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Statut de la langue française en Colombie
En Colombie, le français est enseigné depuis près de deux siècles, dès l’apprentissage de certaines élites à son intégration dans le système éducatif. Avec la loi sur l’enseignement général (MEN, 1994), la tendance du bilinguisme a consisté en l’enseignement de la langue hypercentrale, l’anglais, (Calvet, 2017), bien que le français langue étrangère (FLE) subsiste dans plusieurs établissements éducatifs. Dans le cadre des réalités linguistiques, du parcours historique de l’apprentissage des langues étrangères, de la dynamique de la mondialisation, de ce qui est établi par les lois et programmes nationaux, ainsi que de la mise en œuvre des initiatives institutionnelles de promotion des langues étrangères en Colombie, cette étude met l’accent sur l’analyse de la présence de l’enseignement et de l’apprentissage du français langue étrangère, une langue supercentrale, au sein de l’enseignement colombien.
En Colombie, depuis les années 1990, le Gouvernement National a lancé une série d’initiatives visant à définir les objectifs d’apprentissage des langues étrangères. Tout d’abord, la Ley General de Educación (Ley 115 de 1994) a été présentée, définissant les objectifs de l’enseignement d’une langue étrangère dans l’éducation élémentaire et secondaire. Par la suite, le Ministère d’Éducation National (désormais MEN) a élaboré le “Programa Nacional de Bilingüismo” (2004-2019) dont l’objectif est de promouvoir la formation de citoyens capables de communiquer en anglais dans un pays anglophone au quotidien, dans des contextes de communication universelle, d’économie mondiale et d’ouverture culturelle, en respectant des normes internationalement comparables (MEN, 2006).
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En outre, en 2010, le MEN a entrepris le “Proyecto de Fortalecimiento al Desarrollo de Competencias en Lenguas Extranjeras” (20102014), afin de «développer les compétences de communication en langues étrangères - notamment en anglais - chez les enseignants et les élèves de l‘éducation publique et favoriser l’insertion du capital humain colombien dans l’économie du savoir et un marché du travail mondialisé» (MEN, 2012). Par la suite, en 2014, le MEN a lancé le programme Colombia Bilingüe (2014-2018) dont l’objectif était «d’aider les élèves du système éducatif à mieux communiquer en anglais. (…) La maîtrise de cette langue devra permettre aux apprenants et enseignants colombiens d’avoir accès à des bourses dans d’autres pays, d’obtenir une plus grande mobilité étudiante et de meilleures opportunités d’emploi, y compris en Colombie» (MEN, 2016).
Actuellement, nous constatons que le MEN souligne, pour le quadriennat 2018-2022, l’importance de l’apprentissage des langues étrangères en tant que «véhicules de communication, d’interaction, de génération d’opportunités et de développement pour nos enfants, adolescents et jeunes». Il ajoute que «l’intérêt du ministère est de favoriser le développement du processus d’enseignement et d’apprentissage dans d’autres langues déjà présentes dans le système éducatif, comme le français et le portugais».
Il est significatif de voir comment les lois et programmes nationaux, promouvant l’apprentissage des langues étrangères, sont passés d’un bilinguisme marqué par l’anglais à une vision plus multilingue. Cela souligne l’importance, la présence et la contribution de l’enseignement et l’apprentissage d’autres langues étrangères, tel que le français. Pourtant, la tâche est loin d’être achevée, car il faut vraiment faire un état des lieux de l’enseignement du français et aussi analyser la présence de cette langue en Colombie.
La promotion de l’enseignement du français en Colombie constitue un outil précieux pour renforcer et développer les échanges bilatéraux. Depuis 1994, la législation colombienne prévoit l’enseignement obligatoire d’une seule langue étrangère dans le système public, et celle-ci, depuis 2007, ne peut être que l’anglais. L’enseignement du français est donc facultatif.
Le réseau des Alliances françaises en Colombie, présent dans onze villes (6e plus important au monde selon le journal data de la fondation des Alliances Françaises 20201, s’est donc attaché à proposer une offre éducative dans les
1 https://www.fondation-alliancefr.org/wp-content/uploads/ affiche-datas-2020-BD1.jpg)
établissements scolaires. Il cherche également à sensibiliser les autorités nationales comme locales et soutient les établissements privés proposant l’enseignement du français, notamment au travers du programme Réseau d’excellence éducative de français (REF) qui compte actuellement 52 établissements. Le français est également enseigné grâce aux 15 assistants de langue française qui travaillent dans des établissements colombiens. Sept universités colombiennes sont membres de l’Agence universitaire de la Francophonie (AUF): l’Universidad Nacional, l’Universidad de los Andes, l’Universidad del Rosario, la Pontificia Universidad Javeriana, l’Universidad del Valle, l’Universidad EAN et l’Universidad Libre. Outre la promotion de la Francophonie, l’AUF est un opérateur international majeur qui finance des projets de coopération scientifique et d’amélioration de la qualité de l’éducation dans ses pays membres.
