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Œdème/lymphœdème du sein pendant et après le traitement du cancer du sein

Par Lesli Bell

INCIDENCE

Ce sont 288 000 nouveaux cas de cancer du sein invasif qui ont été diagnostiqués aux États-Unis en 20221 et 28 600 au Canada13. Le parcours du cancer du sein réserve à tous une part de surprises. Chaque année, 2,26 millions de personnes dans le monde1 sont confrontées pour la première fois à cette nouvelle réalité. Lorsque le mot « cancer » apparait dans votre vie, surgissent avec lui des craintes, des questions et une grande part d’inconnu. Heureusement, le traitement du cancer du sein est assuré par des oncologues, des chirurgiens et des radio-oncologues spécialisés et bienveillants. Cet article traite de l’œdème du sein, un domaine insuffisamment documenté et défini, mais qui touche, dans une certaine mesure, presque toutes les patientes atteintes d’un cancer du sein.

Types De Chirurgie Du Sein Conservatrice

La chirurgie mammaire conservatrice (CMC, mastectomie partielle ou tumorectomie, versus la mastectomie totale) est de plus en plus pratiquée et présente de nombreux avantages. Cependant, rares sont les personnes bénéficiant du processus de traitement sans subir un changement ou une répercussion quelconque. Certains impacts sont mineurs, d’autres sont majeurs et certains ne sont pas suffisamment abordés. Le lymphœdème causé par la CMC attire davantage l’attention aujourd’hui, mais il est principalement décrit dans la littérature comme affectant le bras.

L’ŒDÈME MAMMAIRE

Une des séquelles les moins abordées du traitement du cancer du sein est l’œdème du sein et le lymphœdème du sein et du tronc. Une étude systématique9 a révélé que « l’incidence de l’œdème du sein chez les patientes atteintes d’un cancer du sein à la suite d’une chirurgie conservatrice du sein et d’une radiothérapie est très répandue, à savoir de 0 à 90,4 % »2. La patiente peut être confrontée à de multiples problèmes, notamment la douleur, la lourdeur, le lymphœdème, la fibrose radioinduite, les problèmes sexuels, les troubles de l’épaule et le mal-être esthétique, pour n’en mentionner que quelques-uns.

Prévisible, l’œdème du sein survient dans la phase postopératoire. Lorsqu’il persiste au-delà de la durée prévue, on parle de lymphœdème du sein. Ces deux formes d’œdème sont physiologiquement attribuables à une surcharge lymphatique des tissus3. Peu importe depuis combien de temps l’œdème est présent, il convient de traiter l’œdème postopératoire et/ou post-irradiation s’il est gênant, problématique ou douloureux pour la patiente. L’une des difficultés rencontrées pour documenter et étudier l’œdème et le lymphœdème du sein est l’absence de méthode de mesure cohérente et objective2

Idéalement, après un diagnostic de cancer du sein, la patiente sera évaluée par l’équipe médicale, composée d’un oncologue, d’un chirurgien et d’un radio-oncologue. Si le dépistage systématique est intégré à cette évaluation, un thérapeute spécialisé en traitement du lymphœdème lié au cancer ou en oncologie évaluera également la patiente.

Sans mesure cohérente, il est difficile de prouver les effets positifs du traitement. Il existe néanmoins des traitements cliniquement efficaces, sûrs et cohérents avec la façon dont nous traitons actuellement le lymphœdème du membre supérieur.

Les symptômes et signes courants de l’œdème/lymphœdème du sein et du tronc comprennent une augmentation du volume du sein, une peau d’orange (follicules pileux inversés en raison de l’œdème), une lourdeur du sein, une rougeur à la peau, une douleur au sein, un épaississement de la peau, une peau hyperpigmentée (foncée) et un godet (œdème) positif 2,7

Le risque de développer un lymphœdème des membres supérieurs croît en fonction de l’IMC, du nombre de ganglions lymphatiques réséqués, de la présence de sérome, de cordons, de radiothérapie et de chirurgie antérieures, et de certains types de chimiothérapie11. Il s’agit probablement des mêmes facteurs de risque pour l’œdème/lymphœdème de la paroi thoracique. Le traitement du cancer du sein atteint la peau, le tissu mammaire et le tissu conjonctif du tronc et, moins couramment, certains organes internes. «  L’œdème/lymphœdème du sein semble être très courant et une source de problèmes pour de nombreuses patientes récupérant d’un traitement contre le cancer du sein  »4

