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MIEUX S’INFORMER je passe à l’acte

ACTES SUD

Vous trouverez plus d’informations sur les notions marquées d’un astérisque dans la rubrique “Pour en savoir plus”, p. 54.

Collection dirigée par Françoise Vernet. Ouvrage coordonné par Agnès Galletier.

Conception graphique : Anne-Laure Exbrayat, studio graphique d’Actes Sud. Mise en page : Anne Ambellan.

© Actes Sud, 2023

ISBN : 978-2-330-17634-1 www.actes-sud.fr

Par une multitude de petites (r)évolutions dans notre quotidien, chacun de nous a le pouvoir de construire le monde de demain. Un monde écologiquement et socialement responsable, équitable, respectueux du Vivant et en symbiose avec lui.

Face à l’urgence de cette profonde transition, nous sommes nombreux à vouloir faire notre part, à notre façon, avec nos aspirations et talents multiples, en nous faisant davantage confiance tout en restant reliés aux autres. L’envie est là, le sentiment qu’il n’y a plus de temps à perdre aussi. Oui, mais comment faire ?

C’est pour répondre à cette demande d’outils inspirants et pratiques, pour oser passer à l’acte qu’est née cette collection. Elle s’adresse à tous : débutants ou initiés, hésitants ou convaincus. Elle aborde tous les domaines d’action possibles avec un objectif : vivre ce désir de changement, l’étayer et l’aider à aboutir. Tant sur le plan individuel que collectif.

En cinq étapes progressives, les titres “Je passe à l’acte” vous accompagnent vers une présence au monde plus significative et vous guident tout au long de votre propre (r)évolution.

Pourquoi

Lors de moments partagés avec des proches, à la fin de conférences ou via les nombreux messages que je reçois, c’est une confession à laquelle je me suis habituée, formulée presque à voix basse, comme un petit secret : “Tu sais, je ne m’informe plus.” Suivent les explications : “J’ai arrêté, car c’en était trop, je ne sais plus où donner de la tête, je trouve cela trop anxiogène.” Sans parler de celles et ceux qui sont en colère : “Ces journalistes, des menteurs à la botte du pouvoir, il n’y en a pas un pour rattraper l’autre, ils nous désinforment” – et je vous passe les insultes de “journalope”, “merdia” ou “gauchiasse”… Je vais donc vous confier un secret à mon tour : vous avez raison de ressentir cela, mais la bonne information existe. Il est crucial de savoir la trouver pour agir en société.

Cet ouvrage part d’un constat largement partagé : la multiplication des écrans, des réseaux sociaux et des “bouches médiatiques” est telle que nous sommes soumis à un flot de messages continu qui nous informe par défaut ou pour de faux.

Beaucoup se sentent submergés, comme perdus, sans savoir où donner de la tête. Les boucles informationnelles se répètent à coups d’alertes, de notifications et de jingles qui se confondent, à la longue, dans un brouhaha inaudible.

Cette cacophonie médiatique a différents effets. Lors d’une longue enquête que j’ai menée dès 2014 sur notre rapport à l’information1, j’ai identifié différentes manières de réagir à ce surmenage médiatique :

– Il y a celles et ceux qui cessent de s’informer : les “médianorexiques”, désintéressés ou devenus allergiques à l’information, ont coupé le flot. Souffrant de “fatigue informationnelle”, ces personnes l’évitent volontairement, avouent s’en porter bien mieux et ne plus ressentir d’anxiété2

– Il y a, de l’autre côté du spectre, les “infobèses”, pris dans une boulimie informationnelle. Ils et elles souffrent bien souvent d’une addiction – ce qu’on appelle “fear of missing out”, ou Fomo, pour “peur de passer à côté d’une information importante”.

– Il y a, enfin, celles et ceux qui continuent de s’informer, mais sans y croire. C’est la crise de foi, un symptôme qui s’est accru avec l’avènement de la post-vérité3, contexte informationnel où il est nécessaire de discerner les faits alternatifs4 et les infox des informations vérifiées et des récits dont la qualité et la véracité sont assurées.

1. Voir www.lesmediaslemondeetmoi.com.

2. D’après une étude de l’Obsoco, la Fondation Jean-Jaurès et Arte publiée en septembre 2022, 53 % des Français seraient fatigués, et donc distants, désintéressés ou méfiants à l’égard de la presse (voir l’encadré p. 10).

