rapport à cet ensorcellement qu’il avait le ventre ballonné. Il a violenté cet enfant et c’est alors qu’elle a crié partout que c’était moi qui lui avait donné la sorcellerie et qu’on sortait ensemble le soir pour manger les gens ».

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Dans le cas d’espèce, une personne malade cherche la cause de ses maux (un ancien militaire donc un homme relativement puissant). En cherchant la cause, il accuse un enfant de son entourage familial d’être un « enfant sorcier », responsable de ses maux (la petite fille de la grande sœur d’Emelyne) - des maux n’arrivent pas sans raison. La présence de l’enfant sorcier porte littéralement malheur, et tant qu’il sera là, des malheurs continueront à s’abattre sur la famille. Pour le bien-être de l’oncle (et par extension pour le bien-être familial), il faut partir de ce malheur et comprendre comment il est arrivé, donc comment la sorcellerie est arrivée dans la famille, ici par le biais de cet enfant sorcier. C’est comme ça que la petite fille se fait violenter. La petite fille implicitement avoue être enfant sorcier, et explique qu’elle a « reçu la sorcellerie » d’Emelyne, qui lui aurait donc appris les pratiques sorcellaires.

Sur base de cette dénonciation, plusieurs militaires sont venus trouver Emelyne dans sa maison et l’ont emmenée de force auprès de leur ami malade. « Les militaires sont arrivés et nous ont pointé avec leurs armes. Ils m’ont dit de monter dans la voiture, d’abord dans le coffre et ensuite sur la banquette arrière. Ils m’ont accusée d’être une sorcière et ils m’ont dit que je devais dire la vérité sinon que j’allais être tuée et qu’ils jetteraient mon corps dans la brousse. […] Lorsque nous sommes arrivés, j’ai vu le militaire assis, avec à côté de lui, la petite fille qui m’a accusée de lui avoir donné la sorcellerie ».

Emelyne a été violentée pendant de longs moments afin qu’elle passe aux aveux et qu’elle soigne son accusateur : « [c]e militaire m’a dit : «c’est toi qui m’a attaqué, qui a voulu me tuer. Je te donne trois jours pour que tu puisses enlever la sorcellerie de mon ventre, sans quoi nous allons te tuer». […] Donc, quand il a fini de me dire qu’il me laissait trois jours, je lui ai tout simplement dit que trois jours c’était trop long, tout de suite, je peux aller chercher les produits pour te soigner. J’ai pris une plante verte et du sel et je leur ai dit qu’il manquait un ingrédient pour finir la potion. Ils m’ont demandé où ça se trouvait et je leur ai indiqué un endroit qui se trouvait juste derrière le poste de police qui gère la circulation routière. Un homme m’a pris sur sa moto et on est parti ensemble. Un homme armé est aussi monté derrière moi. Quand on est arrivés devant le poste de police, j’ai couru vers la police, je me suis mise à crier pour alerter la police et les passants ».

Dans cette triangulation d’accusation – oncle, petite fille, Emelyne – ni la petite fille ni

Emelyne ne dénient les pratiques de sorcelleries. La petite fille semble accepter être « complice » de la sorcière, et plus singulièrement d’être un canal ou une petite main par lequel la sorcière peut faire passer ses puissances magiques. La petite fille est même peut-être persuadée elle-même d’être sorcière, l’histoire ne le dit pas. Emelyne, pour s’en sortir, ne dénie pas mais « joue à la sorcière » face à la personne qui l’accuse et en profite pour s’enfuir. Dans la situation dans laquelle elle se trouvait, elle ne pouvait pas refuser l’accusation de sorcellerie face à ses accusateurs : les menaces exercées par la violence, mais également les menaces du poids des pratiques sociales (voire « traditionnelle », qui incluent les faits magiques mais également les inégalités de genre) l’en empêchent.

Pensant être en sécurité, Emelyne voit la situation lui échapper à nouveau : « Les policiers ont juste demandé : qui est à l’origine de cette affaire, qui est accusé de sorcellerie ? Un des hommes qui était avec moi sur la moto est alors venu discuter avec les policiers et devant eux, il m’a frappée à plusieurs reprises. Les policiers n’ont pas réagi. J’avais le visage tout en sang. Après, j’ai été conduite à la brigade criminelle et là, on a continué à me maltraiter. Les complices de mon accusateur sont entrés dans les locaux et en présence des enquêteurs, ils ont continué à me menacer et à me frapper ».

Après deux semaines, Emelyne est transférée à la maison d’arrêt de Bimbo où elle passera plusieurs mois en détention provisoire. « J’ai été entendue par un juge à mon arrivée où on m’a demandé d’expliquer ce qui s’était passé. Après, on m’a reconduite en prison en me disant d’attendre la suite. Il y a eu plusieurs audiences mais à chaque fois, les plaignants ne se présentaient pas. Cela a duré quelques mois. Après un certain temps, le militaire qui m’avait accusé est venu. On nous a entendu tous les deux et à la fin, le juge m’a condamnée à un an de prison. Je n’ai pas du tout compris. Il a dit que j’avais avoué être une sorcière parce que j’avais accepté de soigner cet homme et que j’avais voulu préparer un remède. Mais moi je ne suis pas sorcière. […] A mon avis, le juge ne m’a pas entendue parce que je suis seule et que je suis pauvre ».

Confrontée au système judiciaire, Emelyne doit utiliser le discours inverse à celui qu’elle a utilisé dans son village et face à son accusateur : pour éviter la peine ou pour bénéficier de la peine la moins lourde possible, elle doit dénier le fait d’être une sorcière. Face à deux systèmes d’accusation différents (sorcellaire/communautaire puis judiciaire), Emelyne doit utiliser des arguments rhétoriques différents pour prouver sa bonne foi (avouer être sorcière, dénier être sorcière) et pour se voir échapper à la sanction (être tuée, être emprisonnée).

Emelyne a voulu faire appel de cette condamnation mais elle en aurait été découragée par le greffier de la maison d’arrêt : « Il m’a déconseillé de le faire car sinon, selon lui, on risquait d’alourdir ma peine et que j’avais déjà fait quelques mois en détention avant que je ne sois jugée et qu’il ne me restait plus tellement de temps à faire. Il m’a dit que remettre la parole des juges en jeu, ça pouvait être dangereux. Il a dit que ce serait mieux que je me taise et que je fasse le reste de ma peine. C’est ce que j’ai fait ». À sa sortie de prison, Emelyne n’a bénéficié d’aucun accompagnement. Elle n’a pas eu d’autre choix que de retourner dans son village d’origine où elle est stigmatisée par le reste de la population : « Une fois que tu as été accusée de sorcellerie, c’est fini pour toi. Je cherche à vendre ma maison et ma parcelle pour aller ailleurs. Je ne me sens pas en sécurité ici ». On voit qu’Emelyne n’a pas d’espace social dans lequel elle peut désormais vivre en paix.

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