D Pistage Syst Matique

Idéalement, après un diagnostic de cancer du sein, la patiente sera évaluée par l’équipe médicale, composée d’un oncologue, d’un chirurgien et d’un radio-oncologue. Si le dépistage systématique est intégré à cette évaluation, un thérapeute spécialisé en traitement du lymphœdème lié au cancer ou en oncologie évaluera également la patiente. En 2012, Stout et coll. ont publié un article intitulé «  A Prospective Surveillance Model for Rehabilitation for Women with Breast Cancer  » (Un modèle de dépistage systématique pour la réadaptation des femmes atteintes d’un cancer du sein). «  Le dépistage systématique cible des étapes dans le parcours de soins des femmes atteintes d’un cancer du sein pour évaluer les déficiences physiques et éduquer la patiente à ce sujet. La mise en œuvre de ce modèle peut avoir un impact sur l’incidence et la gravité des déficiences physiques liées au traitement du cancer du sein. Le modèle vise à optimiser les fonctions pendant et après le traitement et à avoir un impact positif sur une population grandissante de survivantes  »4. L’article fait état d’une réduction des coûts et d’une diminution significative des complications et des craintes des patientes au cours de la première ou des deux premières années de convalescence. À l’heure actuelle, on ne sait pas combien d’institutions ont mis en place ce programme dans leurs cliniques du sein. Les évaluations pour le dépistage systématique pourraient comprendre la mesure des deux bras, l’évaluation de toute blessure ou limitation antérieure au niveau des bras, des épaules ou de la colonne vertébrale, et l’éducation concernant la réadaptation, le lymphœdème et la gestion de toute condition prémorbide pendant le traitement du cancer du sein4. Permettant de détecter le lymphœdème des extrémités, la spectroscopie par bioimpédance (SBI) est recommandée dans les directives de pratique clinique de l’Academy of Oncologic Physical Therapists5. En évaluant le liquide extracellulaire, la SBI repère de légères variations de liquide liées au lymphœdème dans les membres et permet de détecter le lymphœdème bien plus précocement qu’à l’aide d’un ruban à mesurer6. Les valeurs de la constante diélectrique des tissus (CDT) sont des mesures quantifiables de l’eau dans les tissus cutanés localisés et peuvent permettre de dépister un lymphœdème du sein ou du tronc. «  La CDT peut être un outil utile pour le dépistage précoce du lymphœdème du tronc lié au cancer du sein, ce qui permettrait de déclencher une intervention  »7. Les deux évaluations gagnent en pertinence si une évaluation de base a été réalisée avant le traitement du cancer du sein.

Si une patiente n’a pas accès à un programme de dépistage systématique, des automesures de l’extrémité supérieure avant traitement ont été validées par Rafn et coll8. La patiente peut utiliser un ruban à mesurer régulier pour prendre des mesures des deux bras au niveau du poignet, du milieu de l’avant-bras et du milieu de la partie supérieure du bras. Mesurez le bras longitudinalement à l’endroit de ces lignes et tracez une marque8. La patiente peut également choisir une tache, un grain de beauté ou une cicatrice qui lui permettra de toujours mesurer la circonférence du membre au même endroit. Notez la forme et la consistance des tissus du membre, de même que la visibilité des veines de l’avant-bras et de la main. Examinez la forme et la position du mamelon et comparez-les au côté sain. Il pourra être utile de photographier la paroi thoracique avant le traitement afin de pouvoir la comparer ultérieurement. Il serait judicieux de reprendre ces mesures toutes les quatre semaines après le début du traitement du cancer du sein ou si vous ressentez des changements tels qu’une sensation de lourdeur, un épaississement de la peau, une douleur au niveau du sein, du tronc ou du bras. Si le changement de volume est supérieur à un centimètre dans ces zones par rapport au côté sain, il est recommandé de consulter un thérapeute spécialisé en traitement du lymphœdème.

Traitement

Malgré les avantages de la chirurgie mammaire conservatrice, certaines femmes seront gênées par un œdème mammaire qui peut entraîner un résultat esthétique insatisfaisant ayant un impact sur leur qualité de vie2. Tout type d’intervention chirurgicale provoque un œdème pendant le processus de cicatrisation, pour s’améliorer après 3 à 4 semaines ou, du moins, évoluer favorablement. Si des ganglions lymphatiques ont été prélevés, que ce soit pour une biopsie du ganglion sentinelle (BGS) ou une dissection du ganglion axillaire, l’œdème peut se résorber un peu plus lentement.

