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CHRONIQUE CLINIQUE UNIVERSITAIRE DE LA VISION

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ARTICLE 2

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PAR LA DOCTEURE ARIANA ARAMBULO-CEVALLOS OPTOMÉTRISTE RÉSIDENTE EN OPTOMÉTRIE COMMUNAUTAIRE, 2021-22 SOUS LA SUPERVISION DU DOCTEUR BENOIT TOUSIGNANT OPTOMÉTRISTE, MSc, MPH, PROFESSEUR AGRÉGÉ À L’ÉCOLE D’OPTOMÉTRIE DE L’UNIVERSITÉ DE MONTRÉAL

Formation des futurs optométristes de Colombie : un stage important et marquant

Afin d’éliminer la cécité et la déficience visuelle évitable dans le monde, former des professionnels de la santé visuelle est une priorité, étant une des interventions qui a l’impact le plus durable sur la santé mondiale. C’est d’ailleurs un des objectifs du certificat de 2e cycle, Résidence en optométrie communautaire, de l’École d’optométrie de l’Université de Montréal (ÉOUM). Ce programme donne aux résidents une formation en santé publique, ainsi que des expériences de travail auprès de populations plus vulnérables et sous-desservies, tout en suivant de hauts standards cliniques et des pratiques de développement durable. En tant que résidente pour l’année 2021-2022, j’ai eu l’extraordinaire occasion de contribuer à de nombreuses cliniques et à des activités en lien avec la santé oculovisuelle au Québec. Celles-ci m’ont dûment préparée à un des plus grands projets du programme : un stage d’enseignement de trois mois dans un pays en voie de développement.

Ce fut une des expériences les plus enrichissantes et magnifiques de ma carrière universitaire. Mon stage a eu lieu du 19 mars au 21 juin 2022, à l’Université Areandina de Pereira, la plus grande ville de la zone cafetière de Colombie. J’ai eu l’occasion de travailler auprès de professeurs et de cliniciens du département d’optométrie ainsi que 150 futurs optométristes colombiens. Mon rôle pendant ces trois mois était de renforcer la formation actuelle des étudiants en amenant des notions complémentaires et en partageant les compétences acquises dans le milieu clinique nord-américain. Le programme d’optométrie de Areandina offre une formation théorique, pratique et clinique sur les soins oculovisuels de première ligne, en 10 sessions d’études à temps plein. Il y a de 30 à 50 étudiants par cohorte, dont la moitié arrivent du secondaire et les autres sont des étudiants universitaires ou des professionnels de domaines différents. En 2019, ce programme a obtenu une accréditation institutionnelle de haute qualité du ministère de l’Éducation de la Colombie.

En tant qu’optométriste, j’ai fait partie de l’équipe de 15 professeurs et cliniciens. Tout d’abord, j’ai contribué à l’enseignement des laboratoires précliniques en vision binoculaire et en optométrie pédiatrique, ainsi qu’à ceux de lentilles cornéennes. Je participais aux discussions théoriques, j’aidais à l’évaluation de rapports et des présentations orales, et je partageais des conseils sur l’exécution de nombreuses techniques. J’ai également été clinicienne pour les étudiants de 4e et 5e année dans la clinique d’optométrie générale, la clinique de lentilles cornéennes et la clinique d’orthoptique. Tout comme à la Clinique universitaire de la vision, les étudiants ont 90 minutes pour réaliser un examen visuel complet et font plusieurs stages dans les différentes cliniques spécialisées. Grâce à de nombreuses sessions de tutorat et blocs cliniques, j’ai renforcé les techniques avancées de santé oculaire comme les tests diagnostiques de sécheresse oculaire selon TFOS DEWSS II, la tonométrie Goldmann, les champs visuels, l’évaluation du fond d’œil avec la lentille 90D et de la rétine périphérique avec le BIO. Ces techniques sont apprises durant la troisième année, mais très peu pratiquées. Une des différences de la pratique de l’optométrie est que l’examen sous dilatation pupillaire est réalisé en grande majorité par les ophtalmologistes, bien que les optométristes aient le privilège de pouvoir le faire depuis plusieurs années. Ils ont également le droit de traiter plusieurs pathologies du segment antérieur avec des traitements topiques, mais les patients vont souvent consulter en ophtalmologie pour une urgence oculaire. J’ai donc contribué à sensibiliser davantage les étudiants sur le rôle important qu’ont les optométristes comme professionnels de la santé de première ligne dans la prévention et la prise en charge des troubles visuels et des pathologies oculaires. Aussi, j’ai insisté sur notre rôle dans le dépistage des manifestations oculaires de certaines maladies systémiques, surtout en considérant que la prévalence du diabète, de l’hypertension artérielle et des maladies infectieuses est élevée dans la population colombienne.