Historiquement la Colombie a toujours été un pays hautement francophile. Simón Bolivar, libertador et figure essentielle des guerres d’indépendance hispanoaméricaine du joug du trône d’Espagne, s’était forgé son idéal politique en lisant les penseurs de l’Empirisme et des Lumières comme Rousseau, Voltaire et Montesquieu et avait suivi des études à Paris. Il s’était fortement inspiré des idées de la Révolution Française et avait personnellement connu Napoléon: il s’inspire particulièrement de son engagement militaire dans les guerres d’indépendance.
Antonio Nariño, un autre héros de l’indépendance de la Colombie aux côtés de Simón Bolivar, avait risqué sa vie en traduisant en 1793 la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen (site wikipedia.fr). Cette traduction clandestine lui avait valu plusieurs années d’emprisonnement pour conspiration contre la Cour d’Espagne mais, les leçons qu’il en avait tirées avaient si profondément marqué son esprit que les idées révolutionnaires des dix-sept articles promulgués par l’Assemblée Constituante de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen ont guidé sa carrière au profit de l’émancipation du peuple colombien.
Jusqu’en 1934, dans certaines écoles colombiennes, on levait le drapeau français en chantant la Marseillaise et, dans les années soixante, les cartes d’identité en Colombie étaient bilingues en français et en Espagnol. En 1981, le décret n° 81-341 du 8 avril 1981 révèle la publication de l’accord-cadre de coopération culturelle entre la France et la Colombie, signé à Paris le 13 juin 1979 suite à la visite du Président colombien Julio Cesar Turbay à son homologue Valéry Giscard d’Estaing. Le Président Turbay a signé ensuite le Décret 1313 rétablissant le français dans les deux dernières années du secondaire en Colombie:
Art. I: «Chacune des Parties favorise et stimule dans la mesure du possible l’enseignement de la langue, de la littérature, de la culture et de la civilisation de l’autre pays».
Art. II: «Les Parties contractantes, reconnaissent l’importance de la formation des professeurs chargés d’enseigner les langues respectives, se prêtent une assistance mutuelle pour favoriser l’enseignement de la langue et de la culture de l’autre pays».
1994 est l’année de la Ley General de Educación 115: seul l’anglais est enseigné comme langue étrangère dans le système scolaire public. En effet, malgré l’alinéa 7 de l’Article 23 de cette Loi («7. Humanidades, lengua castellana e idiomas extranjeros»), les proviseurs du secondaire ont gardé la formule proposée pour l’école primaire, alinéa m de l’Article 21 («La adquisición de elementos de conversación y de lectura al menos en una lengua extranjera»). L’expression “al menos en una…” a été interprétée comme «solamente una». Résultat, le franҫais disparaît de l’enseignement des établissements éducatifs en Colombie.
Et c’est grâce à l’initiative des Alliances Françaises de Colombie - dont la première, Bogotá, a été créée en 1944 - en coopération avec l’Ambassade de France en Colombie, que l’apprentissage du français retrouve peu à peu sa place dans le panorama colombien.
En 2008 le Réseau d’excellence de français (REF) est créé par l’Ambassade de France et l’Alliance Française de Bogota (AFB), dans le but de renforcer l’apprentissage du FLE dans les établissements privés bilingues (anglais) et cherchant à ouvrir des espaces dans le secteur public. Ce réseau s’étend aujourd’hui au niveau national avec la participation des Alliances Françaises de Colombie. 52 Collèges-Lycées en Colombie bénéficient de l’accompagnement du label REF répartis comme suit: 23 établissement avec l’AF Bogotá
avec 6195 élèves, 6 avec l’AF de Cartagena avec 1850 élèves, l’AF de Barranquilla dans 7 CollègesLycées avec 926 élèves, l’AF de Cali dans 5 établissements avec 702 élèves, l’AF de Pereira dans 3 institutions avec 450 élèves, l’AF de Santa Marta dans 3 collèges-lycées avec 348 élèves, l’AF de Manizales dans 2 établissements avec 289 élèves (1 établissement public École Normale de Caldas), l’AF de Medellin 2 collèges-lycées et 160 élèves et l’AF d’Armenia dans un établissement et 18 élèves; soit un total d’élèves du REF en Colombie de 11.579 selon les derniers chiffres vérifiés.