La radiothérapie peut exacerber le processus d’œdème, provoquant une augmentation soudaine ou lente de l’œdème mammaire au début du traitement. Mais, ce phénomène survient plus généralement vers la fin du traitement ou après la fin de l’irradiation. Il se caractérise habituellement par un épaississement de la peau, qui atteint son maximum entre 4 et 6 mois9. Les cicatrices, la fibrose et la peau d’orange peuvent perdurer pour une longue période. Un traitement adéquat devrait permettre de réduire l’enflure des seins, la plénitude du tronc, l’épaississement de la peau, la cicatrisation et la douleur9. Presque tous les œdèmes réagissent au traitement lymphatique et à la compression, et un traitement précoce peut contribuer à accélérer le processus de guérison. Il peut s’agir d’une thérapie décongestive complexe (TDC), constituée de drainages lymphatiques manuels, d’exercices, de stratégies de réduction du risque d’infection et du port de vêtements compressifs. Des coussinets en mousse souple et texturée peuvent être utiles en cas d’enflure, de cicatrices, de peau d’orange et de fibrose. Ces coussinets en mousse sont fabriqués à partir d’un tissu très doux, rempli de différentes densités de mousse. Les coussinets peuvent être portés dans le soutien-gorge ou la veste de compression.

Parmi les techniques spécialisées pour les cicatrices et l’épaississement de la peau, citons le laser froid, le ruban proprioceptif et l’étirement manuel des cicatrices.

Parmi les techniques spécialisées pour les cicatrices et l’épaississement de la peau, citons le laser froid12, le ruban proprioceptif et l’étirement manuel des cicatrices. La réduction des cicatrices, de l’épaississement de la peau, du godet, de la peau d’orange et de la fibrose peut améliorer considérablement la capacité du liquide à s’écouler de la zone congestionnée et peut atténuer la gravité de l’œdème ainsi que les impacts futurs liés au lymphœdème.

L’apparition de rougeurs, de stries, d’une chaleur extrême et d’une douleur localisée dans la poitrine, le sein ou le bras doit toujours être évaluée par un médecin, car il peut s’agir des premiers signes d’une infection pouvant nécessiter la prise d’antibiotiques. Toutefois, un sein ou un bras à la peau rose ou rouge peut également être le signe d’une inflammation des tissus due à une accumulation de liquide. En pareil cas, les antibiotiques ne parviendront pas à réduire l’enflure. Il peut être difficile de distinguer une infection d’une inflammation, et les médecins penchent généralement pour la prudence, en traitant le problème comme s’il s’agissait d’une infection. S’il s’agit d’une inflammation, le traitement par un thérapeute en lymphœdème peut souvent être très utile pour réduire l’enflure.

COMPRESSION DE LA PAROI THORACIQUE/VESTE/ SOUTIEN-GORGE

La plupart des patientes se réveillent de la chirurgie avec une sorte de gilet thoracique ou de soutien-gorge compressif afin de retenir les pansements en place. La durée de cette compression n’est souvent pas précisée. Lorsqu’une dissection des ganglions lymphatiques a été pratiquée et/ou que l’œdème persiste, la compression peut être bénéfique bien au-delà de quelques semaines après l’opération. Les seins se composant essentiellement de tissus adipeux et glandulaires, les liquides s’y accumulent facilement. De plus, le sein ne possède pas de pompe musculaire pour aider à déplacer le liquide lymphatique. Un soutien-gorge ou une veste de compression doit être bien ajusté, tout en étant confortable et stable, tout comme un maillot de bain de type Speedo bien ajusté. Le soutien-gorge ou le gilet ne doit pas non plus gêner la respiration. Il faut éviter les vêtements compressifs qui créent un effet de garrot (en particulier sous les seins et autour du tronc). Les seins doivent être confortablement soulevés et comprimés contre la paroi thoracique (pour éviter de pendre). Cela facilitera le drainage du liquide des seins et empêchera tout remplissage excessif. Le port du gilet/soutien-gorge de compression pendant plusieurs heures au cours d’une période de 24 heures, que ce soit le jour ou la nuit (avec ou sans coussinet de mousse texturée) peut contribuer à gérer l’œdème mammaire. Il est également possible de porter des soutiensgorge traditionnels lorsque l’apparence importe. L’observation de la réduction de l’enflure permet de déterminer le nombre d’heures de compression optimal. Lorsque la chirurgie vasculaire reconstructive est pratiquée sur la paroi thoracique ou le sein, la compression de la paroi thoracique devra être portée à l’attention du chirurgien.