J’ai d’ailleurs eu l’occasion de donner une conférence à la cohorte des étudiants finissants en infirmerie de l’Université Areandina, pour valoriser le rôle de l’optométrie et la collaboration interprofessionnelle importante qu’on peut faire dans la lutte contre la cécité et les troubles visuels évitables dans le monde.

J’ai été agréablement surprise de voir comment les optométristes en Colombie sont reconnus en Amérique latine pour leurs compétences en réfraction, en lentilles cornéennes et en orthoptique. Un défi pour moi était d’ailleurs l’adaptation de lentilles cornéennes de spécialité provenant des laboratoires colombiens. Les optométristes adaptent majoritairement en lentilles perméables au gaz (PAG), mais certains maîtrisent bien les lentilles semi-sclérales et sclérales, notamment ceux qui travaillent avec des cornéologues et qui ont accès à un OCT du segment antérieur. J’ai donc appris d’autres techniques d’adaptation et renforcé mes connaissances grâce aux cliniciens de lentilles et aux conférences auxquelles j’ai été invitée. Ce stage m’a également permis d’apprendre à utiliser les ressources disponibles de la meilleure manière pour réaliser un examen de qualité. Par exemple, réaliser une réfraction entière en lentilles d’essai et utiliser la technique du cadran de Parent ou méridional avec des chartes physiques pour déterminer subjectivement l’astigmatisme. J’ai été exposée à de nombreux cas de hautes erreurs réfractives non corrigées et de troubles accommodatifs.

Ce fut très intéressant d’échanger notre approche sur l’art de prescrire, sur le traitement des amblyopies ainsi que sur les exercices d’orthoptique. Le département d’optométrie de l’Université Areandina réalise également des cliniques mobiles deux fois par semaine pour desservir les populations plus vulnérables de la région. Mon expérience en tant que clinicienne de la clinique mobile Regard collectif de l’ÉOUM a été mise en valeur pour améliorer l’efficacité et la qualité des soins offerts par leur clinique mobile. Finalement, j’ai réalisé des rotations avec des ophtalmologistes de Pereira et des étudiants finissants en optométrie, puis rédigé de nombreuses références avec eux. Cela m’a permis de mieux comprendre comment fonctionne le système de santé colombien et comment les professionnels travaillent ensemble pour le bien-être et la santé visuelle de la population. Ce stage fut également une expérience enrichissante au niveau personnel. Ayant l’espagnol comme langue maternelle et venant d’une famille péruvienne qui a toujours célébré la culture latino-américaine dans toutes ses couleurs et sa splendeur, mon adaptation culturelle fut assez rapide. J’aimerais souligner que la Colombie est un pays qui a beaucoup plus à offrir que l’image médiatisée de son passé. C’est un pays qui regorge d’une richesse culturelle, historique et naturelle fascinante. Avec ses climats et ses zones géographiques différentes, elle comprend une des plus grandes biodiversités au monde et tous ses paysages sont à couper le souffle. Pour les personnes passionnées par l’observation des oiseaux et des fleurs, c’est un vrai paradis! Pereira est la capitale de la province Risaralda qui, comme mentionné plus haut, se trouve dans le fameux Eje Cafetero, la zone du café. Chaque fin de semaine, j’en profitais pour visiter les parcs naturels des Andes colombiennes et les villages aux maisons coloniales colorées, où l’on peut boire les meilleurs cafés et découvrir la culture locale. C’était impressionnant de voir des peintures murales colorées partout, même sur les routes, soulignant la faune, la flore et l’histoire de la région et contrastant avec le vert du paysage montagneux. Cependant, ce qui m’a réellement émerveillée ce sont les gens. J’ai rencontré des centaines de personnes magnifiques qui m’ont fait sentir comme chez moi et en sécurité dès la première semaine, et j’en suis entièrement reconnaissante. Peu importe où j’allais, je côtoyais des gens passionnés par leur terre, qui ont une joie de vivre, une générosité et une amabilité incroyables et contagieuse. Que l’on soit un touriste ou une personne locale, les « paisas » vont toujours offrir leur aide et un accueil des plus chaleureux, sans oublier des invitations à danser et célébrer avec eux !

Bref, cette expérience fut merveilleuse dans tous ses aspects, et la collaboration avec l’Université Areandina sera maintenue pour contribuer davantage aux soins oculovisuels dans le monde. J’aimerais remercier grandement Docteur Benoit Tousignant, directeur de la résidence en optométrie communautaire et professeur agrégé de l’ÉOUM, Docteure Carol Violet Pinzon Mora, directrice du département d’optométrie de l’Université Areandina, ainsi que tous les professeurs et les étudiants qui ont contribué à l’organisation et à la réalisation de ce nouveau projet. Je suis très reconnaissante à la Direction des affaires internationales (DAI) de l’Université de Montréal et au World Council of Optometry (WCO) pour leur financement et la reconnaissance de ce stage comme un projet de développement durable.

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