3. La post-vérité qualifie les situations dans lesquelles les informateurs font passer la réalité des faits et la véracité des propos derrière les émotions et les opinions. Ce contexte est aussi source de fatigue, notamment chez les plus jeunes, hyperconnectés (17 % des personnes interrogées dans l’étude citée ci-dessus), informés, mais épuisés face à l’information.

4. Le terme est issu d’une expression employée, devant la presse, par la conseillère de Donald Trump en janvier 2017 afin de défendre l’importance de la foule venue assister à l’investiture du président américain. Les faits alternatifs sont des “contre-faits”, de nature contrefaite, avancés pour disqualifier le travail des journalistes.

Mariette Darrigrand, sémiologue

Quel que soit votre profil, l’intensité du flux médiatique et la nature de l’information qui y circule sont à l’origine d’un malaise ou d’un inconfort. Les unes et les gros titres, tout comme la quantité d’images qui se succèdent sous nos pouces, sous nos yeux et dans nos oreilles, forment une masse de contenus difficile à assimiler. L’opinion majoritaire répétée en boucle constitue une “litanie”, une “rengaine” qui nous rassure et nous déprime, nous berce tout autant qu’elle nous laisse la sensation que nous ne pouvons rien y faire.

Cette évolution de notre rapport à l’information va de pair avec l’évolution de la confiance que nous accordons aux médias. La France, avec la Grande-Bretagne et les États-Unis, fait partie des trois pays où le taux de confiance est le plus bas. Aujourd’hui, seul un Français sur cinq fait confiance aux journalistes6. D’après la même étude, cela signifie que vous me croyez à peine plus que votre banquier (20 % de confiance) ou votre promoteur immobilier, et si je vous inspire plus que les représentants politiques (9 %), je reste loin derrière les scientifiques (60 %), qui figurent en tête de celles et ceux à qui on peut encore se fier.

Parmi les griefs reprochés aux journalistes ? Le fait de favoriser l’audience à la qualité du contenu (66 %), de privilégier les actualités aux informations précises (65 %) et de mettre en avant une idéologie ou une prise de position politique par rapport aux informations d’utilité publique (59 %). Sans parler de la perception partagée par la moitié des sondés selon laquelle les médias seraient élitistes7.

5. Mariette Darrigrand, Comment les médias nous parlent (mal), Éditions François Bourin, 2013, p. 6.

6. 21 % de la population, cf. Michael Clemence et Gideon Skinner, “It’s a fact ! Scientists are the most trusted people in world”, 18 septembre 2019, www.ipsos.com.

7. Trust Barometer d’Edelman, en 2018.

Un Vitement G N Ralis

D’après le Digital News Report 2022 du Reuters Institute, 38 % de la population mondiale évite sciemment de prendre connaissance de l’actualité. Cette proportion ne s’élevait qu’à 29 % en 2017. Parmi les pays les plus touchés : le Brésil (54 % des personnes interrogées), la Grande-Bretagne (46 %) et les États-Unis (42 %). La France est au milieu du classement, à 36 %.

Pourquoi couper ainsi le flot de l’information ?

Pour trois raisons, principalement : les personnes interrogées jugent l’actualité trop répétitive (43 %), les informations trop angoissantes (36 %) ou leur quantité trop importante (29 %). À noter : 15 % d’entre elles expliquent que la lecture et la compréhension de l’information semblent trop difficiles. Une étude publiée en septembre 2022 par la Fondation Jean-Jaurès, l’Obsoco et Arte révèle que 77 % des Français limitent leur consommation d’information : 53 % désactivent les notifications, 30 % s’efforcent de ne pas regarder la télévision. Plus de la moitié des personnes interrogées déclarent se sentir “plutôt” (15 %) ou “très fatiguées” (38 %) en s’informant. Face au trop-plein d’information, une même moitié éprouve “régulièrement” ou de “temps en temps” du stress ou de l’épuisement. 34 % dénoncent les débats trop polémiques, 32 % le manque de fiabilité, 31 % l’impact négatif sur le moral, 25 % le manque d’intérêt.

Et si nous prenions un peu de recul ? Comment s’est installée cette défiance ? Ma profession est en partie responsable d’avoir diffusé de fausses informations : mensonges qui ont entouré le passage du nuage de Tchernobyl, en 1986, les faux charniers de Timișoara (Roumanie), en 1989, ou la prétendue “guerre propre” menée en Irak l’année suivante. Plus récemment, en octobre 2019, l’arrestation du “faux” Xavier Dupont de Ligonnès ou le traitement

8. Source : Julia Cagé, Nicolas Hervé et Marie-Luce Viaud, L’Information à tout prix, INA Éditions, 2017.

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