Conclusion

Alors que les traitements chirurgicaux et oncologiques permettent de sauver des vies, le traitement de l’œdème et du lymphœdème du sein peut préserver la qualité de vie. L’œdème et le lymphœdème du sein nécessitent un traitement en cas de gêne, de douleur et/ou d’augmentation significative du volume. En présence de cicatrices, de fibrose et de cordons, un traitement prodigué par un thérapeute spécialisé en lymphœdème, utilisant des techniques manuelles et la TDC, un gilet/ soutien-gorge compressif bien ajusté et des coussinets en mousse texturée, peuvent s’avérer très bénéfiques. Le thérapeute formé au lymphœdème et à l’oncologie peut être un atout considérable pour la patiente atteinte d’un cancer du sein tout au long de son parcours, en permettant un dépistage précoce des déficiences et un traitement en amont de problèmes chroniques. Toute patiente devrait pouvoir aborder librement l’une ou l’autre de ces pathologies avec son équipe traitante et demander à être orientée vers un thérapeute spécialisé qui l’aidera à traverser les traitements du cancer du sein et à s’adapter aux séquelles.

Lesli Bell est titulaire d’une licence en physiothérapie (California State University), d’un doctorat en physiothérapie (Regis University) et d’une certification en lymphœdème (Lerner). Elle dirige un cabinet privé (Winooski VT) depuis 1987, spécialisé dans l’orthopédie, la douleur chronique et les troubles de l’enflure. Lesli a co-développé le soutien-gorge Bellisse Compressure Comfort Bra (1999) pour les patientes souffrant d’œdème/ lymphœdème du sein et de la paroi thoracique.

Références :

1. American Cancer Society. https://www.cancer.org/cancer/ breast-cancer, https://www.cdc.gov/cancer/breast/basic_info/index. htm

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3. Mortimer, P.S. (1998), The pathophysiology of lymphedema. Cancer, 83: 2798-2802. https://doi.org/10.1002/(SICI)10970142(19981215)83:12B+<2798::AID-CNCR28>3.0.CO;2-E

4. Stout, N.L., Binkley, J.M., Schmitz, K.H., Andrews, K., Hayes, S.C., Campbell, K.L., McNeely, M.L., Soballe, P.W., Berger, A.M., Cheville, A.L., Fabian, C., Gerber, L.H., Harris, S.R., Johansson, K., Pusic, A.L., Prosnitz, R.G. and Smith, R.A. (2012), A prospective surveillance model for rehabilitation for women with breast cancer. Cancer, 118: 2191-2200. https://doi-org.ezproxy.library.tufts.edu/10.1002/ cncr.27476

5. Levenhagen K, Davies C, Perdomo M, Ryans K, Gilchrist L (2017) Diagnosis of upper quadrant lymphedema secondary to cancer: clinical practice guideline from the oncology section of the American Physical Therapy Association. Phys Ther 97:1–17

6. Ridner, S.H., Dietrich, M.S., Cowher, M.S. et coll. A Randomized Trial Evaluating Bioimpedance Spectroscopy Versus Tape Measurement for the Prevention of Lymphedema Following Treatment for Breast Cancer: Interim Analysis. Ann Surg Oncol 26, 3250–3259 (2019). https://doi.org/10.1245/s10434-019-07344-5

7. Koehler, Linda A., and Harvey N. Mayrovitz. “Tissue Dielectric Constant Measures in Women with and Without Clinical Trunk Lymphedema Following Breast Cancer Surgery: A 78-Week Longitudinal Study.” Physical therapy 100, no. 8 (2020): 1384–1392.

8. Rafn, Bolette S, Margaret L McNeely, Pat G Camp, Julie Midtgaard, and Kristin L Campbell. “Self-Measured Arm Circumference in Women With Breast Cancer Is Reliable and Valid.” Physical therapy 99, no. 2 (2019): 240–253.

9. Verbelen, H., Tjalma, W., Dombrecht, D. et coll. Breast edema, from diagnosis to treatment: state of the art. Arch Physiother 11, 8 (2021). https://doi.org/10.1186/s40945-021-00103-

10. Brandon Dixon, J., and Michael J. Weiler. “Bridging the Divide Between Pathogenesis and Detection in Lymphedema.” Seminars in cell & developmental biology 38 (2015):75

11. Toyserkani, Navid Mohamadpour, Mads Gustaf Jørgensen, Karen Haugaard, and Jens Ahm Sørensen. “Seroma Indicates Increased Risk of Lymphedema Following Breast Cancer Treatment: A Retrospective Cohort Study.” Breast (Edinburgh) 32 (2017): 102–104.

12. Smoot, Betty, Laura Chiavola-Larson, Jeannette Lee, Hidelisa Manibusan, and Diane D. Allen. “Effect of Low-Level Laser Therapy on Pain and Swelling in Women with Breast Cancer-Related Lymphedema: a Systematic Review and Meta-Analysis.” Journal of cancer survivorship 9, no. 2 (2015): 287–304.

13. Canadian Cancer Society Statistics, 2023.

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