Depuis quelques années (2009) Le français réapparaît dans certaines institutions éducatives. En effet, la tendance aujourd’hui en Colombie est la tendance actuelle en Colombie vise le plurilinguisme des citoyens, préférablement avec une connaissance de plusieurs langues, de soutenir encore le développement humain dans tous les aspects de la vie et de contribuer à l’évolution économique, sociale, écologique et culturelle. Les langues deviennent donc un élément essentiel de l’évolution et le français en particulier fait partie intégrante de cette dynamique. C’est l’exemple du secrétariat d’éducation de Bogotá, l’Alliance Française de Bogotá et l’ambassade de France qui ont signé une convention en 2019 pour commencer l’opération du programme d’enseignement/ apprentissage du français et d’autres domaines de la connaissance de la langue française dans 4 écoles publiques. C’est le cas également de L’Alliance Française de Manizales qui, avec ces initiatives locales, a pu signer une convention avec la mairie 2016-2019 où près de 300 lycéens, répartis sur 11 établissements secondaires publics de la ville, ont appris le français avec l’Alliance Française de Manizales dans le cadre du Programme de Réintroduction du Français dans les Institutions éducatives publiques à Manizales; une vingtaine d’enseignants appartenant à ces mêmes institutions publiques se sont formés en langue et pédagogie du français niveaux A1 et A2 et 75 enseignants du département de Caldas ont été formés aux niveaux A1, A2 et B1. Aujourd’hui le FSPI FranCo 2020-2021 relance l’enseignement du français dans les établissements scolaires publics en Colombie. 20 Collèges-Lycées sont impliqués dans le projet. Projet FEI, Ambassade de France en Colombie, Alliances Françaises en Colombie, MEN Ministère de l’Éducation Nationale.
Français et Francophones en Colombie:
Il faut faire ici peut-être la distinction entre les francophones d’origine ou de naissance (ils peuvent avoir appris le français de leurs parents ou amis eux-mêmes francophones, comme une sorte de transmission culturelle) et les francophones apprenants.
Le dernier chiffre du nombre de français inscrits à l’Ambassade de France date de 2017 (5799 français inscrits). Pourtant, la tendance actuelle en Colombie vise le plurilinguisme des citoyens, préférablement avec une connaissance de plusieurs langues, les français ne sont pas inscrits au Consulat. Pour ce qui est des autres francophones d’origine présents en Colombie, il faudrait effectuer une recherche de données auprès de chaque consulat, car ces données ne sont pas souvent disponibles sur internet.
Certains francophones viennent pour le tourisme ou ne restent en Colombie que quelques mois, ne pouvant donc pas être comptabilisés. Et le fait d’avoir la nationalité française, par exemple, n’est pas un gage de “parler le français”. En effet, il faut ici définir ce que l’on entend par “parler le français”. Selon les descripteurs du CECRL au niveau A1, un locuteur “peut interagir de façon simple, mais la communication dépend totalement de la répétition avec un débit plus lent, de la reformulation et des corrections. Peut répondre à des questions simples et en poser, réagir à des affirmations simples et en émettre dans le domaine des besoins immédiats ou sur des sujets très familiers.” Est-on francophone si l’on n’a que quelques connaissances de la langue? De même, est-on francophone si l’on n’a que quelques connaissances de la culture?
Chapitre 2
Cadre Méthodologique
Cette étude est une recherche exploratoire-descriptive menée à partir d’une approche quantitative exposant les différentes modalités d’enseignement du français en Colombie. Le projet a été développé en deux phases. La phase 1 comporte les données analysées dès le départ du projet jusqu’en avril 2020 et la phase 2 comporte l’analyse des données compilées et comparées à partir d’avril 2020 jusqu’en novembre 2021.
Dans la phase 1, les données analysées sont celles trouvées dans les bases de données fournies par le MEN : le SIET (Système d’Information pour le travail et le développement humain) et le SNIES (Système National d’Enseignement Supérieur). Ces données ont été divisées en quatre axes d’analyse : Le premier axe concerne les institutions pour le travail et le développement humain (ITDH) auxquelles sont rattachés les instituts de langue offrant des cours pour apprendre la langue française. Les trois autres correspondent à l’enseignement supérieur (IES) et à la manière dont l’enseignement du français est intégré au sein des établissements, dont les licences et masters dans lesquels la formation en français constitue une composante fondamentale. Le troisième axe établit les cours de français dispensés au sein des écoles ou instituts de langues appartenant aux universités. Finalement, le quatrième axe caractérise les cours de français offerts au